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Pisagua, ancienne Capitale du Salpêtre
(Province du Tamarugal, Région de Tarapaca, Chili)
Heure locale

 

Samedi 2 mars 2019

 

Départ ce matin de Pica à 7h30, direction Iquique, qui sera notre prochain point de chute. Nous prenons très vite la route de Pozo-Almonte où nous nous arrêterons pour prendre un petit-déjeuner rapide avant de mettre le cap sur Huara, une trentaine de kilomètres plus haut. J'ai en effet découvert qu'un géoglyphe remarquable était visible dans le coin : le géant d'Atacama (en photo ci-dessous). Je reviendrai prochainement sur cette figure dans mon article consacré aux géoglyphes. Mon guide m'annonce que d'autres figures similaires existent du côté de Tiviliche (environ à 15 km du croisement pour Pisagua). Arrivés sur la zone, nous aurons beau ouvrir les yeux, nous n'apercevrons pas le moindre géoglyphe à l'horizon. Alors que nous rebroussions chemin, un vieux panneau en bois m'interpelle sur le bord de la route, signalant simplement les fameux géoglyphes. Aucune autre information (lieu précis, route à emprunter...) n'étant disponible, nous partons sur le champ pour Pisagua.

Ce minuscule village isolé sur le bord de l'océan Pacifique fut jadis la capitale chilienne du salpêtre mais son histoire débuta bien avant, à l'époque pré-hispanique, alors que l'endroit était habité par les Changos, un peuple côtier qui occupait la portion littorale allant de Camana (Pérou) à la rivière Elqui (Chili). Les Changos vivaient essentiellement de la pêche et utilisaient des radeaux en peau de phoque, embarcations pouvant accueillir jusqu'à quatre marins à la fois. Point de phoques aujourd'hui à l'horizon mais des paysages grandioses sur la route qui nous conduit jusqu'au petit village (ci-dessous). D'abord arides, les vallées se transforment en gigantesques dunes de sable (deuxième photo) au fur et à mesure que nous nous rapprochons de notre destination. Nous descendons la petite route en lacets sur des kilomètres en admirant au passage le magnifique bleu du Pacifique, puis Pisagua (troisième photo) qui se dévoile enfin.


 

J'apprendrai plus tard que Pisagua appartint jadis à la vice-royauté péruvienne avant de tomber sous la domination des Espagnols. Et la localité d'être détruite entièrement le 30 mars 1828 lors d'un puissant tremblement de terre, poussant les survivants à fuir vers le sud. Rebâti, Pisagua subira à nouveau un important séisme le 13 août 1868 suivi d'un tsunami. Encore aujourd'hui, plusieurs panneaux indiquent les lieux de rassemblement des villageois en cas de submersion. A nouveau reconstruit, le petit village sera nommé « port d'importance majeure » par le gouvernement péruvien en 1870, Pisagua servant alors de port d'exportation pour le nitrate et l'iode locaux. Le salpêtre avait alors commencé à remplacer le guano depuis plusieurs décennies. Celui-ci était exploité depuis 1842 par des unités d'exploitation généralement installées à l'intérieur des terres (à environ soixante kilomètres de là). Pour transporter la précieuse cargaison, un chemin de fer desservira bientôt Pisagua (qui possédera ainsi sa propre gare, en photo ci-dessous) et les autres ports d'exportation.


 

Contrarié par l'instauration d'une confédération entre le Bolivie et le Pérou, le Chili fera bombarder Pisagua par sa flotte depuis le large le 18 avril 1879, incendiant ainsi la petite ville. Puis, ce fut bientôt au tour des forces terrestres chiliennes d'entrer en action, avec le débarquement de troupes amphibies le 2 novembre de la même année dans la baie de Pisagua. La Guerre du Pacifique (ou guerre du nitrate, ou du salpêtre) était née. Pour le Chili, ce conflit qui se déroulera de 1879 à 1883 visera d'abord à contrer l'instauration d'une alliance entre la Bolivie et le Pérou, puis à mettre la main une fois pour toutes sur les importants gisements de salpêtre de la région. Et le traité de Ancon, signé en 1883 entre le Chili et le Pérou, de céder bientôt définitivement la province de Tarapaca (dont Pisagua) au Chili. Durant les années qui suivront, le Chili entreprendra des travaux de reconstruction du petit village, lequel sera doté de maisons en bois pimpantes et colorées, d'une caserne de pompiers (qui existe encore!), d'un hôpital (ci-dessous), d'un quai et d'autres bâtiments publics sans parler de l'installation du télégraphe, du téléphone et d'un câble sous-marin. Désormais, les choses ont bien changé : certes, la tour de l'horloge (deuxième photo) se dresse toujours au-dessus de Pisagua mais l’hôpital et la gare ont bien vieilli et le village semble à l'état d'abandon malgré la gentillesse de ses habitants. Même l'ancien théâtre municipal (troisième photo) ne donne plus de représentations depuis longtemps.

