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De Nanu Oya à Haputale par train
(Province Centrale, Sri Lanka)
Heure locale

 

Jeudi 22 novembre 2018

 

En voiture, en voiture, le train pour Haputale va partir. C'est à un voyage ferroviaire que je vous convie cette fois, entre Nanu Oya et Haputake, soit une balade d'une heure trente environ, histoire de d'avoir un aperçu du réseau ferré sri-lankais. Soma et moi quittons Nuwara Eliya à 8h00 ce matin pour rejoindre la gare de Nanu Oya, à une dizaine de kilomètres de là. Le soleil est radieux et la journée s'annonce bien, une bonne nouvelle pour moi mais aussi pour tous les Sri-Lankais de confession bouddhiste qui célèbrent aujourd'hui la pleine lune (poya). Soma me conseille d'acheter un billet de première classe (dernière voiture du convoi) afin de profiter d'une vue panoramique durant mon voyage. Surprise en arrivant sur le quai, la grande majorité des passagers embarquant ici sont...des Occidentaux en vacances comme moi. J'échangerai ainsi quelques mots avec deux jeunes allemandes et un couple de Chinois. Notre train omnibus entre en gare à 9h00 précises (ci-dessous) mais ne partira que 25 minutes plus tard. J'aurai ainsi le temps de faire connaissance avec mes voisins de compartiment, une jeune femme italienne et un charmant couple originaire de Suisse. Les vitres de notre voiture sont pour certaines fêlées ou un peu sales. Ce train a manifestement traversé les âges vu l'état de la cabine et de la toilette (odeur comprise!). Un poinçonneur (qui n'est pas des Lilas) viendra vérifier nos billets avant le départ puis nous ne croiserons plus que des vendeurs ambulants (deuxième photo) durant notre trajet. L'un d'entre eux me vendra de délicieux beignets aux légumes. Le convoi s'ébranle bientôt alors qu'un long klaxon retentit, et les amortisseurs de notre voiture montrent déjà leurs limites. Nos sièges ressemblent alors à des fauteuils à bascule. Surprenant.


 

Le train fit son apparition au Sri Lanka en 1864, sous le gouvernement colonial britannique, afin de collecter le café récolté dans les plaine vallonnées du district de Kandy. Les convois se rendaient au port de Colombo où les précieux grains étaient chargés à bord de navires en partance pour l'Europe et le reste du monde. La première ligne de 54 km relia ainsi Colombo à Ambepussa. Et puis, le café fut torréfié sur place, la crise passa par là et le thé remplaça bientôt les grains noirs à bord des trains. Les années 1880 virent en effet le développement des plantations de thé, à tel point que les anciennes plantations de café disparurent au profit de cette nouvelle culture. De plus en plus sophistiquée, la production de thé nécessitera la construction d'une centaine de kilomètres de nouvelles lignes de chemin de fer dans les plantations des montagnes kandyennes afin de faire parvenir les récoltes jusqu'à Colombo, puis d'acheminer en retour matériels agricoles, ouvriers, fumier, riz et provisions vers Kandy. On ouvrira par exemple une ligne vers Matale en 1880, suivie de la Northern Line en 1905, la Mannar Line en 1914 et la Putalam Line en 1926.

Sur la côte occidentale, mais aussi dans le sud-ouest et sur la côte nord-ouest, les plantations de cocotiers firent aussi leur apparition, suivies des plantations de caoutchouc sur le versant humide de l'intérieur du pays, juste en-dessous des plantations de thé. Ces nouvelles productions réclameront bien sûr de nouveaux investissements ferroviaires. Plus tard, l'arrivée de trains de voyageurs, fiables et bon marché, deviendra indispensable pour encourager le peuplement de l'arrière-pays. Et un réseau national de se mettre peu à peu en place sur l'île.


On assistera bientôt au prolongement de la ligne principale entre Kandy et Anuradhapura, ancienne capitale royale située plus au nord, puis jusqu'à Kankesanturai, avec une bifurcation vers l'ouest vers Tailamannar pour relier l'île à l'Inde du Sud (via le ferry). Et Nawalapitiya, Nanu Oya, Bandarawela et Badulla d'être plus tard desservies. Les plantations requéraient en effet une main d'oeuvre abondante venant de l'Inde, sans parler de l'importation de riz et d'autres produits alimentaires que le Sri Lanka ne pouvait fournir en quantité suffisante. En revanche, le peu d'activité économique constatée dans l'est du pays ne justifiait pas à elle seule la construction d'une ligne de chemin de fer dans cette zone, mais Trincomalee disposant d'un port en eau profonde unique au monde, il devint stratégique de relier cette ville au reste du réseau, au même titre que Batticaloa, la capitale provinciale. On choisit alors des rails plus légers (21 kg) pour cette nouvelle ligne baptisée Kelani Valley Line, mise en service dès 1919.

