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Tokaïdo, la Route de la Mer de l'Est - Mariko et Okabe
(Préfecture de Shizuoka, Japon)
Heure locale


Vendredi 6 mars 2015

 

On prétend que Mariko, la 20è station du Tokaïdo, serait celle de Minamoto no Yoritomo, et qu'elle aurait ensuite été appelée en tant que telle par le shogun Tegoshi Ietsugu. Mariko serait la plus petite d'entre elles. On n'y trouve pas de gare ferroviaire et c'est en autobus que j'atteins cette bourgade. Son succès, jamais démenti, était du à son point de passage obligé pour franchir le passage d'Utsunoya, incontournable sur la route Tokaïdo, et situé entre les stations Mariko et Okabe. C'est la seule portion de route remontant à la période Heian et qui existe encore, au point d'avoir été classée comme lieu historique le 22 février 2010. La route du Tokaïdo passait en effet, durant la période Nara, par la baie de Suruga, avant d'être déviée, sous l'ère Heian, par ce passage d'Utsunoya. On parlait déjà de cet endroit dans les poètes waka de la période Heian et lors de la bataille d'Odawara, Toyotomi Hideyoshi aurait exigé que la route du Tokaïdo soit déviée par ce passage. Un tunnel, le Tunnel de Meiji (en photo ci-dessous) sera creusé dans la montagne d'Utsunoya et permettra le passage des pèlerins, contre paiement d'un péage, dès 1876. Ce fut d'ailleurs le premier tunnel à péage du pays. Malheureusement, ce premier passage souterrain en bois brûla en 1896 et dut être reconstruit en briques. Sa réouverture interviendra en 1904 (jusqu'à 1930). Aujourd'hui, on peut toujours le traverser.

 

On me parle d'une spécialité culinaire à Mariko : la soupe à l'igname, une soupe servie froide, avec du riz chaud (deuxième photo ci-dessus). Cette soupe confectionnée à base de pommes de terre locales est servie gluante (un peu comme un aligot) et ne m'attire que très peu. J'en dégusterai quand même un peu dans la grande salle de restaurant de l'auberge Chojiya qui a vu (et qui voit sans doute encore) bien des pèlerins défiler puisque cet établissement existe depuis l'origine de la célèbre route. Je suis là aussi très sympathiquement accueilli. A l'intérieur de l'auberge, un petit musée présente quelques objets d'époque et une statue de l'auteur du fameux livre de récit du Tokaîdo « Jippensha ikku ». C'est Choyiya eikichi qui fonda cette honjin en 1596. A l'époque, l'endroit n'était qu'un salon de thé, servant le fameux breuvage aux voyageurs. En 1601 (un an après la bataille de Sekigahara), Tokugawa Ieyasu ayant instauré la route du Tokaïdo, Mariko devint un relais et l'auberge devint populaire car elle accueillait les nombreux pèlerins qui y prenaient quelque repos avant de s'attaquer à la montagne d'Utsunomiya, tout en dégustant la totorojiru (la soupe à l'igname) décrite plus haut. Et cela fait quatre siècles que cela dure...


 

Bien sûr, je ne fais que passer à Mariko, et, pour ceux qui disposent de davantage de temps, d'autres curiosités sont disponibles : jadis, le château de Mariko aidait à verrouiller l'entrée ouest de la ville de Sumpu, en contrôlant le point de passage d'Utsunomiya durant la guerre civile. On peut aujourd'hui admirer les ruines de cet ancien château. Une autre maison présente aussi un certain intérêt. Celle-ci, surnommée Ohaoriya, doit son nom du jour où Toyotomi Hideyoshi offrit à la famille Ishikawa une veste haori, alors qu'il rentrait d'une expédition punitive dans le Hojo en 1590. Plus tard, le shogun Tokugawa Ieyasu fera don à la même famille d'un bol à riz commémoratif. Plusieurs temples se dressent à Mariko, le temple Seiganji, bâti autrefois par Minamoto no Yoritomo, puis reconstruit par Takeda Shingen après avoir brûlé durant la guerre. On trouve sur place une espèce animale protégée, la grenouille de l'arbre vert. Le temple Keiryuji, lui, permet d'observer le traditionnel gâteau de riz offert en offrande et qui protège des esprits démoniaques depuis l'ère Muromachi. Ce gâteau, appelé jugando, peut être acheté à la maison Ohaoriya, ou est vendu au temple lors des fêtes. Je rends une petite visite au temple Toggepo Saiokuji (ci-dessous), car c'est à cet endroit que vécut jadis le poète Socho, maitre du poème Renga, qui travailla pour la famille Imagawa. L'endroit est reconnu pour sa beauté et en tant que lieu historique. Enfin, il ne faut pas manquer le parc de pruniers de la ville, qui permet d'observer 800 pruniers de 300 variétés différentes (floraison entre janvier et mars)


