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Matane
(Gaspésie, Québec, Canada)
Heure locale

 

Lundi 21 mai 2018

 

Çà y est, j'ai franchi hier le fleuve Saint-Laurent, au départ de Baie-Comeau. Cette journée de dimanche fut belle et ensoleillée et me fut profitable pour parcourir les presque 300 kilomètres me séparant de Sept-Îles à Baie-Comeau, en roulant tranquillement pour admirer le paysage. Le traversier (en fait, j'ai embarqué hier sur un ferry) qui effectue la desserte quotidienne Baie-Comeau – Matane m'avait convoqué hier pour un départ à 17h00. Le navire, arrivé juste une heure auparavant de Gaspésie, larguera les amarres à 17h00 précises. Bluffé, je félicitais l'équipage pour sa ponctualité très nippone. Nous atteignîmes la Gaspésie au bout de deux heures d'une traversée calme et plaisante.

 

C'est tôt en ce lundi matin que je pars à la découverte de Matane, porte d'entrée orientale de la région du Bas-Saint-Laurent, sur les berges du fleuve et ville de 15000 âmes, depuis l'incorporation, en 2003, des villages environnants (Petit-Matane, Saint-Luc-de-Matane et Saint-Jérôme-de-Matane). Port en eau profonde ouvert toute l'année, Matane abrite un important chantier naval ainsi que la plus grande usine québécoise de transformation de la crevette et l'unique traversier-rail en opération dans la province. C'est en 1910 que la première locomotive arrivait en ville et inaugurait ainsi le premier service ferroviaire Matane-Mont Joli, mettant fin une fois pour toutes à l'isolement de l'agglomération les longs mois d'hiver entre neige et fleuve gelé. Autre date importante, l'année 1978, date à laquelle sera exploité pour la première fois le traversier-rail entre Matane et la Côte-Nord. Un service unique qui allait permettre aux compagnies forestières et minières de transporter leurs produits par rail.

Matane, véritable carrefour terrestre et maritime régional, signifie « vivier de castors » en langue malécite (tribu amérindienne d'Amérique du Nord). Par ailleurs, des récits de voyages rapportent que l'endroit fut jadis fréquenté par des pêcheurs de Saint-Malo, de Honfleur, de Dieppe, de La Rochelle et de Rouen au cours du 16è siècle. Et Samuel de Champlain d'avoir décrit ces terres comme « le havre de barre de basse mer » où les marchands rochelais furent les premiers à pratiquer la traite des fourrures avec les Amérindiens, et les premiers Européens à passer l'hiver en Gaspésie.

La seigneurie de Matane sera octroyée en 1677 au Sieur Mathieu d'Amours de Chauffours. Plusieurs pêcheurs choisiront alors de s'installer sur place pour pêcher la morue et le saumon. Au 19è siècle, la ville deviendra un centre industriel et produira rouleaux, fuseaux et bobines de bois qui seront ensuite exportés en Europe. Au début du 20è siècle, l'arrivée du chemin de fer et la construction d'un vrai port de mer dans l'estuaire de la rivière Matane permettra à Matane de prendre un nouvel essor, en obtenant entre autres son statut de ville en 1937, et en étant devenue la capitale industrielle de l'est du Québec.

Prenant sa source sur le versant ouest du mont Blanc (montagne québécoise faisant partie des monts Chic-Chocs dans les Appalaches), la rivière Matane s'étire sur 105 kilomètres avant de finir son cours à Matane, et de franchir le petit barrage Mathieu (en photo ci-dessous) qui vit ses derniers jours. Le Québec a en effet annoncé il y a quelques jours son intention de construire un nouvel ouvrage après la destruction de celui-ci qui date d'il y a plus d'un siècle. Les détails du nouveau barrage ne sont pas encore connus mais le maire de la commune a d'ores et déjà prévenu qu'il aimerait faire de la nouvelle construction quelque chose d'attractif pour les touristes, tout en maintenant la pêche au saumon au centre-ville, avec un contrôle des espèces envahissantes et la préservation des montaisons de saumon. Il est vrai qu'en cette période de l'année, l'attrait de la petite ville est limité.

