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Exposition "Thé, Café ou Chocolat?"
(Musée Cognacq-Jay, Paris, France)
Heure locale



Vendredi 5 juin 2015

 

Une exposition se tient actuellement au Musée Cognacq-Jay (Paris), qui ravira les amateurs de boissons exotiques. En effet, « Thé, café ou chocolat ? » se propose de faire (re)découvrir aux visiteurs ces boissons qui connurent un essor en Europe au XVIII ème siècle. Vantées pour leurs vertus thérapeutiques, ces boissons, qui furent introduites en Europe à cette époque, furent très vite associées aux plaisirs et aux sociabilités de ce siècle. La consommation de ces boissons issues du cacaoyer, du caféier et du théier firent partie intégrante des usages de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie dès leurs introductions officielles auprès des cours européennes. Compte tenu de leur coût prohibitif, et comme matière importée, ces breuvages seront classés comme produits de luxe et de prestige durant les XVII et XVIII ème siècles.

A côté des boissons exotiques, apparurent mobiliers et « nécessaires » ou « services » produits dans les manufactures. Thé, café et chocolat permirent enfin l'existence de lieux de consommation publique (comme par exemple les cafés), et de nouvelles pratiques de table, tel le petit déjeuner et le goûter, qui se diffuseront peu à peu dans la société.

L'exposition est articulée autour de trois axes : les vertus et les dangers des boissons exotiques, les cercles de consommation, et les nouveaux services. Et de proposer une nouvelle lecture de ces breuvages entrés dans les rituels du quotidien, à travers la présentation d'oeuvres de nombreux artistes emblématiques au cours du XVIII ème siècle comme Boucher ou Chardin, mais aussi de plus de 120 objets comme des tasses, litrons, trembleuses, théières à pâtes, cafetières-verseuses ou gobelets-cornets à deux anses (ci-dessous)...


 

Objets de curiosité, ces plantes et produits exotiques étaient des cadeaux diplomatiques précieux, dans une cour fascinée par les coutumes orientales. Celles-ci seront introduites durant la seconde moitié du XVII ème siècle, et consommées en tant que liqueurs ou boissons chaudes, ces trois composantes indissociables des repas étant alors considérées en France comme des produits de luxe au moment de leur arrivée. On entendait à l'époque, par le mot liqueur, une boisson ayant un taux de sucre minimal de cent grammes par litre, mais pas seulement : la liqueur désignait aussi un élément liquide ayant subi une préparation, sans forcément parler de liqueur spiritueuse. Le thé, le café, et le chocolat entraient donc dans cette catégorie.

Prenons le chocolat. Originaire d'Amérique, le cacaoyer restera inconnu en Europe jusqu'au XVI ème siècle. C'est en 1502 que Christophe Colomb découvrira pour la première fois la boisson chocolatée, sur l'île de Guanaja. Rapportées par Cortez à Charles Quint en 1524, les premières fèves de cacao resteront jusqu'au XVII ème siècle sous monopole de l'empire des Habsbourg. Leur culture et leurs secrets de fabrication se propageront néanmoins dans toute l'Europe et dans les colonies des autres puissances européennes. L'arrivée du chocolat dans notre pays ne commencera qu'avec l'exil des juifs séfarades ou marranes d'Espagne, en 1492, puis au Portugal vers 1536, alors qu'ils fuyaient l'Inquisition, avec le chocolat dans leurs valises. De nombreux marranes s'installeront alors dans le quartier Saint-Esprit de Bayonne, après 1609, deviendront les premiers entrepreneurs du chocolat au Pays basque, et seront à l'origine de l'introduction de cette boisson exotique en France. Au Royaume-Uni, la première chocolaterie ouvrira à Londres en 1657, tandis qu'en France, la boisson recevra un encouragement officiel de la part des reines françaises, des infantes d'Espagne, d'Anne d'Autriche et de Marie-Thérèse d'Autriche, ou de la part de certains médecins comme Nicolas de Blégny, qui rédigera en 1662 Le bon usage du thé, du caffé et du chocolat pour la préservation et pour la guérison des maladies. Notre pays découvrira le chocolat en 1615, à l'occasion du mariage d'Anne d'Autriche avec le roi Louis XIII. Mais c'est Louis XIV et son épouse Marie-Thérèse d'Autriche, qui fera entrer cette nouvelle boisson dans les habitudes de la cour du château de Versailles, la reine se faisant préparer par ses servantes le chocolat « à l'espagnol ». Le chocolat est alors consommé chaud, sous forme de boisson, comme le café. Et seule la cour du roi avait accès à ce breuvage, bien que le roi Louis XIV n’appréciât pas le chocolat. La cacaoyer sera cultivé dans les Antilles françaises à la même époque et la première cargaison officiellement française de fèves sera livrée à Brest en 1679. Quant à l'Eglise, elle se posera la question de savoir s'il s'agissait de considérer ces boissons exotiques comme aliments ou comme source de plaisir. Le chocolat sera finalement considéré comme aliment maigre et pourra même être consommé pendant le Carême.

