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Exposition "L'Inca et le Conquistador"
(Musée du Quai Branly, Paris, France)
Heure locale


Lundi 24 août 2015

 

Profitons de cette période estivale pour nous rendre au Musée du Quai Branly afin de découvrir l'exposition « L'Inca et le Conquistador ». Il y a cinq siècles, les premiers conquérants espagnols débarquaient en territoire inca. Nous sommes alors en 1531 et deux protagonistes, le conquistador Francisco Pizarro et le souverain inca Atahualpa, vont jouer un rôle central, au point d'être perçus comme des figures fondatrices de cette nation péruvienne qui se construit encore aujourd'hui sur les bases des legs indigène et espagnol. Ce chapitre historique est celui d'un choc entre deux mondes : la collision de deux empires en expansion sur le point de vivre une profonde révolution politique, économique, culturelle et religieuse. Des échanges verbaux et symboliques seront pourtant mis en place, tant par les Espagnols que par les Incas, mais déboucheront sur un dialogue stérile dont on retrouve les éléments dans les chroniques de la conquête. C'est à cette conquête que s'intéresse l’exposition en offrant aux visiteurs différents récits narrés en alternance des points de vue espagnol et inca, selon une trame historique ou romancée, mais toujours respectueuse des sources historiques. Notre parcours réunit ainsi près de 120 œuvres historiques et nous emmène à la découverte de la conquête du Pérou à travers l'épopée du souverain inca Atahualpa et du conquistador Francisco Pizarro.


 

Le point de départ se situe en 1492, avec la fin de la Reconquête de la péninsule ibérique. Les Maures sont alors définitivement expulsés par Ferdinand II et Isabelle de Castille, tandis que Christophe Colomb atteint la même année les Bahamas. Il est parti à la recherche d'un passage vers les Indes mais découvre finalement les Amériques. Ces deux évènements simultanés permettront l'expansion de la puissance espagnol dans le monde. Deux ans plus tard est signé le Traité de Tordesillas par lequel le Portugal et la Castille se répartissent respectivement l'Afrique, l'Asie et les futures découvertes dans le Nouveau Monde. Charles Quint est couronné roi d'Espagne en 1513, puis sacré empereur germanique six ans plus tard. Onze ans plus tôt, Francisco Pizarro partait pour les Amériques et vivait depuis au rythme de ses exploits. Les récits historiques de la conquête du Pérou furent forcément écrits par les Espagnols, en castillan et expriment le point de vue européen. Il y a d'abord des témoins oculaires de la rencontre entre l'Inca et le Conquistador, en 1532, date du basculement. Il y a ensuite d'autres personnes qui ont plus tard glané des informations auprès des seigneurs péruviens, puis enfin, des documents juridiques qui laissent filtrer des indications qui aident à mieux cerner la vision andine de cette Conquête.


 

Lorsque les Européens débarquèrent pour la première fois au Pérou, ils découvrirent le monde inca qui dominait alors un vaste territoire allant du centre du Chili au sud de la Colombie. Les hommes de Francisco Pizarro sont, pour le peuple inca, d'un genre nouveau, et vont contrarier la conquête andine de nouveaux territoires sur la côte équatorienne. Très vite, la maladie décime les Incas, comme le souverain inca Huayna Capac qui succombera à la variole. Deux frères héritiers, Huascar et Atahualpa, se disputent bientôt le trône dans un contexte de crise politique et de répression militaire. Ces deux empires (l'Espagne et l'Empire inca) entreront en collision, mais dans deuxième temps. Pour l'heure, on s'émerveille, on observe et on échange avec l'autre, non sans méfiance et sans la crainte de cet inconnu qu'on a en face de soi.

