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La Costa Serena et le Fiumorbo
(Haute-Corse, France)
Heure locale

 

Dimanche 7 octobre 2018

 

Adieu Corte et bonjour la côte oriente de la Haute-Corse. En fait nous nous en approcherons mais ne l’apercevrons pas aujourd'hui. Nous prenons la route tôt ce matin en direction d'Aléria, antique capitale de la corse orientale, fondée au 6è siècle avant notre ère par les Phocéens. Vu sa situation privilégiée, celle qui fut d'abord nommée Alalia, deviendra un enjeu important dans l'occupation du territoire. Elle sera conquise par les Romains qui en feront la capitale de la Corse en 259 avant JC. Colonie militaire sous Scylla, Auguste en fera le plus grand port de l'île que ce soit pour le commerce ou pour les armées. Et Alalia de devenir rapidement une ville marchande et prospère de 20000 habitants, qui tirait ses richesses du négoce du blé cultivé dans la plaine.

Au 5è siècle, Aléria et sa plaine seront toutefois ravagées par les incursions barbares, laissant l'endroit inanimé et ruiné. Le terrain marécageux envahira alors la ville dont une partie disparaitra même sous les flots. Sans parler de la malaria introduite par les envahisseurs, qui rendra la plaine insalubre et poussera les habitants à se replier vers l’intérieur de l'île.


 

La ville antique d'Aléria forme avec Mariana les deux plus grandes agglomérations romaines connues sur l'île. Leurs édifications respectives semblent aussi être étroitement liées à la présence de fleuves d'importance et à de vastes étendues de terres cultivables. A la fois épicentre de la basse vallée du Tavignano, la cité fut également une ville de garnison qui abrita notamment un détachement de la flotte de Misène.

Au 5è siècle avant JC, Hérodote mentionnera l'arrivée d'un groupe de Grecs d'Orient chassés par les Perses vers 545 avant JC, tandis qu'une colonie grecque occupait déjà Alalia depuis deux décennies. Quelques fragments de céramique à figure noire rappellent encore aujourd'hui cette implantation grecque.

Thérèse et moi décidons de partir à la découverte de cette cité antique, en visitant tout d'abord le musée archéologique local, installé à l'intérieur du Fort de Matra (ci-dessous en photo). Celui-ci expose les vestiges retrouvés lors des fouilles entreprises sur le site voisin. Le Fort de Matra, lui, fut édifié en 1572 par les Génois et porte le nom d'un savant corse qui a beaucoup oeuvré lors de ces fouilles. Le musée présente pour sa part des collections archéologiques réunies par deux autres spécialistes, Jean et Laurence Jehasse. Quatre salles rassemblent l'essentiel de ces pièces datées du 5è siècle avant JC jusqu'au 5è siècle après JC.


 

J'y apprendrai que les Romains, héritiers des Etrusques et alliés des Phocéens, songèrent à la Corse dès la République et projetèrent d'y fonder une colonie au début du 4è siècle, période durant laquelle Rome contrôlera peu à peu l'important commerce avec l'île, jusqu'alors effectué par les ports du Latium et d'Etrurie. Aléria jouera aussi un rôle crucial lors des guerres puniques, en étant d'abord occupée par les Carthaginois de 280 à 259 avant JC, puis en étant une fois pour toutes conquise par Lucius Scipion en 259. L'endroit servira alors d'appui pour les opérations dirigées contre la Sardaigne, la Sicile et Carthage. Sous Hannibal, les Puniques tenteront de contrôler la Corse pour déborder Rome par le nord (207 avant JC).

Plusieurs petits panneaux d'information répartis dans les différentes vitrines apportent au visiteur des détails intéressants qui illustrent les objets présentés. L'un d'entre eux aborde la vie économique à Aléria sous l'Empire. La ville est avant tout une base navale de la flotte de Misène et deux cohortes de cavalerie batave y tiennent garnison. On atteste la présence d'un important centre de pêcheries et de salaisons grâce à la présence abondante de coquillages, ainsi que des anneaux de filets, des navettes et des crochets à remailler, des hameçons, des amphores à saumure et des meules à sel découverts sur le plateau. De nombreux objets étaient faits de cuivre, de fer et de plomb et provenaient des montagnes proches de Vezzani et de Tallone. Quant à la plupart des mosaïques et des dalles retrouvées, elles proviennent de pierres locales, excepté le beau calcaire et le marbre, tous deux importés.


 

L'aire archéologique de la basse vallée du Tavignano est un endroit riche en sites antiques. La butte d'Aléria est l'un d'eux, et même l'un des sites majeurs où quarante années de fouilles révélèrent le cœur de deux villes, une cité archaïque et une colonie romaine. Sur place, un panneau décrit l'occupation de cette butte d'Aléria, à différentes périodes : il y eut d'abord le temps des Grecs, des Etrusques et des Carthaginois. A cette époque, le nom d'Alalié apparaît au 5è siècle avant notre ère, et les pratiques funéraires qui y sont découvertes entre 1960 et 1961 illustrent une période couvrant les 5è, 4è et 3è siècles avant JC. Vient ensuite la présence romaine, avec la fondation d'Aléria, cité romaine au cours du 2è siècle avant JC. Et Sylla d'établir vers 81 avant JC une colonie de citoyens romains après sa victoire sur Marius (qui avait fondé 19 ans plus tôt la ville de Mariana au nord de la Corse). Plusieurs changements de régime se succéderont alors à Aléria ainsi que plusieurs plans d'urbanisation. Durant le 1er siècle après JC, la ville vit essentiellement de l'agriculture et de la sylviculture. Elle remplit également des fonctions militaires, et les remparts sont restaurés tout comme les tours qui protègent la porte orientale. Aux 2è et 3è siècles après JC, on retrouve des inscriptions évoquant la présence de marins militaires de la flotte de Misène dont un détachement a pu être affecté au port de la ville. On connait moins les siècles suivants, même si l'on attribue aux premiers chrétiens de Corse la figuration d'un poisson et d'une urne gravés sur l'un des blocs maçonnés du portique sud au 4è siècle après JC. Et Aléria de connaître encore quelques modifications architecturales avant sa destruction probable datée en 420/430 après JC. Néanmoins, la ville ne sera pas abandonnée et deviendra plus tard un siège épiscopal au 6è siècle de notre ère.

