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Ortillopitz, Maison de Sare
(Pyrénées Atlantiques, France)
Heure locale


Mardi 19 mai 2015

 

Au Pays basque, la maison occupe une place importante.. Elle est plus qu'un bien. Elle est une mémoire, une histoire. Je pars aujourd'hui à la découverte de la maison d'Ortillopitz, une demeure privée particulièrement bien conservée. Celle-ci date de 1660 et a été construite sur les vestiges d'une maison érigée en 1540....La maison est sise à Sare (Sara en langue basque). Ce village se trouve à seulement onze kilomètres de Saint Jean de Luz, et fait partie de la province du Labourd. Elle possède 32 kilomètres de frontière avec la province de Navarre, endroit où prend forme la chaine pyrénéenne Franco Cantabrique avec les montagnes de la Rhune (Larrun), Ibanteli et Pena Plata (Atxuria). C'est à Sare que se trouve le col pyrénéen le moins élevé, Lizuniaga,à une altitude de 221 mètres seulement. La ville est un lieu de passage fréquenté depuis les temps préhistoriques, servant aux voyageurs à transiter du nord au sud de l'Europe, comme par exemple, les pèlerins de Saint Jacques. C'est au XVII ème siècle que la langue basque parlée en Labourd, et tout particulièrement à Sare, sera retranscrite dans l'oeuvre « Gero » du curé de la paroisse Pedro de Axular. En 1794, le comité de salut public fera arrêter puis déporter tous les habitants du village alors décrété « commune infâme ». Ses habitants seront déportés et internés dans le Lot, le Lot et Garonne, le Gers, les Landes, les Hautes-Pyrénées et le Béarn. La maitresse de maison d'Ortillopitz fit partie des victimes qui succombèrent aux mauvais traitements de cette déportation. Elle décéda à Souston (Landes) le 3 septembre 1794. Aujourd'hui, Sare compte quelques 2300 habitants et vit principalement de l'agriculture et du tourisme.


 

Le pari d'Ortillopitz était de sauver cette demeure édifiée en 1660 qui fut bâtie sur soubassements d'une maison de 1540 dont on retrouva une remarquable structure de chêne et d'épaisses murailles en pierre taillée. Ici, les fermes éparses tournent le dos aux vents pénétrants du golfe de Bizkaia qui soufflent dans la vallée. Elles font face au soleil levant et offrent aux premiers rayons de la journée leur façade à colombages largement ouverte. Le champ de maïs traditionnel (qui tient son origine de la province de Guipuzcoa) encadre onze rangées de ceps de vignes, bordées par des arbres fruitiers. Non loin de là, on aperçoit les pâturages des pottoks et un champ de maraichage bio. Notre guide nous annonce que cette maison offre une superficie de 600 m2 (dont 200 m2 de surface habitable située au premier étage).

L'entrée dans la maison se fait par le « lorio » (en photo ci-dessous), un large vestibule ouvert sous le porche. Caractéristique de la maison labourdine, ce lorio provient de l'agrandissement du surplomb de l'encorbellement qui fournissait autrefois un abri pour dépouiller le maïs. Il fournissait un abri devant l'entrée, espace qui pouvait même parfois servir pour les assemblées de village. Le lorio est souvent surmonté d'un linteau de bois, d'une seule pièce. Une fois franchi le seuil de porte, j'entre dans le passé. La porte s'ouvre sur le chai dédié au cidre, la boisson des Basques. J'apprends à l'occasion que les marins basques embarquaient autrefois avec des tonneaux de ce cidre très efficace pour combattre le scorbut. Mon regard s'arrête sur un escalier à garde-corps usé par le temps que nous empruntons pour nous rendre dans la pièce à vivre, une vaste cuisine (deuxième photo), garnie de meubles patinés datant des XVII ème et XVIII ème siècles : le vaisselier est sobre et rectiligne, fidèle au style basque. Le haut du corps est constitué d'un cadre à fond de bois en retrait. Il est complété par de petites tablettes avec un mince bandeau de bois soutenant les assiettes. La partie basse du meuble comporte trois portes. Le zizailu (ou zuzulu) est quant à lui une invention typiquement locale, un banc avec tablette abattante. Le coffre (Kutxa) était en ce qui le concerne, utilisé pour le linge (dans le cas du coffre de mariage), ou pour le grain ou le pain. Un évier en grès complète la pièce (troisième photo). Une belle et grande cheminée contient sur le côté un four à pain, privilège accordé aux gens riches (tout comme le droit de posséder un pressoir et un moulin). De l'autre côté de la cuisine trône un grand coffre qui recevait le pain cuit (sur sa partie supérieure) et la farine (partie inférieure). Notre visite est passionnante et durera d'ailleurs un peu plus longtemps que l'heure prévue.


