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Exposition "Le Grand Large"
(Musée de la Gaspésie, Gaspé, Gaspésie, Québec, Canada)
Heure locale

 

Vendredi 25 mai 2018

 

J'avais très envie de découvrir le Musée régional de la Gaspésie. M'y voici, pour découvrir l'exposition »Grand Large » qui relate la Gaspésie à travers l'histoire de quinze bateaux. Je suis chaleureusement accueilli par le personnel de ce musée qui est l'étape culturelle incontournable de Gaspé, avec ses deux expositions permanentes, ses expositions temporaires, sa vitrine ouverte aux artistes locaux, ses portraits vivants, son géo-rallye, sa galerie d'art en plein air et son centre d'archives (unique en son genre) ouvert à tous. Les passionnés d'histoire trouveront également la revue d'histoire Gaspésie, publiée depuis 1963, qui consacre d'intéressants articles sur l'histoire de cette région du Québec (voir infos pratiques).

L'exposition « Le Grand Large » aborde la Gaspésie côté mer, depuis ses origines et jusqu'à l'arrivée des colons dans la région. Lorsque Jacques Cartier débarque ici, au 16è siècle, les Micmacs occupent une grande partie du territoire de l'Est du Canada, dont la péninsule gaspésienne. Ces Amérindiens sont alors surnommés peuple de la mer car ils tirent la majeure partie de leur subsistance des ressources marines. Ils pratiquent ainsi la pêche, la cueillette des mollusques et la chasse au phoque, au morse, au marsouin et à la baleine. Avec leurs canots de haute mer (ci-dessous), ils sont capables de parcourir de longues distances dans le golfe du Saint-Laurent, poussant même jusqu'aux Îles de la Madeleine, voire Terre-Neuve. Les Micmacs construisent divers types de canots, dont le canot de chasse, celui de grande rivière et, le plus grand, celui de haute mer. On reconnaît ce dernier à son rebord surélevé destiné à se protéger des vagues. Quant à la langue de ce peuple, elle comprend plus d'une centaine de mots liés à la navigation et à la construction des canots. Les Micmacs seront en effet les premiers à construire des embarcations maritimes dans la région.


 

A l'entrée du musée trône une petite barque à fond plat (ci-dessous). Robuste, et pouvant être facilement hissée sur le rivage, l'embarcation a reçu le nom de flat. Autrefois, presque toutes les familles gaspésiennes en possédaient une. Les pêcheurs s'en servaient pour pêcher la morue, pour le transport de marchandises ou pour capturer les appâts, tandis que les agriculteurs, eux, l'utilisaient pour capturer des espèces de poissons (hareng ou capelan) utilisées comme engrais. Dans certains endroits, comme à Carleton, le flat était même utilisé pour pratiquer la pêche au saumon. Très répandue autrefois, cette barque est de nos jours l'une des seules survivantes. Elle fut construite par Evariste Coulombe de Cloridorme en 1944.

 

Avant l'arrivée de Jacques Cartier sur cette côte, des pêcheurs français s'aventuraient déjà dans les eaux de Terre-Neuve et du golfe du Saint-Laurent afin d'y pêcher la morue, activité particulièrement lucrative à une époque où l'église catholique interdisait de consommer de la viande durant une bonne partie de l'année. Dès le printemps, la côte gaspésienne accueillait ainsi des centaines de navires venus de Normandie, de Bretagne et de La Rochelle. Les pêcheurs y pratiquaient la pêche à la morue durant tout l'été avant de repartir en automne. Au 19è siècle, de nombreux Gaspésiens auront fort à faire avec certains pêcheurs américains qui pêchaient illégalement, se livraient à la contrebande, usaient de la violence ou de vandalisme pour parvenir à leurs fins. Le gouvernement canadien mettra alors en place une patrouille armée dans le golfe et le Commandant Fortin sera chargé de faire régner l'ordre en Gaspésie, aux Îles de la Madeleine et sur la Côte-Nord, dès 1852. Pour sa mission, le commandant utilisait un bateau rapide et capable d'attraper les hors-la-loi. Une goélette octroyée en 1856 par le gouvernement et portant le nom de Canadienne (en photo ci-dessous).

