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Il était une fois Matjiesfontein
(Province du Cap-Occidental, Afrique du Sud)
Heure locale

 

Samedi 23 novembre 2019

 

Le long de la route N1, au nord de la province du Cap-Occidental se niche un étrange village né au milieu de nulle part : Matjiesfontein. Fondé en 1884 par un certain James Logan, un cheminot écossais du rail possédant un sens aigu des affaires, l'endroit fut d'abord une élégante station thermale de style victorien qui attirera des célébrités du monde entier parmi lesquelles Lord Randolph Churchill (le père de Winston), Cecil John Rhodes, Rudyard Kipling et Olive Schreiner, avant de devenir aujourd'hui un charmant petit village que l'on visite pour la beauté de ses édifices et le calme qui y règne. Faute d'un bureau de tourisme, c'est à l'hôtel Lord Milner que je m'adresserai pour obtenir un plan sommaire du village. C'est là que je ferai la connaissance de Johnny, le guide touristique attitré de cet îlot de paix. Un sacré personnage ce Johnny, à découvrir sur ma vidéo.

 

Bien avant l'arrivée des premiers Européens, les Koikoi vivaient déjà à cet endroit, trois siècles auparavant, là où la profusion de roseaux les avaient fait exceller dans la confection de tapis. D'où le nom du village, Matjiesfontein (Fontaine des petits roseaux). Le site se trouvait sur le passage de la fameuse route conduisant prospecteurs et colons plus au nord, sur le gisement de Kimberley puis vers les vastes champs aurifères du Transvaal. Le chemin de fer arrivera sur place en février 1878 et la petite gare improvisée consistera alors en un simple quai bâti de pierrailles du Karoo sur lequel trônait un modeste comptoir à rafraichissement fait de tôles de zinc.

Avisé, James Logan, qui était alors chef de gare à Touws River, sentit la bonne affaire et fera l'acquisition vers 1884 de trois petites fermes dont il rassemblera les 100000 acres pour créer Tweedside, une seule et même exploitation qu'il baptisera ainsi en souvenir de la rivière Tweed qui coulait à Reston (Ecosse), son village natal. Et notre homme de bientôt être affublé du surnom de « Laird » (déformation de Lord) par les gens du coin.

Le petit village de Matjiesfontein qui sortit bientôt de terre sera le seul à posséder la plus longue ligne de téléphone du pays, et le premier village à alimenter ses lampadaires à l'électricité. Un tel endroit avait dès lors de quoi susciter la curiosité des politiciens influents, milieux mondains et membres de la famille royale, d'autant plus que les vertus curatives de l'air local avaient été depuis démontrées. Et Matjiesfontein d'accueillir successivement Olive Schreiner qui résidera sur place, les fortifications et le QG britanniques lors de la guerre des Boers, un terrain international de cricket et les organisateurs du raid de Jameson (le raid de Jameson fut une tentative ratée de prise de pouvoir contre la République sud-africaine, menée par l'homme d'État colonial britannique, Leander Starr Jameson, ses troupes de la compagnie et des policiers du Bechuanaland au cours du week-end du nouvel an de 1895-1896).

Heureusement, un demi-siècle après la disparition de Logan, le village sera classé comme héritage national en 1975, et David Rawdon, homme à poigne, et dernier lord alors en lice, mettra par la suite toute son énergie à reconstruire cet havre de paix où il venait se ressourcer.


 

Ma première visite sera pour l'hôtel Lord Milner, du nom de Lord Alfred Milner, qui fut le gouverneur de la colonie du Cap à partir de 1897. Majietsfontein méritait bien un établissement de cette classe, après avoir construit sa notoriété sur son thermalisme. Il suffit d'admirer le plafond de la salle à manger pour comprendre qu'il s'agit là ni plus ni moins d'une réplique de ce que l'on trouve au palais de Buckingham. Pendant la guerre qui opposera l'armée britannique aux Boers (1899-1902), l'édifice servira de QG britannique en relation avec le commandement du Cap, et sa tourelle qui coiffe l'établissement de servir à la fois de point d'observation et de poste de mitrailleuse. L'arrière du bâtiment abrite quant à lui salons, salle de musique et bibliothèque donnant sur une cour ombragée.

