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Du Havre-Saint-Pierre à Natashquan
(Québec, Canada)
Heure locale

 

Vendredi 18 mai 2018

 

Me voici à nouveau sur la route 138, en direction de Natashquan. Cet axe routier est l'une des plus anciennes routes du Québec, d'Est en Ouest (même si, dans mon cas, j'effectue le parcours en sens contraire), et la plus longue aussi. S'il fait un soleil radieux, le vent, lui, souffle en tempête, tout particulièrement sur la côte, cette Côte-Nord décrite par la romancière canadienne-française Gabrielle Roy en 1941 : « La Côte-Nord détient du pain, du feu, la simple joie de vivre pour des milliers d'hommes qui ne sont pas nés. Cette terre n'appartient pas aux cultures d'aujourd'hui. Elle se réserve pour les conquérants de l'avenir ».

Parcourir la Minganie, c'est découvrir le pays boréal avec ses nombreux contrastes et la majesté de ses paysages. Celle-ci comprend deux sous-zones climatiques, la taïga et la toundra forestière, et deux domaines climatiques, la pessière à mousse et la sapinière à bouleau blanc. Les nombreux mélèzes et épinettes que j'aperçois sur une partie de mon trajet présentent une taille très compacte et une majorité de ces arbres atteint l'âge centenaire, voire 150 à 200 ans. Dans d'autres endroits, c'est la tourbière qui prévaut, des écosystèmes fragiles apparus il y a 8000 à 10000 ans qui offrent de nombreuses espèces biologiques hydrophiles comme le carex, les mousses, le nénuphar et quelques autres plantes insectivores. Une promenade à l'intérieur de ces tourbières permet d'apercevoir les pépites d'or de la Côte-Nord par champs entiers, des petits fruits à couleur de feu appelés chicoutés par les Innus qui s'en nourrissaient jadis, ou encore plaquebière (déformation du vieux français « plat de bièvre » ou « plat de castor »). Quant à la sarracénie pourpre, il s'agit d'une plante insectivore bien adaptée à la tourbière, une herbacée vivace de près de 35 centimètres avec de magnifiques fleurs rouge foncé et des feuilles adaptées à la capture des...moustiques. Le littoral, lui, ne serait pas ce qu'il est sans la présence de l'élyme des sables, graminée bleutée qui parsème les plages et les dunes sablonneuses et se plait à merveille dans les sols secs, en plein vent et dans les embruns.

 

Sur ma route pour Natashquan, je m'arrête à Baie Johan-Beetz, une localité de moins de 90 âmes, jadis surnommée Piesthebi, et qui fit sa renommée autour de l'aristocrate Johan Beetz qui s'établit ici pendant quelques années, dans une superbe maison (en photo ci-dessous) appelée le Château par les habitants. Notre homme contribuera grandement à sa réputation auprès du village et des ses habitants grâce à ses connaissances en médecine, comme, par exemple, lors de l'épidémie de grippe espagnole qui sévit au Canada. Johan Beetz imposa la quarantaine aux habitants et les préserva ainsi de cette calamité. Aristocrate belge, Beetz immigrera au Québec en 1897 puis s'installera à Piastre Bay (nom d'alors de la commune) où il acquerra une propriété. Spécialisé en sciences naturelles et en médecine, l'homme notera dès son arrivée le fort potentiel de l'endroit pour le commerce des fourrures, puis achètera à prix élevé les peaux de renard des trappeurs, rentrant ainsi en concurrence avec la Compagnie de la Baie d'Hudson. A partir de 1903, Johan Beetz se lance dans l'élevage de renards et fait alors figure de pionnier. Et de fixer la race du renard argenté, à force de recherches, d'expérimentations et de croisements. Puis, il s'associe en 1910 à Révillon & Frères, maison parisienne qui a installé plusieurs postes de traite sur la Côte-Nord. Et de quitter douze ans plus tard le village pour vivre dans la banlieue de Montréal. Son livre « L'indispensable à l'éleveur de renards argentés » sera publié en 1931 et rassemblera les connaissances qu'il aura acquises au fil des ans. C'est en 1968, que Piastre Baie prendra son nom actuel, Baie-Johan-Beetz.


