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De l'Anse au Griffon au Parc national de Forillon
(Gaspésie, Québec, Canada)
Heure locale

 

Jeudi 24 mai 2018

 

Au Québec, les jours ne se ressemblent pas. Ce matin, un grand soleil irradie la région et c'est une journée délicieuse qui s'annonce et qui me mènera de l'Anse au Griffon au Parc national de Forillon. Autant dire que c'est à Gaspé que je me rends puisque ces deux destinations font partie administrativement de cette ville depuis 1971.

A l'Anse-au-Griffon, les premières traces de vie remonteraient ainsi à 9000 ans.La découverte récente de trois campements apporterait la preuve de l'existence d'une très ancienne présence amérindienne paléohistorique dans la vallée de ce village. Plus récemment, ce lieu revêtit une grande importance au 19è siècle lors du développement de la pêche car c'est à cet endroit qu'un certain John Le Boutillier, homme d'affaires jersiais, fera construire des entrepôts pour y stocker sel, farine et morue salée dès 1840. Il érigera également un manoir pour surveiller ses activités commerciales.


 

Né à Jersey (Îles anglo-normandes) en 1797, John débarque en Gaspésie en 1815 comme simple employé au service de Charles Robin, un autre Jersiais et homme d'affaires. Il débutera comme commis dans l'entreprise de pêche Charles Robin & Company, puis comme gérant, avant d'épouser Elizabeth Robin (la fille de son patron) en 1824. Il ne tardera pas à voler de ses propres ailes en créant sa propre compagnie de bateaux en 1833, puis en exploitant plusieurs établissements de pêche de Paspébiac à Sainte-Anne des Monts. Son affaire marche si bien qu'il exporte alors ses produits non seulement à Jersey, mais également en Italie, en Espagne, à la Barbade et au Brésil. Et d'être élu à plusieurs reprises député de Gaspé entre 1833 et 1867. Dès 1861, notre homme, très bien intégré dans la société gaspésienne et désormais fortuné, possèdera ainsi douze navires et 169 bateaux de pêche, avec 2500 personnes sous ses ordres. Nommé conseiller d'Etat en 1867, il sera chargé d'étudier l'impact des futures lois sur les activités de sa région. Il décèdera cinq ans plus tard, à l'âge de 75 ans et au terme d'une vie bien remplie.


 

Je choisis de m'arrêter à cette splendide demeure appartenant désormais au patrimoine national en tant que Monument historique classé et lieu historique national. Maison bourgeoise québécoise d'inspiration néoclassique, l'ensemble fut érigé entre 1850 et 1860 et se présente sous la forme d'un vaste corps de logis allongé entièrement en bois, agrémenté d'un solage dégagé et d'un toit à deux versants garnis de larmiers cintrés et percé de lucarnes. La maison possède une petite annexe aménagée contre le mur pignon ouest. Le tout se trouve sur un grand terrain dégagé tout près du golfe du Saint-Laurent.

Cette demeure qui domine le paysage bâti des campagnes et des villages québécois du 19è siècle, est un concentré de tradition architecturale d'esprit français du 18è siècle et d'apports formels d'origine britannique. Celle qu'on qualifiera de Manoir présente un intérêt patrimonial indéniable, d'autant plus qu'au temps de la Nouvelle-France, le manoir était une habitation généralement plus vaste que les autres, qui servait à la fois de résidence au seigneur et de lieu de perception des cens et rentes, d'où probablement la décision de John Le Boutillier d'ériger une telle maison pour gérer ses affaires. Avec la Conquête de 1760, et suite à l'abolition de la tenure seigneuriale en 1854, le terme « manoir » désignera une villa ou une résidence de style élaboré, souvent établie à la campagne. John ne sera jamais seigneur mais sa demeure matérialisera toutefois sa réussite sociale et financière tout en reflétant les rapports sociaux et l'influence grandissante de la bourgeoisie d'affaires du 19è siècle. L'aménagement intérieur, ses divisions et sa décoration témoignent enfin de la façon de vivre de cette bourgeoisie à cette époque.