 

Je me promènerai donc sur la seule promenade qui vaille, celle des capitaines (ci-dessous). Aménagée en 1992 entre le barrage actuel et le Vieux-port, cette promenade met en valeur la tradition maritime de Matane à travers l'histoire de ses capitaines illustres. J'observerai ainsi une quinzaine de panneaux didactiques aménagés autour de quatre pavillons répartis sur le parcours, qui s'achève élégamment par la Place des Rochelais, hommage à ces pionniers de la ville et lieu de commémoration de plus de 385 années de tradition maritime locale. Sur place a été reconstituée une goélette à fond plat remplie de galets du Canada, rappelant ainsi comment les Rochelais lestaient leurs embarcations avant de repartir pour la France. Au début du 20è siècle, le renouveau économique du moment imposera d'importants travaux dans le port, qui iront de paire avec l'installation de l'usine papetière Hammermill Paper Company sur place en 1922. Et Matane de bientôt devenir la tête de pont d'où partiront par navires les pionniers, ouvriers forestiers, marchandises et ravitaillement nécessaires à la construction du pays. La longue liste des capitaines débute avec James Forbes, qui oeuvrera comme pilote polyglotte pour guider l'entrée des vaisseaux de compagnies européennes et de l'Amirauté britannique. Alphonse Tremblay, lui, deviendra navigateur tardivement. Il initiera d'abord ses fils à l'art de la navigation et l'un d'entre eux, Ulric, construira la goélette Alphonse Tremblay, un deux-mâts jaugeant 245 tonnes qui sera surnommé la « barge » en raison de son important gabarit. Le bateau servira aussi au transport d'alcool de contrebande venant des Îles Saint-Pierre et Miquelon. Elzéar Heppell sera à la fois capitaine, entrepreneur ..et maire de Matane en 1921 et 1922. Armateur, il transportera passagers et marchandises tout en pratiquant le cabotage vers Québec. La promenade des capitaines raconte également l'histoires des capitaines Guimond père et fils, celle des Hovington, des Piuze, et celle de Christophe Chouinard, dont la première embarcation, la Citrouille Amoureuse, sera un véritable petit magasin flottant.

 

Le commerce du bois occupera en grande partie les capitaines de Matane jusqu'à la fin du 19è siècle. Parallèlement, la colonisation de la Côte-Nord amènera des petites goélettes à pratiquer le cabotage de part et d'autre du fleuve. On y transporte bleuets et atocas échangés contre des denrées de base, avant que le trafic de passagers et de marchandises ne prenne le dessus. Dès 1915, le capitaine Elzéar Heppell mettra sur pied des liaisons régulières et fondera en 1924 sa propre compagnie de transport.

Né aux Îlets Caribou en 1903, le capitaine Robert Jourdain mourra noyé en novembre 1959, lors de manœuvres d'accostage. L'homme avait pourtant débuté très jeune sa carrière de navigateur. Il sera ensuite propriétaire de plusieurs goélettes dont La Matane, construite en 1913, et effectuera du cabotage pendant plus de quarante ans depuis le port de Matane vers d'autres villages côtiers de la Gaspésie et de la Côte-Nord. La famille Jourdain est intimement liée à l'histoire régionale de la navigation puisque le capitaine Edgar Jourdain sera lui-même industriel et propriétaire de plusieurs navires, tandis que son fils, la capitaine Jules Jourdain, naviguera lui aussi durant 40 années et commandera notamment le traversier Camille-Marcoux (en photo ci-dessous). La promenade des Capitaines rend aussi hommage aux nombreux capitaines de traversiers. Un panneau rappelle au passage que la Traverse Matane- Godbout Ltd fut créée en 1959 par un groupe d'industriels et de commerçants matanais. La liaison débutera en juin 1962 avec le navire N.A.Comeau. Un second navire sera ajouté en 1966, le Sieur d'Amours, de type brise-glaces, afin d'assurer le service toute l'année entre Matane, Gotbout et Baie-Comeau. Puis le Camille Marcoux rejoindra la flotte en 1975 pour remplacer le N.A.Comeau. L'année suivante, la Société des Traversiers du Québec rachètera les actifs de la Traverse Matane-Godbout et assure depuis la continuité du service.

Ce sera encore un groupe d'hommes d'affaires de Matane, du Bas-Saint-Laurent et de la Côte-Nord qui sera à l'origine du fabuleux projet de traversier-rail initié au début des années 1970. Et la COGEMA (Compagnie de gestion de Matane) d'obtenir le permis requis en mars 1974 et d'opérer le seul service de traversier-rail québécois entre Matane et Baie-Comeau depuis 1978.

 

Résolument maritime, Matane aura également accueilli plusieurs exploitations de pêcheries commerciales dont celles de la morue et du saumon, juste avant l'implantation en 1965 d'une usine de transformation de la crevette dont des stocks importants venaient alors d'être découverts dans le golfe du Saint-Laurent. Cette ressource permet d'alimenter une usine ultra-moderne traitant chaque année des dizaines de milliers de tonnes de crevettes.