 

Certains profiteront de la conquête britannique de 1760 pour mettre la main sur les anciennes pêcheries françaises. De nombreux britanniques et surtout des commerçants de Jersey profiteront de cette aubaine. Le plus célèbre d'entre eux est sans doute Charles Robin qui fonda la plus importante et la plus ancienne compagnie de pêche du Canada. A cette époque, la population ne cesse d'augmenter autour de la péninsule gaspésienne, avec l'arrivée de nouveaux immigrants. Et des dizaines d'embarcations de pêche de stationner près des villages de pêcheurs. Parmi elles, apparaitra bientôt la barge, une sorte de baleinière américaine. Ce sont les baleiniers de la Nouvelle-Angleterre qui auraient apporté avec eux ces embarcations au 18è siècle, ou encore des immigrants américains (Loyalistes) en 1784. A l'instar de la baleinière, la barge de Gaspésie est pointue aux deux extrémités, possède souvent deux mâts et mesure de 7 à 9 mètres, les plus grandes pouvant atteindre les treize mètres.

Le rôle du capitaine était primordial dans les affaires des grandes compagnies de pêche, en décidant des routes à suivre lors des campagnes tout en évitant les corsaires américains. Une fois à destination, c'est à lui que revenait le soin de glaner les meilleures opportunités et de fixer par exemple les meilleurs prix pour la morue et les marchandises. Au début, les équipages des voiliers de transport de la morue provenaient surtout de l'île de Jersey, puis d'autres viendront du Canada, de France, d'Irlande, d'Espagne et des pays scandinaves à partir des années 1830.

Bien avant l'arrivée de Jacques Cartier, les Vikings avaient déjà relevé le périlleux défi de la traversée de l'océan Atlantique : au milieu des années 980, ils établissent d'abord une colonie au Groenland, puis explorent Terre-Neuve, le Labrador et le golfe de Saint-Laurent. Des sagas islandaises relatent leurs aventures, comme la découverte du Vinland (pays du vin). La Gaspésie fait-elle (ou pas) partie de ces régions parcourues par les Vikings ? Les spéculations à ce sujet sont toujours d'actualité.

Du temps des guerres coloniales entre Français et Britanniques, les bateaux corsaires seront mis à contribution pour appuyer l'effort de guerre : grâce à une lettre de marque émise par le roi, des navires civils étaient alors autorisés à attaquer des embarcations ennemies en échange d'un partage de butin. En 1690, Percé vécut cette situation lorsque des navires corsaires doublèrent des bâtiments britanniques pour venir mettre à sac le poste de pêche local. Lors de la guerre d'indépendance aux Etats-Unis, on vit aussi des corsaires américains détruire des installations de pêche de Paspébiac appartenant à Charles Robin. Contrairement au corsaires, qui étaient protégés par les lois de la guerre, les pirates encouraient la peine de mort.

Parmi les aléas maritimes, la Gaspésie devra également faire face à son lot de naufrages. Rien qu'au cours des années 1840, le golfe du Saint-Laurent engloutira plus de ...200 navires dans ses eaux. L'un des naufrages les plus célèbres reste celui du Carricks, qui transportait en 1847 des Irlandais fuyant la famine dans leur pays et tentant l'aventure américaine. Lors d'une tempête, le navire alla s'échouer sur les falaises du Cap des Rosiers, laissant au passage quelques rescapés et plus d'une centaine de victimes. C'est à la suite de ce naufrage que le gouvernement fera ériger le phare actuel du Cap des Rosiers.


 

Outre un atelier d'initiation aux nœuds marins, l'exposition « Le Grand Large » offre d'admirer plusieurs maquettes de bateaux (comme ci-dessus). La fabrication de bateaux miniatures est en effet une passion très gaspésienne et fut même une véritable industrie à une certaine époque. Ainsi, à partir de 1929, de nombreux artisans proposèrent-ils leurs créations aux touristes de passage lors de l'ouverture du boulevard Perron. Et certains de rivaliser d'adresse pour reproduire de manière réaliste les navires gaspésiens pendant que d'autres laissaient libre cours à leur imagination.

Autre pêche et autre bateau ? Pas si sûr car à l'époque française, les navires utilisés pour chasser la baleine ressemblaient souvent à ceux qui servaient à pêcher la morue. Les Basques utilisaient par exemple le galion comme vaisseau principal, à partir duquel étaient débarquées plusieurs petites chaloupes appelées chalupas qui permettaient de poursuivre le cétacé. Chaque équipage de chalupa comprenait un harponneur, un barreur et quatre à six rameurs. Ce modèle de bateau influencera plus tard la construction de la baleinière américaine.

La construction navale prendra pour sa part un véritable essor sous l'occupation britannique, car du temps de la Nouvelle France, les bateaux provenaient surtout des grands chantiers européens. Entre 1760 et 1900, plus de 500 navires seront ainsi fabriqués dans cette région, puis utilisés pour la pêche, la cabotage, le commerce transatlantique et la chasse à la baleine. Le plus gros chantier sera indéniablement celui de la compagnie Robin (toujours lui!) à Paspébiac, où oeuvraient de nombreux artisans pour la plupart originaires de Jersey. Les bateaux de pêche traditionnels (barge, flat ou baleinière) seront principalement construits par des artisans locaux au cours du 19è siècle alors qu'au siècle suivant, des chantiers maritimes prendront la relève, comme à Gaspé et aux Méchins.