 

Si les tout premiers consommateurs de café sont des voyageurs revenus avec, dans leurs bagages, les matières premières et les ustensiles de préparation, à titre de curiosités au cours des années 1640, son usage se répandra surtout durant les décennies suivantes, dans le milieu des marins ayant connu les escales orientales. Cette boisson, arrivée en Europe vers 1600, sera introduite par les marchands vénitiens. Dès 1615, on buvait déjà du café de manière régulière à Venise, où sera fondé en 1720 le Café Florian, le plus ancien d'Italie toujours en fonctionnement. On conseillera bientôt au pape Clément VII d'interdire ce breuvage en provenance d'Egypte, car il représentait soi-disant une menace d'infidèles. Après l'avoir goûté, le souverain pontife baptisera la nouvelle boisson, et le café d'être bien vite prisé par les moines car il permettait de demeurer plus longtemps éveillé. Les négociants hollandais et anglais avaient aussi, de leur côté, pris goût au café lors de leurs périples orientaux et le feront connaître dans leurs pays. On commence à l'importer en Angleterre, dans les années 1650, et des cafés ouvrent à Londres et à Oxford, cafés devenant des lieux d'échanges et d'idées bientôt conquis par philosophes et lettrés, mais également les réceptacles de pamphlets au point que le roi exigera leur fermeture en 1676 suite à l'agitation naissante, mais la protestation populaire sera si vive que les 2000 cafés anglais (en 1700) seront bientôt rouverts. Dès 1644, l'aventurier et poète vénitien, Pietro della Valle, avait apporté quelques balles de café à Marseille. D'autres marchands de cette ville importèrent aussi le breuvage au milieu du XVII ème siècle et un groupe de marchands et de pharmaciens s'organisera alors pour faire venir du café d'Egypte. Et le premier café marseillais d'ouvrir en 1671. Deux ans plus tôt, en 1669, l'arrivée de Soliman Aga Mustapha Raca, émissaire de Mehmet IV, auprès de Louis XIV, était venu en France afin de lancer la mode de cette nouvelle boisson exotique à Paris. Notre visiteur avait fait goûter le café dans son appartement parisien, au point de piquer la curiosité des grandes dames. Le premier café ouvrira à Paris (près du Pont Neuf) en 1672 et sera fondé par un Arménien du nom de Pascal. Le Procope suivra en 1686, et on y inventera une nouvelle façon de préparer le fameux breuvage, en faisant couler de l'eau chaude sur le café moulu retenu par un filtre. Jusqu'à présent, le café consistait simplement en une décoction de graines de café torréfiées. Ce même établissement sera aussi le premier établissement du genre à accepter les femmes. On servait alors le précieux breuvage, sucré à convenance, dans des pièces de porcelaine chinoise et d'orfèvrerie.

Le café deviendra une boisson très prisée durant le Siècle des Lumières. Voltaire en consommera jusqu'à douze tasses quotidiennement et collectionnera même les cafetières. A la veille de la Révolution française, Paris comptera déjà 2000 cafés. Amateur de la boisson exotique, le roi Louis XV rendra le café très en vogue à la Cour, faisant cultiver des caféiers dans le jardin expérimental du Trianon qui arrivait tant bien que mal à produire chaque année quelques livres de café. Le roi prenait alors plaisir à torréfier lui-même sa récolte avant de se préparer seul sa propre tasse de café. Il jetait alors la poudre de café dans l'eau bouillante.