Le manoir comporte une valeur historique car il reflète l'époque où un comptoir de pêche était établi à l'Anse au Griffon au cours de la première moitié du 19è siècle. John Boutillier sera propriétaire de plusieurs d'entre eux répartis le long des côtes de la Gaspésie, comme à Percé, Rivière-au-Renard, Mont-Louis et Sainte-Anne des Monts. Ce comptoir formait une unité de production indépendante, dont les activités comprenaient la pêche, la transformation et l'expédition du poisson. Celui de l'Anse au Griffon comprenait des entrepôts, des installations pour produire la morue verte et la morue séchée, une saline et deux ateliers de réparation pour bateaux. Quant au manoir, il était habité sporadiquement par son propriétaire et servait surtout de résidence et de bureau aux gérants du comptoir.

 

Le temps idéal se prête parfaitement à la découverte de l'un des plus petits parcs nationaux, le Parc national de Forillon. D'une surface de (seulement) 245 km2, celui-ci se situe à l'extrémité nord-est de la péninsule de la Gaspésie, au nord de la ville de Gaspé, et comprend à la fois la péninsule de Forillon et la presqu'île du même nom. J'y accède facilement depuis le village de l'Anse au Griffon en empruntant la route 132. Le parc comprend deux secteurs nord et sud, que je visiterai successivement : à cette époque de l'année, les entrées du parc restent encore en accès libre et l'avantage de visiter ce genre d'endroit hors saison est qu'on ne croise que de rares visiteurs et des ouvriers chargés de la maintenance.

Le parc tire naturellement son nom du lieu géographique qu'il occupe depuis sa création en 1970. Ce nom « Forillon » provient des débuts de la colonie, lorsque Samuel de Champlain mentionna en 1626 « qu'à une lieue du Cap de Gaspey, est un petit rocher que l'on nomme forillon, éloigné de la terre d'un jet de pierre ». Le terme forillon étant une déformation du mot portugais farilhom (écueil dans la mer). La création du parc entrainera préalablement la fermeture de plusieurs villages dans la zone, et le déplacement de 225 familles. Et les maisons d'être démolies puis brûlées, souvent d'ailleurs en présence de leurs propriétaires qui les avaient occupées des décennies durant. Il ne faut pas se fier à la petitesse de l'endroit car ce parc comprend forêts, côte maritime, marais salants, dunes, falaises (comme ci-dessous) et l'extrémité nord des Appalaches (deuxième photo).

 

L'unique petite route en bitume qui dessert le secteur nord du parc me conduit au Cap Bon Ami (ci-dessous), qui sera le théâtre d'un crash aérien le 24 juillet 1948, avec l'écrasement d'un Dakota de Rimouski Airlines, suite à une visibilité dégradée due au brouillard. Tous les occupants de l'avion (soit 29 personnes) périront dans cette catastrophe. Je rencontre sur place un agent du parc qui me suggère de partir en randonnée mais je ne dispose ni du temps nécessaire ni de la tenue adéquate. Je me contenterai de descendre jusqu'au belvédère situé un peu en contrebas du parking pour prendre quelques photos et admirer le paysage. Le sentier que me suggérait l'agent du parc permet pourtant d'atteindre la tour d'observation du mont Saint-Alban en à peu près une heure de marche à travers la forêt. Ce mont ne dépasse pas les 282 mètres mais son sommet offre une vue imprenable sur l'extrémité Est de la péninsule gaspésienne. Dans ces eaux du Saint-Laurent eut lieu un autre drame : la bataille du Saint-Laurent. Celle-ci se déroula entre 1942 et 1944, alors que les sous-marins allemands sillonnaient les eaux côtières. Les U-boote couleront ainsi une vingtaine de navires de guerre et de bateaux marchands qui transportaient combattants et provisions destinés aux zones d'hostilité outre-mer. L'ennemi sera finalement repoussé grâce aux efforts conjugués de l'Aviation royale du Canada et de la Marine royale.

Chaque année, des dizaines de milliers d'oiseaux de mer se rassemblent dans ce parc (ci-dessous) car ils y trouvent les eaux poissonneuses et le refuge dont ils ont besoin pour leur reproduction. En bas des falaises, les phoques vivent en colonie même si aucun d'entre eux n'est visible ce matin. Dès la fin mai, on assiste en effet à la mise bas des phoques communs, tandis que les phoques gris rejoignent les côtes un mois plus tard pour n'en repartir qu'au mois de décembre. Avec beaucoup de patience et une bonne paire de jumelles, on peut ainsi apercevoir guillemots marmette, petits pingouins, guillemots à miroir et cormorans à aigrette.

