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Tokaïdo, la Route de la Mer de l'Est - Miya
(Nagoya, Préfecture d'Aichi, Japon)
Heure locale


Lundi 29 février 2016

 

Dernière station de la Préfecture d'Aichi, Miya-juku m'offre peu d'informations. 41 ème ville-étape de la route du Tokaido, je sais juste qu'elle est située à Nagoya, dans l'arrondissement d'Atsuta. Nagoya est en effet formée de seize quartiers, dont celui d'Atsuta, dans lequel se trouve l'ancienne station de Miya (ci-dessous représentée par Hiroshige). L'endroit est célèbre pour son sanctuaire Atsuta Jingu que nous allons visiter.

Miya a ceci de particulier qu'elle passe non seulement par la route du Tokaido, mais également par une autre route secondaire appelée Minoji, un axe de circulation de soixante kilomètres qui date de l'époque Edo et qui reliait Miya à Tarui (une station située sur le Nakasendo, une autre route parmi les cinq voies de circulation instaurée durant le shogunat Tokugawa). Cette seconde route fut très utilisée avant et après la bataille de Sekigahara en 1600. Ainsi, Fukushima Masanori, alors chef des armées de l'est, emprunta t-il le Minoji pour se rendre sur le site de la bataille. Et Tokugawa de l'emprunter lui aussi pour recevoir un accueil héroïque à l'issue de la fameuse bataille. En conséquence, Miya possédait , en plus de ses deux honjin, un plus grand nombre de hatago par rapport aux autres stations du Tokaido.


 

Ma première visite est pour le sanctuaire Atsuta Jingu, surnommé aussi Vénérable Atsuta. Ce sanctuaire d'une surface de 200 000 m2 est l'un des sanctuaires les plus célèbres du pays et accueille annuellement six millions et demi de visiteurs, y compris pour la visite du Nouvel An. Il abrite l'un des trois trésors impériaux, l'épée Kusanagi (ci-dessous), qui représente le trône impérial et serait un cadeau d'Amaretsu, mais également les cinq grandes divinités d'Atsuta, parmi lesquelles Takeinadano no Mikoto et Miyasuhime no Mikoto, les premiers parents d'Owari-Shi, peuple indigène de Nagoya et de sa région. Le sanctuaire fut officiellement fondé il y a environ 1900 ans, lorsqu'on y vénéra pour la première fois la fameuse épée. C'est Miyasuhime no Mikoto, la fille d'Owari Kuni no Miyatsuko, et la femme du prince Yamatotakeru no Mikoto qui choisit cet endroit pour y bâtir le sanctuaire. Et les Japonais de vénérer depuis ce lieu (classé deuxième juste derrière le grand sanctuaire d'Ise) pour la protection qu'il accorde à l'agriculture à travers l'immense plaine fertile d'Owari, hier province nippone et aujourd'hui partie ouest de la Préfecture d'Aichi. La province d'Owari, créée en 646, bénéficia longtemps d'un positionnement privilégié en tant que région située à mi-chemin de Kyoto et d'Edo.

 

Plusieurs bâtiments forment le sanctuaire Atsuta Jingu, et furent maintenus en l'état par les familles dirigeantes successives comme les shoguns des époques Muromachi et Edo, puis les familles Nobunaga, Hideyoshi et Tokugawa, qui prirent à un moment ou à un autre la tête de la province d'Owari. En 1893, le sanctuaire fut toutefois remodelé dans le style architectural Shinmei-zukuri, similaire à celui du sanctuaire d'Ise. La seconde guerre mondiale occasionnera malheureusement de gros dégâts sur les constructions suite à des incendies. Il faudra alors tout rebâtir, avec le concours de tous les croyants du pays entier. Et les principaux bâtiments d'être achevés en 1955.

Ce sont au total plus de 70 fêtes ou cérémonies qui s'y déroulent chaque année, à commencer par la traditionnelle visite que les pèlerins font au sanctuaire lors du Nouvel An, soit trois millions de personnes en l'espace des cinq jours que dure l'évènement. Le 5 janvier donne lieu à la célébration d'Ebisu lors de la fête Hatsu-Ebisu, au cours de laquelle on tente de se procurer l'image d'Ebisu, dieu de la fortune. Et c'est à qui obtiendra le premier cette image censée enrichir son détenteur. Deux jours plus tard, se tient le Yodameshi Shinji, une cérémonie lors de laquelle on mesure la pluviométrie pour l 'année nouvelle. Le 11 janvier, on célèbre le Toka-Shinji, qui perpétue une ancienne cérémonie de la cour impériale qui avait lieu sous l'ère Heian. On y danse et on prie pour des récoltes abondantes. D'autres évènements s'écoulent tout au long de l'année dont le Shinyo Togyo Shinji (ci-dessous en photo) qui a lieu le 5 mai et qui consiste en une fête célébrant le retour de l'épée sacrée en l'an 686. Un sanctuaire portable est transporté lors d'une procession lors de laquelle on prie pour la prospérité du palais impérial.

