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L'Ancienne Filature de Soie de Tomioka
(Préfecture de Gunma, Japon)
Heure locale


Mardi 26 janvier 2016

 

La Préfecture de Gunma (Japon) offre de merveilleuses choses à explorer dont une ancienne filature moderne de soie, désormais classée au Patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2014. C'est là que je vous emmène aujourd'hui.

Gunma est l'une des huit préfectures sans littoral, celle qui est située la plus au nord-est de la fameuse plaine de Kanto. Très montagneuse, elle offre des paysages à couper le souffle. Ses montagnes les plus élevées sont les monts Akagi, Myogi et Asama. Cette préfecture est également traversée par le fleuve Tone, la rivière Agatsuma et la rivière Karasu. Cela n'empêche pas le shinkansen de me conduire de Tokyo à Takasaki, en une heure seulement. De là, j'emprunterai un train omnibus (futsu) de la ligne privée Joshin, pour me rendre à la petite gare de Joshu-Tomioka, qui date en fait de 2014.


 

La filature de soie que je visite aujourd'hui fut construite en 1872 par le gouvernement de Meiji. Elle fut la première filature mécanique qui servit de modèle pour la modernisation du pays. Le Japon s'ouvrait alors au monde après l'époque Edo qui avait exercé une politique de repli sur soi. Et le pays de développer ses échanges commerciaux avec d'autres nations. Le plus important produit d'exportation était alors la soie, mais la demande explosant, une surcapacité de la production de la soie survint, bien souvent au mépris de la qualité. Le Japon qui en avait fait une spécialité devait relever le défi d'une production qualitative qui serait ensuite vendue à l'étranger. Le gouvernement Meiji décida donc de bâtir une usine modèle, équipée de machines à filer de type occidental, afin d'améliorer la qualité tout en augmentant la production et en formant des instructeurs techniques. En 1859, le port de Yokohama sera ainsi ouvert aux étrangers, tandis qu’une épidémie de pébrine touchera les vers à soie en Europe, créant une augmentation de la demande en fil et œufs de vers à soie japonais, et poussant les fabricants à se spécialiser dans l'exportation de ce produit. A l'époque, la soie était fabriquée manuellement, à la main et en position assise, mais ce mode de production traditionnel ne permettait pas de produire en grande quantité.


 

C'est un Français, Paul Brunat, qui fut à l'origine de la construction de cette filature. En 1870, il travaille justement pour une maison de commerce basée à Yokohama. A la demande de l'empereur, il inspectera les régions de Musachi, Kozuke et Shinano, avant d'arrêter son choix sur Tomioka (à Kozuke), dans l'actuelle préfecture de Gunma, pour les raisons suivantes : il était alors facile de trouver un terrain assez vaste pour bâtir la filature, les environs de Tomioka pouvaient produire suffisamment de cocons de soie afin d'alimenter la chaine de production, on disposait sur place de l'eau nécessaire pour produire la soie, sans parler des gisements de charbon qui, eux, se trouvaient près de Takasaki, et étaient indispensables pour fournir l'énergie nécessaire à l'usine. Enfin, la population sur place était favorable à la construction d'une telle filature qui serait dirigée par des étrangers.

La filature de soie constitue encore aujourd'hui un ensemble industriel de grande envergure que l'Etat établit à l'époque dans le cadre de la promotion des industries nouvelles. L'usine, qui mesure 140,4 mètres de long , 12,3 mètres de large et 12,1 mètres de haut, représentait alors l'une des plus grandes filatures du monde et s'étendait sur un terrain de 53738 m2. Sa construction sera lancée en 1871 et durera un an, prenant fin en juillet 1872, pour un lancement de la production le 4 octobre de la même année.

 

