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Le Cabaret du Chat Noir
(Musée de Montmartre, Paris, France)
Heure locale


Jeudi 14 mars 2013

 

Avec le temps, Paris a perdu de sa superbe mais il reste encore aujourd'hui des lieux mythiques dans la capitale: Montmartre en fait partie. Ce village, autrefois indépendant de Paris, jadis lieu d'abomination pour les Chrétiens (d'où l'existence du Mont des Martyrs, et d'une rue du même nom!). Saint Denis, premier évêque de Paris, y fut décapité, ramassa sa tête puis marcha jusqu'à l'emplacement actuel de la basilique qui porte aujourd'hui son nom. Montmartre est aussi le quartier des plaisirs. Haut-lieu religieux avec la basilique du Sacré-Coeur, l'église Saint Pierre, l'église Saint-Jean, et la présence de trois communautés religieuses, ce quartier est enfin synonyme de fêtes et de spectacles avec son Théâtre des Abbesses, des salles de spectacles comme la Cigale, l'Elysée Montmartre, le Trianon ou la Boule noire, mais aussi le Moulin de la Galette, et des cabarets comme celui de Patachou, celui de la Place Pigalle, le Lapin Agile ou...le Chat Noir! Je remonte ainsi la rue des Saules qui me conduit à la rue Cortot après avoir laissé les vignes de Montmartre sur ma droite. Le Musée de Montmartre m'ouvre ses portes : Soyez les bienvenus !


 

Fondé en novembre 1881 par Rodolphe Salis, Le Chat Noir, alors premier cabaret littéraire, artistique et musical d'avant-garde de la capitale, fut aussi un lieu d'innovation et d'improvisation, avec son mélange imprévisible de chansons, de boniments et, bien sûr, son théâtre d'ombres. Le jeune Rodolphe est à cette époque créateur d'écoles et un mystificateur redoutable. La police y autorise l'usage d'un piano, derrière lequel se succéderont Paul Delmet, Albert Trinchant, Erik Satie, Claude Debussy, Gustave Charpentier....L'endroit sera racheté en 1897 par Henry Dreyfus, chansonnier montmartrois, qui le rebaptisera La Boite à Fursy. Situé au pied de la Butte, ce cabaret fut l'un des hauts lieux de rencontre du Tout-Paris et le symbole de la Bohème à la fin du XIX ème siècle. Le Musée de Montmartre qui accueille les visiteurs depuis 1960 dans la maison du Bel Air, retrace pour nous l'histoire du quartier mais aussi la vie politique, artistique et festive de la Butte. Et eut l'idée de proposer au public, il y a quelques mois, une exposition unique sur le cabaret du Chat Noir. L'atmosphère littéraire, artistique et musicale du lieu y est évoquée à travers la présentation de plus de 300 œuvres (peintures, aquarelles, dessins, estampes, affiches) d'Henri de Toulouse-Lautrec, Edouard Vuillard, Théophile-Alexandre Steinlen, Adolphe Willette, des Nabis et des Symbolistes, sans oublier une reconstitution du théâtre d'ombres (et ses silhouettes en zinc!) et des accompagnements musicaux (Bruant, Yvette Guilbert). Le divertissement et la bohème artistique montmartroise y sont enfin représentés par le cirque Fernando , le Moulin Rouge et le Bal Tabarin.


 

Louis Rodolphe Salis nait à Châtellerault le 29 mai 1851. Fils d'un limonadier, il arrive à Paris en 1872 dès sa sortie du régiment puis s'installe au Quartier latin. Il y fondera l'école vibrante ou iriso-subversive de Chicago afin d'inspirer confiance aux éditeurs d'imageries religieuses qui le faisaient vivre. Antonio de la Gandara (qui peindra le portrait de Salis ci-dessous) était alors chargé de peindre les draperies des personnages des chemins de croix ainsi fabriqués. Ayant eu l'idée un jour d'associer l'art et le débit de boisson, il créera bientôt le Chat Noir avec le succès que l'on sait. Chaque vendredi sera l'occasion d'un déjeuner pour préparer les futurs spectacles et la revue humoristique. Mais, d'une pingrerie légendaire, Rodolphe Salis trouvera toutes les excuses du monde pour ne pas payer ses collaborateurs sans oublier toutefois de réclamer à ceux venus se produire dans son cabaret une participation financière. Dans les années 1890, il se lancera dans des tournées dans toute la France en louant les théâtres où il se produisait, encaissant toutes les recettes mais refusant au dernier moment, pour des prétextes divers de s'acquitter du prix de la location de la salle...