 

Cette maison appartenait à un armateur. Une telle maison était un signe de richesse notoire à cette époque. Nous entrons dans le bureau de ce dernier, un bureau qui fait également office de salle de réception (photo ci-dessous). On y trouve une bougie consumée, des livres de compte, et des compas. Jadis, les Basques fréquentaient Terre-Neuve, pour pêcher la baleine et la morue, depuis l'invention de la boussole. Cette pêche si rémunératrice participa longtemps à la prospérité de Saint Jean de Luz. Cette richesse profitera aussi à toute la partie sud de la côte basque et donc à Sare, qui ne se trouve qu'à une dizaine de kilomètres de là. La ville deviendra enfin la base stratégique des corsaires. Le guide nous rappelle qu'à l'époque de l'Ancien Régime, les Labourdins disposaient de nombreux droits et de plusieurs exemptions (de gabelle notamment). Les habitants avaient aussi le droit d'être armé pour défendre leurs biens. Hommes et femmes étaient libres et égaux. Chaque maison disposait d'un droit de vote qui était confié à une personne désignée lors d'une assemblée. Ces assemblées villageoises étaient courantes à l'époque et permettaient de décider collégialement de la gestion courante de la vie quotidienne (coupe de bois, gestion des terres communales, des ressources naturelles...). Seigneurs, membres du Clergé et nobles n'avaient pas le droit de participer à ces réunion.


 

C'est par un couloir à pan de chaux et de bois du XVII ème siècle que j’accède aux chambres, à l'étage (en photo ci-dessous). Chaque chambre contient un lit et un coffre à linge. Le lit dispose d'un sommier fait d'une corde ajustable afin d'offrir le meilleur confort de couchage possible. Un grenier surplombe le tout avec ses pannes faitières de quinze mètres de long, des pièces horizontales de charpente soutenant l'extrémité supérieure des chevrons, au sommet du toit. J'observe enfin des chevrons d'un seul tenant de sept mètres, ces pièces de bois placées sur les pannes, dans le sens de la pente du toit, servant à supporter les voliges mais aussi le poids des tuiles. La charpente faite de chêne, est très robuste et conçue pour résister au gros temps. Des prises d'air latérales lui assurent une bonne ventilation, permettant le séchage des jambons. Notre guide nous confie que cette maison a nécessité environ 600 arbres pour construire cette structure en bois. Notre visite se poursuit au rez-de-chaussée, à l'étable. L'endroit servait à la fois de bergerie, d'abri pour le bétail et pour des outils et des carrioles. A noter que les biens précieux (dont faisaient partie les animaux) étaient logés sous le même toit que les propriétaires de la demeure. Nous nous arrêtons derrière la maison afin d'admirer un pressoir à pommes dont on nous expliquera le fonctionnement.

Cette visite guidée me permet d'apprendre beaucoup de choses sur le Pays basque, ses habitants et leurs manières de vivre . C'est que l'histoire de ce peuple remonte à loin, puisque plusieurs études anthropologiques considèrent que les Basques appartiennent au plus ancien groupe ethnique d'Europe ayant réussi jusqu'à présent à conserver des caractéristiques propres après l'arrivée des peuples et langues indo-européens. On retrouve en effet dans ce pays des traces humaines depuis la Préhistoire : racloirs, grattoirs, puis outils pour la chasse, flûtes en os et autres sculptures. Sous le Mésolithique, les harpons s'affinent. Au Ier siècle avant J.C, on relève la présence des « Vascons », au nord de ce qu'on appelle aujourd'hui les provinces espagnoles de Navarre et d'Aragon. Les Romains rapportent la présence de nombreuses tribus, comme les Autrigons, les Caristes, les Vardules, les Bérons, les Vascons et les Aquitaines. La chute de l'empire romain ouvrira la voie à l'établissement et à la pérennisation des royaumes Wisigoths et Francs, ainsi qu'à l'implantation au nord des Pyrénées du Duché de Vasconie. En 778 aura lieu la bataille de Roncevaux (attaque par les Vascons de l'arrière-garde de l'armée franque de Charlemagne). C'est de cette bataille que date la Chanson de Roland. Suivit l'invasion islamique de la région, juste après celle de la péninsule ibérique en 714. Lors de la reconquête, la presque totalité de la partie orientale du Pays basque actuel faisait alternativement partie du royaume de Navarre et de celui de Castille. Et les Basques d'avoir pris une part active dans cette reconquête, à travers la colonisation de nouveaux territoires. Bien plus tard, le peuple basque continuera à entretenir une certaine autonomie vis à vis de la France. Chaque région basque disposant de ses propres lois, d'impôts et de tribunaux indépendants, tout en étant novateurs. Ce sont ainsi les Basques qui enseignèrent aux Hollandais l'usage du harpon dans la chasse à la baleine, à la fin du XVI ème siècle. Grands voyageurs, on ne compte plus les personnages illustres d'origine basque qui prirent la mer pour partir à la découverte du monde. Très chrétiens, les Basques n'apprécièrent pas la Réforme protestante. Au XVI ème siècle, une bourgeoisie bascophone de Bayonne imprimait d'ailleurs des livres en basque, touchant presque exclusivement des thèmes chrétiens. Et la Révolution française de mettre un terme à la large autonomie des provinces de cette région française, jusque là garantie par l'Ancien Régime.


