Samedi 24 novembre 2018
Après deux nuits passées à Haputale, une longue route nous attend avant d'atteindre notre prochaine escale, Tissamaharama. Nous partons d'Haputale sous un ciel plus dégagé qu'hier et nous nous dirigeons vers la petite ville d'Ella qui offre un cadre agréable pour se reposer, mais aussi pour les amateurs de randonnée. Ces derniers s'attaqueront au Rocher d'Ella (ci-dessous en photo), d'où ils pourront poursuivre leur périple à travers les champs de thé pour atteindre deux heures plus tard le Pic d'Adam, haut de 2243 mètres. Ce sommet, aussi appelé « empreinte sacrée » représente pour les bouddhistes l'empreinte du pied de Bouddha, placée sous la protection de la divinité gardienne Saman. L'endroit est bien sûr un haut lieu de pèlerinage. Plus reposant pour moi, j'admire les paysages de montagne qui défilent sur notre route parfois émaillée d'éboulements récents. Il a beaucoup plu ces derniers jours et l'on assiste par endroits à des glissements de terrain. Peu à peu, nous quittons les reliefs accidentés pour la plaine avec ses rizières et ses cultures potagères. Parfois, à l'entrée d'un village se dresse une banderole blanche au-dessus de la chaussée signifiant qu'il y a eu un décès. Et de minuscules drapeaux blancs accrochés à des branches de baliser l'itinéraire depuis le domicile du disparu jusqu'au cimetière, sa dernière demeure.
Nous faisons bientôt une halte aux chutes Ravana, aussi surnommées Chutes Ella, à cause de leur proximité de la ville. La hauteur de ces chutes (25 mètres) n'atteint pas des sommets mais les cascades constituent pourtant une attraction touristique très populaire car durant la saison humide, celles-ci font penser à un palmier du à un affleurement rocheux concave de forme ovale. Ces chutes portent le nom du roi Ravana, héros d'un poème épique indien dans lequel le prince Rama lutte justement pour sauver sa femme Sita du démoniaque roi Ravana. Ce dernier a en effet enlevé Sita et l'a caché au fond d'une grotte située derrière la chute d'eau, pour punir Rama et son frère Lakshmana d'avoir coupé le nez de Shurpanakha, la sœur de Ravana. Le personnage est décrit comme un disciple de Shiva et un grand érudit, un homme de loi et un maitre de la veena, un instrument à cordes. Ses dix têtes représentent sa connaissance des six préceptes et des quatre grands textes. Quant à la cave, elle est creusée dans une falaise et aurait abrité des hommes il y a 25 000 ans d'après des fouilles archéologiques.
Sur notre route, entre Haputale et Tissamaharama, nous nous arrêtons aussi au temple de Buduruvagala (ci-dessous) qui signifie « rocher des sculptures bouddhistes », un site sauvage au pied d'une grande falaise de granit évoquant la forme d'un éléphant. La paroi rocheuse a ainsi été sculptée de sept bouddhas il y a ...2100 ans de cela. La plus haute sculpture mesure 17 mètres de haut et est encadrée par deux groupes, avec à sa droite deux personnages représentant (de gauche à droite) Avalokitesvara sous la forme d'une grande figure blanche, en compagnie de son épouse Tara aux seins nus. L'autre groupe montre des bodhisattvas dont un, au centre, semble faire preuve d'une grande sérénité. Il paraît que des éléphants sauvages se rassemblent ici la nuit.
La ville de Tissamaharama, qui fut fondée au 3è siècle avant JC fut jadis la capitale du royaume de Ruhuna et il existe encore sur place quelques vestiges de l'époque. Ce royaume fut le centre d'une brillante civilisation dans l'ancien Sri Lanka, que ce soit du point de vue économique ou culturel. C'est le prince Mahanaga qui fonda ce royaume en 200 avant JC. Celui-ci était le frère de Devanampiya Tissa d'Anuradhapura, l'un des premiers rois à régner sur la première capitale royale de l'île. Et Mahagana de se trouver à l'époque à la tête de vastes territoires correspondant de nos jours à la province Sud, à une partie de celle d'Uva et à quelques morceaux des provinces Est et de Sabaragamuwa. Ce roi restera selon les moments plus ou moins fidèle au royaume de son frère. Il faut dire qu'il était originaire d'une famille de quatre enfants, avec pour père la roi Mutasiva. Ses frères étaient au nombre de trois : Devanampiya Tissa, l'ainé, Uttiya et Mahasiva. Au décès de Mutasiva, ce sera naturellement le plus âgé des enfants, c'est à dire Devanampiya Tissa qui deviendra roi à la place du père. Echappant à la mort par empoisonnement, suite à une intrigue familiale, Mahagana préfèrera quant à lui quitter Anuradhapura avec sa famille et sa cour pour s'installer à Ruhuna, un royaume qui jouera également un rôle important dans la diffusion du bouddhisme.
Je découvrirai en effet pas moins de quatre temples bouddhistes à Tissamaharama. Le Yatala Vehera (ci-dessous en photo) qui serait le premier stupa bâti dans le royaume de Ruhuna, est un ancien stupa situé sur la rive sud-ouest du lac Tissa Wewa, au bord de la route principale menant à l'ouest de Deberawewa. Ce stupa d'une blancheur éclatante fut bâti avec d'énormes pierres de granit plates et est ceint de sculptures de têtes d'éléphants, avec un fossé et une grande pierre de lune. On pense que l'édifice a été construit il y a 2300 ans par le roi Yatala Tissa du royaume de Ruhuna pour commémorer son lieu de naissance. D'autres prétendent au contraire que c'est le roi Mahagana, le père de Yatala Tissa, qui fit ériger ce stupa en souvenir de la naissance de son fils. Plusieurs documents révèlent par ailleurs que le stupa aurait quelque chose à voir avec Mani Chetiya et Yattalaya. Une légende veut que l'endroit ait abrité des reliques du Bouddha, dont un os frontal et une dent. Ce qui est sûr, c'est qu'on a bel et bien retrouvé à l'intérieur de nombreux coffrets de reliques. L'édifice sera restauré à partir de 1883, et il faudra un siècle pour achever les travaux.