 

La première décennie du XX ème siècle, surnommée alors Belle époque, profita de l'imagination talentueuse du poète Emile Goudeau et des Hydropathes, drôle de nom rassemblant poètes et écrivains, qui firent les beaux jours du cabaret Le Chat Noir. D'abord présenté comme « un cabaret de style Louis XIII fondé par un fumiste », l'endroit ouvrit ses portes pour la première fois en novembre 1881 au 84, boulevard de Rochechouart (en lieu et place d'un ancien bureau de poste, alors loué pour 1400 francs mensuels...) Constitué de deux petites pièces en enfilade, qui pouvaient à peine contenir trente personnes, le cabaret était assez peu engageant malgré le Suisse chamarré de l'entrée qui accueillait les clients. La pièce du fond, mal éclairée, sera plus tard rebaptisée « l'Institut » par Rodolphe Salis qui la réservera aux artistes, aux écrivains et aux musiciens habitués de la maison. Un journal, la Revue du Chat Noir, sera créé en 1882, et participera à la réussite populaire et financière du site. Celui-ci contenait des articles et des illustrations d'artistes comme Willette, Steinlen, Rivière, Caran d'Ache... Destiné à assurer la promotion du cabaret, le journal, créé par Rodolphe Salis et Emile Goudeau, paraitra de 1882 à 1897, et incarnera l'esprit fin de siècle du moment. Son illustration est alors dessinée par Salis en personne et représente un chat noir héroïque, affublé d'une fraise et d'un chapeau Louis XIII. Le premier cabaret étant devenu trop exigu, Salis transférera celui-ci en juin 1885 dans un beau bâtiment de trois étages de la rue Victor-Massé, à quelques pas de là, alors hôtel d'Alfred Stevens (ci-dessous).


 

La première salle de l'exposition présente les dessins et les estampes qui inspirèrent le nom du cabaret. On y ressent aussi l'atmosphère satirique et humoristique du Chat Noir. La seconde salle offre des photographies du premier cabaret de Rodolphe Salis et des œuvres qui y furent peintes. On y trouve des exemples de livres et de publication du journal de la maison, directement inspirés par le cabaret. Une autre salle présente le quartier avant l'apparition du fameux cabaret: On apprend ainsi qu'un temple de Mars, érigé à l'époque gallo-romaine, se trouvait autrefois sur la Butte ( à l'emplacement actuel de l'église Saint-Pierre). Qu'Henri IV, y fit installer deux batteries d'artillerie lors du siège de Paris en 1590, que Montmartre devint une commune de la Seine en mars 1790, et que cette dernière porta provisoirement le nom de Mont-Marat durant la Révolution Française. Il faudra attendre 1840-45 pour que la commune soit divisée en deux à cause de la construction de l'enceinte de Thiers. Le 1er janvier 1860, l'extension de Paris occasionna la dissolution de la commune de Montmartre, dont les territoires furent redistribués sous le nom de Buttes-Montmartre (XVIII ème arrondissement), le reste étant rattachée à la commune de Saint Ouen. On apprend aussi que Montmartre fut l'un des lieux importants de la Commune de Paris en 1871.


