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Insolite Buenos-Aires
(6) (Argentine)
Heure locale

 

Vendredi 22 décembre 2017

 

Dans les rues portègnes, il est utile de lever la tête, tant il y a de choses à observer. Sur la petite place située au croisement des rues Chile et Peru, on trouve quelques bancs, un vieil arbuste et d'antiques lampadaires qui donnent à l'endroit une atmosphère particulière. Un des murs des maisons environnantes offre l'apparence d'un roman policier, avec ses esquisses et les citations attribuées à Rodolfo Walsch, et rappelle l'assassinat de l'écrivain et journaliste qui fut l'auteur de l'ouvrage Opération Massacre. La petite place qui porte son nom demeure un lieu symbolique de commémoration dédié aux hommes et aux femmes qui restent gravés dans l'histoire de la capitale de l'Argentine. On peut y trouver quelques plaques qui rendent hommage aux habitants de San Telmo disparus durant la dernière dictature.

C'est le 25 mars 1977, après la parution de sa fameuse Lettre ouverte à la junte militaire, laquelle dénonçait les désastres économiques de la dictature des généraux argentins, que Rodolfo Walsh sera abattu au coin des rues San Juan et Entre Rios. Considéré comme le fondateur du journalisme d'investigation en Argentine, notre homme, qui sera un journaliste progressiste, gagnera vite une réputation d'écrivain engagé et deviendra un des écrivains majeurs de sa génération. Il fondera en 1960 avec d'autres compères l'agence Prensa latina visant à protéger la révolution cubaine. Amateurs de romans policiers, il traduira également en espagnol plusieurs d'entre eux.

Au fond de la place portant son nom, s'élève une statue à son effigie depuis un faux balcon, entourée des titres de ses œuvres et des mentions de leurs années de parution. L'iconographie du personnage est complétée par une machine à écrire, une tasse de café noir et d'épaisses lunettes (deuxième photo). Quant à la place, elle fut restaurée à l'initiative du Secrétariat de la Culture de Buenos-Aires en 2009.


 

Autre curiosité du quartier de San Telmo : la promenade de la bande dessinée, ainsi surnommée en référence aux multiples statues de personnages populaires disséminées ici et là dans les différentes rues. Une de ces statues, située au croisement des rues Defensa et Chile, représente la célèbre Mafalda (en photo ci-dessous). Cette petite fille est le personnage principale du comic strip argentin, Quino, qui fut publié entre 1964 et 1973. Mafalda est argentine et issue de la classe moyenne, ce qui ne l'empêche pas d'être devenue très populaire non seulement en Argentine, mais aussi en Amérique latine, en Europe et au Québec. La maturité et le pessimisme politique de Mafalda en étonnera plus d'un, à commencer par ses parents et amis. Et notre héroïne de développer une vision critique du monde, en donnant par exemple son assentiment sur la Guerre froide. Elle ambitionne de devenir haut fonctionnaire international pour changer le monde. Fille de caractère, elle a une réaction épidermique à tout ce qui se dit dans les journaux, et son objet préféré reste la mappemonde qu'elle considère comme une représentation littérale du monde et qu'elle badigeonne régulièrement de crèmes de beauté chipées à sa mère à chaque fois que des nouvelles tristes sont annoncées. Elle a enfin horreur de la soupe mais raffole de la meringue. Comme on peut le voir, Quino était une bande dessinée à caractère plutôt politique, ce qui vaudra à son éditeur, Julian Delgado, de mourir sous la torture durant la dictature.

La sculpture de Mafalda, réalisée par l'artiste Pablo Irrgang, est assise sur un banc entourée de ses amis Susanita et Manolito. A quelques mètres de là, se dresse la maison de Mafalda, plus exactement au N°371 de la rue Chile. C'est en effet à cet endroit que Joaquin Lavado, dit Quino, et dessinateur de notre héroïne, vécut de longues années dans l'un des appartements de l'immeuble. Mafalda naquit de son coup de crayon en 1963 mais la première bande dessinée, elle, ne paraitra qu'un an plus tard, fin 1964, dans la mythique revue Primera Plana. Puis, en 1965, dans le journal El Mundo, avant de paraître en 1967 dans l'hebdomadaire Siete Dias. Ainsi Mafalda prospéra t-elle une dizaine d'années avant sa dernière parution le 25 juin 1973, cinq jours après le massacre de l'aéroport d'Ezeiza, le jour du retour d'exil du général Juan Peron.

L'idée de la statue de Mafalda germa quelques temps dès 2005 alors que Caloi, le créateur du personnage de bande dessinée Clemente, écrivit au maire de la ville, Anibal Ibarra, pour demander que San Telmo soit inscrit au patrimoine urbain de la cité. Peu de temps après, Quino sera déclaré « Citoyen illustre de la Ville de Buenos-Aires ». Et une pétition de réclamer l'installation d'une plaque commémorative devant la maison où vécut Mafalda.


