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Le Barrage des Trois-Gorges
(Sandouping, Province de Hubei, Chine)
Heure locale

Mercredi 18 décembre 2013

 

Me voici reparti en Chine, plus exactement à Wuhan, dans la province de Hubei. Cette fois, une partie de notre équipage a décidé de partir pour la journée au barrage des Trois Gorges, situé approximativement à deux heures de TGV de notre point de villégiature.

Ce barrage hydraulique, situé au cœur de la Chine, se trouve sur le fleuve Yangtsé : ce fleuve, surnommé le fleuve bleu, est le troisième plus long fleuve du monde après l'Amazone et le Nil. Il prend sa source au Tibet (à 6621 mètres), dans les Monts Tanggula, paysage formé de glaciers et de terres enneigées. Il parcourra ainsi 6380 kilomètres avant d'atteindre la mer de Chine orientale, au nord de Shanghaï, tout en offrant un débit de 30000 m3 par seconde. Durant son parcours, il s'enrichira des eaux de plus de 700 affluents qui drainent un bassin hydrographique de 1,8 million de kilomètres carrés. Le Yangtsé alimente ainsi en eau 40% du pays et...70% de la production rizicole chinoise !

Dès sa naissance, ce fleuve reçoit le nom de Tuotuo, puis prend ensuite le nom de Jinsha (sables dorés) dès qu'il franchit ses premiers affluents (à une altitude de 5000 mètres) avant de s'écouler en direction de la province du Sichuan. Il traverse sa première bourgade, Qumar He, à 4544 mètres, parcourt les gorges du Saut du Tigre (tout un programme!) d'une profondeur de plus de 2000 mètres, atteint la ville de Dongchuan, part vers le nord en serpentant les monts Hengduanshan au Yunnan, commence une inflexion vers l'est où il est rejoint par de gros affluents : Yalong, Min et Jialing. Le fleuve se transforme alors en un énorme cours d'eau boueux tourbillonnant et chargé des déchets et rejets des 120 millions d'habitants et paysans du bassin du Sichuan. Il aura préalablement traversé l'agglomération de Chongqing, une grande ville de la chine intérieure (avec ses 30 millions d'habitants). C'est là, qu'une fois rejoint par l'affluent Jialing, le Yangtsé atteindra les Trois gorges. Celles-ci offrent à la fois un spectacle remarquable et mystérieux qui a depuis fait sa réputation touristique. Particulièrement lorsque la brume et les nuages de gouttelettes d'eau enveloppent les gorges, falaises et pitons rocheux. En été, au moment des crues, le niveau de l'eau s'élève à plus de cent mètres, rendant la navigation sur le fleuve plus dangereuse.

 

Le barrage des Trois-Gorges, progressivement mis en service entre 2006 et 2009, est aujourd'hui le plus grand barrage hydraulique et la plus grande centrale hydro-électrique de notre planète. Situé à Sandouping (une ville créée de toutes pièces pour l'occasion!), près de Yichang, dans la province de Hubei, il se trouve à la limite de la région montagneuse du Haut-Yangzi et de la plaine du Moyen-Yangzi, en aval des Trois-Gorges. Le premier projet sur ce site remonte à 1919, date à laquelle Sun Yat-Sen fit la première proposition. Mais la guerre civile, qui ravageait alors le pays, ne permit pas son aboutissement. Une autre étude fut confiée, en 1944, à un membre du bureau de l'agriculture des Etats-Unis, avant d'être abandonnée trois ans plus tard, officiellement pour des raisons financières, mais plus vraisemblablement à cause des évènements liés à la révolution et à la prise de pouvoir du pays par les communistes. Le débat est relancé en 1949, sous le régime de Mao Zedong, suite à des inondations meurtrières. Des inondations qui pèseront dans la décision ultérieure car, en 1954, les eaux emportèrent 30000 personnes et laisseront 19 millions de sans-abris. Même les Soviétiques contribueront un temps à l'étude de la construction du fameux barrage. 1979 sera l'année d'approbation, par le ministère chinois des Eaux, du choix de l'endroit fait vingt ans plus tôt. C'est le premier ministre chinois Li Peng, ingénieur de formation, qui pousse à la construction du barrage, jusqu'à l'aboutissement de la décision finale, le 3 avril 1992. Les travaux débuteront quant à eux en 1994, en présence du président Jiang Zemin et du premier ministre Li Peng. Le projet requiert alors un investissement de 24,5 milliards de dollars. L'entrée en bourse de la société China Yangtze Power Co, le 18 mai 2006, à Shanghaï, s'achèvera sur une hausse de...44%. Et le directeur général de ladite société d'annoncer deux jours plus tard l’achèvement des travaux.