Plus haut au nord, une autre voie ferrée sera construite vers Nanu Oya (ligne principale) c'est à dire Nuwara Eliya, afin de desservir les plantations isolées de ce relief accidenté. L'alignement des voies, lui, n'avait pas changé depuis 140 ans tandis que les besoins économiques avaient évolué et que les convois roulaient désormais plus vite (de 25 à 40 km/heure en montagne et entre 65 et 80 km/heure en plaine). Dès le départ, on choisit un écartement de voie de 1676 mm, habituellement utilisé en Inde, au Pakistan, au Bangladesh, mais aussi en Argentine et au Chili. Suivra ensuite une période de stabilité de 80 ans durant laquelle le réseau ferroviaire sri-lankais ne connaitra plus aucun développement.

Je traverserai cinq gares lors de mon trajet : Perakumpura (en photo ci-dessus) sera la première d'entre elles. Cette minuscule station est située à 1730 mètres d'altitude et est la quatrième plus haute gare du pays, au km 211. Ouverte en 1990, elle accueille trains omnibus et express. Je profite du beau temps pour admirer les jolis paysages qui défilent sous mes yeux, mais aussi la voie de chemin de fer qui est aussi fréquentée par les locaux. On y rencontre des porteurs de bois, des ouvriers d'entretien du réseau, ou tout simplement des promeneurs. Nous nous arrêterons bientôt quelques minutes seulement en gare d'Ambewela (ci-dessous), une petite gare blottie dans la campagne sri-lankaise surnommée ici « la petite Nouvelle-Zélande » sans doute à cause des prairies verdoyantes alentours, les plus riches du Sri Lanka dit-on. Nous sommes ici à 1848 mètres, à un endroit où la température hivernale tombe souvent en-dessous de 17,5° et où le gel sévit parfois. Les randonneurs pourront éventuellement apercevoir daims, léopards et éléphants sauvages.


L'âge d'or du chemin de fer de Ceylan aura lieu de 1955 à 1970, sous la direction de B.D.Rampala, directeur de Sri Lanka Railways et grand spécialiste du moteur diesel. L'homme poursuivra la modernisation des gares et lancera la reconstruction du réseau ferré dans l'Est de l'île, avant de lancer les premiers trains express. Sous son impulsion, le chemin de fer sri-lankais, qui utilisait des locomotives à vapeur depuis le départ, introduira dès 1953 la traction diesel. Le 20è siècle sera le siècle du déclin pour le réseau ferré national, suite à la disparition d'un grand nombre de plantations et au développement d'une économie plus industrialisée. L'essor du réseau routier n'arrangera pas non plus les choses, pas plus que celui du transport routier avec ses camions se rendant directement chez les clients. De plus, la société de chemin de fer a manqué le virage technologique, au point de cumuler un tel retard qu'une majorité de clients délaissèrent petit à petit le train. En 2011, le rai sri-lankais ne représentait plus que 7% de part de marché. Il était temps de réagir et un plan décennal de redéploiement du rail fut lancé par le gouvernement dans les années 2010 : on répara la ligne sud, qui avait été gravement endommagée à la suite du tsunami de 2004, pour permettre aux convois de rouler jusqu'à 100 km/heure, puis on reconstruisit la ligne nord détruite après trente années de guerre civile (Jaffna et Kankesanturai retrouvèrent un trafic normal en 2015). On rallongea aussi la voie ferrée sud entre Matara et Kataragama afin de permettre le développement d'Hambantota.


Au Km 224, nous atteignons la gare de Pattipola, la station de train la plus haute du Sri Lanka, à 1897 mètres d'altitude. Ici, le chef de gare (photo ci-dessus) s'occupe de l'aiguillage situé à quelques centaines de mètres de la gare puis revient en station, armé de son drapeau vert. Nous ne tarderons pas alors à traverser une succession de tunnels (ci-dessous) peu après avoir quitté cette gare perchée. Un panneau matérialise le point le plus élevé de la voie, et le tunnel N°18 (321 mètres de long) s'annonce déjà. C'est le troisième plus long tunnel du pays et celui-ci marque aussi la frontière entre les provinces centrale et d'Uva. Le tunnel s'effondrera en 1951 et il faudra tout le savoir-faire des ingénieurs pour le remettre en état.

