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Entre Percé et Bonaventure
(Gaspésie, Québec, Canada)
Heure locale

 

Lundi 28 mai 2018

 

Je débute cette nouvelle semaine en me promenant le long de la côte gaspésienne, entre Percé et Bonaventure. Sous certains aspect, le littoral me fait penser à la côte bretonne avec ses petit villages et son relief découpé. Je roule au pas et cède le passage aux gens pressés, et il y en a sur cette route parfois sinueuse. Ma première halte aura lieu à Cap d'Espoir (en photo ci-dessous), pas celui de Terre-Neuve-et-Labrador (qui est en l'ocurrence le point le plus à l'est du Canada), mais le petit village situé aux environs de Percé. Mon cap à moi est bien découpé dans des falaises atteignant les quinze mètres et plus. Ce toponyme Cap d'Espoir fait référence au légendaire cap d'Espérance jadis identifié par Jacques Cartier en 1534, pour signaler son entrée dans la baie des Chaleurs. Et cette portion de péninsule de porter simultanément, et durant près de deux siècles, les noms de Cap d'Espoir et de Cap Désespoir (correspondant à la déformation du mot anglais « despair »).

Le passé du village s'est bâti autour d'activités maritimes comme la construction navale, la pêche et la mise en conserve du homard. Sur place, la présence d'un phare témoigne de l'importance de ce cap pour les navigateurs de l'époque. Quant à l'agriculture, elle occupa également une place de choix, avec le développement de la culture maraichère dès 1927, et l'apparition sur le marché de petits pois qui firent la réputation de l'endroit. En effet, ceux-ci auraient un goût exquis probablement du à l'air salin. Côté patrimoine, et outre le phare, on notera l'existence d'une ancienne beurrerie, de quelques maisons et de granges ancestrales ayant conservées leur aspect d'original. Jusqu'en 1994, la communauté comptait aussi une charmante église catholique qui disparut cette même année dans les flammes. L'édifice était alors considéré comme l'un des joyaux de l'architecture gaspésienne.

Cap d'Espoir connut aussi son naufrage : en 1711, alors que la flotte anglaise faisait son entrée dans le fleuve Saint-Laurent sous le commandement de l'amiral Walker, un brouillard dense s'abattit soudainement et les eaux du fleuve s'agitèrent de surcroit, contraignant le navire britannique à se briser sur le Cap d'Espoir. Depuis, une légende prétend que lorsque le temps est chaud et humide, on peut encore apercevoir un navire amarré au large et dans le brouillard. Il s'agirait de l'amiral Walker venant déposer des fleurs en souvenir de sa fiancée morte dans ce naufrage.


 

A quelques kilomètres de là, se trouve Sainte-Thérèse de Gaspé : cette paroisse, dédiée à Sainte-Thérèse de Lisieux de l'Enfant Jésus fut érigée canoniquement en 1927. Le village est l'un des plus importants ports de pêche au Québec et ses ressources économiques proviennent majoritairement de la mer, avec le crabe des neiges, le hareng, le turbot, les pétoncles, la morue et le homard. L'usine Gaspé Cured, mondialement connue, transforme sur place les produits de la mer et fait ainsi vivre plusieurs centaines de travailleurs dans la région. C'est auprès du directeur de la Maison Lelièvre et Lemoignan que je me procurerai la photo (ci-dessous) de l'ancienne usine à morue du village. Jusqu'à récemment, les touristes pouvaient visiter un économusée malheureusement fermé et ce, à titre définitif.

 

Au Québec, les municipalités peuvent être très étendues par le jeu de fusions de plusieurs communes. Port Daniel, elle, s'étire sur plus de 305 km2 et son nom rappelle le capitaine de la marine française Charles Daniel qui voyagea en Nouvelle France. Dieppois d'origine, notre homme contribuera pour beaucoup à la colonisation de cette région. Jacques Cartier, lui, mouillera dans l'anse de Port-Daniel en juillet 1534 lors de son premier voyage, bien avant que les premières familles de colons viennent s'y installer, depuis l'Ecosse, bientôt suivies par les Irlandais, les Anglais et les Jersiais. La municipalité tire son nom du terme Epsegeneg, signifiant « lieu où l'on se chauffe » pour les Indiens Micmacs qui fréquentèrent l'endroit il y a fort longtemps. Il est vrai que Port-Daniel est située à l'entrée de la baie des Chaleurs, ou « Anse Saint-Martin » comme la nomma Jacques Cartier. La région est riche en bois, en poisson et en pierre à chaux (dont les goélettes se chargent à l'occasion) et le village constituera l'un des points commerciaux les plus importants de Gaspésie.