Quoi de plus normal de trouver un phare (ci-dessous) à Matane, même si celui-ci n'est aujourd'hui plus en œuvre et abrite désormais l'office du tourisme. A l'époque, l'endroit accueillera plusieurs gardiens de phare pour effectuer une mission qui n'était pas de tout repos, notamment lors des violentes tempêtes. Un premier phare sera bâti en bois en 1873 (deuxième photo) et François-Xavier Dionne en sera le premier gardien. Celui-ci terminera toutefois bizarrement sa carrière le 16 mai 1879 pour...absence de plusieurs jours ! Suivront Octave Desjardins (gratifié d'un salaire annuel de 250$), Joseph Banville, Jules-André-Octave Morin, militaire de carrière ayant combattu lors des deux conflits mondiaux, André Rioux, réparateur de navires, et Camille McKinnon.

Le premier phare avait une hauteur de 8,50 mètres, ce qui le mettait à moins de 20 mètres au-dessus du niveau de la mer. Et un petit logement avait été construit au pied du phare pour abriter le gardien et sa famille. Son système d'éclairage était composé de quatre lampes à huile de charbon et de deux réflecteurs (miroirs) qui renvoyaient la lumière sur les eaux du fleuve. Cette lumière, visible à plus de 10 miles était diffusée du 1er avril au 20 décembre (durée de la saison de navigation), depuis le coucher jusqu'au lever du soleil. A partir de 1879, le télégraphe est installé afin de permettre au gardien du phare d'adresser son rapport quotidien deux fois par jour aux instances gouvernementales. Et les propriétaires des navires de pouvoir ainsi suivre la position de leurs bateaux grâce à la publication de ces rapports dans les journaux. Suivra, en 1884, l'installation d'un système de sémaphores : composé de différents drapeaux, cet outil permettait de recevoir et d'émettre des messages à l'aide de drapeaux ayant chacun une signification.

Un deuxième phare, construit en 1907, viendra remplacer le premier devenu trop désuet. Cette fois érigé en dur, ce phare sera plus haut que le précédent, avec une tour mesurant 20,40 mètres qui abrite un nouveau système d'éclairage. La maison du gardien, elle, est toujours en bois mais deux fois plus vaste. Le nouvel éclairage consistait en un prisme de verre tournant sur lui-même grâce à un système de poids, tandis que la lumière provenait d'une lampe à pétrole située à l'intérieur des pièces de verre. Et deux jets de lumière d'éclairer le fleuve toutes les sept secondes, sur un distance de 15 miles. Le gardien devait par contre remonter les poids à l'aide d'une manivelle tous les six heures.


 

Un petit musée maritime est installé dans l'actuel office du tourisme et permet de consulter un certain nombre de classeurs concernant le fleuve Saint-Laurent, les gardiens de phare et autres aspects historiques du Québec. J'y admirerai l'écusson de Jacques Cartier (première photo ci-dessous). J'y apprendrai aussi l'existence de la poste maritime au temps de la marine à voile. A cette époque, les équipages devaient s'arrêter pour refaire les provisions d'eau fraiche dans certaines îles. Et les marins de laisser sur place des messages (sous la forme de lettres à remettre à la compagnie ou aux familles...) à l'intention des autres navires qui rentraient au pays. Cette coutume a depuis été reprise par les plaisanciers qui, eux aussi, laissent une trace de leur passage sous une forme ou une autre. Astucieux, n'est-ce pas ?


 

INFOS PRATIQUES :

  • La traversée entre Baie-Comeau et Matane ne me coutera qu'à peine 68 $ (20$ pour le passager + 48$ pour le véhicule), soit 58€. Ne pas oublier de réserver par internet ou par téléphone, quelques jours minimum avant votre départ. Vous réglez le solde du billet une fois à bord: http://www.traversiers.com
  • Poste d'observation du saumon au barrage Mathieu, 260, Avenue Saint-Jérôme, Matane : http://rivierematane.com/

  • Bureau du tourisme, 968, Avenue du Phare Ouest, Matane. Ouvert tous les jours du 11 au 24 juin de 9h00 à 18h00, du 25 juin au 18 août de 8h00 à 19h00, et du 19 août au 24 septembre de 9h00 à 18h00. Musée maritime accessible gratuitement. Visite de la tour du phare : 4$ par adulte. Accès internet wifi gratuit. Boutique sur place.http://www.tourismematane.com/

  • Poste de traite des fourrures, 655, Avenue Henri Dunant, Matane.

  • Les Jardins de Doris, 645 Avenue Henri Dunant, Matane : http://www.jardinsdedoris.ca/

     











 



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