 

On rit beaucoup en Argentine et Carlitos Bala, l'un des plus grands comiques argentins, en est pour quelque chose. On lui doit de nombreux divertissements à destination des enfants et des adultes, tant à la radio, à la télévision, au cirque, au théâtre ou au cinéma. L'artiste possède désormais sa propre statue (ci-dessous) à l'Imperio, une pizzeria du quartier de Chacarita, qui a depuis été déclarée site d'intérêt culturel et qui existe à cet endroit depuis les années 1930. La statue, visible en entrant par la porte située sur l'avenue Federico Lacroze, est d'un réalisme impressionnant et son histoire débute dans les années 1950 lorsque Bala, âgé d'une vingtaine d'années seulement, flânait dans les rues en faisant des blagues. Habitant près du terminal de la ligne de bus N°39, il s'était lié d'amitié avec les chauffeurs qui le laissaient monter à bord pour improviser ses premiers sketchs. Lui-même raconte que ces bus furent « son école » à cette époque et qu'une fois son spectacle terminé, il se rendait à la pizzeria Imperio pour y déguster un morceau de pizza.


 

Plongeons à présent dans l'histoire profonde de la cité avec cette maison moderne sise entre les rues Defensa, Chile, Balcarce et Avenida Independencia, maison qui sert d'entrée à un labyrinthe de tunnels vieux de quatre siècles, dans lequel circulait jadis un ruisseau d'eaux usées (connu sous le nom de Zanjon de Granados) qui finissait sa course dans les eaux du Rio de la Plata. Certains historiens identifient cet endroit comme le lieu de la première fondation de la ville de Buenos-Aires, en 1536, par Pedro de Mendoza. Avec le développement de l'urbanisation dès le début du XIX è siècle, la construction de logements et l'aménagement des rues firent disparaître ce vestige. Il faudra attendre 1985, et le rachat d'un maison délabrée au 755 de la rue Defensa pour que les nouveaux propriétaires découvrent les fameux tunnels lors des travaux de rénovation. On procéda alors à des fouilles archéologiques pendant près de vingt ans afin d'essayer de retracer l'histoire de la ville. Fouilles entièrement financées par les propriétaires des lieux. L'endroit, lui, ne sera classé comme Patrimoine culturel de la ville que bien plus tard.

Parmi les vestiges, on découvrit des fondations, des restes de mur, des sols, des faïences et des citernes, des ustensiles et des documents remontant à plusieurs époques. Tous ces objets sont aujourd'hui exposés dans le musée del Zanjon. Quant aux tunnels désormais rénovés, ils communiquent avec les terrains contigus. Ainsi est-il possible de rejoindre le bâtiment de la rue Chile depuis le tunnel de la rue Defensa. L'endroit a depuis été transformé en lieu d'exposition et en salon évènementiel, mais des visites guidées sont régulièrement organisées sur place.

 

Le Passage San Lorenzo, lui, me réserve un « petite » surprise. Il abrite en effet au N°380 la plus petite maison de la ville. Toujours au cœur du quartier de San Telmo, la façade de cette demeure ne mesure que...2,5 mètres de large sur 3 mètres de profondeur. Et ressemble à une maison de poupées, devant laquelle il est d'ailleurs facile de passer sans même la remarquer. Seul un petit balcon de style andalou dépasse au premier étage. On dit que cette maison fut érigée en 1813, année de l'Assemblée de l'An III (du nom du congrès de députés des Provinces Unies de la Plata), et à une époque où l'abolition de l'esclavage n'avait pas encore eu lieu. Ce détail est important car on pense que la première personne à avoir occupé cette demeure aurait été aussi la première personne de couleur à être émancipée. La maison devint la propriété d'un antiquaire durant les années 1960, et ce propriétaire d'être à l'origine d'une effroyable légende : cette minuscule façade dissimulerait l'une des sept portes de l'Enfer. Plus rationnellement, l'anthropologue Marcelo Pisarro estime quant à lui que la petitesse de cette maison reste la seule curiosité de l'endroit, tout simplement à cause d'un question de lots. Ce lot-là appartenait autrefois à la maison contigüe, laquelle possédait une entrée sur la Calle Defensa. La demeure sera détruite vers 1840 et le terrain sera nivelé pour y construire une vaste résidence avec un double patio. Puis cet édifice fut plus tard divisé en plusieurs lots histoire de les louer plus facilement. La façade sera refaite en 1906 et la propriété, divisée entre plus de quinze propriétaires différents au cours du XX è siècle. Au final, la petitesse de la maison qui nous intéresse ne serait que le résultat...d'arbitrages immobiliers !

 

INFOS PRATIQUES :

  • Balcon de Rodolfo Walsh, au croisement des rues Chile et Peru, San Telmo, à Buenos-Aires. Pour s'y rendre, emprunter la ligne E du métro puis descendre à la station Belgrano, ou la ligne C, et descendre à la station Independencia.
  • Maison de Mafalda, Chile 371, San Telmo, à Buenos-Aires. Métro ligne E station Belgrano. Site internet : https://turismo.buenosaires.gob.ar/es/atractivo/mafalda-susanita-y-manolito

  • Pizzeria Imperio, Avenida Corrientes 6895, Chacarita, à Buenos-Aires. Tél: 4553 0875. Face au métro Federico Lacroze (ligne B). Site internet : https://www.facebook.com/elimperiodelapizza/

  • El Zanjon de Granados, Defensa 755, San Telmo, à Buenos-Aires. Tél : +54 11 4361-3002. Des visites guidées ont lieu du dimanche au vendredi. Accès :Métro ligne C station Independencia. Site internet : http://www.elzanjon.com.ar/en

  • Maison minuscule, Pasaje San Lorenzo 380, San Telmo, à Buenos-Aires.







 



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