 

Un musée, le Bunka Den, offre de voir plus de 6000 objets dont 174 biens culturels importants. Outre des collections, le bâtiment abrite des salles de réunion, un auditorium et un entrepôt où sont entreposés les trésors. Ces trésors proviennent de différents endroits, et firent souvent l'objet de donations de la part d'empereurs, ou de généraux d'armées comme par exemple Nobunaga, Hideyoshi, Ieyasu Tokugawa et d'autres shoguns, mais également de la part de lords féodaux de la province d'Owari. On peut ainsi admirer des manuscrits, des poteries, des sabres, des masques de cérémonie (comme celui ci-dessous) et bien d'autres objets encore, parmi lesquels les œuvres des plus grands artistes. Revenons quelques instants sur les trésors nationaux du Japon : il existe dans ce pays un certain nombre de pratiques et d'emblèmes nationaux liés de longue date à l'institution impériale. Je pense notamment à la fleur de chrysanthème qui représente non seulement le blason de la Famille impériale mais aussi de l'Etat japonais et que l'on trouve généralement affiché sur les passeports. Il y a aussi l'hymne national (Kimigayo) qui célèbre la longévité du règne et de l'éternité de la monarchie, le drapeau du Soleil Levant qui a été largement associé au Japon impérial, et certaines fêtes nationales comme celle du 11 février et bien sûr, l'anniversaire de l'empereur. Il y a enfin les trois trésors sacrés de la monarchie qui sont, d'après la tradition, l'épée (kusanagi no tsurumi) qui représente la valeur et la faculté de partager, le miroir de bronze (yata no kagami), conservé au grand sanctuaire d'Ise et qui symbolise la sagesse et la faculté de comprendre, et le joyau (yasakani no magatama), conservé au palais impérial de Tokyo, qui illustre la bienveillance et la faculté d'apprendre. C'est la déesse du Soleil Amaretsu qui aurait offert ces trois trésors à son petit-fils Ninigi no Mikoto, père du premier empereur du Japon, Jimmu Tenno. Depuis 690, la présentation de ces objets à l'empereur par les prêtres au temple constitue le principal événement de la cérémonie d'intronisation impériale. Cette dernière n'est pas publique et les objets eux-mêmes ne sont vus que par l'empereur et certains prêtres. Et le mystère de demeurer entier.

 

Je quitte le sanctuaire pour partir à la recherche du pont Saidan (ci-dessous) qui s'avérera être un minuscule pont donnant sur l'entrée d'une...maison. Il fut construit en 1622 par la mère d'Horio Kinsuke, pour le repos de son fils qui avait perdu la vie lors de la bataille d'Odawara. Les lettres gravées en giboshi montre le profond amour de la mère pour son fils. En effet, le giboshi est une décoration ornementale utilisée sur les anciens pont japonais, des poteaux d'une taille comparable à celle des piétons et situés de part et d'autre des côtés du pont en question. La partie supérieure d'un giboshi est bulbeuse et se termine en pointe.


 

Un quart d'heure de marche suffira pour me conduire ensuite à l'ancien débarcadère où accostaient les bateaux qui faisaient jadis la liaison de sept ri (environ 27 kilomètres) entre le bureau postal d'Atsuta (Miya-juku) et la ville-étape de Kumana-juku. Un phare (ci-dessous) fut bâti par Naruse Masatora, alors intendant du clan Owari. Nous sommes alors en 1625. La reproduction actuelle, elle, date de 1955. Je retrouve la trace de Naruse Masatora comme châtelain du château d'Inuyama (entre 1625 et 1659) qui se trouve dans la Préfecture d'Aichi. Le château en question fait d'ailleurs partie des douze châteaux de la période Edo encore préservés de nos jours. Sur ce même embarcadère se rencontrèrent également, en 1826, Mizutani Hobun, chercheur en herboristerie, accompagné de ses étudiants (dont Ito Keisuke) et le médecin allemand Philipp Franz Von Siebold, qui accompagnait alors une délégation hollandaise jusqu'à Edo. Les deux hommes décidèrent ainsi de partager leurs connaissances. Naturaliste bavarois, Von Siebold entrera au service de la Compagnie hollandaise des Indes orientales quatre ans plus tôt, en 1822. Sous l'époque Edo, l'archipel nippon était fermé aux étrangers et seuls les Hollandais étaient alors autorisés à résider dans leur comptoir commercial de l'île artificielle de Dejima (que j'ai visité il y a quelques années de cela) à Nagasaki. Et Siebold de se faire passer pour citoyen hollandais afin de pouvoir demeurer sur place, malgré son fort accent bavarois qu'il prétendit être un dialecte hollandais. Ce séjour scellera le destin de notre homme puisque Siebold sera plus tard autorisé à ouvrir l'école Narutaki où il enseignera la médecine et l'histoire naturelle, devenant ainsi le premier occidental à enseigner la médecine au pays du soleil levant. Ses remarquables études sur la flore et la faune japonaises passeront à la postérité et notre homme réunira au fil du temps la plus grande collection de plantes japonaises au monde.