Sur le site, nous découvrons le forum et la place publique et l'on peut imaginer, sans pour autant être un spécialiste, à quoi ressemblaient jadis les allées portiques, les boutiques, les rues, les arcs monumentaux, les temples et les bassins et citernes. Il y a avait aussi un Balnéum, demeure imposante de plusieurs pièces bâties autour de trois grandes citernes d'eau. Cet édifice disposait bien sûr de ses propres thermes dont on peut encore voir les vestiges dans la partie ouest du monument. En plus des thermes du Balnéum, on retrouve deux autres thermes sur ce site, le premier, au nord du temple occidental, qui était un lieu public utilisé durant le Haut Empire romain, puis le second qui se trouve derrière le grand monument occidental.

 

Il est temps pour nous de reprendre la route en direction de Ghisonaccia, une commune créée en 1845. Ancien lieu de transhumance des bergers de Ghisoni, le village se développa après l’assainissement des marais insalubres de la plaine orientale, pour devenir un immense territoire agricole et une station touristique. Le boom agricole des années 1960 permit à l'endroit de prospérer sans difficultés. Vingt années plus tard, la commune relèvera le pari de s'ouvrir au tourisme de masse. Thérèse et moi nous arrêterons quelques instants à l'église Saint Michel qui semble bien quelconque de l'extérieur mais abrite de jolies fresques d'inspiration byzantine (ci-dessus) exécutées dans les années 1980 par Nikos Giannakakis, peintre officiel du patriarche de Constantinople.

Nous grimperons ensuite jusqu'à Prunelli Di Fiumorbo, village construit sur un promontoire, mais comprenant une zone plus étendue. Le GPS me conduit à emprunter une minuscule route goudronnée sur les treize kilomètres à parcourir jusqu'au sommet. Heureusement, nous semblons être les seuls à passer par là aujourd'hui. Même si l'endroit semble désert à notre arrivée, il faut savoir que Fiumorbo fut l'une des premières communes à avoir l'électricité en Corse, grâce à l'établissement d'une entreprise d'exploitation forestière (FORTEF) dans les années 1930. La position de Prunelli di Fiumorbo est privilégiée et offre une vue imprenable sur l'immense plaine d'Aléria (en photo ci-dessous). L'église fortifiée mentionnée par le guide Hachette reste introuvable et inconnue des habitants que nous rencontrons. En faisant le tour du petit village, nous apercevrons toutefois une maison-tour (deuxième photo) qui servait jadis à surveiller les environs. C'est que l'endroit fut autrefois le siège d'une résistance acharnée aux autorités génoises puis françaises. Cette région du Fiumorbo, qui est aujourd'hui la riche région de Ghisonaccia, n'a pas toujours connu la prospérité. Il s'agissait jadis d'une zone déshéritée et répulsive en raison de l'insalubrité qui y régnait. Une faible population au genre de vie agro-pastoral y vivait repliée dans des villages dominant la plaine où alternaient marécages, terres caillouteuses (porrettes), taillis de chênes, maquis ou maigres prairies naturelles...Et le Fiumorbo d'avoir acquis au fil du temps une réputation de monde sauvage et impénétrable et de repaire de bandits et d'insoumis. La résistance peut s'expliquer en remontant dans le temps, lorsque l’État colonisateur jettera son dévolu sur ce pays et transformera en terres domaniales les plus belles portions d'une plaine jusque là utilisée par les bergers. Viendra le temps des premiers procoi (domaines) du Migliacciaro et de Corvasina et des concessions emphytéotiques consenties aux patriciens génois. D'un côté de gros colons venus exploiter terres et bois corses et de l'autre, les habitants des villages alentours astreints au paiement des droits de pacage ou de semailles pour une jouissance qui avait été jusqu'ici gratuite. Bientôt, la population poussée à bout, s'organisera pour effectuer des incursions sur les procoi, avec bris de clôtures, rapines et descentes armées des montagnards vers la plaine. 1730 atteindra le paroxysme en donnant le signal d'une révolte anti-génoise, puis d'une longue lutte de libération nationale.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Site antique d'Aléria, à Aléria. Le Musée départemental d'archéologie Jérôme-Carcopino est ouvert tous les jours de 9h00 à 12h00 et de 13h00 à 18h00 (du 16 mai au 30 septembre), et de 8h00 à 12h00, et de 13h00 à 17h00 (du 1er octobre au 15 mai). Entrée : 2€. Le même billet donne accès au musée et au site antique. Tél: 04 95 57 00 92.
  • Mairie d'Aléria : http://www.aleria.fr/

  • Mairie de Ghisonaccia : https://ghisonaccia.fr/

  • Mairie de Prunelli Di Fiumorbo : http://www.prunellidifiumorbu.fr/



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