Au terme de notre croisière sur le Yang-Tsé-Kiang, j'embarque avec mes collègues et notre guide à bord d'un car qui va nous conduire sur le site du barrage : il nous faut franchir le pont Xi Ling Yang Tsé puis des contrôles de sécurité avant de pouvoir accéder au centre d'accueil pour touristes. On nous remet alors un badge ainsi qu'un dépliant en langue anglaise, puis nous remontons dans le car qui va nous conduire à un buffet prévu avant la visite des lieux. Ici et là, nous apercevons des soldats chinois chargés de surveiller l'endroit. A mon grand regret, il nous sera d'ailleurs interdit de visiter une usine hydroélectrique (ci-dessous) et de nous rendre sur le barrage lui-même dont l'accès est strictement contrôlé. Nous devrons nous contenter d'un circuit pré établi et bien huilé à la mode chinoise.

 

Le barrage sera cependant pleinement opérationnel qu'en 2009, date de la mise en marche des 26 turbines servant à produire l’électricité. Trois phases de travaux furent en effet nécessaires : des travaux préparatoires (incluant la dérivation du fleuve) eurent lieu de 1993 et 1997, puis, la construction, et mise en service des premiers groupes jusqu'à atteindre un premier niveau de remplissage de 153 mètres. Enfin, la finition du barrage et sa mise en eau jusqu'au niveau 175m. Cette construction ne fait toutefois pas l'unanimité, puisque des manifestations se seraient déroulées à Jiangnan, en mars 2009, afin de protester contre l'indemnisation insuffisante des populations délogées. Ce fut en effet 1,4 million de chinois qui furent évacués afin de permettre la construction de l'ouvrage. Un peu plus d'un an plus tard, la presse annonçait qu'une importante quantité de déchets s'accumulait dans le barrage, risquant de bloquer les portes d'écoulement de ce dernier (certaines localités voisines du lac ne disposaient pas de système de traitement des déchets). Plusieurs scientifiques exprimèrent leur inquiétude face à la construction du barrage des Trois-Gorges, car les conséquences écologiques étaient, selon eux, incalculables : inondation de 600 km2 de terres agricoles et de forêts en amont du barrage, et en aval, blocage du transport sédimentaire naturel par sédimentation dans le réservoir, ce qui entrainerait d'importants changements dans la faune et la flore, mais aussi de l'érosion (depuis la mise en route du chantier, les rives du fleuve se sont érodées de 4 km2 par an à certains endroits). Cette réduction de sédimentation risque en effet de faire reculer le delta du fleuve puisque le dépôt annuel d'alluvion dans l'estuaire a diminué d'un tiers depuis la création du chantier. Le régime hydrologique et les crues hivernales sont également modifiés, avec une remontée de nappes salées plus importante à l'intérieur du delta du fleuve (ce qui nécessitera un drainage pour évacuer le sel), mais aussi l'exploitation artificielle des grands lacs créés par le déversement des crues du Yangtsé, réduisant ainsi les zones d'habitat de nombreuses espèces d'oiseaux (notamment les grues de Sibérie). L'habitat du dauphin de Chine est, lui aussi, altéré, animal dont l'espèce était déjà considérée comme éteinte en 2006. Ces changements occasionnèrent enfin la multiplication anormale des mauvaises herbes aquatiques et des algues d'une part, l'assèchement des zones humides et appauvrissement de la biodiversité d'autre part.

 

Les impacts du barrage existent aussi sur les populations locales : ce fut finalement plus d' 1,8 million de chinois qui furent déplacés, sans aides de l'Etat, à cause de l'engloutissement de 1300 sites archéologiques et historiques, de 436 km2 de terres, de quinze villes et de 116 villages. 40% des habitants déplacés sont des citadins, relogés pour moitié, dans de nouveaux quartiers (appartements et petites maisons), 60% sont des paysans relogés pour moitié au-dessus du réservoir avec des parcelles d'une superficie de 600 m2, mais de qualité différente (sols minces, en pente, entre 300 et mille mètres d'altitude, ne permettant plus l'agrumiculture). Certains sites archéologiques noyés, eux, auront été réaménagés plus haut. Les détracteurs du projet avancent enfin que ce barrage ne résout que très insuffisamment le problème d'approvisionnement électrique du pays, car il ne fournit qu'environ 3% de la consommation annuelle nationale (production annuelle de 85 Twh) au lieu d'une production de 10% envisagée sur le papier, tout en mettant potentiellement en danger 75 millions de personnes vivant en aval, en cas de rupture du barrage (notamment les villes de Changsha et Wuhan qui comptent neuf millions d'habitants). A noter, la disparition d'une centaine de personnes (chiffres officieux) lors de la construction du barrage, et le dépassement du budget initial, qui était de 24,5 milliards de dollars.

