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La Maison de Junichiro Tanizaki, la Maison du Gouverneur et le Parc Sorakuen
(Kobé, Préfecture de Hyogo, Japon)
Heure locale


Samedi 22 août 2015

 

De nouveau à Osaka, je m'échappe de la capitale du Kansaï pour filer sur Kobé où je dois retrouver Minoru, un client récemment rencontré à bord d'un de mes vols mais aussi un habitant de cette belle ville que j'ai déjà eu l'occasion de visiter. Minoru me propose aujourd'hui de nous rendre à deux endroits : nous partirons d'abord à la découverte de la maison natale de Junichiro Tanizaki, puis visiterons la maison du gouverneur, avant de partir à la découverte du magnifique parc Sorakuen.

Junichiro Tanizaki fut un écrivain japonais tokyoite, qui laissa derrière lui une œuvre d'une extraordinaire sensibilité aux passions propres à la nature humaine, montrant ainsi une curiosité illimitée pour les styles et les expressions littéraires. Originaire d'une riche famille de marchands d'un vieux quartier de Tokyo, Junichiro naquit le 24 juillet 1886. Son grand-père était grossiste en saké et Junichiro passera les premières années de sa vie confortablement entouré de sa mère et de sa vieille nourrice, tandis que son père se révèlera être un homme faible et en décalage avec son temps. La vie des Tanizaki était alors rythmée par les multiples activités populaires comme les fêtes de quartier et le spectacle de kabuki, premières impressions de l'existence qui resteront profondément gravées dans l'esprit de ce futur écrivain (que rien ne prédestinait à cette carrière puisqu'on le formait déjà à prendre la suite du commerce familial). Le fameux grand-père, Kyuemon Tanizaki décèdera en 1888 et la famille connaitra le déclin : celle-ci devra bientôt déménager dans une autre maison plus petite. Et Junichiro Tanizaki n'aura d'autre solution que de partir vivre dans une riche famille afin de donner des leçons particulières à de jeunes enfants et de poursuivre ainsi son éducation. Il sera bientôt fichu dehors à la découverte d'une liaison contractée avec l'une des jeunes filles de cette même famille. C'est alors que notre adolescent ambitieux se passionne pour la littérature et fait la rencontre d'Inaba Seikichi, enseignant féru de belles lettres chinoises et japonaises et de pensée bouddhique. Cet homme deviendra son guide jusqu'à ce que notre jeune écrivain se découvre un premier intérêt pour le genre du reportage, projetant alors de travailler comme journaliste en 1910. Mais c'est à la création littéraire que Junichiro accordera ses faveurs, à travers l'écriture de courts récits romanesques, de dialogues de pièces de théâtre, d'essais et de poèmes traditionnels, en japonais ou en chinois classique. Sa gourmandise linguistique sera alors frappante, tout comme sa curiosité des différents genres et styles.

 

Considéré comme un écrivain de génie, Junichiro Tanizaki voit s'ouvrir de nouvelles perspectives dans les années 1912-1913, lorsque deux grands quotidiens lui proposent de publier ses romans Atsumono et Konjiki no shi, en feuilletons. Notre jeune auteur travaille alors avec acharnement afin de maintenir sa place. Il se veut un artiste libre, sans contraintes familiales ou sociales, ne possède pas de domicile fixe et vit dans un monde de plaisirs, uniquement guidé par ses pulsions intérieures.Prolifique, il publiera ainsi dix-huit ouvrages en...deux ans et demi et fera paraître cinq recueils de ses œuvres. Mais ce rythme l'épuise bientôt. Son monde tourne alors autour de la séduction mais aussi de la mort et des vices qui apparaitront comme des éléments de la nature humaine, dans l'oeuvre du jeune écrivain. En 1915, Junichiro épouse une geisha âgée de 19 ans, Chiyo Ishikawa. De ce mariage naitra la petite Ayuko, un an plus tard. Mais la vie de famille bien rangée ne conviendra pas à Junichiro. Celui-ci produit à cette époque un nombre très important d'ouvrages de tonalités variées, élargissant ses champs d'activités au roman, à l'essai, au théâtre puis au cinéma et puisant son inspiration dans les contradictions entre son idéal artistique et les contraintes extérieures. Les personnages de Junichiro Tanizaki multiplient ainsi les meurtres sans scrupules, et sans remords. On y lit dans ses ouvrages la perfidie, l'infidélité, la trahison et la félonie, tandis que les formes traditionnelles du kabuki servent de paravent à des personnages, pures incarnations de valeurs immorales qui ont toujours le dernier mot.