 

Sur la deuxième photo ci-dessus, on peut voir l'estampe de Mariko, dessinée par Ando Hiroshige. La station de Mariko, fortement liée aux clans Minamoto, Imagawa et Tokugawa, montre deux voyageurs dans une maison de thé au bord de la route, maison que vient juste de quitter un autre voyageur. L'auteur célèbre ici l'une des nombreuses auberges de la station, la Meibutsu Chamise, la maison de thé aux célèbres spécialités, mentionnée à l'époque dans plusieurs guides et romans, en particulier dans le roman de Jippensha Ikku, « à pied sur le Tokaïdo » (infos ci-dessous). La grande spécialité du lieu était la soupe à l'igname, très réputée. L'estampe met donc en scène deux voyageurs qui se délectent de ce mets servi par une femme portant un bébé dans son dos. Un autre voyageur fumant la pipe, son manteau de paille et son chapeau accrochés à son bâton, s'éloigne sur la route qui passe devant l'auberge.


 

Je reprends maintenant l'autobus pour me rendre à la 21è station, Okabe. Ce petit relais manqua souvent de lits et dut autrefois souvent faire appel à la station voisine de Fujieda. J'y découvre, là aussi, une vieille honjin d'époque (ci-dessus en photo), l'auberge Kashibaya, transformée depuis en musée. L'auberge fut construite par les Yamauchi, descendants de la famille possédant l'auberge d'Uchino. Le bâtiment fut érigé en 1836, sur un terrain d'environ 7800 m2, mais la surface de la maison ne dépasse pas les 300 m2. A l'intérieur, des guides vous expliquent, en japonais uniquement, l'histoire de ce lieu, et son rôle dans l'histoire de la petite ville, mais aussi le mode de vie de la population locale d'autrefois. En ce qui concerne l'auberge d'Uchino, on peut encore apercevoir ses ruines sur le site. Le lieu avait une superficie de 574 m2. Le bâtiment actuel, érigé durant l'ère Meiji possède un petit sanctuaire et un puits, tous deux d'origine. Un autre temple a attiré mon attention car il est dédié aux soldats morts lors de la guerre russo-japonaise en 1905. A l'intérieur du temple Joshoin (en photo ci-dessous), on peut observer des rangées de petites statues en bois sculpté qui représentent des soldats en uniforme. Le conflit qui se déroula entre le 8 février 1904 et le 5 septembre 1906 opposa l'Empire russe à l'Empire du Japon, lequel, victorieux, à la suite de la signature du traité de Portsmouth , récupéra une petite partie de la Mandchourie et la moitié de l'île de Sakhaline. Cette guerre préfigurera les guerres à venir du XX è siècle par sa durée (une année), par les forces engagées (plus de deux millions d'hommes au total), par les pertes (156000 morts, 280000 blessés et 77000 prisonniers) et par l'emploi des techniques les plus modernes de l'art de la guerre (logistique, lignes de communications et de renseignements, opérations combinées terrestres et maritimes, durée de préparation des engagements). Sur le plan politique, ce conflit s'explique par l'opposition directe des deux impérialismes russes et japonais (le premier souhaitait obtenir un accès permanent à l'océan Pacifique). Par ailleurs, l'Empire japonais tendait de préserver en priorité son indépendance et ses intérêts face aux impérialismes européens de plus en plus présents dans cette région du globe depuis la deuxième moitié du XIXè siècle. Il tentait enfin de s'affirmer et à se faire reconnaître comme puissance régionale à part entière, notamment à l'égard de la Corée.