 

La quatrième salle d'exposition nous fait découvrir le « nouveau » Chat Noir, situé au 12, rue Victor-Massé: Le cabaret fera beaucoup pour le monde artistique parisien, sa plus importante contribution restant sans doute le théâtre d'ombres, créé en 1886 par Henri Rivière et Henri Somm. On y trouve notamment ces gendarmes qui furent les premiers personnages découpés dans le zinc (ci-dessous). Ce théâtre illustrera le credo du Chat Noir : Etre moderne avant tout. Offrant d'abord ses spectacles à partir d'un petit théâtre de marionnettes, l'endroit se transforme sensiblement en 1887 en accueillant une production artistique plus élaborée et traitant de sujets divers comme cette pièce « Ailleurs » présentée pour la première fois le 11 novembre 1891. Douze mécaniciens ainsi que les amis, qu'ils soient scénaristes ou assistants techniques, mais aussi chanteurs, artistes et musiciens, apportent alors leur précieux concours à ce théâtre d'ombres qui offre un contenu réaliste et symboliste agrémenté d'effets visuels : Le décor se compose d'un fond blanc et de grands aplats de couleur, tandis que la composition et l'accentuation des deux dimensions et des silhouettes présentées forment des composantes essentielles. De 1886 à 1896, des milliers de personnes se succéderont ainsi dans le cabaret pour venir voir les fameuses pièces du théâtre d'ombres. La septième salle de l'exposition aborde Aristide Bruant et son « Mirliton » (l'ancien premier Chat Noir, deuxième photo ci-dessous) et les cafés du quartier qui s'installent autour du Chat Noir. Bruant, lui aussi, créera sa propre revue, Le Mirliton, pour y publier ses chansons illustrées par des dessins de Toulouse-Lautrec et de Steinlen. L'occasion m'est offerte d'admirer dessins et affiches du cabaret Bruant et d'y découvrir le thème populaire des cafés parisiens et montmartrois, sujet important de cette fin de siècle. Dès le début du XVII ème siècle, le café parisien devient en effet un lieu public de consommation de boissons, puis un lieu de rendez-vous pour poètes et artistes qui s'y produisent parfois. La transformation de la capitale par le Baron Haussmann va transformer le café qui va peu à peu s'équiper d'une scène donnant sur une salle pouvant accueillir jusqu'à 1500 personnes. Entre 1880 et 1890, Paris comptera plus de 350 cafés-concerts. La visite permet également d'aborder l'influence du théâtre d'ombres sur l'art du symbolisme, sur les Nabis et les théâtres libres: Le mouvement nabi ( dont les membres sont les Nabis) fut un mouvement artistique postimpressionniste d'avant-garde, né à la fin du XIX ème, et qui perdurera jusqu'au début du XX ème. Les Nabis (mot signifiant prophète en hébreu) ont alors de grandes ambitions intellectuelles et spirituelles, et s'attachent à retrouver le caractère sacré de la peinture tout en provoquant un nouvel élan spirituel au moyen de l'art. L'exposition présente des œuvres de Nabis comme celles de Vuillard et Bonnard, qui furent conçues pour deux importants théâtres montmartrois, le Théâtre libre et le Théâtre de l'œuvre. L'accent est mis sur le lien thématique et stylistique entre le théâtre d'ombres du Chat Noir et la peinture symbolique au travers d'œuvres de nombreux artistes. Non loin de là, j'aperçois le bureau de Gustave Charpentier où est évoquée sa célèbre pièce de Louise à Montmartre.


 

La huitième salle de l'exposition permet de découvrir le cirque et les fêtes foraines, avec entre autres, le cirque Fernando (alors fréquenté par Auguste Renoir et Edgar Degas) et les rues de Montmartre. On y voit les peintures de clowns comme Footit et Chocolat, œuvres permettant de se rendre compte de la fascination des artistes d'alors pour les spectacles populaires et les représentations des marginaux, ou encore « les deux clowns », huile sur panneau de Joseph Faverot (ci-dessous). Les cafés-concerts et leurs interprètes ne sont pas non plus en reste. Des estampes et des affiches, des peintures et des dessins représentent les artistes du moment comme Yvette Guilbert , Loïe Fuller, et la Belle Otero, qui accompagnent en musique ces lieux de détente. Une série d'images permet aussi de découvrir les danseuses, sur scène et dans les coulisses.

