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Le District Six Museum
(Le Cap, Province du Cap-Occidental, Afrique du Sud)
Heure locale

 

Samedi 2 novembre 2019

 

En 1966, la ville du Cap décida autoritairement de faire de son 6ème district (District Six) une zone d'habitation réservée aux Blancs. Et les maisons ayant appartenu aux autres races d'être détruites les unes après les autres au cours des quinze années suivantes, parfois même sous les yeux de Ruth qui exprime sa colère dans une vidéo que j'ai réalisée au musée District Six. L'institution, désormais lieu de mémoire de cet apartheid local, verra le jour le 10 décembre 1994 sous le gouvernement de Monsieur Nelson Mandela. Hébergé à l'intérieur d'une ancienne église méthodiste, l'endroit aborde sans complexe et ouvertement la délocalisation de plus de 60 000 personnes qui n'avaient tout simplement pas à l'époque la « bonne couleur de peau ».

 

Avant cette date, le sixième district du Cap avait une population cosmopolite composée d'anciens esclaves, de commerçants, d'artisans, de paysans et d'immigrants, qui faisait de l'endroit un ilot de liberté et de tolérance au milieu d'un apartheid grandissant, une communauté qui sera définitivement rayée de la carte en 1982. Ces déportés seront forcés de partir vers d'autres quartiers périphériques, ceux de Lavender Hill, Manenberg, Guguletu, Hanover Park, Nyanga, Bonteheuwel ou Langa, une fois leurs maisons mises à bas par les bulldozers. Il en faudra cependant davantage pour éteindre l'espoir d'un retour chez ces populations spoliées.

En ce samedi après-midi, le musée est pris d'assaut par de nombreux touristes venus écouter la conférence de Ruth qui est ici l'une des bénévoles procurant vie et témoignages historiques sur la spoliation qu'elle et ses semblables vécurent jadis. Elle se confiera (en anglais) lors du tournage d'une vidéo associée à cet article.

 

Sur place, une exposition permanente offre au public un mémorial vivant constitué de témoignages oraux et filmés émanant des résidents chassés. Documents sonores et visuels, photographies, objets artisanaux, panneaux d'information et autres témoignages de cette époque contribuent à faire de ce musée un lieu désireux de faire du Cap une ville multiculturelle et non une simple cité de races.

Les communautés touchées par ce déplacement d'ampleur auront beau rédiger pétitions, imprimer des lettres ouvertes dans la presse locale et organiser des manifestations, rien n'y fera. Au mieux, certaines expulsions seront ralenties mais le processus, lui, se poursuivra inexorablement. Les élus locaux avaient beau jeu d'encourager cette migration forcée grâce aux prêts à taux préférentiel accordés par l'Etat à celles et ceux qui souhaitaient acquérir une nouvelle demeure dans certains quartiers (Belhar, Hanover Park ou Rylands) si bien qu'en 1976, les deux tiers des habitants indésirables avaient déjà quitté les lieux, pour un budget de 30 millions de rands d'aides versé par l'Etat. Et le 6è district d'être plus tard rebaptisé Zonnebloem par le gouvernement d'apartheid. Ce plan d'expulsion de certaines populations n'existait pas qu'en ville puisque les zones rurales étaient aussi concernées. Toutefois, les embauches de gens de couleur, dont les Africains, étaient encouragées auprès des employeurs et ces salariés étaient autorisés à vivre dans des zones réservées (Langa, Nyanga et Gugulethu). Ces textes de lois et l'idée d'embaucher en priorité des gens de couleur affecteront bien sûr les familles car les épouses, elles, n'étaient pas autorisées à exercer un emploi dans la province du Cap occidental. Quant aux hommes, ils n'étaient tolérés sur les chantiers que pendant la seule durée de leur contrat de travail. Dans le même temps, le gouvernement s'attaquait au démantèlement des communautés de squatteurs qui avaient pris leurs aises dans certains quartiers (Werkgenot). En 1976, plus de 10000 d'entre eux seront ainsi pourchassés grâce à une politique systématique de démolition des biens occupés. Dans le même temps, une nouvelle ville, Khayelitsha (« Notre nouveau foyer ») sortira de terre, et ses habitants pourront dès lors profiter de baux de location de très longue durée (99 ans). La nouvelle cité accueillera ainsi 450000 résidents en 1990, dont 14% étaient propriétaires de leur maison. En revanche, l'eau courant et l'électricité faisaient encore défaut dans bien des logements.

 

Rien qu'autour de Table Mountain, on dénombrera 42 sites de relocalisation. Et l'apparition de la peste bubonique en 1901 dans la population noire de servir de prétexte pour pousser cette communauté en dehors du 6è district et les installer du côté de Uitvlugt Farm, de Kensington ou Windermere. Dès 1927, le canton de Langa avait ouvert ses portes pour accueillir cinq années plus tard les habitants de Ndabeni. Un autre camp africain verra également le jour à Nyanga, en 1957, si bien qu'à partir de 1963, les autorités avaient poussé ces communautés à quitter District Six, Newlands, Claremont, Greenpoint... pour les relocaliser à Cape Flats.

