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Fray Bentos
(Département de Rio Negro, Uruguay)
Heure locale


Mardi 16 mai 2017

 

Fray Bentos est la capitale du département de Rio Negro, le long du fleuve Uruguay. Depuis Paysandu, je mettrai moins de deux heures pour m'y rendre, avec une route de qualité variable selon les zones traversées. Si la Ruta 3, à la sortie de Paysandu, est praticable, la Ruta 24 qui débute quinze kilomètres plus loin, est dans un état déplorable, avec des trous sur les bas-côtés, des nids de poule et de multiples rapiéçages en goudron qui sont de véritables cache-misère. Trente kilomètres avant d'atteindre ma destination, la route devient soudainement lisse comme une autoroute. Allez comprendre, rien n'est régulier dans ce pays, surtout pas la qualité du réseau routier. Le brouillard est très dense par endroits mais une belle journée s'annonce, les automobilistes doublent sur ligne continu et en plein brouillard, mais tout va bien, nous sommes en Uruguay. Ce qui change, ce sont ces exploitations forestières qui tronçonnent des milliers d'arbres dans la campagne. Et ces troncs d'être ensuite acheminés pour en exploiter la cellulose. La société Botnia, qui sera à l'origine de l'installation d'une usine de traitement de cette cellulose à Fray Bentos, en novembre 2007, créera la polémique : cet important projet d'investissement (un milliard de dollars américains) était alors pourvoyeur de 8000 emplois locaux mais inquiétait les voisins argentins qui craignaient, dès 2005, que le fleuve Uruguay ne soit pollué par une telle activité industrielle. Et près de 40000 manifestants d'Argentine, soutenus par des associations de protection de la nature des deux pays, de manifester le 30 avril 2005 contre la construction de cette usine, bloquant ainsi le pont international situé à quelques encablures de Fray Bentos. Il faudra une étude de la Banque mondiale pour apporter la preuve de l'absence de nuisance d'une telle usine pour les eaux du fleuve. Et l'entreprise de fonctionner désormais normalement.


 

On comprendra qu'un tel projet ait été le bienvenu depuis la fermeture du complexe industriel Anglo (en photo ci-dessus), véritable poumon économique durant les 117 années d'exploitation du site. C'est en 1863 que la société Liebig, spécialisée dans le jus de viande, décidait d'implanter ici une unité de production dans celle qui ne s'appelait pas encore Fray Bentos, mais Villa de Independencia. L'usine-test tournera sur le site jusqu'en 1979, produisant de l'extrait de viande de bœuf conçu d'après le brevet mis au point en 1847 en Allemagne par Justus von Liebig, puis des boites de corned-beef. A noter que l'idée de l'implantation d'une usine-test en Amérique du Sud sera au départ, c'est à dire en 1862, soufflée à la famille Liebig par George Christian Giebert, un jeune ingénieur ferroviaire, alors convaincu de l'avenir de cette invention. Pourquoi en Uruguay ? Tout simplement par ce que la viande y était meilleur marché qu'en Europe. Le produit fini se présentait alors en bouteilles, sous l'apparence d'un liquide à tartiner de couleur foncée contenant du concentré de viande et du sel. Il fallait trente kilos de viande pour produite un litre de ce concentré. Et ce produit de vanter ses vertus curatives et nutritionnelles supposées, tout cela pour un prix de revient infiniment inférieur à celui d'un steak de bœuf chez le boucher. Des recherches scientifiques ciblées permettront en effet de confirmer les qualités du produit Liebig, à tel point qu'on commença bientôt à se l'arracher jusque dans les classes moyennes européennes. L’hôpital St Thomas de Londres utilisera ainsi 12000 pots par an de cet aliment parfaitement digeste, et ce sont 500 tonnes de ce produit qui sortiront de l'usine de Fray Bentos vers 1875. Ce corned-beef sera également utilisé par l'Armée américaine pour nourrir ses soldats lors de la guerre civile, car facile à transporter puisque dans des boites de conserve, et facile à consommer. Les Forces alliées consommeront bien sûr, elles aussi, ce produit durant la Seconde guerre mondiale, sans compter que des aventuriers venus d'Europe, comme, par exemple Sir Henri Morton Stanley, vanteront cet aliment bien pratique à consommer lors de leurs expéditions.