 

D'origine chinoise, le thé, lui, est connu depuis l'Antiquité. Et fut importé de Chine au XVI ème siècle par des commerçants portugais en Europe, avant d'être introduit en France en tant que plante digestive, par les Jésuites. C'est désormais la boisson le plus bue au monde, après l'eau , et on la consomme sous différentes formes selon les pays : additionnée de lait et de sucre au Royaume-Uni, longuement bouillie avec des épices en Mongolie, bouillie avec épices et lait en Inde, préparée dans de petites théières en Chine, ou battue comme au Japon. Ce thé, préparé sous la forme d'infusion, ne rencontrera toutefois pas le même succès que les deux boissons précédentes, et n'entrera véritablement dans les pratiques européennes qu'en suivant le développement de la route maritime des Indes, sous l'impulsion des Anglais. Avec un commerce contrôlé par ses ennemis, la France ne manifestera qu'un intérêt limité pour cette boisson, lourdement taxée et très couteuse. Il faudra attendre la seconde moitié du XVII ème siècle pour constater un succès dans les élites aristocratiques, grâce à l'adoption progressive de codes vestimentaires, gustatifs ou décoratifs venus d'Angleterre. Revenons maintenant sur l'introduction du thé en Europe : après la découverte de la route des Indes par Vasco de Gama en 1498, les Portugais poursuivront leurs explorations maritimes en direction de la Chine et du Japon. Et c'est depuis ce dernier pays qu'ils importeront cette plante, dès 1543, mais seront vite doublés par les Hollandais. En 1653, les premières caisses de thé parviendront en Angleterre où quelques rares apothicaires le proposeront à des fins médicinales. Il faudra attendre 1662 pour que le roi d'Angleterre Charles II et la princesse portugaise Catherine de Bragance popularisent cette boisson. Ce même thé, qui deviendra l'objet d'une lutte acharnée entre Anglais et Hollandais, durant les XVII et XVIII ème siècles. Et la pratique du afternoon tea de ne se répandre dans toutes les couches de la population britannique qu'au XIX ème siècle, sous le nom de Five o'clock tea, ou sous la forme de réceptions plus formelles appelées « thés » dans la bonne société continentale, aussi bien en France qu'en Allemagne, ou qu'en Russie impériale.

 

L'exposition me conduit tout d'abord à découvrir les vertus médicinales de ces boissons exotiques. Alicaments pour les uns, générateurs de maux pour d'autres, les variations d'attitude de la Marquise de Sévigné et de la Princesse Palatine, tantôt amatrices, tantôt détractrices du café et du chocolat, illustreront les nombreux débats qui naitront sur l'intérêt de consommer ces breuvages, à cause des qualités thérapeutiques, nutritives et stimulantes associées aux dangers moraux voire physiques que ces dernières pouvaient engendrer. Et c'est Nicolas de Blégny et la publication du traité évoqué plus haut qui aidera vraiment à la reconnaissance des vertus digestives et anticéphaliques de ces boissons. Le thé sera alors perçu comme salutaire, pour prévenir les maux de tête et de ventre, et pour soigner les excès. Quant au café, il sera réputé efficace pour lutter contre le sommeil et les fièvres, favoriser la digestion, et pour la mémorisation et la prise de décision. Le cacao, lui, suscitera les prises de position les plus vives. Et fera l'objet, dès le début du XVII ème siècle, d'un débat religieux sur l'intérêt de le consommer (ou pas) durant les périodes de jeûne. Connu pour favoriser la prise de poids, il sera déconseillé aux sédentaires urbains, mais sa consommation sera fortement encouragée auprès des enfants, des malades et des vieillards.

Parallèlement, les livres de cuisine constitueront un genre écrit à part entière qui connaitra un véritable âge d'or au XVII ème siècle. En effet, dès les années 1700, cuisiniers, limonadiers et pâtissiers prendront la plume afin de livrer leurs secrets de fabrication, contribuant de manière détaillée à faire naitre ce qu'on appellera la nouvelle cuisine française : on allègera les épices,, on développera jus et coulis, on recourra plus souvent aux crèmes, et on utilisera plus largement le sucre désormais plus accessible grâce aux produits importés des plantations, permettant ainsi la réalisation d'entremets souvent accompagnés des nouvelles boissons exotiques.


 