Pour dévider les cocons de soie, des machines, manipulées par 300 ouvrières venues de tout le pays, avaient été installées et allaient permettre de développer une production de soie mécanisée à grande échelle. A partir de 1876, après le départ des instructeurs étrangers, la gestion de la filature devint entièrement japonaise. Et même si cette gestion étatique ne s'avéra pas toujours très rentable, la mise en avant de la qualité redora bien vite la réputation de la soie nippone à l'étranger. Une fois que l'objectif de généralisation des filatures mécaniques et de formation de techniciens fut atteint dans tout le pays, la filature de soie de Tomioka fut cédée à la Maison Mitsui en 1893, conformément à une politique de revente des ateliers d'Etat. Puis, en 1902, elle sera vendue à la société en nom collectif Hara, qui produisit alors une soie industrielle de haute qualité basée sur les métiers à filer de type Minorikawa. On procéda aussi à la standardisation des œufs de ver à soie. La même filature deviendra indépendante en 1938, sous le nom de Tomioka Silk Mill Co. Ltd, avant de fusionner, un an plus tard, avec la plus grande filature du Japon,Katakura Silk-reeling ans Spinning Co.Ltd (l'actuelle Katakura Industries Co.ltd). Le Japon traversa alors la guerre, puis l'après-guerre, et l'usine de Tomioka poursuivit longtemps son activité en tant qu'atelier de filature, mais sera bientôt contrainte de mettre la clef sous la porte face à la baisse des prix de la soie japonaise. Ses activités prirent fin en mars 1987 et les bâtiments du site ont depuis été précieusement conservés.

 

A l'heure actuelle, les bâtiments principaux (qui sont classés au Patrimoine culturel majeur du Japon), comme par exemple l'atelier de dévidage, les entrepôts à cocons Est et Ouest, le quartier des résidents étrangers (résidence des instructrices françaises et résidence des inspecteurs et de la famille Brunat), sont dans un état proche de celui de l'époque de leur fondation. Cette filature est d'ailleurs l'usine industrielle de l'époque Meiji la mieux conservée au Japon bien qu'un programme de rénovation soit en cours jusqu'à 2020.

Le Français Paul Brunat fut recruté par le gouvernement Meiji en tant qu'instructeur technique. C'est lui qui,non seulement, choisira le lieu de construction de l'usine, mais fera venir de France les techniciens nécessaires à l'établissement de la filature ainsi que les machines de type occidental adaptées à la morphologie des Japonaises, de plus petite taille. La conception des bâtiments, elle, fut aussi réalisée par un autre Français, Auguste Bastien, qui avait déjà participé à la construction des aciéries de Yokosuka. Paul Brunat importera aussi de France un moteur à vapeur pour fournir l'énergie à l'usine. Moteur qui sera remplacé en 1920 par un moteur électrique. Celui-ci équipait la plupart des machines à dévider (elles-mêmes adaptées à la morphologie des ouvrières japonaises). De son côté, Junchu Odaka, fonctionnaire d'Etat, participera dès le début à la conception des bâtiments et déploiera toute son énergie dans l'approvisionnement des matières premières. Il deviendra ensuite le premier directeur de la filature et y fera travailler Yu, sa propre fille, comme première ouvrière.


 

Il fut décidé de bâtir la filature à partir d'une ossature en bois (ci-dessus en photo) et de murs de briques empilées. Cette technique représentera la fusion des deux savoir-faire français et japonais, puisque, tout en adoptant la brique qui était un nouveau matériau venu de l'Occident, les toits furent recouverts de tuiles japonaises traditionnelles. La pierre, le bois, les briques et les tuiles constituèrent ainsi les principaux matériaux de ces bâtiments tandis que les charnières des fenêtres à armature métallique et les portes à double battant seront importées de France. Ces importations connaitront d'ailleurs bien des difficultés compte tenu de l'importance de cette construction.

Le bois d'oeuvre principal sera obtenu à partir de l'abattage d'arbres des forêts domaniales. Les grands troncs de cèdres furent approvisionnés depuis le mont Myogi, alors que le bois de pin provint d'Agatsuma, et le bois d'oeuvre de plus petit diamètre, des forêts montagneuses environnantes. Les pierres des fondations, elles, furent taillées à partir du mont Renseki. Quant aux briques, les ingénieurs français transmirent leur technique de fabrication aux tuiliers japonais et firent cuire ces briques en même temps que les tuiles dans un four bâti à l'est du Sanctuaire Sasamori-inari à Fukushima-cho (l'actuelle Kanra-machi Fukushima). Les tuiliers venus de Fukaya (Préfecture de Saitama) jouèrent aussi un rôle primordial dans la réussite de cette étape de construction. Pour la jointure des briques, on utilisa du plâtre à la place du ciment. Et la chaux utilisée comme matière première d'être alors produite à Shimonita-machi Aokura/Kuriyama. Les briques furent empilées à la française, technique qui donne une élégante fluidité aux bâtiments.

