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Tokaïdo, la Route de la Mer de l'Est - Shimada et Kanaya
(Préfecture de Shizuoka, Japon)
Heure locale


Dimanche 8 mars 2015

 

Lorsque je descends à la petite gare de Shimada, nous ne sommes qu'en début de matinée et je pars à la découverte de la 23è station du Tokaïdo. J'aperçois, tout près d'un poste de police, un petit office de tourisme (on en trouve toujours un, la plupart du temps, dans les gares au Japon). La jeune fille qui m'accueille est charmante. Je lui demande ce qu'il y a à voir à Shimada, tout particulièrement en ce qui concerne la route de la mer de l'est puisque c'est le but de mon voyage. Elle m'indique sur une carte la portion de l'ancienne route Tokaïdo qui présente le plus d'intérêt : deux musées me semblent intéressants. Enfin, d'anciennes maisons de la période Edo ont été sauvegardées et sont visibles le long de la route.

Je découvrirai ainsi que Shimada est située le long du fleuve Oi, fleuve que je traverserai par un pont tout à l'heure pour me rendre à la station suivante (ci-dessous). Long de 168 km, ce fleuve coule depuis les monts Akaishi (Alpes japonaises) en direction du sud et se jette dans la baie de Suruga, toute proche. Il formait jadis la frontière entre les provinces de Totomi et de Suruga. Durant la période Edo, le shogunat interdisait la construction de ponts sur les cours d'eau importants. C'était le cas pour le fleuve Oi, où même les bacs y étaient interdits. Le shogunat invoquait les courants violents, mais cette mesure était plus certainement destinée à éviter les incursions ennemies comme celles des rebelles voulant se rendre par exemple à Edo. Les voyageurs utilisaient donc des porteurs ou des chevaux pour traverser ce fleuve. Selon le temps qu'il faisait, ils devaient parfois attendre plusieurs jours avant d'entamer cette traversée. L'Oi constituait en effet un obstacle de taille sur la route Tokaïdo. Cette interruption des traversées était ici appelée « Kawadome » et constituait, en quelque sorte, une aubaine pour Shimada qui conservait ces voyageurs captifs, voyageurs devenant par la force des choses des consommateurs. Aujourd’hui, je trouve un fleuve presque asséché, certes très large (près d'un kilomètre) mais uniquement alimenté par quelques cours d'eau facilement franchissables. Cela est du aux barrages qui régulent désormais son débit. Un autre pont, en bois celui-ci, le pont Horaï franchit plus loin l'Oi. Il est le plus long pont en bois du monde, mais servit aussi de pont à péage autrefois. Il figure dans le livre Guinness des records depuis 1997.


 

Je m'engage bientôt sur le Tokaïdo devenu, là encore, une route bitumée du centre-ville. Shimada se trouve grosso modo au centre de la préfecture de Shizuoka. Elle devra son développement économique à ses riches ressources forestières, notamment sous l'ère Meiji, lorsqu'elle sera nommée capitale du bois. Sur mon chemin, je m'arrête quelques instants au sanctuaire Oi (du nom du fleuve) : ce sanctuaire fut justement bâti pour prier afin de protéger celles et ceux qui franchissaient le dangereux cours d'eau. Les trois déesses de l'eau, de la terre et du soleil, Mizuhanome, Haniyasuhime et Amaterasu y sont représentées. Ici, on croit fortement à la protection de ces déesses, lesquelles sont d'ailleurs célébrées lors de la fameuse fête Obi qui se déroule tous les trois ans au mois d'octobre (la prochaine édition est prévue l'année prochaine). Un kilomètre plus loin, je m'arrête à l'ancien musée de la ville. J'y trouve une foule d'objets anciens datant entre autre du début du siècle dernier. S'empilent ainsi outils agricoles, objets ménagers et du quotidien. J'aperçois un vieux poste de télévision de marque Hitachi, avec ses douze touches de programmes et son antenne sur le dessus. C'est le Japon d'hier qui m'est offert à travers cette mémorable vitrine. Ce musée accueille également des expositions temporaires de photos, qui sont hébergées dans une superbe maison de l'époque Meiji, avec ses grandes pièces séparées par des portes coulissantes. Dans cette même rue, se dressent encore d'anciennes maisons Edo, dont une servait de point de péage au temps du Tokaïdo. Ces maisons, ouvertes au regard des passants, constituent un musée à ciel ouvert, avec leurs poupées traditionnelles, ou les palanquins utilisés autrefois pour transporter les riches voyageurs. Je surprends dans une maison voisine, un groupe de femmes japonaises concentrées sur la répétition d'un morceau de musique jouée à l'aide de kotos. Cet instrument de musique traditionnelle, à cordes pincées, est surtout utilisé dans le kabuki et le bunraku. Originaire de la Chine, il sera introduit dans le pays entre les VIIè et VIIIè siècles et sera d'abord joué principalement à la cour impériale. Il s'agit d'une sorte de longue cithare munie de treize cordes et dont la caisse est en principe fabriquée en bois de paulownia. Le son particulier de cet instrument m'était parvenu à l'oreille alors que je marchais tranquillement le long de cette route remplie d'histoire. J'échangerai quelques mots avec ces charmantes dames, surprises de se retrouver en face d'un Français venu des âges....