Le 1er septembre 1923, Junichiro échappe de peu à la mort suite au séisme majeur qui détruit la région de Tokyo. C'est le tremblement de terre de Kanto. Et de partir pour l'ouest du Japon, du côté d'Osaka et de Kobé, régions avec les coutumes desquelles notre écrivain se familiarisera au point de les retranscrire largement dans ses œuvres. En 1931, son second mariage avec une jeune journaliste de 24 ans lui sera plus bénéfique, et Junichiro d'exprimer dans un essai sa satisfaction psychologique et physique que cette union lui procure. Plusieurs chefs-d'oeuvre confirment alors la plénitude de l'écrivain : Yoshino kuzu (1931), Momoko monogatari (1931) et Bushukoiwa (1932). Le narrateur joue alors un rôle prépondérant dans les récits de Tanizaki, tissant son histoire à l'aide de plusieurs sources, des photographies, des témoignages parfois historiques, ou parfois même fabriqués par l'auteur. L'inspiratrice de ses œuvres ne sera pas sa jeune épouse dont il divorcera en 1934 pour épouser sa muse, Matsuko Nezu. Cette vie tumultueuse, loin de freiner la création littéraire de l'écrivain, la stimule bien au contraire, en impressionnant toujours davantage ses lecteurs comme dans Ashikari (1932), Shunkinsho (1933) ou Eloge de l'ombre (1933). La publication de Neko to Shozo to futari no onna (Le Chat, son maitre et ses deux maitresses) en 1936, récit plein d'humour et de cocasserie ne démentira pas ce succès.

Infatigable, Junichiro Tanizaki se lance, à 57 ans, dans la traduction en japonais de Genji monogatari (Le Dit du Genji) qui évoque les nombreux aspects de la vie amoureuse. Cette publication devra affronter une féroce censure en 1939-1941 alors que la montée du nationalisme porte au devant de la scène ouvrages héroïques et patriotiques. Sasameyuki, son plus long ouvrage sera ainsi interdit de publication en juillet 1944. Ca ne sera qu'un mauvais moment à passer car l'après-guerre permettra à la littérature japonaise de retrouver toute sa vitalité, avec, entre autres, l'apparition d'une nouvelle génération d'écrivains marqués par le conflit. Et Tanizaki de remettre le couvert en 1956 avec Kagi (La Clef), en 1956, pour évoquer sans détours le problème du désir sexuel chez un couple. On décèle alors chez les personnages des manœuvres psychologiques machiavéliques, au point d'offusquer le public. A partir de 1960, la santé de l'écrivain se détériore et le désir de Junishiro est bientôt de se délivrer de cette souffrance physique qui le mine. L'auteur est alors obsédé par la mort, mort qui constitue désormais le thème principal de l'oeuvre tragicomique Journal d'un vieux fou (1961). Un musée mémorial Junichiro Tanizaki est consacré à l'écrivain, depuis 1988, à Ashiya (Préfecture de Hyogo). Il recueille et présente des documents sur l'écrivain japonais et informe de son œuvre littéraire.

 

Juste avant d'atteindre le parc Sorakuen, nous faisons une halte devant une construction de style Renaissance française qui fut dessinée par l'architecte japonais Hanroku Yamaguchi : la maison du gouverneur de Hyogo. La bâtisse est merveilleusement conservée bien qu'elle ait souffert d'incendies durant la seconde guerre mondiale, et reste le témoin de l'histoire de la préfecture de Hyogo depuis plus d'un siècle. L'endroit fut rénové en 1985 et donna lieu au rajout de nouvelles salles de réception (ci-dessous) et d'une galerie des archives. Ces salles sont réservées aux hôtes de marque de la préfecture de Hyogo, du Japon, ou de l'étranger. Cérémonies et conférences ont également lieu dans cet endroit comme lors du grand séisme de Kobé de 1995 où plusieurs réunions de coordination des secours aux populations se tinrent dans la plus grande salle de réunion (deuxième photo ci-dessous). Quant à la galerie d'archives, elle rassemble des documents historiques consacrés à la région de Hyogo. Dans le cadre du 100è anniversaire de cette demeure, la ville de Kobé mit en œuvre l'illumination du site, ce qui accroit encore un peu plus l'intérêt d'une visite nocturne.