La maison voisine est aujourd'hui devenue le pub « Laird's Arms ». Autrefois, l'endroit abritait l'atelier de deux charpentiers écossais que James Logan avait fait venir pour exercer leurs talents lors de la construction du village. Puis, l'édifice servit un temps de lieu de détente pour les officiers de marine, avant de devenir le bar actuel. J'admire en passant le comptoir de l'établissement qui fut utilisé au Cap dans les années 1960 avant que David Rawdon ne se l'approprie pour l'installer ici une fois restauré. Le premier étage abrite aussi un billard.

La villa Reston (du nom du lieu de naissance de James Logan, fondateur du village) qui se dresse à droite de l’hôtel servait jadis de résidence à Jimmy, le fils de James, qui se passionna pour la botanique. Au décès de son père, en 1920, c'est lui qui reprendra les rênes de Matjiesfontein.

 

L'ancienne Poste (ci-dessus) fait partie des maisons mitoyennes bâties par James Logan. Celle-ci, qui ouvrit ses portes en 1897, avait pour voisine l'écrivain Olive Schreiner, qui vivait dans un petit cottage. C'est là qu'elle écrira la plus grande partie de son ouvrage « My thought on South Africa » qui sortira en 1899. Olive développera une amitié particulière avec Cecil John Rhodes, et le couple dinera en tête à tête dans ce cottage jusqu'à ce que John Rhodes ne se prononce un jour officiellement en faveur du « strop Bill » (loi autorisant la punition des domestiques) et qu'Olive mette un terme à leur relation.

Juste à côté, se trouve l'ancienne banque ouverte ici en juin 1897 par la African Banking Corporation. On peut visiter l'intérieur qui montre un comptoir avec son caissier.


 

Juste derrière d'ancienne pompes à essence, j'aperçois maintenant des petites maisons de style géorgien, qui abritèrent autrefois l'épicerie de Matjiesfontein. Le café, qui a depuis remplacé ce commerce confectionne d'excellents gâteaux. Habitants et visiteurs n'ont donc pas perdu au change...En levant la tête en direction des réverbères ornant la rue Logan, je me dis qu'il était jadis malaisé d'allumer et d'éteindre ces lampes du temps où elles fonctionnaient grâce au gaz, lui-même fabriqué à partir d'une petite centrale à charbon installée au bord de la rivière. Des lampes directement importées de Londres par Logan père.

La première demeure construite par James Logan (ci-dessous) fut la loge maçonnique (notre homme était Franc-maçon), érigée dès 1887 dans le style victorien et avec une qualité de construction qui dénotait de la gare de fortune, située juste en face et constituée de simples tôles de zinc. Et cette loge d'accueillir au besoin les visiteurs de passage.

 

Deux jolies constructions marquent également le village : Le Tweedside Lodge (1888), du nom de Tweed, la rivière qui traversait le village natal de James Logan en Ecosse, et Le Eye Bank Cottage (1892). Le lodge sera le premier édifice de Matjiesfontein à avoir l'électricité et le tout-à-l’égout. La maison était enfin reliée à la plus longue ligne téléphonique d'Afrique du Sud, qui courait sur vingt kilomètres, jusqu'à la principale ferme de Touws River. Cette maison servira de résidence à James et à Emma son épouse, qui y élèveront leurs deux enfants, Jimmy et Gertrude. L'endroit accueillera aussi des hôtes aussi célèbres qu'inattendues, parmi lesquelles le Sultan de Zanzibar ou des membres de l'aristocratie britannique. Quant à l'Eye Bank Cottage, il sera utilisé comme bureau par James Logan pour sa société James D.Logan & Co Ltd, spécialisée dans la gestion des salons de rafraichissement de la ligne de chemin de fer, du Cap à Bulawayo. Notre homme sera enfin élu parlementaire pour Worcester en 1894, avant d'être nommé quatre ans plus tard au Conseil législatif.

A l'époque les locomotives à vapeur étaient gourmandes et réclamaient 300 litres d'eau et 75 kg de charbon pour...chaque kilomètre parcouru, soit plus de 250000 litres d'eau nécessaires pour traverser le Karoo. Homme d'affaires avant tout, James Logan parviendra à obtenir le droit d'utiliser trois bonnes sources à proximité de la ferme Bulhauer, en 1897, et pour la somme de 36£. Un droit qu'il revendra aux chemins de fer pour 2000£. Et Matjiesfontein de se doter peu de temps après de « Water World in the desert », une brasserie dont on fêtera dignement l'arrivée, en 1889. Logan y fabriquera soda, limonade et bière au gingembre pour apaiser la soif des voyageurs. Non loin de là, un moulin à vent produisait l'électricité (la première du pays) et alimentait en énergie le moulin à grains. Deux entreprises qui jouxtait la loge maçonnique de James. Matjiesfontein creusera enfin le premier puit artésien sud-africain grâce auquel le village pourra planter des vergers (avec cerisiers et poiriers), cultiver des champs de blé et élever jusqu'à plus de 5000 agneaux.