Bien de l'eau avait coulé sous les ponts depuis l'époque où Le Cap était une petit ville autonome du milieu du 19è siècle. Et la rue Buitenkant (où se trouve aujourd'hui le musée District Six) de servir alors de limite extérieure à cette cité jusqu'à la fin du 18ème. Seules quelques fermes occupaient alors les terres alentours et l'une d'entre elles, Zonnebloem de devenir d'ailleurs plus tard le célèbre...6è district de Cape Town ! Cette zone connaitra ensuite un fort développement lors de l'émancipation des esclaves de 1834.

 

La ségrégation de 1966 mijotait déjà de longue date depuis la mise sur pied, en 1935, d'un plan de dynamisation avec l'aide de South African Airways. Les chemins de fer sud-africains qui possédaient alors les ports du pays avaient fait part de leur intention d'investir dans le développement du port du Cap, avec la construction d'un nouveau quai et la réorganisation des alentours de la ville, dont le 6è district. Et la réorganisation de la ville du Cap de s'appuyer à l'époque sur la théorie du Suisse Le Corbusier qui suggérait que l'aspect pratique d'une cité ne pouvait reposer que sur un plan géométrique. Des offres de service furent donc adressées à Cape Town dans ce sens afin de réorganiser le centre-ville autour de trois idées majeures : permettre la liberté de mouvement, offrir une bonne accessibilité et aménager des lieux de détente urbains.

Les autorités ne limitaient pas les déplacements forcés à la seule ville du Cap alors que l'Afrique du Sud amorçait une rapide urbanisation. D'autres populations furent elles aussi déplacées, à Port Elizabeth et East London. Une politique de déplacement forcé initiée dans les années 1950 suite aux campagnes de recrutement d'une main d'oeuvre noire pas chère, qui avaient cours depuis 1886, pour alimenter les usines sud-africaines. Le syndrome d'assainissement, générateur de clivages raciaux lors des périodes d'épidémies, le vote en 1923 des lois touchant au contrôle des mouvements de population des travailleurs noirs à l'intérieur des cités et la mise en place de réserves de main d'oeuvre contribueront à la création quelques années plus tard du Groups Areas Act. Durant les années 1940, diviser pour mieux régner sera la priorité des priorités pour des autorités locales inquiètes de l'accroissement exponentiel de camps de population noire africaine dans le pays. Le Groups Areas Act consistait alors à diviser d'importantes zones urbaines en plus petites unités appelées townships, plus facilement contrôlables et permettant de diviser les communautés entre elles. En février 1966, c'est P.W Botha, alors ministre du développement communautaire, qui déclarera officiellement le 6è district comme territoire exclusivement réservé à une population blanche. D'où cette déportation de plus de 60000 personnes en un peu plus de quinze années dans des zones souvent dépourvues des commodités de base. Une fois tous ces gens partis, le 6è district prit le nom de Zonnebloen, et l'on traça de nouvelles rues, dont la principale, Hanover Street, sera rebaptisée Keizergracht. En 1984, l'opération de déplacement de la population trouvait un terme et la démolition du 6è district laissait une surface de terrains plats sur laquelle seront reconstruits de nouveaux édifices, à commencer par le Cape Technikon et les logements de la police sud-africaine. L'élection de Nelson Mandela et l'installation d'un nouveau gouvernement à la tête du pays en 1994 fera renaitre l'espoir d'un possible retour pour ces déportés mais depuis lors, point de retour en vue mais la mise en place d'un projet consultatif auprès de la population concernée, avec l'instauration de compensations financières pour compenser la perte des terres et des biens immobiliers. Histoire de faire patienter les gens.

 

Chaque 11 février, depuis 1966, on célèbre le temps d'une journée l'anniversaire de la déclaration par les autorités de l'époque de la conversion du 6è District en une zone « blanche ». Un triste souvenir qui en rappelle d'autres comme la ville de SophiaTown, où seules les femmes blanches étaient les bienvenues le 12 février 1955, l'apparition d'états d'expulsion à Fietas pour les « Non Blancs » en 1957, la déclaration de la ville de Constantia privilégiant les « Blanches » en 1961, une déclaration qui sera relayée par Harfield huit ans plus tard. A l'inverse, Schotschekloof se déclarera favorable uniquement aux Malais en 1957 et la ville d'Athlone « aux gens de couleur uniquement » la même année. Et le Musée du 6è district d'appeler tout simplement au vivre ensemble. Suivons l'exemple !

INFOS PRATIQUES :

  • District Six Museum, 25a Buitenkant Street, Le Cap. Ouvert du lundi au samedi de 9h00 à 16h00. Entrée : 45 Rands (visite libre) ou 60 Rands (visite guidée).
  • Sur place, une boutique et un café accueillent les visiteurs.

  • Pour ceux qui, à l'issue de leur visite, désirent approfondir le sujet, deux livres (en langue anglaise) sont en vente à la boutique : « Lost Communities, Living Memories » édité par Sean Field (Université du Cap) et « Buckingham Palace, District Six » de Richard Rive (School Edition).

  • Un grand merci à tous ceux qui m'ont chaleureusement permis de réaliser cet article et la vidéo, tout particulièrement à Ruth pour sa disponibilité.










 



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