L'autre musée, le nouveau musée de la ville, ne se trouve qu'à deux cents mètres. L'endroit, très moderne, présente une exposition sur le Tokaïdo, bien sûr, mais surtout différents coiffures japonaises, dont la fameuse coiffure Shimada : son chignon est en effet la coiffure nippone la plus connue portée par les geisha. Il s'agit d'un chignon haut, porté par les plus jeunes femmes. Le Shimada de style tsubushi est lui, plus plat, et est porté par les geisha plus âgées. L'uiwita est lié à un morceau de coton. Un autre chignon, en forme de pêche fendue, est quant à lui porté par les maiko (apprenties geisha). Détail d'importance : pour ne pas abimer leur coiffure durant leur sommeil, les geisha dormaient la tête posée sur un banc de bois assez élevé, ce qui n'était pas très confortable. De nos jours, elles ont trouvé une parade en portant des perruques, mais ces coiffures nouvelles demandent malgré tout beaucoup de travail. D'autres femmes, plus nostalgiques, continuent à brosser leurs cheveux à l'huile de camomille. Certaines geisha travaillaient autrefois le long du Tokaïdo, ici à Shimada. De là serait sans doute apparu le style de coiffure Shimada. D'autres prétendent qu'il s'agissait uniquement de la coiffure qu'arborait Shimada Mankichi (1624-1643), acteur de kabuki, lors des représentations. On dit enfin que ce style de coiffure aurait été créé par Tora Gozen, habitante de cette ville, geisha, et héroïne d'une pièce de kabuki, dans laquelle elle figurait sous le nom de Oiso no Tora. De nos jours, de nombreuses coiffures ont pris le nom de Shimada. Et la meilleure façon de pouvoir toutes les admirer est encore de se rendre à la Fête Shimada Mage qui a lieu chaque année ici et dont la première édition se déroula le 17 septembre 1933. Il faudra attendre 1965 pour que cette fête soit relancée. C'est que cet art de coiffure existe depuis le XIIIè siècle mais ne connut un véritable essor qu'à partir du XVIIIè. La Fête Mage se tient le troisième dimanche du mois de septembre, chaque année. Et donne lieu à un défilé qui démarre à l'intersection de la rue Hon-dori 7-Chome, à midi. Il s'arrête un moment dans la rue Obi-dori pour exécuter des danses odori, puis reprend en passant devant la gare JR de Shimada, puis vers le sanctuaire Oi. A cet endroit, d'autres danses sont alors offertes au public, puis le défilé se poursuit vers l’hôpital de la ville, et jusqu'au temple Uda-ji. D'autres danses ont là aussi lieu en l'honneur de Tora Gozen et de Bouddha. Au cours de cette manifestation, vous pourrez (à condition d'être muni de la brochure « Shimada Mage »,à retirer à l'office du tourisme) admirer les différents styles de coiffure issus de Shimada : Taka, Otome, Tsubushi, Yuiwata, Genroku, sans oublier d'autres coiffures japonaises comme Katsuyama, Icho Gaeshi, Fukiwa ou Momoware.