 

Il me suffit de traverser la rue principale pour me trouver en face de la gare, encore active de nos jours : inaugurée le 1er février 1878, lors de l'ouverture de la ligne vers le nord, avec une prolongation plus tard du tronçon jusqu'à Lainsburg, celle-ci voit toujours les trains (dont le prestigieux Blue train!) s'arrêter au village le temps d'une visite pour des voyageurs curieux de découvrir Matjiesfontein. En 1884, James Logan obtenait la concession lui permettant de gérer les points de restauration (l'équivalent des salons de thé) pour la gare du village, bien avant que ne se développent des voitures-restaurant à bord des trains. La gare, elle, consiste en un long bâtiment de style victorien, inauguré en décembre 1890. Six ans plus tard, les membres du raid avorté de Jameson se réfugiaient à l'intérieur des vastes caves de l'ensemble, sous la protection de James qui les fournissait régulièrement en whisky. En signe de reconnaissance, les lascars offrirent au maitre des lieux deux vases chinois. Aujourd'hui, ces grandes caves abritent le musée Marie Rawdon, un véritable bric-à-brac témoin de cette époque, où l'on peut, entre autres, découvrir des souvenirs de la guerre des Boers.

 

Un peu à l'écart, se dresse encore la Pink Church (ci-dessous l'église rose, mais pourquoi cette couleur?) qui faisait jadis office d'école (jusque dans les années 1960). Lors de ma visite, hier, l'édifice se drapait dans ses plus beaux atours pour accueillir un mariage. Une chapelle des Voyageurs se dresse aussi quelque part non loin de là mais l'esquisse de plan qui me sera remise par l’hôtel ne me permettra pas de la repérer. Ancienne centrale à gaz, l'édifice est désormais devenue une chapelle dédiée à George Rawdon (le père de David), originaire de Mickleover (Derbyshire, Angleterre), qui fut lui aussi voyageur, notamment pour se rendre jusqu'aux concessions de diamant de Kimberley.

Matjiesfontein avait aussi son tribunal (ci-dessous) et sa prison. Bien à l'écart du village, cette dernière a été depuis reconvertie en logements. Le tribunal, lui, est toujours là. Il accueillit en 1901 le premier procès du héros du peuple des Boers, le Commandant Gideon Scheepers, accusé de crimes de guerre (dont neuf meurtres, deux destructions de trains et sabotage de voies, et autres actes de vandalisme et de barbarie) et condamné à la peine de mort. Il sera fusillé à Graaf-Reinet.

A quelques mètres de là, se trouve un autre musée, celui des transports, et l'ancien terrain de cricket. James Logan était passionné de cricket et il organisa ici même la première compétition officielle de ce sport en novembre 1889. En 1894 et 1896, les équipes anglaises, de passage en Afrique du Sud, s'illustreront sur ce terrain, suivies par d'autres joueurs de cricket célèbres. Quant au football, il avait également trouvé sa place à travers son club local formé en 1897, et dont l'équipe d'origine portait le nom de « Matjiesfontein Loganders ». Le musée, lui, permet d'observer, outre une 4 CV de couleur jaune, la Royal Daimlers empruntée par le roi George VI lors de sa visite en Afrique du Sud en 1947, accompagné par la princesse Elizabeth (l'actuelle reine Elizabeth II) et la princesse Margaret. Que de souvenirs !

 

INFOS PRATIQUES :

  • Lord Milner Hotel : https://www.matjiesfontein.com/
  • Pub The Laird's arms : bonne cuisine mais vérifiez votre addition et le montant de votre note avant de valider votre CB. Le patron peut être fantaisiste sur les montants. https://www.matjiesfontein.com/pages/the-lairds-arms/

  • Fermeture de l'ancienne poste pour pause à midi. Il n'empêche que la responsable de la boutique de souvenirs est adorable et rouvrira quand même pour moi.

  • Musée Marie Rawdon : entrée adulte 10 rands (à déposer dans une boite à l'entrée située en bas de l'escalier conduisant à la gare, via une porte discrète). Ce musée occupe les sous-sols de la gare. Le musée du rail, lui, se trouve au bout du quai, à gauche.

  • Merci à Johnny pour sa gentillesse et son dynamisme !

 









 



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