 

Okabe-juku était la 21è station du Tokaïdo et se trouve désormais dans la ville d'Okabe. L'actuelle route N°1 (qui inclut une partie de la route de la mer de l'est) sépare Okabe de la station précédente Mariko. La majeure partie des stations composant le Tokaïdo furent ouvertes dès la première année, c'est à dire en 1601, mais la station d'Okabe n'ouvrira qu'un an plus tard. Lors de sa création, il n'y avait que seize habitants et la bourgade ne comptera encore que cent âmes en 1638. Elle sera donc une toute petite station d'accueil mais saura prospérer malgré tout. L'estampe ci-dessus dépeint un torrent de montagne entre deux rives escarpées et la route, qui n'est à cet endroit qu'un étroit chemin bordé d'un mur de pierre sur un des deux côtés. Le hatago Kashiba-ya prospéra depuis la période Edo, mais sera détruit par le feu en 1834. Reconstruit avant la fin des années 1830, il sera classé parmi les biens culturels importants du Japon, et rouvrira ses portes en tant que musée à partir de l'an 2000.

Que ce soit à Okabe ou ailleurs, on conseillait aux pèlerins de quitter leur refuge entre trois en cinq heures du matin, afin d'atteindre dans tous les cas l'étape suivant alors qu'il fait encore jour. Ne dit-on pas que le journée n'appartient qu'à ceux qui se lèvent tôt ? Chacun des 53 relais comportait au minimum un centre expéditionnaire et de placement des hommes et des chevaux, et tenait à la disposition du service officiel cent portefaix et cent chevaux, qui pouvaient être affectés au service des particuliers les jours où ils demeuraient inemployés. Face à l'augmentation importante du nombre de voyageurs, on verra bientôt apparaître une canaille sans foi ni loi louant ses services en parallèle pour tous travaux de transport sur les axes de communication, qui tentera de rouler « le touriste » à chaque fois qu'elle le pourra. Un certain nombre d'auberges était référencé par le bakufu (gouvernement) pour loger les feudataires et leurs suites, ou, à défaut, les simples voyageurs. Plusieurs types d'établissements coexistaient donc : auberges, restaurants (style casse-croûte), maisons de thés, divers magasins, souvenirs, artisanats locaux, et même coiffeurs ! Les prix étaient variables en fonction des trajets et des époques. Sous l'ère Shötoku (de 1711 à 1716), il fallait compter de 32 à 100 mon (le mon fut la monnaie japonaise jusqu'en 1870) pour passer une nuit à l'auberge, diner et petit-déjeuner compris. Chaque auberge entretenait ses « empileuses de riz » (catins), et il y en avait deux par établissement (par règlement de police), enfin en principe, car le quota était souvent dépassé vu le nombre important de voyageurs à servir...Dans les auberges les plus simples, la serveuse ne « montait » pas à la chambre avec le client. Le client complètement désargenté, lui, descendait dans les relais-chablis ou relais-cotret (en référence au bois chablis, ou du cotret, nécessaire à la cuisson du diner du client, client qui devait apporter les ingrédients de son propre repas!). En fait, il s'agissait davantage d'une auberge espagnole...

 

INFOS PRATIQUES :


  • Auberge Chojiya, à Mariko (en face du petit pont franchissant la rivière). Ouverte tous les jours, de 11h00 à 19h00. Menu soupe à l'igname + riz + thé vert: 1350 yens. Site internet : http://www.chojiya.info

  • La maison Ohaoriya, à Mariko, peut être visitée tous les jours sauf le jeudi. Entrée : 200 yens. Tel:054 258 1488

  • Temple Seiganji, à Mariko. Fermé occasionnellement. Entrée : 300 yens. Tèl : 054 259 8611

  • Temple Togeppo Saiokuji, à Mariko. Entrée : 300 yens (Je n'ai pas franchi personnellement l'enceinte du temple et suis resté dans la cour, le lieu me paraissant inhabité). Ouvert ourtant toute l'année.

  • Parc aux pruniers de Mariko. Entrée : 700 yens.

  • Pour vous rendre en autobus jusqu'à Mariko, depuis la gare JR de Shizuoka, emprunter le bus 84 , quai 7 (gare de bus face à la gare JR), et descendre à l'arrêt : Marokobashi iriguchi. Coût : environ 600 yens.

  • Auberge Kashibaya, 817 Okabe à Okabe . Tèl : 054 667 0018. Ouverte tous les jours (sauf le lundi) de 9h00 à 17h00. Entrée : 300 yens. Site internet : http://www.city.fujieda.shizuoka.jp/

  • Temple Joshoin (temple des soldats), en hommage aux soldats japonais morts lors de la guerre russo-japonaise en 1905. Prendre Bus 84, descendre à l'arrêt : Sakashita, puis prendre un taxi car l'endroit est isolé.

  • Livre « Jippensha Ikku », A pied sur le Tokaïdo (éditions Picquier Poche), cher Harmonia Mundi. 393 pages.

 









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