Le Cap Bon Ami marque un tournant géographique dans l'enfilade des falaises, qui se prolonge jusqu'au Cap Gaspé. Et doit son nom à un marchand de morues venu de Guernesey, Helier Bonamy. Thomas LeMesurier et lui auraient été les premiers commerçants anglo-normands à s'établir dans la région de Gaspé vers 1770. Quant aux falaises, elles abritent des plantes exceptionnelles, dont une trentaine d'arctiques-alpines, des espèces provenant du Grand Nord ou des Rocheuses qui persistent sur les parois abruptes et les talus d'éboulis.

Sur le chemin du retour, j'aperçois au loin le Cap des Rosiers (deuxième photo), célèbre point de repère pour les navigateurs, et nommé ainsi grâce aux nombreux rosiers sauvages qui y poussaient. Son phare est le plus haut du Canada et brille depuis 1858 pour la sécurité des marins.

 

Je sors du secteur nord du parc, réemprunte la route 132 et me rends à l'entrée sud du parc située à une dizaine de kilomètres de là. Derrière mon volant, j'observe le fleuve Saint-Laurent, cette mer intérieure de 34500 km2 d'eau en constante mouvance, avec ses jeux de courants, ses marées, le vent, et même la rotation de la Terre qui lui confèrent une dynamique particulière. Sous les eaux du parc de Forillon se cachent une diversité insoupçonnée : algues calcaires, éponges et anémones ne sont que quelques-uns des organismes qui y vivent. Dès juin, des milliers de capelans viennent aussi y frayer, tandis que des tonnes de harengs et de maquereaux longent la côte de mai à novembre. Et les baleines de fréquenter l'endroit du printemps jusqu'à l'arrivée de l'hiver.

La partie sud du parc national m'offre de voir bientôt la Grande grève juste après avoir croisé un porc-épic d'Amérique (première photo ci-dessous) qui cherchait nonchalamment sa pitance sans s'occuper une seconde de ma présence. La faune sauvage est nombreuse ici et peut sortir du bois à n'importe quel moment. Aussi est-il primordial de rouler au pas à tout instant. Au siècle dernier, les familles qui étaient établies sur le pourtour de Forillon vivaient surtout de la pêche, en revendant leurs produits aux exportateurs. En soutien à cette activité économique, des services de base durent être créés. Ainsi les frères Pierre & William Simon, venus de Guernesey en 1817, feront par exemple de l'Anse aux sauvages (deuxième photo) leur centre névralgique, avec l'ouverture d'un moulin à scie en 1841, puis d'un moulin à farine la même année, puis d'une forge. C'est qu'il fallait à tout prix maintenir les populations sur place car, du temps du régime français, cette côte gaspésienne demeurera pour ainsi dire privée de peuplement et les rares efforts d'implantation de population se solderont par des échecs. Sous la domination britannique, il en ira autrement puisque des entreprises anglo-normandes spécialisées dans le commerce de la morue s'installeront durablement sur les rives du golfe du Saint-Laurent. Des postes côtiers seront créés, et les services essentiels comme le magasin général Hyman & Sons (troisième photo) ou l'Anse Blanchette rappellent l'histoire animée des commerçants et des pêcheurs gaspésiens d'autrefois. L'ancien magasin général occupait jadis le rez-de-chaussée de l'authentique résidence que William Hyman se fera construire en 1864. On peut encore aujourd'hui y découvrir ce qu'était le fonctionnement d'un magasin type des compagnies de pêche et leur vaste inventaire. La Maison Blanchette, elle aussi, est accessible durant la période estivale tout comme sa grange, son hangar à poisson, et son hangar à bois. Des interprètes costumés vous expliquent ce qu'était la vie d'ici du temps des pionniers, et un film relatant la vie d'autrefois est également projeté.

 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Manoir Le Boutillier, 578, Boulevard Griffon, L'Anse du Griffon. Tél:(418) 892 5150. Toutes les informations concernant la visite de ce site en période estivale sont sur https://www.lanseaugriffon.ca/
  • Parc national de Forillon : https://www.pc.gc.ca/fr/pn-np/qc/forillon

  • Magasin général Hyman & Sons, à la Grande Grave. Ouvert du 2 au 22 juin de 10h00 à 16h00, du 23 juin au 4 septembre de 10h00 à 17h00 et du 5 septembre au 8 octobre, de 10h00 à 16h00.

  • Maison Blanchette, à l'Anse Blanchette. Ouverte du 14 juillet au 3 septembre 2018, de 10h00 à 17h00.

 











 



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