Les trains sri-lankais sont équipés de trois classes de transport : la première classe, la seconde classe et la troisième classe. La première classe offre des couchettes sur ses trains de nuit, des voitures panoramiques sur certains convois, comme par exemple sur la ligne principale que je fréquente aujourd'hui, et des sièges confortables avec air conditionné, là encore sur certains autres trains. Quant à la deuxième classe, elle est uniquement disponible sur les trains intercité, avec ou sans réservation, tandis que la troisième classe offre un confort minimal mais est disponible sur la majorité des trains. A bord des trains sri-lankais, on place son bagage comme dans les autres trains, sur le porte-bagages situé au-dessus de sa tête. Par ailleurs, de nombreuses rames (dont les trains de couleur bleue, fabriqués en Chine) proposent aux voyageurs la vente au comptoir de snacks et de rafraichissements, sans oublier l'incontournable thé sucré de Ceylan. Les trains « bleus » furent introduits en 2012 au Sri Lanka. Ils opèrent des services quotidiens au départ de Colombo, vers Kandy, les champs de thé, et Badulla. Les voitures de seconde et troisième classes n'ont pas d'air conditionné et sont équipées de grandes fenêtres qui s'ouvrent.

En ce qui me concerne, Soma, qui m'a déposé ce matin en gare de Nanu Oya viendra me rechercher en gare d'Haputale d'ici une heure trente. C'est en effet le temps nécessaire pour couvrir les 40 kilomètres qui séparent les deux villes. Mon ticket de première classe ne me coutera que 1200 roupies, une somme dérisoire. Je n'emprunte pas ce train pour le confort mais juste pour découvrir ce moyen de transport en zone montagneuse et surtout pour prendre des clichés de paysages. Soma m'a bien recommandé de descendre du convoi à Haputale, sinon, je risque de me retrouver en gare terminus, à Badulla, dans...quatre heures !

Je me lève de temps à autre pour me dégourdir les jambes et découvre que les portes du train sont grandes ouvertes. C'est bien pratique pour assurer une climatisation naturelle et prendre des clichés mais c'est dangereux. Qu'importe, certains passagers s’assoient même au seuil de porte, les jambes pendant dans le vide. Quant aux toilettes, elles sont plus que spartiates et n'offrent pas de papier toilette. Mieux vaut le savoir. La seule chose qui est garantie ici est l'odeur.


Prochain arrêt : Ohiya. 67è station de la « Main Line », celle-ci se trouve au Km 231, et est nichée à 1792 mètres d'altitude. La gare fut inaugurée en 1893 pour desservir le petit village d'Ohiya situé tout près du parc national Horton Plains. On prétend que l'endroit offre les plus beaux paysages du Sri Lanka et par temps clair comme aujourd'hui, on peut d'ici discerner le littoral sud. A 22 kilomètres d'Ohiya, coulent les chutes Bamabarakanda, les plus hautes du pays (avec 263 mètres). En tous cas, l'arrivée de notre train en gare semble avoir attisé la curiosité de la population locale (ci-dessus) qui s'est rassemblée nombreuse le long d'un quai pour nous saluer.

Quatorze tunnels se succèdent entre les gares d'Ohiya et d'Idalgashinna. Cette dernière halte avant mon arrivée à Haputale est l'occasion de croiser le train bleu (deuxième photo ci-dessus) qui se rend à Colombo. Cette rame de train a été construite en Chine et ne circule que depuis quelques années sur le réseau ferré sri-lankais. Le convoi diesel est composé d'une motrice à chaque extrémité. L'enthousiasme est à son comble alors que notre vieil omnibus entre en gare et on nous photographie au passage. Mais qui donc peut bien encore voyager sur ce type de convoi ? Soudain, j'aperçois un employé de gare avec un cerceau à la main (ci-dessous). Il s'agit d'un témoin remis par le conducteur de notre train à l'agent, lequel va le remettre à son tour au conducteur du train bleu. Une manière comme une autre de s'assurer que deux trains ne circulent pas en même temps et en contresens sur l'unique voie ferrée. Huit kilomètres seulement me séparent d'Haputale, et je profite de la dernière occasion d'admirer les paysages environnants. 69è station de la « Main Line », la gare d'Haputale (deuxième photo) se trouve au Km 248 de la ligne, et à une altitude de 1479 mètres. Le temps se couvre et il est temps pour moi de me mettre à l'abri car la pluie tombera une heure plus tard. Je prends congé de mes voisins de voyage et descends du train. Là encore, c'est l'affluence avec beaucoup de voyageurs qui montent ou qui descendent à cet endroit. Un contrôleur récupérera mon billet à la sortie du quai et je retrouverai Soma, ponctuel comme une horloge suisse. J'ai fait là une bien belle balade...

 

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