 

Un autre temple se dresse dans l'ancienne station Miya-juku : Ryufukuji, aussi connu sous le nom de Kasadera kannon, est un temple de la secte bouddhiste Shingon. Il fut fondé par le prêtre Zenko et est consacré au dieu aux onze visages, Juichimen Kanzeon. Les trésors de ce temple sont bien entendu classés comme biens culturels importants de la Préfecture d'Aichi, mais l'endroit rassemble aussi, le 18 ème jour de chaque mois, des férus de vieux objets, de kimonos, meubles, livres et bric-à-brac divers. En février, une fête s'y déroule afin de chasser les mauvais démons et laisser la place à la chance et à la bonne fortune. Matsuo Basho, l'immense poète japonais, y laissa aussi quelques poèmes lors de sa traversée de la ville-étape de Miya. On trouve enfin sur place une stèle à la mémoire de Miyamoto Musachi, le redoutable combattant, qui y enseigna sa technique de combat à deux sabres simultanés. Rappelons que Musachi combattit en duel puis tua pour la première fois à l'âge de treize ans. Quatre ans plus tard, il participera à la bataille de Sekigahara (en 1600), bataille qui vit la victoire de Ieyasu Tokugawa. Malheureusement, Musachi faisant partie du camp du vaincu Hideyoshi Toyotomi, fut laissé pour mort sur le champ de bataille mais survécut toutefois à ses blessures. Il participera ainsi à une soixantaine de duels jusqu'à l'âge de 29 ans. La plupart de ces duels était livré par lui à l'aide d'un sabre en bois (bokken) alors que ses adversaire disposaient de vrais sabres (nihonto). Il était si doué qu'il anéantit à lui seul la totalité de l'école d'escrime Yoshiyoka en se battant seul contre soixante combattants (voire plus selon certains témoignages) lors de l'escarmouche au pied du pin parasol du temple d'Ichijo-ji de Kyoto. C'est à cette occasion qu'il pratiqua, semble t-il, pour la première fois et sans s'en rendre compte, la technique célèbre des deux sabres, technique qu'il développera par la suite auprès des samouraïs de Nagoya. Son duel le plus fameux aura lieu le 13 avril 1612 contre un certain Kojiro, alors plus grand escrimeur du Japon. Musachi le vainquit sur l'île de Funa grâce, pense t-on, à un long sabre de bois taillé dans une rame du bateau qui l'avait amené à cet endroit. Musachi entrera bientôt au service de la famille des Hosokawa, à titre d'invité, puis mettra alors un terme à ses duels. Aucun texte écrit par notre homme ne mentionne ses adversaires, excepté Arima Kihei, le premier d'entre eux. Musachi affrontera pourtant des personnages renommés comme par exemple Nagatsune Hachiemon, ce maître-lancier alors au service de Tokugawa Yoshiano, qui invitera Musachi à jouer une partie de Go avec son fils, pour mieux tenter de le poignarder par derrière. Musachi, bien que concentré sur son jeu s'en apercevra, et brisera son adversaire dans son élan...tout en remportant la partie de go ! Spécialiste des armes, Musachi conçut également une paire de bokken (sabres en bois) allégés et au profil plus fin. A ce jour, son sabre préféré existe toujours. Il s'agit d'un superbe objet en bois sombre, à la poignée percée d'un trou pour faire passer un pompon de soie pourpre, avec la mention suivante Jisso Enman no Bokuto. Longtemps conservé et passé de main en main, ce sabre est la preuve de la préservation du style Niten Ichi-Ryu, tel quel. Désigné trésor national, on peut désormais l'admirer au prestigieux sanctuaire de Usa-Jingu. Il faut savoir que Musachi maniait bien sûr des armes en acier.


 

INFOS PRATIQUES :


  • Musée Bunka-Den, Sanctuaire Atsuta Jingu, Aitshiken Nagoya-shi,Atsuta-ku Jingu. Tél : 052 671 0852. Ouvert tous les jours (sauf le dernier jour du mois), de 9h00 à 16h30. Entrée : 300 yens. Interdiction de prendre des photos.

  • Sanctuaire Atsuta Jingu, à Nagoya : http://www.atsutajingu.or.jp/ et http://www.atsutajingu.or.jp/en/intro/

  • temple Ryufukuji, 83 Kamishinmachi, Kasaderacho, Minami-ku, Nagoya. Tél : 052 821 1367. Ouvert tous les jours de 8h00 à 16h00. Pour vous y rendre, descendre à la gare de Moto Kasadera (Meitetsu Line). Le temple est à cinq minutes de marche.

 

 












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