 

La maison basque, surnommée Etxe, est la pierre angulaire de la vie sociale traditionnelle. Selon les lois basques, elle est transmise à l'ainé de la famille, voire à l'ainée dans le Labourd. Faite de torchis, la maison labourdine est le plus souvent garnie de pans de bois apparents, peints le plus souvent en rouge «sang de boeuf ». Son orientation est généralement Est-Ouest, avec la porte d'entrée à l'est pour prémunir du mauvais temps. De forme rectangulaire, elle peut évoluer dans sa forme et sa dimension selon les reconversions (passage de l'agriculture à l'élevage intensif par exemple) ou l'agrandissement de la famille. La toiture est formée de deux versants en pente douce malgré le temps pluvieux, mais la prise au vent est ainsi réduite. Chacune des quatre façades est traitée différemment en fonction de leur exposition aux conditions climatiques : la façade orientale est largement percée et particulièrement soignée. La porte d'entrée est très travaillée et le linteau donne des informations sur le propriétaire. Le soleil étant assimilé à l'oeil de Dieu, on accroche à l'entrée diverses plantes le représentant (fleurs de carde, comme ci-dessous). Le pignon occidental est quant à lui aveugle et peut remonter au-dessus du toit, à proximité de l'océan. Le mur latéral nord est percé de petites ouvertures, peu nombreuses, servant à éclairer des zones d'intérêt secondaire, mais ne permettant pas à la chaleur de pénétrer. Enfin, la façade méridionale est plus largement ouverte pour profiter du soleil tout en s'en protégeant grâce à l'avant-toit.

Les fenêtres les plus exposées de la maison labourdine sont souvent surmontées d'un rejet d'eau de ruissellement constitué à l'origine d'une simple dalle de grès fichée horizontalement dans le mur. Quant aux volets, ils sont pleins, en bois, et à barre, tous peints de la même couleur que les autres bois de la façade ou de la charpente, généralement de couleur rouge « sang de boeuf » (le sang de bœuf ayant la réputation de protéger contre les insectes et le pourrissement). On trouve aussi parfois le bleu foncé (sorte de bleu de Prusse), ou un vert profond, également foncé, et plus rarement un gris très clair.


 

INFOS PRATIQUES :


  • Ortillopitz, maison basque de Sare, à un kilomètre du petit train de la Rhune, à Sare. Tél : 05 59 85 91 92. Réservation groupes : 06 20 65 08 52. Visite guidée uniquement. Entrée : 9 €. Ouverte tous les jours (sauf le samedi) du 13 avril au 17 octobre. Horaires des visites guidées : du 13 avril au 11 juillet, visites du lundi au vendredi à 14h15, 15h30 et 16h45. Le dimanche à 15h30. Du 13 juillet au 22 août, du lundi au vendredi, visites à 10h45, 12h, 14h15 et 15h30,16h45 et 18h. Le dimanche à 14h15, 15h30, 16h45 et 18h. Du 24 août au 19 septembre, visites du lundi au vendredi à 10h15, 15h30 et 16h45, le dimanche à 14h15, 15h30 et 16h45. Du 21 septembre au 17 octobre, du lundi au vendredi, vers 15h30. Site internet : http://www.ortillopitz.com

     

 

 







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