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Du Golo à l'Asco
(Haute-Corse, France)
Heure locale

 

Vendredi 5 octobre 2018

 

Je prends la route seul ce matin car Thérèse a choisi de rester se reposer à Corte. Ma balade me conduit aujourd'hui en montagne, du côté du Golo et de l'Asco, deux rivières corses de la région. J'effectue une première halte à Ponte-Leccia, histoire de photographier un pont génois (en photo ci-dessous) dont on m'a dit le plus grand bien. Ce pont à quatre arches du 17è siècle enjambe justement le Golo, fleuve côtier qui prend sa source au sud du Paglia Orba (2525 mètres d'altitude) avant de parcourir les 90 kilomètres qui le séparent de la mer Tyrrhénienne où il finit par se jeter. Le cours d'eau peut pourtant être capricieux et se déchainer lors d'importantes crues, comme en novembre 1994. Il abrite également sur son cours plusieurs barrages et usines électriques, et donna même autrefois son nom à un département français dont le chef-lieu était Bastia. Créé en 1793 lors de la première partition de la Corse, celui-ci sera supprimé en 1811, puis remplacé en 1976 par le département de Haute-Corse.

Situé à 200 mètres d'altitude, Ponte-Leccia est une porte ouverte sur les territoires de la Balagne, du Caccia-Rustinu et du Centre Corse.

Carrefour routier, Ponte-Leccia est aussi un nœud ferroviaire avec sa petite gare qui fut ouverte en 1888 par le Compagnie de chemins de fer départementaux. Cette gare sert ainsi de bifurcation avec les lignes Bastia-Ajaccio et Ponte-Leccia-Calvi.


 

Pour me rendre à Castello di Rostino, j'emprunte la D15A, une petite route sinueuse qui grimpe dans la montagne. Ce village du bout du monde tient son nom d'un château médiéval aujourd'hui en ruines, qui était situé sur un éperon rocheux dominant la vallée du Golo (ci-dessous). Le château en question aurait été la demeure des marquis de Masa, descendants du marquis Alberto Rufo qui chassera les Sarrasins de Rome au 11è siècle et contribuera à la défense de la Corse. Cette vallée fut par ailleurs le principal axe de circulation vers l'intérieur de la Corse durant l'Antiquité, depuis la cité antique de Mariana.

Environ deux kilomètres avant le village, je repère sur ma gauche une minuscule route (au niveau d'un dépôt de grandes poubelles grises) avec un panneau indiquant CC Clla Santumasgiu. Je m'engage sur ce chemin goudronné qui est à peine plus large que mon véhicule et aboutit à un cul de sac situé face à un cimetière à l'intérieur duquel se dresse une magnifique chapelle romane constituée d'une nef unique et d'un choeur dit en « cul de four ». Le tympan situé au-dessus du portal latéral de l'édifice précise : «le 22 juin 1470, dédiée à Saint Thomas Major, seigneur sauveur des hommes ». Cette chapelle fit malheureusement l'objet d'une restauration technique désastreuse en 1933, mais les peintures murales intérieures furent préservées. J'observe des fenêtres-meurtrières sur toutes les façades et une petite ouverture en forme de croix grecque au-dessus de l'abside. Je remarque que la porte d'entrée est entrouverte, je pénètre à l'intérieur et tombe sur une grande fresque représentant le Christ en Majesté entouré d'anges et du Tétramorphe (troisième photo ci-dessous). Plusieurs autres fresques (visibles dans l'album photos consacré à ce reportage) sont visibles et datent de la fin du 15è siècle. Celles-ci sont d'une remarquable beauté et sont classées sur la liste des monuments historiques. Elles sont aussi les seules fresques en Corse où le Purgatoire est représenté. Pêle-mêle, on découvre les quatre animaux figurant les quatre évangélistes, l'Annonciation et Saint-Michel, ainsi que des scènes de la Passion, des figures de saints et le Jugement dernier. En 2001, on trouva sur place un reliquaire « pain de cire » daté du 16è siècle et actuellement classé monument historique. L'objet est aujourd'hui exposé à Santa Maria Annunziata de Pastureccia.