 

Minoru et moi nous rendons maintenant au parc Sorakuen. Ce magnifique jardin, désormais propriété de la ville de Kobé est le jardin de la demeure principale de Taijiro Kodera, l'ancêtre de Kenkichi Kodera, ancien maire de Kobé, demeure dont la construction commença vers 1855 pour se terminer à la fin de l'ère Meiji. Après 1941, l'endroit devint propriété de la ville et son nom, Sorakuen, fut emprunté à une phrase de l'ancien livre chinois Yi Jing, qui signifie le plaisir de se sentir bien ensemble. Le jardin fut alors ouvert au public, avant d'être inscrit comme site pittoresque au patrimoine commémoratif national, le 26 janvier 2006. D'une surface de près de 20000 m2, ce jardin japonais offre un chemin de promenade circulaire autour d'un étang central (de style Chisenkaiyu), parsemé de pierres et de ponts. Avec ses rivières et ses cascades, il évoque une vallée profonde au fond d'une montagne. Cycas, mais également immenses camphriers de 500 ans d'âge, azalées du printemps et érables rougeoyants une fois l'automne venu contribuent à la beauté du site. Nous commençons notre visite par la lourde porte d'entrée (ci-dessous) qui correspond à la porte d'origine de la résidence Kodera. Celle-ci fut entièrement construite en orme. A noter que ses tuiles portent les armoiries de la famille, armoiries évoquant un ermitage en bois avec un nid d'oiseau posé à même le sol. Alors que nous nous engageons sur le chemin, nous découvrons, sur notre droite, le jardin Sosetsu (deuxième photo) agrémenté de cycas. Ceux qui se trouvent à côté de la réception sont des arbres séculaires âgés d'environ 300 ans et furent importés de la région de Kagoshima. Les îlots formés par ces arbres surnommèrent jadis la demeure Kodera du nom de Domaine aux cycas, ou Sotetsuen. Les souches femelles de ces arbres donnent quant à elles des fruits vermillon. A gauche, se dressent de grands camphriers qui furent plantés en 1567 (en l'an 10 de l'ère Eiroku) par Murashige Araki au Château de Hanakuma afin de se prémunir des malheurs et des calamités. Leur camphre et leur longévité sont célèbres. Juste à proximité, nous observons aussi des pins blancs du Japon, appelés ainsi à cause de leur écorce blanche. Ces arbres sont originaires de la Chine et on leur attribue une signification divine. Leurs feuilles sont composées de trois branches dont la longueur varie de cinq à dix centimètres. Bientôt, apparaissent les anciennes écuries de la famille Kodera (troisième photo). C'est Kenkichi Kodera qui chargea jadis Koso Kawai d'en établir les plans. Les écuries actuelles sont le résultat de la construction achevée en 1910. Cet ensemble richement orné est classé bien culturel et offre à notre regard ses coupoles, ses toits en pente, ses lucarnes et ses nombreux pignons. Le rez-de-chaussée offre une aire spacieuse sur son côté nord. On y trouve le garage pour la voiture à cheval. Le premier étage abrite quant à lui le logement du personnel d'écurie. Sur le flanc est du bâtiment, on aperçoit l'écurie même avec son haut plafond et sa cage d'escalier.


 

Autre bien culturel classé depuis le 7 juin 1961, l'ancienne demeure Hassam (ci-dessous) : Hassam était un commerçant anglais qui fit construire cette demeure vers 1902 pour vivre dans le quartier de Kitano, quartier alors réservé aux étrangers. Il s'agit d'une construction à deux étages avec un toit à quatre pans associant les styles oriental et occidental. Cette maison fut offerte à la ville de Kobé, en 1961, avant d'être rebâtie sur son emplacement actuel deux ans plus tard. Les deux becs de gaz se trouvant dans le jardin de devant servirent autrefois de réverbères pour le quartier des étrangers, dans les années 1874. La présence de tels objets était alors rarissime au Japon. Dans ce même jardin, on peut enfin apercevoir les restes de la cheminée de la résidence. Celle-ci tomba du toit lors du séisme de Hanshinawaji, en 1995.