Le second stupa est le Santagiri Dagoba (ci-dessous) actuellement en cours de restauration. Pour certains, l'édifice fut érigé par le roi Mahanaga au 3è siècle avant JC et d'autres avancent que cette construction aurait été réalisée par le roi Kavan Tissa au 2è siècle avant JC, souverain qui fut le père du roi Dutugemunu et qui marqua son époque. D'une hauteur de 55 mètres pour une circonférence de 165 mètres, cet édifice abriterai également une relique frontale de Bouddha. Non loin de là se trouvent les restes d'un monastère qui aurait abrité jadis jusqu'à 12000 moines. Quelques centaines de mètres plus loin, et sur la même route s'élève le Menik Dagoba qui appartint probablement à l'ensemble monastique tout près d'ici, au même titre que le Yatala Vehera.
Le Tissa Dagoba (ci-dessous) aurait pour sa part été construit au 2è siècle avant JC, également par le roi Kavan Tissa. Autrefois plus grand stupa de l'île, il fut l'un des quatre plus imposants monastères du pays, celui-ci étant situé entre le lac et la ville, tout près d'un monastère. L'endroit fut consacré par Bouddha en personne qui y passa quelques temps à méditer accompagné de 500 moines lors de son troisième voyage au Sri Lanka.
Sous le règne de l'empereur indien Asoka, de célèbres moines bouddhistes furent envoyés en tant que missionnaires dans les pays voisins, dont le Sri Lanka, afin de propager la philosophie de Bouddha. Ainsi l'arhant Mahinda Thera, le fils d'Asoka, débarqua t-il sur l'île durant le règne du roi Devanampiya Tissa, souverain d'Anuradhapura au 3è siècle avant JC. Plusieurs monastères virent bientôt le jour dont celui de Tissamaharama Raja Maha Virahaya dans la province Sud. Là encore, les chroniques divergent quant à la date de construction du Tissa Dagoba, certains prétendant que l'édifice aurait été bâti à l'initiative de Mahanaga au 3è siècle avant JC, avant d'être agrandi par le roi Kavan Tissa le siècle suivant. Quoiqu'il en soit, Mahagana ne démérite pas puisqu'il sera à l'origine du développement d'une riche agriculture et d'une société à la fois prospère et paisible à l'intérieur de sa province.
Le monastère du temple, lui, fut longtemps le plus important édifice de ce type dans le sud de l'île. Quant au stupa du temple Tissa, il fut construit afin de commémorer la visite de Bouddha dans la région, sur l'endroit même où le sage médita lors de sa venue. En forme de bulbe, la construction est faite de briques et repose sur une esplanade constituée de pierres de granit. Les reliques enfermées dans le dagoba font débat, certains avançant que la relique principale serait l'os frontal de Bouddha tandis que d'autres prétendent que l'os en question, qui fut jadis abrité à l'intérieur de ce stupa, a depuis été transféré au Deruvila Mangala Maha Chetiya.
Creusé au 3è siècle avant JC, le lac Tissawewa (en photo ci-dessous), que je découvre alors qu'il tombe des cordes, est un lac artificiel qui attire une grande diversité d'oiseaux. Le grand réservoir d'eau douce qui ressemble l'été à un véritable oasis de fraicheur est situé au nord de Tissamaharama. Des bateliers proposent aux visiteurs des promenades lacustres d'environ une heure, l'occasion pour beaucoup d'observer kingfishers, aigrettes (deuxième photo), pélicans, cormorans, ibis et poules d'eau... dans un paysage d'arbres immergés et de bouquets flottants de fleurs de lotus. L'ouvrage fut jadis conçu pour irriguer les rizières tout en fournissant l'eau nécessaire aux habitants de la cité.
Tissamaharama, ancienne capitale de la province sud du royaume du Ruhuna, sert également d'accès principal au deuxième plus grand parc national du pays, le parc national de Yala, principal refuge des léopards. Ses paysages sont ponctués de promontoires rocheux au milieu de forêts broussailleuses et de plaines herbeuses, de jungles denses et de lagunes côtières. On y voit également éléphants, chitals (cerfs),civettes et crocodiles, et bien sûr un nombre impressionnant d'oiseaux migrateurs qui viennent passer l'hiver. Puisque nous parlons d'animaux, cela me rappelle que nous croisâmes sur notre route un éléphant à bord d'une voiture. Si, si, je vous assure, je n'ai pas trop abusé de l'arak, l'alcool local. En fait, la région abrite de nombreux pachydermes qui occasionnent parfois des dégâts lorsqu'ils traversent des villages. Les autorités anesthésient alors l'éléphant, le font monter à bord d'un pick-up adapté et le reconduisent à l'intérieur du parc national le plus proche.
INFOS PRATIQUES :
- Chutes Ravana, à environ 11 km de Bandarawela.
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Temple Buduruwagala, sur la route de Hambantota, à 5 km, tourner à droite (au panneau) et suivre la route sur 4 km. Le site se trouve à 200 mètres du guichet (entrée: 362 roupies), et est ouvert tous les jours de 6h00 à 18h00.