C'est que l'Empire inca se compose d'une mosaïque ethnique et linguistique très riche, s'étalant sur un espace géographique de près de 4000 kilomètres de long. Cuzco, sa capitale, rassemble les temples et les palais des rois défunts avec leurs corps momifiés. Et se définit comme le centre religieux et politique de l'Empire, centre du pouvoir du Sapa inca et de la mémoire de ses prédécesseurs. Le souverain inca est alors un médiateur entre les mondes sacré et profane. Il est également chef d'Etat et acteur principal dans toutes les cérémonies publiques touchant à l'agriculture et au culte du Soleil. Il régule et incarne les relations entre Cuzco et les divers groupes ethniques andins, avec, pour base, la réciprocité et la redistribution des richesses entre la capitale et les populations soumises. Né à Cuzco vers 1500, Atahualpa (en photo ci-dessous) est l'un des nombreux fils de l'empereur Huayna Capac. Sa mère, une des épouses secondaires du roi, est par contre issue des régions septentrionales de l'Empire. Atahualpa sera très vite initié au huarachico, un rite de passage qui transforme l'enfant pubère en guerrier. Il part tout jeune combattre aux côtés de son père dans les provinces du Nord (l'Equateur), région dans laquelle il établira plus tard les bases de son pouvoir. Et les nerfs du futur souverain seront vite mis à rude épreuve, lorsque son père exigera que son fils retourne châtier des insurgés de manière exemplaire lors de la rébellion des Pastos. A partir de 1527, les jours de Huayna Capac seront comptés car il a contracté la variole. Il décédera à Quito, tout comme l'héritier qu'il avait nommé. Son fils, Atahualpa, s'acquitte alors des rites funéraires, puis récupère les femmes de son défunt père, ce qui est une prérogative de prince héritier. Huascar, qui séjourne à Cuzco et a été entre temps intronisé Sapa inca, demande à Atahualpa de comparaitre devant lui. Atahualpa refuse, et Huascar, d'ouvrir les hostilités contre son frère en 1530, hostilités dont Atahualpa sortira victorieux. Une fois intronisé, notre jeune souverain, aidé du général de ses armées, anéantira les troupes de son frère Huascar, fort d'une armée de 30 000 hommes. En 1532, Huascar est capturé aux abords de la capitale inca et Atahualpa fait massacrer tous les fils de Huayna Capac en âge de manier les armes afin d'éliminer une fois pour toutes d'éventuels prétendants au trône. Certains princes parviendront toutefois à s'échapper..

 

Francisco Pizarro( ci-dessous), lui, nait vers 1478 à Trujillo (Estrémadure, Espagne), de père de moyenne noblesse et de mère paysanne, mais hors mariage. Dans une société espagnole où naissance et appartenance à des réseaux claniques sont essentiels pour la réussite, notre homme ne pourra compter que sur sa ténacité et son ambition pour tracer son avenir. Jeune, Pizarro se rend à Séville, puis, en Italie où il est enrôlé comme soldat. Il embarque pour l'Amérique en février 1502 et se retrouve, vingt ans plus tard, à la tête de sa première expédition pour le Pérou. Il va ainsi, avec seulement 168 hommes, se rendre maitre d'un Empire inca très peuplé et bien administré. Beau parcours pour cet homme qui, entre temps, a débarqué sur l'île d'Hispaniola (en 1502) avant de rejoindre l'expédition de Vasco Nunez de Balboa (en 1513) comme second, puis de devenir le lieutenant du gouverneur Pedrarias Davila à Panama (fondée en 1519) et de s'allier avec le conquistador Diego de Almagro et à un riche prêtre, Hernando de Luque, pour partir à la découverte du royaume péruvien. Deux premières expéditions auront lieu de 1524 à 1528 et connaitront bien des difficultés. L'un des épisodes les plus célèbres de cette épopée mettra à l'épreuve les hommes de Pizarro. Alors qu'il avait atteint l'île del Gallo, dans la baie de Tumaco, celui-ci tracera un jour une ligne est-ouest sur le sol, expliquant à ses hommes que ceux qui resteront au nord rentreront pauvres et honteux à Panama, tandis que ceux qui franchiront la ligne avec lui vers le sud pourront espérer les plus grands succès.Treize hommes décident alors de le suivre, comme sur cette toile représentant les Treize de l'île de Gallo (deuxième photo ci-dessous). A force de persévérance, Pizarro et ses hommes atteindront l'extrême nord de la côte péruvienne, à Tumbes. Port de commerce et centre de production, Tumbes constitue un point vital de l'infrastructure impériale. L'expédition y est bien accueillie, même si le souverain inca est déjà informé des incursions de Pizarro sur les confins septentrionaux de ses terres. Cette expédition confirme bien la présence de ce Pérou qui faisait tant rêver, mais Pizarro ordonnera le retour à Panama en mars 1528. La conquête inca n'aura lieu qu'après que Pizarro ait obtenu l'aval de la Couronne d'Espagne, des espaces de pouvoir suffisants et des retombées économiques. Notre conquistador partira à Tolède pour rencontrer Charles Quint qui est déjà impressionné par les objets rapportés par Pizarro. Puis il se rend à Trujillo, sa ville natale, pour y recruter des hommes. Il repart ensuite pour Panama avec 185 hommes, et se relance à la conquête du Pérou le 20 janvier 1531. Cette expédition débarque alors en Equateur, puis poursuit son périple à pied, en luttant contre la résistance indienne. Pendant ce temps, plusieurs groupes côtiers incas se battent entre eux, révélant ainsi l'instabilité de l'empire. Le 15 août 1532, Pizarro fonde la ville de San Miguel, avant de repartir sur la côte pour partir à la rencontre d'Atahualpa qui a établi son camp à Cajamarca, dans les hautes terres andines. Durant les trois mois de leur avancée, les Espagnols recevront plusieurs ambassades du souverain inca, assorties de nourriture, de lamas, de femmes et de serviteurs, et de différents autres cadeaux. Ces biens sont alors réservés aux plus hauts dignitaires andins dans le cadre de rituels de réciprocité pratiqués par les Incas. C'est une façon, pour Atahualpa, de reconnaître Pizarro et son statut. Pour les Espagnols, ces Incas-là sont considérés comme des espions et sont déjà traités avec méfiance et peu d'égards.