 

C'est en effet à partir de 1873 que la maison Liebig se lancera dans la fabrication de boites de corned-beef (préparation culinaire à base de viande de bœuf), produit alors vendu sous la marque Fray Bentos, dès 1881. Et de produire des milliers de boites de cette préparation de viande de boeuf cuisinée avant d'être compressée puis conditionnée en boites. Un ancêtre de nos actuels plats cuisinés en quelque sorte... L'apparition en Uruguay (tout comme d'ailleurs en Argentine) d'unités frigorifiques permettra bientôt à l'usine Liebig de produire puis d'exporter de la viande crue à destination de l'étranger. Et l'entreprise surnommée ici Anglo d'être devenue si importante qu'on considérait Fray Bentos comme la « cuisine du monde » et que ce complexe industriel occupait à l'époque le premier rang en Amérique du Sud. De nos jours, même si l'usine de cette ville a fermé, des produits similaires (boites de corned-beef et pies à la viande) sortent encore aujourd'hui d'autres unités de production Baxters pour être écoulés sur le marché européen. Reconnaissante, la ville de Fray Bentos offre toujours au regard des visiteurs le fameux monument Liebig (ci-dessous).

Un musée de la révolution industrielle s'implanta en 2005 au cœur des anciennes installations de Liebig, là où jadis oeuvraient des milliers d'ouvriers. Je me gare à l'extérieur des bâtiments puis pénètre à l'intérieur du musée après avoir franchi une petite passerelle. Une employée me demande de descendre au rez-de-chaussée pour rencontrer un guide que je ne verrai jamais. Qu'à cela ne tienne, je parcoure en long et en large les allées de ce qui fut autrefois un atelier de production et qui rassemble désormais d'anciennes machines ayant servi à la fabrication des boites de conserve. D'autres panneaux affichent de vieilles photos en noir et blanc, témoins d'une époque révolue, qui relatent les différentes étapes de fabrication des produits. A l'étage du dessus, se trouve une immense salle où étaient jadis regroupés les services administratifs, avec machines à écrire et à calculer....


 

Nous l'avons vu plus haut, au départ, Fray Bentos portait le nom de Villa Independencia, jusqu'à obtenir le statut de ville en 1900. L'installation de Liebig sur le site aura certainement aidé la cité à grandir. Aujourd'hui, je découvre une petite ville fort sympathique avec ses quelques attractions : la place Artigas (ci-dessous) est la première place que je découvre en pénétrant dans cette agglomération qui fut classée patrimoine de l'humanité de l'UNESCO en 2015, sous la dénomination « paysage culturel industriel ». Le nom de Fray Bentos viendrait d'un certain Bentos, religieux ermite jadis installé dans un lieu connu aujourd'hui sous le nom de « Caracoles » (le long du fleuve Uruguay). On note en effet, à partir de 1600, l'existence du terme FrayVento. Pour le reste, le Capitaine Manuel de Ibarbelz, alors en voyage dans le Rio de La Plata, en 1692, mentionnait déjà les « ravines de Fray Bentos ». D'autres cartes, dont celle de la Compagnie de Jésus, viendront confirmer cette information.

Détail intéressant, c'est à un Basque français, José Hargain, homme d'affaires et premier habitant de la zone, que l'on doit l'ouverture d'un petit hôtel au bord de Fray Bentos en 1857. L'année suivante, c'est un groupe d'entrepreneurs de plusieurs nationalités qui feront l'acquisition de terres dans le coin. Ainsi, allait naitre en 1859 Villa Independencia. Le projet industriel Liebig fera le reste et permettra à Fray Bentos de voler de ses propres ailes, tout en prêtant son nom à une marque de boites de conserve, et même à un char de combat britanniques en 1917 !