Une réserve d'eau a été transformée en un étang qui a la forme d'une gourde. L'eau jaillissant de la montagne se transforme immédiatement en rivière et se jette dans ce plan d'eau qui fait alors figure de mer miniature. Plus loin, le bateau de plaisance, appelé Funayakata (deuxième photo) est un autre bien culturel classé. Le bateau Kawagosabune (dont on transporta depuis la partie habitable sur la terre ferme) était utilisé à l'époque Edo par le seigneur du fief de Himeji comme bateau de plaisance pour effectuer les croisières sur les rivières. On pense qu'il a été construit en 1682 et 1704, avant d'être reconstitué en 1980 sur son site actuel. Il s'agit là d'une construction en bois à deux étages, soutenue par un toit à pignons et des solives en cyprès du Japon. Chaque niveau est divisé en trois pièces qui forment une suite portant les noms de Shogi no ma (avant du bateau), jodan no ma (milieu) et tsugi no ma (arrière). Les boiseries extérieures et intérieures sont peintes avec de la laque de Shunkei ou à l'aide de laque noire, tandis que les extrémités des chevrons et des solives sont recouvertes de feuilles d'or, conférant à l'ensemble un style décoratif très raffiné et délicat. Notons que ce bateau de plaisance destiné à la rivière est le seul de ce type dans tout le Japon.


 

Le pavillon de thé (Kanshintei), en photo ci-dessous, tout comme le pavillon de thé Yushintei, furent détruits pendant la guerre. Seul le premier pavillon fut reconstruit. Minoru et moi admirons au passage les 27 lanternes que compte le jardin Sorakuen : celles-ci sont de style Kasuga (hexagonale), Yumiki et Yama. Une unique lanterne de forme carrée évoque un dé, juste pour le plaisir des yeux. Quant aux bassins, ils représentent la purification du corps. Les pierres bleues de Iyo, mais aussi celles de Tamba, de Mikage et de Kurama émaillent le site et lui donnent une touche colorée et fort agréable. Les chemins sont, quant à eux, agrémentés de dallages et de grands ponts faits de pierres naturelles. On trouve même une grotte formée par un assemblage de rochers à l'intérieur du jardin. Avant de clore cette visite, revenons sur les azalées et les chrysanthèmes : les premières sont disposées en cercle et fleurissent au printemps. Les secondes donnent lieu au salon des chrysanthèmes de Kobé, qui se tient chaque année du 20 octobre au 23 novembre. Qu'on se le dise !


 

INFOS PRATIQUES :


  • Maison de Junichiro Tanizaki, 1-6-50 Sumiyoshi Higashi-cho, Higashi ada-ku, à Kobé. Tél : 078 842 0730. Entrée gratuite. Visite libre uniquement les samedi et dimanche, de 10h à 16h. Visite guidée organisée, une fois par mois, par Mme Tazumi (contact : http://dna-office.com/isyouan/) joignable par téléphone au 072 754 2116. Gare la plus proche : Uosaki (ligne Hanshin)

  • Musée mémorial Junichiro Tanizaki, à Ashiya : http://www.tanizakikan.com/

  • Parc Sorakuen, Nakayamade-dori, Chuo-ku, à Kobé. Tèl : 078 351 5155. Ouvert de 9h00 à 17h00, tous les jours, sauf le jeudi (fermeture hebdomadaire). Entrée adulte : 300 yens. Pour vous y rendre en métro, descendre à la station Kencho Mae, puis marcher durant cinq minutes vers le nord. Train JR ou Hanshin : descendre à la gare Motomachi, puis marcher pendant dix minutes vers le nord-ouest.

  • Maison du gouverneur de la Préfecture de Hyogo, 4-4-1 Shimoyamate-dori, Chuo-ku, à Kobé. Tél : 078 341 7711. Jardin ouvert tous les jours de 9h à 19h (18h d'octobre à mars). La maison peut être visitée du lundi au samedi de 9h00 à 17h00 (de 10h à 16h le samedi) et les salles de réception réservées aux invités de marque uniquement le samedi de 10h à 16h. Entrée gratuite. Site internet : http://web.pref.hyogo.lg.jp/fl/french/index.html










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