 

Le 16 novembre 1532, Atahualpa, invité par Pizarro, se rend donc à Cajamarca avec une suite de plusieurs milliers de personnes. La marche est longue et volontairement lente, dans un souci de paix et de médiation. Les Espagnols se sont quant à eux postés à l'intérieur des maisons qui entourent la place de Cajamarca, prêts à donner l'assaut. Le cortège d'Atahualpa se dirige alors vers l'ushnu, une construction sacrée réservée aux Incas et aux prêtres, et depuis laquelle on reçoit les seigneurs. A ce moment-là, Pizarro est considéré comme tel, c'est à dire un curaca avec lequel on souhaite dialoguer. Deux versions des évènements s'opposent alors : la version espagnole affirme que c'est le prêtre dominicain Vicente de Valverde qui part à la rencontre d'Atahualpa et lui demande de se soumettre au roi d'Espagne et à la foi chrétienne. Exaspéré, Atahualpa aurait jeté à terre la Bible qui lui aurait été présentée. La version andine relate qu'Atahualpa offrit à boire aux Espagnols mais ceux-ci auraient refusé l'offrande, brisant ainsi le délicat équilibre. L'Inca, furieux, aurait alors menacé les Espagnols. Le jet de la Bible au sol est interprété comme un sacrilège. Pizarro agrippe Atahualpa par le bras et crie « Santiago ! », cri d'assaut des Espagnols. Atahualpa est aussitôt fait prisonnier et sa milice, massacrée. Cette rencontre de Cajamarca fut souvent présentée comme une audace incroyable de la part des conquistadores, mais fit l'objet d'un véritable choc pour les dignitaires incas, issus d'un monde différent et tétanisés. Atahualpa offrira bientôt aux Espagnols une immense rançon en échange de sa liberté. Huit mois seront nécessaires pour rassembler le butin, huit mois pendant lesquels Atahualpa sera gardé en captivité dans un palais de Cajamarca. Traité avec égard et autorisé à gouverner ses sujets, le souverain inca ordonnera alors l'exécution de son frère Huascar, alors aux mains d'un de ses généraux, et ce, afin d'éviter que les Espagnols ne s'accordent avec lui. Ayant préservé son statut d'homme-dieu auprès de son peuple, Atahualpa se révèle impassible froid et distant. Par contre, il adopte un tout autre comportement envers les Espagnols avec lesquels il se montrera convivial, fraternisant même avec Hernando Pizarro et Hernando de Soto en jouant avec eux aux échecs. Il offrira même à Francisco Pizarro sa propre sœur, la princesse Quispe Sisa.

La rançon doit consister en une pièce du palais remplie d'or, et deux autres, remplies d'argent. Mais le 12 avril 1533, Almagro débarque sur place avec une armée encore plus nombreuse que celle de Pizarro. Il compte, lui aussi, décrocher une part du butin et la tension monte : le partage de la rançon a lieu le 18 juin 1533, soit 4,5 tonnes d'or et 9 tonnes d'argent, réparties entre les 168 hommes de Pizarro. Les nouveaux venus d'Almagro, eux, se partageront 100 000 ducats. Les frères Pizarro, eux, touchent 11% du butin et cela passe mal auprès de certains. Une fois la rançon payée, Atahualpa devient un simple otage royal et les Espagnols sont divisés sur son avenir. On prétend que des milliers de soldats incas sont alors cachés dans les montagnes environnantes, et n'attendent qu'un signal pour délivrer leur souverain. Atahualpa nie ce fait et est mis aux fers. L'imminence d'une attaque inca est bientôt confirmée par deux indigènes et Atahualpa est condamné à mort pour trahison puis exécuté sur le champ. Or, Hernando de Soto, rentré plus tard d'une reconnaissance affirme qu'aucune armée inca n'était en vue. Les Espagnols ont été dupés. Et Pizarro d'assumer l'entière responsabilité de sa décision. L'exécution d'Atahualpa marquera le début de la conquête effective de l'Empire inca par les Espagnols et de la lutte armée contre leurs opposants. Pizarro nomme alors un nouveau souverain inca, Tupac Huallpa, frère de Huascar, dans l'espoir de se servir de l'organisation étatique inca pour instaurer l'ordre espagnol. Mais l'ampleur des richesses du Pérou attisera la cupidité des Espagnols qui feront preuve d'une débauche de cruauté et de violence jamais atteintes.