 

D'inspiration Second Empire, style architectural français devenu populaire sous le règne de Napoléon III, la demeure rurale de John Beetz fut érigée en 1899, sous la forme d'un corps de logis rectangulaire à deux étages, lambrissé de planches, et coiffé d'un toit mansardé rouge à quatre versants. La résidence est entourée sur trois côtés par un avant-toit. Et comporte une annexe latérale sur laquelle s'adosse un appentis. L'ensemble est sis sur un promontoire rocheux qui s'avance dans le golfe du Saint-Laurent, à l'embouchure de la rivière Piashti.

L'intérieur de la maison se distingue également par son originalité, avec notamment des motifs floraux et animaliers peints à l'huile par Johan Beetz lui-même, sur des panneaux de porte, ainsi que de papier peint qui imite le lambris. Des menuiseries ornementales et un escalier d'apparat complètent l'ensemble. Quant aux plafonds en bois faits de planches à couvre-joint, ils témoignent d'un art de bâtir caractéristique de la seconde moitié du 19è siècle. Et la richesse de cet intérieur de refléter l'origine sociale du propriétaire et ses centres d'intérêt. Plus tard, Johan Beetz fera construire d'autres bâtiments sur sa propriété, dont un kiosque faisant face au golfe, un lavoir, un poulailler et un laboratoire qui lui servira à pratiquer des vivisections et à empailler des animaux. Toutes ces dépendances sont aujourd'hui disparues, à l'exception du laboratoire.


 

Le vent est sibérien, et souffle en tempête. Heureusement que le froid conserve. Je traverse bientôt Aguanish, qui signifie petit abri en langue innu. De là, je peux entrevoir de longues plages de sable blanc et la rivière du même nom. Qu'il doit faire bon ici l'été. Le cours d'eau est fréquenté par les pêcheurs de saumon et le village est le point de départ d'excursions permettant d'admirer un phénomène géophysique appelé « Trait de scie », un petit canyon. Plus à l'est, et à quatre kilomètres de là, je traverserai l'Île Michon, avec ses petites baies et ses charmantes îles (ci-dessous) où les randonneurs s'adonnent à la pêche aux mollusques.


 

J'atteins bientôt Natashquan, ma destination finale, après avoir sillonné les derniers kilomètres sur une portion de route en lacets. Avec l'installation de Champlain à Québec en 1608 va débuter une course à l'exploration des Grands Lacs à l'intérieur du continent, au point d'en oublier la Côte-Nord et le Labrador. Il faudra attendre 1661 pour qu'un commerçant de fourrure de Québec, François Bissot de la Rivière, redécouvre le Labrador et ouvre un poste de traite à Natashquan (qui signifie « le lieu où l'on chasse l'ours »). A l'origine, Natashquan était fréquenté par les Innus, jusqu'à ce que les Européens s'y établissent progressivement à travers des postes de traite, puis la pêche à la morue. Les pêcheurs acadiens, en provenance des Îles de la Madeleine, assommés fiscalement, débarquent ici pour s'y installer définitivement. Parmi ces familles on trouve des Vigneault, des Cormier, des Chiasson ou des Lapierre, suivi plus tard des Landry. La population vit alors de la pêche, de la trappe et du commerce des fourrures, grâce à un système de troc qui aidera les gens à survivre. Trois compagnies de pêche s'installent à Natashquan en 1857-1858, même si une seule, celle d'habitants originaires de Jersey, s'implantera véritablement au village. Au début, les habitants n'auront pas d'église, jusqu'à 1859, date de construction d'une chapelle. L'édifice est alors érigé par Hilaire Carbonneau, avec du bois récupéré lors du naufrage d'un gros navire chargé de planches sur le rivage proche. La première église, elle, prendra forme en 1898, juste avant l'arrivée des Pères Eudistes sur la Côte-Nord en 1903 (en photo ci-dessous). Un peu à l'écart du bourg, je pars à la découverte des magasins de galets de Natashquan (deuxième photo), des constructions qui servaient autrefois à entreposer les agrès de pêche, l'huile de loup-marin et différents autres articles liés à la pêche, ainsi qu'aux opérations liées au traitement du poisson. A l'origine, le galet est un piton rocheux d'environ cent mètres carrés de surface, surélevé de trois mètres au-dessus du niveau de la mer, et entouré d'eau uniquement lors des grandes marées ou durant les tempêtes. Les pêcheurs du village virent l'avantage qu'ils pouvaient tirer de construire ces petits bâtiments appelés magasins du galet ou « de la grave ». Au début du 20è siècle, Natashquan comptait plus d'une trentaine de ces magasins, à la fois sur le galet et sur la plage. Ils étaient alors entourés par des « étals » et des « vigneaux » qui servaient à trancher et à sécher la morue. Le temps n'arrangera pas l'affaire puisque la majorité d'entre eux disparaitront jusqu'à ce que soient préservées les constructions actuelles sous le nom de « galets de Natashquan ».