L'arrivée du chemin de fer en 1907 dans la commune occasionnera le creusement d'un tunnel de 185 mètres (ci-dessous) dans le roc du Cap de l'Enfer. Près de l'ancienne gare, se dresse encore la Maison Legrand (deuxième photo). Erigée en 1899 par un certain M.Lauder, l'édifice sera agrandi à deux reprises, et deviendra un hôtel après avoir précédemment servi de pension. La maison s'impose surtout par les qualités remarquables de son bâti, construit dans le style Second Empire et caractérisé par un toit à quatre versants, des chambranles, des frises et une loggia. L'intérieur, désormais occupé par l'Hôtel de Ville de Port-Daniel, comporte onze pièces au rez-de-chaussée et seize à l'étage. L'escalier principal situé au milieu du hall permet d'accéder au niveau supérieur et de nombreuses lucarnes offrent un éclairage naturel conséquent. Et la propriété de donner sur la baie des Chaleurs d'un côté et sur le barachois de l'autre. L'hôtel jouera un rôle important pour Port-Daniel jusqu'en 1912, alors que le train marquait l'arrêt à quelques dizaines de mètres de là. Aussi les cheminots (et leurs épouses) séjournaient-ils dans ce vaste établissement, tout comme d'ailleurs des commissaires-voyageurs, et l'écrivain Gabrielle Roy, qui y passera un moment, alors qu'elle venait puiser à Port-Daniel une part de son inspiration. L'hôtel, alors aux petits soins pour sa clientèle offrait le taxi à ses commis-voyageurs pour aller vendre leurs marchandises à Chandler, tout proche. Le soir, après le souper, les femmes tricotaient, brodaient et « jasaient » (conversaient) dans la ladies room pendant que ces messieurs fumaient et jouaient aux cartes dans la smoking room. L'établissement offrait enfin une sample room, une pièce où les commis-voyageurs étalaient leurs marchandises et où les commerçants venaient les acheter.

Un minuscule musée extrêmement documenté s'offre en accès libre aux touristes de passage :je découvre ainsi la position privilégiée de Port-Daniel, son dynamisme économique, l'arrivée du chemin de fer en 1907 et celle du téléphone en 1911 avec l'apparition du premier standard téléphonique du village. Le télégraphe y officiait depuis quelques années déjà. J'apprends aussi l'histoire d'Alfred William Le Grand, Jersiais de naissance et de religion anglicane, arrivé en 1862 à Cape-Cove comme simple commis au service de Charles Robin. Il laissera derrière lui une nombreuse descendance mais le plus connu reste sans doute le plus âgé des enfants, à savoir Alfred-Dumaresq qui deviendra... hôtelier en 1898.

 

J'aperçois au passage l'harmonium (ci-dessous) qui trônera longtemps dans la ladies room. L'hôtel comportait bien sûr une salle à manger réservée aux clients, lesquels appréciaient beaucoup la cuisine de Madame Legrand. Le salon,lui, offrait divans et fauteuils confortables pour les visiteurs de passage venus écouter les dernières nouvelles distillées par le poste de radio. Une quinzaine de chambres occupaient l'étage de la grande maison ainsi qu'une suite et une salle de toilettes. L'hôtel comptait enfin plusieurs pièces réservées à la famille des propriétaires, dont la cuisine qui restait le principal lieu de rassemblement. Avec ses dépendances, sa basse-cour et ses trois potagers, le domaine de cet hôtel formait à lui tout seul un village dans le village. Ses produits étaient même vendus sur les marchés extérieurs, ou apprêtés en cuisine pour être servis aux hôtes. A l'arrivée du train (son sifflet signalait son entrée en gare!), les Legrand attelaient les chevaux et partaient à la rencontre des voyageurs. Par terre ou par mer, les visiteurs débarquaient alors de partout et descendaient à l'hôtel Legrand. Parmi eux se trouvaient des commis-voyageurs dont certains apportaient avec eux la valise à marmotte (deuxième photo), surnommée ainsi car elle contenait des échantillons d'articles en tous genres.


 

Rien qu'en 1998, je découvre que 62633 Canadiens, et près de 24000 touristes venus d'ailleurs ont sillonné les routes de la baie des Chaleurs (nommée ainsi par le navigateur Jacques Cartier, en raison de la brume qui la recouvrait lorsqu'il la découvrit, ce qui lui donnera la fausse impression que l'eau était chaude!) et de la Gaspésie. Et la côte de rivaliser d'attraits, d'hospitalité et de charme pour attirer les visiteurs.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Poissonnerie Lelièvre et Lemoignan, 52 rue des Vigneaux à Sainte-Thérèse de Gaspé. Tél:(418) 385 3310. Site internet : http://www.gaspecured.com/fr/home/
  • Maison Legrand (Hôtel de Ville), 494, route 132, à Port-Daniel. Ouverte toute l'année. Entrée libre.











 



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