 

Afin de faire jeu égal avec les Occidentaux, le gouvernement Meiji développa, lui aussi, une politique axée sur l'enrichissement du pays et le renforcement de l'armée en passant par la promotion de l'industrialisation. Dans le cadre de leurs échanges avec le Japon, les pays étrangers manifestèrent la volonté d'établir des ateliers de filature à partir de capitaux étrangers, mais l'Etat japonais considéra alors que la construction de filatures modernes financées par des capitaux nationaux constituerait la base du développement industriel du pays. D'où la décision du Japon de fonder lui-même, en février 1870, une filature modèle d'Etat pour généraliser les techniques de la filature mécanisée. Les principes fondamentaux de cette filature consistaient en l'introduction d'un nouveau genre de machine pour la production de la soie, la délégation de la direction à des étrangers, et le recrutement d'ouvrières dans tout le Japon afin qu'elles puissent plus tard enseigner leur savoir-faire une fois de retour dans leur pays natal. Le recrutement d'ouvrières ne se fit toutefois pas sans sans difficultés : une rumeur selon laquelle « les étrangers faisaient travailler à mort les ouvrières » circulait partout et personne ne voulut se rendre à Tomioka. On avait en effet observé que les Français buvaient du vin, ce liquide rouge qui, pour les Japonais, ressemblait à du sang, en l'occurrence celui des ouvrières, d'où cette rumeur. Le gouvernement répartit alors un nombre d'ouvrières à recruter par département et rassembla des filles de samouraïs. Rien que durant la période de gestion de la filature par l'Etat japonais, l'usine rassemblera des femmes venues de plus de 32 préfectures différentes. A l'époque, ces femmes bénéficiaient de conditions de travail progressistes avec 7h45 de travail quotidien, le dimanche chômé, un salaire mensuel basé sur les performances, la prise en charge du logement, le cout de la vie et des frais de santé étant pris en charge par l'Etat. Leur formation achevée, ces ouvrières retournaient dans leurs préfectures respectives et devenaient à leur tour instructrices dans les filatures locales. Judicieux programme !

 

INFOS PRATIQUES :


  • Site officiel de la ville de Tomioka : http://www.city.tomioka.lg.jp/www/toppage/0000000000000/APM03000.html

  • Filature de Tomioka, 1-1 Tomioka. Tél:0274 64 0005 : http://www.tomioka-silk.jp/hp/fr/index.html

  • Pour se rendre à Tomioka, depuis Tokyo : prendre le shinkansen (ligne Hokuriku) en gare de Tokyo, puis descendre à Takasaki (durée du trajet, une heure environ et prix du billet sans réservation, 4400 yens). Emprunter alors la ligne Joshin (autre gare accolée à la gare JR), jusqu'à Joshu-Tomioka (durée du trajet, 30 minutes et 790 yens). La filature se trouve à une dizaine de minutes à pied de la gare (service de bus depuis la gare). La filature est ouverte tous les jours (sauf le mercredi), de 9h00 à 17h00. Entrée : 1000 yens. Un audioguide est disponible à la location au prix de 200 yens (langues japonaise, anglaise, française, chinois mandarin et en coréen). Si vous disposez d'un smartphone (avec lecteur de QR code), vous pourrez profiter d'un audioguide gratuit en scannant le code QR de la filature (malheureusement, l'usage de ce code QR nécessite d'être connecté à internet mais l'accès gratuit proposé par la ville de Tomioka ne fonctionne pratiquement pas sur le site de la filature). Sur place, il est interdit de fumer ou de manger dans la filature. Seuls les chiens d'aveugle et chiens guides pour malentendants sont autorisés. Ne pas toucher aux bâtiments ni aux machines. Rester à l’intérieur du périmètre de visite délimité. Photos à usage privé autorisées. Accès H : six fauteuils roulants sont disponibles, ainsi que des toilettes accessibles en fauteuil roulant (près de l'atelier de dévidage). L'entrepôt à cocons ouest, en cours de restauration, peut être visité, moyennant le paiement d'un ticket de 200 yens. Démonstration et atelier « zakuri »,machine à dévider traditionnelle les samedi, dimanche et jours fériés, de 9h30 à 12h00 et de 13h00 à 15h00. Démonstration d'utilisation d'une machine à dévider française, tous les jeudi et vendredi, de 10h00 à 11h30 et de 14h00 à 15h30.

  • Sur place, Damien Robuchon accueille tout particulièrement les visiteurs français et leur fournit une documentation en langue française, rédigée par lui. Merci à lui pour son aide.

  • Le Café Drôme, situé dans la rue commerçante face à l'entrée de la filature, est le lieu idéal pour un moment de détente. Vous trouverez ses coordonnées dans la rubrique Hotels-Restaurants de la médiathèque du site.

 

 










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