 

En août 1533, Pizarro et son armée quitte Cajamarca pour rallier Cuzco, à 1300 kilomètres de là. La marche est ponctuée de ralliements de populations jadis soumises par les Incas, mais à l'arrivée des Espagnols dans la ville de Jauja, Tupac Huallpa meurt et Manco Inca est alors désigné comme nouveau souverain. Après de violents affrontements dans les villes de Jauja, Vilcas et Vailcaconga, les Espagnols atteignent Cuzco le 14 novembre et font une entrée triomphale. L'acte officiel de la fondation de Cuzco par les Espagnols est signé en mars 1534, mais Pizarro doit maintenant poursuivre sa conquête péruvienne dans le reste du pays, avec, notamment, la fondation de villes comme celles de Jauja, Lima (en photo ci-dessus) et Trujillo. Il légifère également sur les encomiendas, les impôts, les nominations d'autorités, les nouvelles explorations ou la fondation des villes. En 1535, les tensions entre Pizarro, Soto et Almagro sont à leur comble. Un an plus tard, en mai 1536, profitant de la présence d'une partie des troupes espagnoles au Chili avec Almagro, et à Lima avec Pizarro, le souverain inca Manco Inca mobilise 100 000 soldats et attaque Cuzco qui n'est gardée que par quelques dizaines de soldats espagnols. D'autres assauts incas ont aussi lieu au Pérou, puis à Lima, avec plus ou moins de succès. Le retour d'Almagro à Cuzco, en février 1537, scellera la fin véritable de l'Empire inca. Manco Inca se réfugie alors dans la cordillère de Vilcabamba où il fonde un nouvel Etat inca condamné à l'autarcie. Côté espagnol, on assiste à une division entre Almagristes et Pizarristes. En 1537, un conflit armé nait entre conquistadors et Gonzalo et Hernando Pizarro sont faits prisonniers. Des négociations sont ouvertes entre les deux camps pour discuter des limites de leurs gouvernements et pour libérer les frères de Pizarro. Les troupes pizarristes affrontent bientôt celles des Almagristes et Almagro, l'ancien associé de Francisco Pizarro, est à son tour fait prisonnier, condamné à mort puis exécuté à Cuzco le 8 juillet 1538. La conquête du Pérou s'est transformée en un terrain de guerre civile entre clans espagnols rivaux. Durant plus de deux ans, Francisco Pizarro règne sans partage et les Almagristes sont réduits à la misère. Il a obtenu, en 1541, tous les statuts et le prestige dont il pouvait rêver. Il est désormais commandant et marquis de la Nouvelle-Castille, et garde, à 63 ans, son énergie légendaire. Mais des menaces pèsent sur sa vie depuis plusieurs mois : le 25 juin 1541, Pizarro est prévenu d'un projet d'assassinat des Almagristes et ne se rend pas le lendemain à l'église, demandant l'organisation de l'office à son domicile. Une dizaine de partisans d'Almagro (placée sous les ordres de son fils Diego) se présentent alors au palais du gouverneur, forcent l'entrée et tuent Pizarro à coups d'épée. Le conquérant du Pérou est tombé, huit années après l'exécution de son adversaire Atahualpa. Ses restes, ensevelis à Lima, demeurent les reliques de ce chapitre d'histoire.

 

INFOS PRATIQUES :


  • Exposition « L'Inca et le Conquistador », jusqu'au 20 septembre 2015, au Musée du Quai Branly, 37 Quai Branly à Paris (7è). Tél : 01 56 61 71 72. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 11h à 19h. Nocturne les jeudi, vendredi et samedi jusqu'à 21h. Entrée : 9€. Gratuité le premier dimanche du mois. Site internet : http://www.quaibranly.fr/

  • Catalogue L'Inca et le Conquistador, en vente sur place au prix de 35€. Un hors-série de Beaux-Arts Magazine est aussi consacré à cette exposition (9€).

  • Deux journées d'étude sont organisées les 4 et 5 septembre 2015 sur le thème des Mondes miniatures et Régénération de la vie, et l'Or des Incas.

  • Rencontre au salon de lecture Jacques Kerchache : La rencontre de Cajamarca: avatars et enjeux de la mémoire, le samedi 12 septembre 2015 à 17h.

  • Visites guidées de l'exposition accessibles aux personnes en situation de handicap moteur et auditif, tous les dimanches (sauf le premier dimanche du mois) à 14h30, et tous les samedis à la même heure.

  • Un grand merci à l'agence Alambret Communication pour sa précieuse aide. Site internet : http://alambret.com









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