 

La visite de l'exposition me conduira tout naturellement à visionner un petit film en réalité virtuelle retraçant la vie des pêcheurs à bord du bateau La Gaspésienne (ci-dessus). J'enfile une paire de lunettes spéciale puis un casque et me voilà transporté dans un monde reconstitué d'images à 360°. Une expérience enrichissante !

Parlons justement de cette gaspésienne dont 50 exemplaires verront le jour entre 1955 et 1960, d'après les plans de l'architecte naval Howard Chapelle. Inspirées des anciennes barges, ces embarcations modernisèrent la pêche en Gaspésie, en permettant aux pêcheurs de partir plus loin, sur la Côte-Nord et au large de l'île d'Anticosti. L'époque est à l'innovation, à l'apparition des premières coopératives et au déclin des grandes entreprises de pêche jersiaises. Les bateaux changent de taille et des usines de transformation du poisson sont construites. Face à la disparition des navires, une équipe de 44 bénévoles décidera de restaurer Le Gaspésienne N°20 à l'été 2016. Remise à neuf, et équipée comme autrefois pour la pêche à la morue, le visiteur peut embarquer à bord du bateau et découvrir le lieu de vie des ces pêcheurs d'antan.

Un siècle auparavant, les pêcheurs utilisaient la barge traditionnelle, pêchaient la morue le long des côtes gaspésiennes puis rentraient au port en fin de journée pour faire sécher le poisson. Puis cette morue était vendue à des entreprises jersiaises (dont celle de Charles Robin) pour être exportée vers l'Europe, les Antilles et le Brésil. Souhaitant se libérer de l'emprise de ces sociétés étrangères, l'église catholique incitera les pêcheurs à créer leurs propre entités. Et les premières coopératives de voir le jour dès 1923, puis les Pêcheurs Unis de Québec de fédérer celles-ci à partir de 1939. Cette association achetait non seulement le poisson mais le transformait et le distribuait, avant que des usines modernes ne transforment le produit de la pêche en un produit fini vendu en filet ou en bloc, frais ou congelé, dans les années 1950. Des institutions (de recherche et d'enseignement) apparaissent enfin et contribuent au développement des connaissances et à la formation des nouvelles générations de pêcheurs.

Le premier prototype de La Gaspésienne apparaît en 1955 grâce au travail de l'architecte naval américain Howard Chapelle. Le nom du nouveau bateau est tout trouvé puisqu'il est d'abord destiné aux pêcheurs gaspésiens et qu'il est issu de la barge traditionnelle. Conçu pour la pêche à la palangre, l'embarcation mesure près de 14 mètres de long. Elle est équipée de deux mâts, de deux voiles, d'un moteur diesel et d'une soute pouvant contenir jusqu'à neuf tonnes de morue. Au fil du temps, les cinquante gaspésiennes finiront par disparaître, certaines lors de naufrages, d'autres par simple abandon. Il fallait donc en sauver une, cette Gaspésienne N°20, qui fut fabriquée en 1958 au chantier Davie Brothers, puis vendue à Thomas Boucher de Newport. Le navire sera ensuite cédé à différents propriétaires jusqu'en 2002, date à laquelle le Musée de la Gaspésie le récupérera sous forme de don.

 

En plus des Gaspésiennes, le programme de modernisation de la flotte de pêche prévoyait aussi la construction de chalutiers dès les années 1950. Rapidement, ce nouveau bateau s'imposera puisqu'on en comptera 52 en 1963 (contre 43 Gaspésiennes et sept cordiers). Et leur dimension d'augmenter à vue d'oeil (de treize à...46 mètres de long) et de permettre bientôt la suprématie de la pêche hauturière (en haute mer) face à une pêche côtière déclinante. A compter des années 1970-1980, plusieurs Gaspésiennes seront finalement désarmées pour être converties en simples voiliers, ouvrant finalement au célèbre navire une voie sans avenir.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Musée de la Gaspésie, 80, Boulevard Gaspé, à Gaspé. Tél:(418) 368 1534. Entrée pour adulte : 11,25$. Site internet : http://www.museedelagaspesie.ca
  • La revue d'histoire « Gaspésie » (en photo ci-dessous) est disponible à la boutique du musée ou par abonnement.

  • Un grand merci à l'équipe du musée pour son charmant accueil et son assistance


 








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