 

Ebloui par ces jolies peintures, je reprends ma route en sens inverse, c'est à dire jusqu'à Ponte Novu : ce bourg est resté célèbre grâce à la bataille de Ponte Novu qui eut lieu ici le 9 mai 1769, entre les troupes corses menées par le général Pascal Paoli et les troupes françaises envoyées par Louis XV. L'offensive débute le 3 mai, alors que Marbeuf prend Borgu et Arcambal, puis s'empare de Murato deux jours plus tard. Et Santu Petru de tomber le 7 mai. Une troupe corse de 5000 hommes, placée sous les ordres de Colle, lance alors une contre-attaque le 8 mai pour reprendre les hauteurs de Tenda et Lentu. D'abord victorieuse, cette troupe devra se replier par la suite face à une menace d'encerclement. Et les soldats de partir vers Ponte Novu où Paoli a laissé des soldats prussiens et suisses sous le commandement de Gentile. Mais, suite à des ordres mal interprétés, les Corses se retrouvent pris entre deux feux et subissent de lourdes pertes (près de 200 morts). Paoli voudra alors poursuivre la lutte depuis Corte puis Vivario mais sera bientôt contraint à l'exil. Et d'embarquer sur une felouque le 13 juin à Porto Vecchio en direction de Livourne (Italie). La défaite des troupes corses mettra fin à la jeune république corse née en 1755 malgré une suzeraineté prétendue par la République de Gênes, suzeraineté qui sera vendue à la France. La boulangerie A Memoria, située sur la route principale et non loin du pont, propose aux visiteurs une passionnante exposition en seize panneaux consacrée à l'existence de Pascal Paoli. On y aborde son enfance à Merusaglia, sa période de vie à Naples, et son passage en tant qu'officier puis général de la nation. On y parle de la Corse indépendante et de Pascal Paoli en tant qu'homme d'Etat et révolutionnaire admiré, dont la réputation reste intacte à ce jour.


 

Toujours à Ponte Novu, je me gare à proximité du pont routier, à seulement quelques dizaines de mètres de la boulangerie et aperçois l'ancien pont sur lequel eut lieu la célèbre bataille de Ponte Novu (ci-dessous). Puis, je franchis cette fois le pont routier jusqu'à atteindre le village miniature créé par un habitant du village. Notre homme a eu l'idée de mettre en scène le village imaginaire de Carriolu (deuxième photo), avec, pour seuls outils un burin, un marteau et des tenailles. De nombreux visiteurs s'arrêtent habituellement pour prendre des photos. Ce village de Carriolu, pas si imaginaire que cela, fut un village corse qui disparut en 1650.


 

Prochaine étape : Moltifao et son ancien couvent Saint François (ci-dessous en photo). Bâti en bois à partir de 1510 d'après les plans d'un moine de la région, cet édifice fut en grande partie détruit par les Génois en 1553. Puis reconstruit en pierre à partir de 1569, grâce à la volonté du Frère Agustinu di a Pupulasca. Le couvent sera agrandi au fil des ans jusqu'à comporter deux niveaux à son âge d'or. Autour du cloitre s'articulaient alors les bâtiments conventuels dont le premier niveau abritait réfectoire, cuisines, dispenses, sacristies et grande salle capitulaire. Dans la cour se trouvaient une citerne et les puits tandis que des vasques étaient alimentées en eau depuis une source qui coulait de la montagne. Au premier étage du bâtiment se trouvaient les dortoirs et la chambre du supérieur. Une première église était également accolée à ces locaux. Elle sera suivie d'une deuxième, dont la construction débutera en 1750 face à l'essor du culte religieux local. Après l'annexion française, le couvent devint le siège d'une juridiction française spéciale appelée Junte, avec son tribunal et sa garnison militaire formée de soldats du régiment royal corse. On trouvait même sur place une salle de question ordinaire pour pratiquer les interrogatoires. A la révolution française, l'endroit fut pillé et ruiné. Ses locaux furent vendus aux enchères (excepté la grande église qui devint une propriété commune), tout comme les terrains attenants. Et les livres, objets divers et mobilier d'être dispersés. Quelques frères revinrent sur les lieux durant le royaume anglo-corse puis le couvent sombra dans l'oubli, au point de devenir le cimetière communal en 1824. Le couvent Saint François vécut pourtant des heures historiques comme, par exemple, la Cunsulta de 1743, en présence de Jean Pierre Gaffory, ou la mission de réconciliation du père Léonardo di Porto Maurizio un an plus tard. La Cunsulta (assemblée) la plus célèbre reste toutefois celle de 1755 tenue en avril par Pasquale Paoli, une réunion de députés qui jeta les bases de la constitution de la Corse indépendante. D'autres personnages illustres comme le roi Théodore ou son secrétaire d'Etat, Sebastiano Costa, le duc de Wurtemberg, ou Monseigneur de Angelis s'arrêteront à un moment ou un autre dans ce couvent alors peuplé de franciscains observants en sandales qui battaient la campagne pour recueillir les aumônes.