Jadis, et en saison de pêche, les plages entourant les galets étaient utilisées pour l'accostage des bateaux. Et hommes, femmes et enfants de participer alors collectivement au traitement de la morue, principale espèce convoitée à cette époque. On piquait puis on lavait le poisson, avant de le trancher, de le saler et de l'étendre sur des vigneaux pour le faire sécher. Puis la morue était entreposée dans les bâtiments de la plage, en attendant le passage de marchands itinérants qui passaient régulièrement. Une fois pesée, elle était chargée à bord des goélettes. L'importance des biens des pionniers illustre l'importance de la mer dans le quotidien des familles : chaque maisonnée possédait en effet des embarcations (barges ou grandes goélettes), de l'équipement de pêche, des produits de la pêche, des peaux et de l'huile de loup-marin. Le bœuf est alors utilisé comme animal de trait pour transporter le bois des forêts, tandis que la vache fournit le lait. Au final, le bétail, tout comme le cochon, est abattu pour être mangé. A cette époque, beaucoup de familles possèdent également un jardin, ou même des champs de patates.

 

Je ne peux m'arrêter à Natashquan sans vous parler de Gilles Vigneault, l'enfant du pays, né ici, à Natashquan, le 27 octobre 1928. Notre homme s'inscrira au séminaire de Rimouski en 1942 pour compléter ses études secondaires et collégiales, puis se dirigera huit ans plus tard vers la Faculté de Lettres de l'Université de Laval. Et de se consacrer ensuite à l'enseignement et à la poésie, puis de créer la revue de poésie Emourie.

Gilles Vigneault participe en 1959 à la création de la Boite à chansons de la rue Saint-Jean à Québec. C'est lors d'un spectacle à Montréal que l'artiste gagnera ses lettres de noblesse en tant que chansonnier. On ne compte plus les classiques qui ont conduit le chanteur au succès planétaire que l'on connait aujourd'hui. L'artiste revient encore de temps à autre dans son village natal où il possède toujours une demeure.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Pourvoirie Baie-Johan-Beetz : http://www.baiejohanbeetz.com/
  • Les Choix de Marguerite, épicerie-station service, à la sortie du village Baie-Johan-Beetz (sur la route 138)

  • Les magasins des galets sont accessibles en empruntant l'allée des Galets puis, à travers un chemin sablonneux conduisant à la plage (sur la droite)

  • Site officiel de Gilles Vigneault : http://gillesvigneault.com/

  • Lors de votre passage à Natashquan, vous pourrez peut être encore vous procurer l'ouvrage « Natashquan, le goût du large » (en photo ci-dessous), un merveilleux condensé d'histoire local généreusement illustré.











 



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