Une autre fête importante a lieu tous les trois ans à Shimada : la fête Obi Matsuri. La première édition de cette fête aurait eu lieu en 1699. C'est l'une des trois fêtes les plus inhabituelles de ce pays, fête au cours de laquelle les jeunes mariés offrent leurs ceintures (obi) au sanctuaire Oi afin de prier pour des accouchements sans douleur. Ces ceintures sont exhibées au public sur les sabres d'hommes valets de pied qui défilent devant l'assistance. Ce défilé s'appelle l'Okayyo. La population de Shimada souffrit d'épidémies durant le XVIIè siècle et se mit à danser pour demander la protection contre ces épidémies. Cette danse est appelée Kashima. Enfin, des enfants revêtus de kimonos esquissent des pas de danses sur les chars tandis que cinq groupes de processionnaires sont engagés dans cette compétition. Nul doute que cette fête riche en évènements est à ne pas manquer si vous vous trouvez à Shimada à ce moment-là.


 

23è station de la route de la mer de l'est, Shimada-juku était située sur la rive gauche (du côté d'Edo) du fleuve Oi (Oi signifie bleu en japonais), et juste en face de la station voisine, Kanaya. Le shogunat Tokugawa ayant formellement interdit de construire des ponts ou d’instaurer un service d'embarcation sur le fleuve, les voyageurs devaient traverser à pied le cours d'eau. Lors de fortes pluies ou de crues, le passage devenait impossible, bloquant ainsi les pèlerins durant parfois plusieurs jours, ce qui faisait la fortune de Shimada. L'estampe d'Hiroshige (ci-dessus), montre des voyageurs traversant les bas-fonds et bancs de sable du fleuve. Certains sont à pied, d'autres sont portés par des serviteurs, d'autres traversent en kago.

La station d'en face, Kanaya, est à ma portée et je traverserai l'Oi les pieds au sec, grâce à un joli pont métallique bleu, de la couleur du fleuve du même nom. Je me perds un peu à mon arrivée car je dispose de très peu d'information sur cet endroit. On m'a simplement parlé de la gare ferroviaire JR de cette bourgade et je m'y rends sans tarder. Effectivement, la portion du Tokaïdo qui présente quelque intérêt culturel se trouve à deux pas de cette gare et se résume à peu de choses : une route pavée, la Kanaya-zaka (ci-dessous en photo) d'une longueur de 430 mètres. Le tronçon de cette route déroutait souvent les voyageurs à cause des grosses pierres qui formait un revêtement peu enviable. Ce chemin sera d'ailleurs restauré par les résidents locaux en 1991. Mieux vaut regarder en permanence là où on met les pieds, faute de quoi on se casse la figure, mais l'endroit, bordé de cerisiers, peut présenter un certain intérêt au printemps lors de la floraison de ces derniers. La performance consistant alors à admirer à la fois les cerisiers tout en regardant où l'on marche et éviter ainsi la chute. Au début de ce chemin se dresse, sur la droite, une imposante demeure, la maison de thé Ishidatami-Chaya. C'est l'endroit où l'on peut prendre en toute quiétude une tasse de thé vert, avant d'entamer l'ascension.


 

Ne vous trompez pas de gare ! Une autre (toute) petite gare, la gare d'Oigawa, se trouve aussi à Kanaya, mais ne voit passer que de rares convois. Mais celui qui quitte parfois cette minuscule gare vaut la peine d'être connu : une promenade en train à vapeur est régulièrement organisée au départ de Kanaya, et vous permet de découvrir de superbes paysages de l'Oi, à travers les montagnes.Départ à Kanaya, pour huit minutes de train à vapeur, le temps d'atteindre la petite gare d'Higiri, où l'on peut admirer la statue d'Higiri Jizo, célèbre dieu. Une heure d'arrêt est prévue à cette gare. Ensuite, on rembarque pour 28 minutes de trajet, jusqu'à la gare de Ieyama, qui a gardé tout son cachet d'antan, à tel point que les producteurs de films l'utilisent souvent pour y tourner des plans. Deux heures d'arrêt sont prévues à cette station, afin de vous permettre de profiter d'un tunnel formé par les cerisiers en fleurs et de vous rendre au lac Nomori. Attention au départ ! De la gare d'Ieyama, jusqu'à la station suivante, six minutes de train suffisent et vous conduiront à la gare de Kawane Onsen Sasamado. Durant 45 minutes, vous visiterez le barrage, et les sources d'eau chaude, avant de reprendre le chemin de retour. A défaut de promenade organisée, j'ai pu photographier la locomotive à vapeur (en photo ci-dessous) stationnée en gare d'Oigawa.