 

Mon hôtel se trouvant dans la rue Paraguay, face au parc Roosevelt situé au bord du fleuve Uruguay, je n'aurai pas besoin de marcher beaucoup pour découvrir les attractions de la ville : il me suffit de remonter l'avenue 18 de Julio sur quatre pâtés de maisons pour trouver sur ma droite la superbe place de la Constitution (ci-dessous), très joli parc arboré et fleuri, avec, en son centre, son kiosque à musique. Face à cette place, je remarque le musée Luis Alberto Solari (deuxième photo) et sa superbe façade. L'artiste, qui décéda en 1993, aura vu la création de ce musée qui rend hommage à son œuvre. Notre homme est natif de Fray Bentos et fut tout à la fois peintre et sculpteur. Il réalisera dès 1937 des scénographies et des chars de carnaval, avant d'entreprendre en 1952 un voyage en Europe où il acquerra la technique de l'eau-forte (art de la gravure), technique qu'il perfectionnera par la suite. Un an plus tard, l'enfant du pays créera un atelier d'arts plastiques à Fray Bentos, repartira à Montevideo, puis embarquera en 1967 pour se rendre aux États-Unis, avant de regagner son pays natal en 1989 et d'y présenter une rétrospective de son œuvre au Musée des Beaux-Arts Juan Manuel Blanes (Montevideo). Il exposera par ailleurs dans de nombreuses villes du monde (Santiago de Chile, Buenos Aires, Santiago de Cali, San Juan, en Europe et en Asie).


 

A deux pas de la place de la Constitution, se dresse, dans une rue voisine (25 de Mayo) le magnifique théâtre Miguel Young (ci-dessous) inauguré en 1913. On doit cette œuvre à l'architecte Antonio Llambias de Olivar qui mettra cinq années à parfaire cette réalisation. Quant à Miguel Young, il fut le propriétaire du terrain sur lequel se trouve le théâtre, et c'est tout naturellement que celui-ci porte son nom. C'est ici que le poète uruguayen Juan Zorrilla de San Martin récita en 1931, et pour la première fois, les vers de la patrie légendaire (Leyenda Patria) qui relate le geste héroïque des trente-trois Orientaux. Né à Montevideo, notre homme sera non seulement poète mais aussi écrivain, journaliste, enseignant et...diplomate uruguayen. Le théâtre Miguel Young, lui, accueillera plusieurs compagnies théâtrales et musicales de renommée internationale. Il fera même office de cinéma. Devenu propriété du département du Rio Negro depuis 1934, il a depuis été classé comme monument historique national. Des travaux de restauration eurent lieu en 2012, travaux qui donnèrent lieu à une nouvelle inauguration de l'endroit trois ans plus tard.


 

Fray Bentos est en quelque sorte la capitale du département du Rio Negro, troisième département le moins peuplé du pays. Inclus autrefois dans le département de Paysandu, celui-ci fut créé le 20 mars 1880. Ses ressources principales sont l'agriculture (dans sa partie ouest) avec notamment la production de céréales (soja, tournesol,blé, mais) et de raisin. L'est du département dispose de grands pâturages et a fait de l'élevage sa spécialité. Son principal port fluvial se situe à Fray Bentos, mais le tourisme constitue de son côté une activité d'avenir avec le pôle balnéaire de Las Canas, réserve naturelle située à huit kilomètres seulement de Fray Bentos, sur la zone littorale uruguayo-argentine. Sur place, on peut admirer de splendides paysages sous une lumière particulièrement agréable l'après-midi, conjugués à l'immensité de l’embouchure du fleuve Uruguay, tout proche, qui offre aussi de belles plages le long de sa rive.

 

 

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