Me voici maintenant dans la salle consacrée aux cercles de consommation de ces boissons. Thé, café et chocolat, déjà connus des apothicaires et des voyageurs, devront également leur développement en France au succès qu'ils rencontreront à la Cour, puis, parmi les cercles de sociabilités de Paris. Les boissons contribueront ainsi à créer de nouvelles habitudes de table et de nouveaux usages de consommation, au fil du temps, car il faudra apprendre à les accommoder, à différencier les techniques de préparation, et à expliquer la manière de les servir et de les boire tout en créant une vaisselle adaptée à leur dégustation. L'apprentissage sera plus ou moins long, tout particulièrement en ce qui concerne le café et le chocolat (qui se faisait en deux temps). Si le choix du thé n'est pas encore chose courante pour l'Occidental au cours de la fin du XVII ème siècle, la préparation des grains de café sera complexe puisqu'elle nécessitera deux étapes, la torréfaction puis la transformation des grains en poudre. Quant au chocolat, il sera d'abord une pâte qu'il suffira de râper ou de mettre en morceaux dans une eau en ébullition, dans une chocolatière ou dans une cafetière. L'habitude de mousser le breuvage avec un moulinet nous viendra des Indiens d'Amérique du sud, avant que cette pratique ne s'impose en Europe et ne devienne, notamment en France, un rituel incontournable dans la préparation et le service du chocolat chaud. Le XVIII ème verra l'apparition des tasses dédiées à chacune des trois boissons. Le café sera ainsi servi sur des soucoupes de cristal, de porcelaine ou de faïence de Hollande, ainsi que sur des porte-chiques aussi appelés cabarets à café, sortes de plateaux à bords relevés. Le thé sera quant à lui servi dans des tasses, des gobelets d'argent ou des chiques de porcelaine ou de faïence. Pour le chocolat, on utilisera la tasse.

Ces trois boissons prendront place à tous les repas de la haute société, dès leur arrivée à la Cour royale, quelques décennies après leur introduction. Quatre repas scanderont alors la journée : le déjeuner, le dîner, le goûter et le souper. Trois moments seront cependant privilégiés, avec le déjeuner (collation prise au réveil) où l'on servira surtout le café, puis le goûter et enfin le souper.

La fréquentation des maisons de cafés et les rencontres entre proches dans les salons seront autant d'occasions pour consommer le chocolat et le thé mais surtout le café, boisson stimulante et très prisée des philosophes, des politiques révolutionnaires et du peuple. Ces boissons, alors utilisées comme argument publicitaires pour la santé, feront l'objet d'un véritable combat de corporations. Le monopole de leur distribution et de leur transformation sera en effet vivement disputé par les limonadiers, les épiciers, puis, plus tardivement, par les restaurateurs.

 

Dernière partie de l'exposition, les nouveaux services constitueront les témoins directs des changements de modes et de goûts. Eclatante manifestation de l'art de vivre au XVIII ème siècle, la consommation de ces boissons chaudes connaitra un développement qui ira de pair avec celui des manufactures de porcelaine. La manufacture chinoise deviendra ainsi une actrice incontournable dans les circuits de production organisés, via la Compagnie des Indes orientales, et livrera de nombreuses commandes en Occident. A leur tour, les manufactures européennes se mettront bientôt à produire leurs propres modèles, d'abord fortement influencées par leurs prédécesseurs orientaux. Puis, les innovations techniques autoriseront peu à peu la mise au point d'une palette plus étendue de fonds colorés et l'apparition de nouveaux motifs plus audacieux. Au XVIII ème siècle, la réputation de Sèvres dépassera largement les frontières du royaume de France. On admirera les productions de sa manufacture, productions souvent imitées ou devenant même des objets de collection. Ainsi, la manufacture de Sèvres lancera t-elle en 1758, une exposition-vente à Versailles dans les propres appartements du roi, événement qui attirera alors les amateurs les plus assidus. A l'image de ces boissons et des pratiques sociales qui leur seront associées, les productions de céramiques, à l'origine empreintes d'influences étrangères, adapteront progressivement des critères plus spécifiquement français. Et notre pays de devenir un modèle pour le reste du monde.

 

INFOS PRATIQUES :


  • Exposition » Thé, Café ou Chocolat ? », au Musée Cognacq-Jay, 8 rue Elzévir, à Paris (3ème). Tél : 01 40 27 07 21. Métro : Saint-Paul, Chemin Vert. Accès H. Ouverte du mardi au dimanche, de 10h00 à 18h00. Entrée : 7 €. Application gratuite dédiée à l'exposition disponible sur Playstore et Applestore. Site internet : http://www.museecognacqjay.paris.fr

  • Catalogue de l'exposition, réalisée sous la direction de Rose-Marie Mousseaux et disponible à la vente au prix de 29 € (176 pages) au musée.

  • Autour de l'exposition, des ateliers »Peintre sur porcelaine » pour enfants sont organisés les 10, 17 et 24 juin, et le 16 septembre à 14h30. Egalement pendant les vacances d'été, à la même heure, les 7, 21 et 28 juillet. Durée : 2 heures. Cout : 7 € (sur réservation uniquement).

  • Mes remerciements à Pierre-Laporte Communications pour sa précieuse aide !

 











 



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