Le Moulin Rouge et ses salles de bal sont enfin présentés dans la dernière salle : On y voit la Goulue, de son vrai nom, Louise Weber, célèbre danseuse de cancan. Tour à tour blanchisseuse, modèle pour peintres et photographes, Louise dansera d'abord dans les petits bals de banlieue avant de se faire connaître grâce au journaliste Charles Desteuque qui rédigeait une rubrique sur les demi-mondaines. Un certain Goulu-Chilapane l'accueille d'abord dans son hôtel particulier de l'avenue du Bois, puis Louise s'illustre dans une revue du cirque Fernando. Elle devient ensuite danseuse au Moulin de la Galette puis à l'Elysée Montmartre, mais ce sont les frères Oller et Charles Zidler qui la lanceront dans le cancan. Dès 1889, ces deux-là ouvrent leur bal au Moulin Rouge et engagent celle qui deviendra La Goulue. C'est dans les années 1900 que s'installa la réputation de Montmartre. Rodolphe Salis ne s'était pas trompé, qui disait: »Montmartre, tout le monde y passera ». Il faut dire que les salles de bal accueillent à l'époque une clientèle très variée : Le Bal Bullier (sur la rive gauche) ouvre surtout ses portes aux étudiants, tandis que le Moulin Rouge, l'Elysée Montmartre et le futur Casino de Paris privilégient une clientèle plus fortunée. Les artistes, eux, portent souvent des noms fleuris : La Goulue ( appelée ainsi car elle finissait tous les verres!), mais aussi Valentin le désossé, la Tonkinoise, la môme Cricri, la sauterelle, Reine des Prés, Rayon d'Or, Etoile Filante, Fin de siècle...


 

Mais au fait, pourquoi le Chat Noir? A l'époque, le chat est un animal sacré dans plusieurs mythologies et religions, mais aussi une figure littéraire et artistique de premier rang, célébrée par Pétrarque et Baudelaire, en passant par Perrault, Moncrif, Chateaubriand, Gautier, Hoffmann et Balzac. C'est aussi un animal sauvage et indépendant, qui aime la vie nocturne. Les peintres le choisirent comme modèle, comme par exemple Mind, au XIX ème, et « le Raphaël des Chats », ou encore les trois illustrateurs des Chats de Champfleury en 1869, Delacroix, Manet ou Hokusai. De Manet, on retiendra la réunion des contraires d'un matou noir et d'une chatte blanche dans le Rendez-vous des Chats, un sujet qui sera repris par Jules Chéret dans son affiche pour le concert-promenade de l'Horloge, Duo des Chats, en 1876. Chez Steinlen, le chat est le héros principal d'un récit en images, « Histoire sans parole ». Et l'auteur de s'inspirer de l'enseigne en tôle du Chat Noir créée par Willette, qui, la nuit, semble vouloir étrangler un ivrogne avec sa queue. La légende du Chat Noir, construite à partir du titre d'une comptine familière, révèle une antithèse amusante entre la lumière et l'obscurité. La prouesse du cabaret est d'avoir su créer des analogies entre le journal, l'iconographie et l'architecture du lieu du spectacle. Les illustrations permettent de relever l'opposition entre le noir et le blanc. Le Chat Noir devient un hybride singulier, un lieu de fête déguisé en musée. Et se transforme finalement en un lieu de compensation, et un rêve d'éternité sous une forme carnavalesque en cette période de crise profonde de la société.


 

 

INFOS PRATIQUES:

 


  • Musée de Montmartre: http://www.museedemontmartre.fr/

    12, rue Cortot à Paris 18 ème. Tel: 01 49 25 89 39. Ouvert tous les jours de 10h00 à 18h00. Droit d'entrée: 8 € . Accès par le métro Lamarck-Caulaincourt, Abbesses, ou Anvers.

  • Exposition « Autour du Chat Noir », Arts et plaisirs à Montmartre de 1880 à 1910, prolongée jusqu'au 2 juin 2013. Chaque salle offre des panneaux d'information en deux langues permettant de comprendre le contexte et le contenu des œuvres exposées.

  • Un grand merci à Françoise Kunzi, conservatrice du musée, pour son charmant accueil et sa précieuse collaboration. Je remercie aussi l'agence Heymann& Renoult pour la fourniture de certaines photos.

 

 








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