 

Je termine cette sortie en me rendant à Asco, par une route tracée en 1937 afin de désenclaver ce village de montagne isolé à 600 mètres d'altitude et situé au pied des grands sommets de l'île comme le mont Cinto ou le mont Padro. Pour m'y rendre, je traverserai de superbes paysages (ci-dessous) avec, en contrebas la rivière Asco. Les gorges qui démarrent sous le village forment un long défilé, un ravin désolé de près de quatre kilomètres, complètement sauvage et désertique, avec son corridor de roches de granit rouge, de rocaille et de caillasse.

Le village, lui, date du 11è siècle et restera enclavé jusqu'au 20è. Une première route sera construite en 1937, suivie de la route des gorges qui ne verra le jour qu'en 1968. Les habitants prirent ainsi l'habitude de vivre en autarcie en développant notamment une culture céréalière et un artisanat de type utilitaire leur permettant d'atteindre l'autosuffisance. Et d'élire un sage qui veillait jadis au respect des règles de solidarité et d'égalité. Une forme de démocratie primitive.

Si vous disposez de temps, descendez vers le pont génois local accroché à des rochers en contrebas depuis le 15è siècle. Celui-ci marque la voie qui reliait autrefois Asco au Niolo.

 

INFOS PRATIQUES :

  • A Ponte-Leccia, le pont génois se trouve au niveau d'un rond-point proche d'une station-service. Un parking est accessible sur votre droite et face à cette station, lorsque vous venez de Corte. Quant au site de la mairie, il est commun aux deux communes Ponte-Leccia et Morosaglia :http://www.morosaglia.corsica/fr/
  • Chapelle romane Saint Thomas : accès par la D15A (entre Ponte Novu et Castello di Rostino) via une petite route mentionnant sur un panneau CC Clla Santumasgio. En cas de fermeture de la chapelle, s'adresser à la mairie au 04 95 38 70 34 ou au 06 88 89 10 53. Aller jusqu'à la fin de cette route et la chapelle se trouve à l'intérieur d'un petit cimetière.

  • Boulangerie A Memoria, à Ponte Novu, ouverte tous les jours de 6h30 à 19h30. L'exposition Pascal Paoli se trouve dans une salle adjacente à la boutique. Daniel Casanova (l'époux de la boulangère) est guide conférencier et propose aux touristes des visites historiques autour de Pascal Paoli (Tél : 06 72 81 18 56 et david.casanova@orange.fr)

  • Le village imaginaire Carriolu est visible à l'extrémité du pont routier, sur la gauche (lorsqu'on arrive de Ponte-Leccia).

  • Miellerie d'Asco, 1 rue Poggiola, à Asco. Tél : 06 47 50 06 71. Tous les jours du 1er avril au 15 octobre de 8h00 à 19h00 (http://www.miel-corse-asco-guidoni.net/)

  • Le Petit Restaurant de la Miellerie, 1, rue Poggiola, à Asco. Tél : 06 08 68 55 95. Ouvert tous les jours, du 1er avril au 30 septembre, de 8h00 à 19h30.




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