 

Heureusement, il y a aussi les arguments en faveur de la construction du barrage des Trois-Gorges : Ce barrage est peu commun, avec sa longueur de 2335 mètres et une hauteur de 140 mètres. Le niveau maximum d'eau du réservoir par rapport à la mer est de 175 à 185 mètres. Il aura fallu 27 millions de mètres cubes de béton pour ériger le barrage, mais aussi 32 turbo-générateurs de 700 MW (répartis sur trois usines hydro-électriques), un ascenseur à bateaux, une cascade d'écluses. Un immense réservoir (d'une superficie de 1084 km2) fut construit, permettant d'emmagasiner 39,3 milliards de mètres cubes d'eau. Il fallut aussi bâtir des tremplins pour éviter l'érosion au pied du barrage à cause de la puissance des jets d'eau qui sortent de ce dernier (d'une hauteur de chute de 90 mètres). La navigation sur le Yangtsé reste toujours possible mais il faut franchir le barrage : Un gigantesque escalier d'écluses à double sens (d'environ 1500 mètres de long, avec quatre sas de 280 mètres, un sas de 350 mètres pour 34 mètres de large) fut érigé. Ces écluses sont situées sur cinq niveaux et autorisent le passage de navires de 10000 tonnes. Le dénivelé franchi est de 113 mètres. Les portes des écluses mesurent quant à elles 25 mètres de haut. Un ascenseur vertical à bateaux à sas simple permet le mouvement des navires de 3000 tonnes. Son bac mesure 120 mètres de long, 18 mètres de large et 3,5 mètres de profondeur (soit 7560 tonnes d'eau transportées à chaque trajet). Ces équipements rendent possible la navigation sur le fleuve de six à neuf mois par an et on peut observer une augmentation du trafic fluvial (de 10 à 50 millions de tonnes par an) pour des coûts de navigation abaissées de 27%, tandis que la sécurité de la navigation a été améliorée sur 650 kilomètres.


 

Les 26 générateurs de 700 MW (fournis par l'allemand Voith, l'autrichien Andritz et le français Alstom) ainsi que les huit autres générateurs rajoutés lors de la dernière phase de construction offrent une puissance de 22500 mégawatts, soit 10% de la capacité installée en Chine (ou l'équivalent d'une vingtaine de tranches de centrales nucléaires, ou encore l'équivalent de 50 millions de tonnes de charbon chaque année). C'est un atout important. Parmi les arguments favorables à la construction de l'ouvrage, on avance une lutte plus efficace contre les crues dévastatrices du Yangtsé, qui pouvaient dépasser 100 000 mètres cubes/seconde, un phénomène qui avait déjà causé le décès de plusieurs milliers de personnes en 1998. Ce barrage a aussi l'avantage de permettre le développement économique d'une région située au centre du pays, alors que, jusqu'à présent, ce sont surtout les régions côtières qui avaient bénéficié de cet essor. La pêche a bien sûr pu se développer à l'intérieur du réservoir du barrage et compte parmi les nouvelles activités économiques générées par l'ouvrage, comme le tourisme (lequel a désormais lieu en été et pas seulement lors de la saison sèche). Le barrage aurait aussi permis une meilleure maitrise de la qualité générale de l'eau. Cette eau, qui a été partiellement transférée vers la plaine de la Chine du Nord habituée à souffrir de la sécheresse, grâce à un canal de dérivation capable si besoin d'acheminer annuellement 40 kilomètres cubes d'eau (soit l'équivalent du débit du Rhône) ainsi que l'alimentation du lac Han. Le barrage des Trois-Gorges agit enfin comme un formidable outil de propagande pour le régime : tous les écoliers chinois, dès l'âge de douze ans, visitent ainsi le gigantesque barrage, fierté du pays, et ce, aux frais de l'Etat.

 

En ce qui nous concerne, notre visite commence par le franchissement d'une des cinq sas qui forme la cascade d'écluses permettant aux bateaux de circuler. Le car nous dépose au centre d'exposition du barrage, un bâtiment qui offre de voir une maquette de celui-ci et d'en comprendre le fonctionnement. Sur place, quelques boutiques permettent aux visiteurs d'acheter des souvenirs. Nous disposons d'une heure trente pour visiter les lieux, à pied, à partir de cet endroit : à côté de ce bâtiment, se trouvent plusieurs gigantesques escalators permettant de monter sur une colline d'où l'on domine les environs. Une dizaine de minutes est nécessaire afin d'arriver au sommet et d'atteindre le site panoramique de Tanzi Ling. De cet endroit, on peut à la fois apercevoir le barrage au loin (malheureusement peu visible aujourd'hui à cause du brouillard) et la cascade des cinq écluses sur l'autre versant. Nous redescendons à pied en direction du musée du barrage des Trois-Gorges. Celui-ci expose des estampes représentant les Trois Gorges avant la construction du barrage. Une ligne blanche et rouge permet de situer le niveau de l'eau après le noyage des vallées. Impressionnant ! De cet endroit nous nous rendons ensuite au point d'observation 185, ainsi nommé car situé à 185 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur la rive gauche du barrage des Trois-Gorges. C'est, selon moi, le meilleur point de vue pour prendre de jolies photos même par mauvais temps. Il est aussi possible de se procurer de nombreux souvenirs à cet endroit grâce à la présence de plusieurs boutiques. Nous retrouvons notre car sur un parking voisin. Il nous conduira plus tard sur l'autre rive du barrage, à quelques kilomètres de là. Il nous faudra franchir à nouveau le pont Xi Ling Yangtsé avant d'atteindre le Closure Memorial Park, où l'on peut voir des exemplaires de camions qui servirent au transport de remblais lors de la construction. Notre visite s'achève en passant devant plusieurs échoppes offrant de déguster des mets locaux.


 

 

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