 

Kanaya-juku (dont l'estampe est en photo ci-dessus) est désormais incluse dans la ville de Shimada mais était autrefois la 24è station du Tokaïdo. Durant la période Edo, elle était la station la plus à l'est de la province de Totomi. Cette station fut construite sur la rive droite du fleuve Oi, face à Shimada. On y comptait alors plus de mille maisons dont trois honjin, un honjin secondaire et 51 hatago. Les voyageurs avaient alors l'accès facile jusqu'à la station suivante, Nissaka (éloignée seulement de 6,5 kilomètres). L'estampe d'Ando Hiroshige dépeint une procession de daïmios de sankin kotai en train de traverser le fleuve. On y aperçoit le daïmio dans un kago, tenu à flot par une plateforme improvisée portée par de nombreux serviteurs pataugeant dans le fleuve. En arrière-plan se trouve un petit village au pied de la colline. Quant au sankin kotaï, il s'agissait, sous l'ère Edo, d'une rotation de services : ce système de résidence alternée des daïmios, imposé par le shogunat Tokugawa, imposait à ces derniers de passer une année sur deux à Edo, et à y laisser femmes et enfants lorsqu'ils retourneraient gérer leurs affaires dans leur fief. Une forme de prise d'otages en quelque sorte, afin d'éviter la défection éventuelle de certains daïmios.

 

INFOS PRATIQUES :


  • Association de tourisme, 14-2 Kanaya Shinmachi, à Shimada. Tèl : 0547- 46 2844. Site internet :http://www.shimada-ta.jp/

  • Site officiel de la ville de Shimada : http://www.city.shimada.sizuoka.jp

  • Office de tourisme de la gare (près du poste de police), ouvert tous les jours (sauf le lundi), de 8h30 à 17h00.

  • Musées de la ville : 300 yens (pour l'accès aux deux musées). Ouverts tous les jours de 9h00 à 17h00, mais fermés le lundi. Tèl : 0547- 34 3216. Prise de photos interdite.

  • Fêtes annuelles à Shimada et à Kanaya: le 7 janvier : Chasse aux démons, au temple Chimanji. Fin février : Fête de la floraison des pruniers Ita. Fin mars : Floraison des cerisiers au temple Keijiji, mais également Fête des cerisiers Kawane (jusqu'à début avril). Début avril : tous les deux ans, Fête du thé vert à Kanaya. Mi-avril : Fête des Pivoines au temple Jokoji. Fin avril : Azalées Dodan Tsusuji au mont Chiba. Fin mai : Fête du printemps Bara no Oka Rose. 1er juin : Début de la pêche à la truite sur le fleuve Oi. Mi-juin : Saison des lucioles à Sasama. 10 août : Feux d'artifice du fleuve Oi. Troisième dimanche de septembre : Fête Shimada Mage. Mi-octobre : Fête Shimada Obi Matsuri (durant trois jours, tous les trois ans). Mi-octobre : Fête d'automne Bara no Oka Rose. Fin octobre : Danses Sasama kagura. Début novembre : Fête de l'industrie et de l'agriculture à Kanaya. Mi-novembre : Foire de Shimada.

  • Maison de thé Meguri (au pied du chemin du Tokaïdo) à Kanaya. Tèl : 0547- 45 5715. Ouvert de 9h00 à 17h00. Site internet : http://www.ishidatami.info/

  • Site internet de Oigawa railways : http://www.oigawa-railway.co.jp

  • Plaza Loco (face à la pettie gare d'Oigawa) à Kanaya. Vente des billets pour l'excursion en train à vapeur. Mini-musée de trains et boutique de souvenirs. Ouvert de 9h00 à 17h00. Tèl : 0547- 45 4112.

 











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