 

Pisagua deviendra ainsi le troisième port chilien pour l'exportation du précieux salpêtre, puis deviendra l'une des plus belles villes du nord aride du Chili. On ne se priva de rien puisqu'on fit par exemple construire le théâtre en pin d'Oregon. Plusieurs agences bancaires et de nombreux commerces y auront également pignon sur rue, histoire de s'attacher la clientèle des unités de production de salpêtre installées dans les terres. Quelques nations étrangères y posséderont aussi un consulat. Depuis le port de Pisagua, des navires chargés de salpêtre appareillaient en direction d'Hambourg (Allemagne), d'Anvers (Belgique) et de Yokohama (Japon). De son côté, le chemin de fer apportait le salpêtre jusqu'au port, depuis les lointaines unités de production. Ce chemin de fer avait pris forme à l’initiative d'investisseurs privés et avec l'aide de capitaux anglais. Et le train de relier Pisagua à Iquique vers 1895, puis Santiago du Chili à partir de 1913. En 1897, la « ligne du salpêtre » était évaluée à plus de 5 349 000 pesos chiliens, soit une valeur bien supérieure à celle des gisements de salpêtre de l'époque.

 

Le rêve de Pisagua prendra fin après la Première guerre mondiale et avec l'invention du salpêtre synthétique, lequel provoquera l'effondrement de la production de nitrate dans le nord chilien vers la fin des années 1920. Et peu de temps après, la grande dépression de 1929 d'entrainer un effondrement général du Chili et de son économie. Les gisements de salpêtre fermèrent les uns après les autres, et leurs ouvriers partirent dans le sud chilien, à la recherche d'un autre emploi. Désormais privé des exportations de salpêtre, Pisagua perdit l'essentiel de ses ressources financières et fit de la pêche sa première ressource économique tandis que le village se vidait de ses habitants. La fin des années 1950 n'arrêta pas la chute de Pisagua, bien au contraire puisque la localité perdit son statut de troisième ville de la région, sa liaison ferroviaire et son unité administrative. Et Pisagua d'abriter alors un camp de prisonniers au cours du 20è siècle : ce camp sera utilisé à deux reprises pour détenir des prisonniers politiques, la première fois à la fin des années 1940 pour détenir les communistes en même temps qu'était votée, en 1948, la « Ley Maldita », destinée à proscrire de la vie politique le Parti Communiste Chilien. La seconde fois, ce camp servira à accueillir les membres du parti « Unidad Popular », alors rassemblement des forces électorales de gauche qui hissa Salvador Allende au pouvoir. Ce camp, aujourd'hui en ruines, restera actif jusqu'en octobre 1974. Il demeure dans les mémoires comme un lieu emblématique de violation des droits de l'homme par la dictature militaire d'alors. Avec le retour de la démocratie en 1990, des fosses communes furent mises à jour et l'on y retrouva les restes d'opposants politiques, une découverte préalable à l'ouverture de poursuites judiciaires sous le nom de code « Caso Pisagua ». Sous Pinochet, on estime à plus de 2500 personnes le nombre de détenus ayant transité par les prisons du port de Pisagua. En plus de la prison publique (ci-dessous, deuxième photo), le théâtre municipal et le marché serviront également de lieux de détention à cette époque.

Aujourd'hui, et depuis 1990, Pisagua vit de la pêche de de la récolte des algues. La ville, dont les édifices sont plus ou moins à l'état d'abandon, a toutefois sauvé du pire la tour de l'horloge et le théâtre. La petit ville semble comme endormie.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Pour admirer le géoglyphe « Géant d'Atacama », emprunter la route CH15 (en direction de Colchane) au départ de Huare puis rouler quatorze kilomètres. Vous apercevrez alors sur votre gauche le Cerro Unita. Prendre le chemin de terre sur votre gauche, roulez jusqu'au pied du mont puis observez le Géant d'Atacama sur le flanc ouest du Cerro Unita. Accès libre.
  • Aucun panneau routier n'indique la présence de géoglyphes dans la zone de Tiviliche









 



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