Revoir le globe
Top


Exposition d'Ikebana
(Musée Meguro Gajoen, Tokyo, Japon)
Heure locale


Mercredi 27 avril 2016

 

De retour à Tokyo (Japon), je profite de mon escale pour visiter l'exposition d'Ikebana qui se tient actuellement au Gajoen de Meguro, jusqu'au 15 mai prochain. Je suis délicieusement reçu par Sakura Kajino, qui me guidera et me servira d'interprète tout au long de cette visite. Le terme ikebana ou Ka-do (la voix des fleurs) est tiré du verbe japonais ikeru, signifiant faire vivre, et de hana, la fleur. On peut traduire le mot par arrangement floral. L'ikebana est en effet un art qui consiste à disposer les éléments d'un bouquet floral selon des règles précises héritées du rituel bouddhiste visant à la concentration de façon à s'unir au cœur des fleurs.Et l'ikebana de se distinguer nettement de nos compositions florales par sa symbolique, son asymétrie et sa recherche de l'utilisation de l'espace.

Ainsi l'ikebana puiserait ses sources dans les rites voués aux divinités indiennes et serait passé par la Chine et la Corée avant d'atteindre le Japon. Au VI ème siècle, alors que le bouddhisme faisait son apparition sur l'archipel nippon, cet art commençait à établir ses bases, bien qu'on ne parle pas encore d'ikebana et qu'il n'existe pas encore d'usage codifié. On emploie alors le terme de Mitsu-gusoku : les compositions florales sont disposées dans un vase à côté d'un brûle-parfum ou d'un porte-bougie. Lorsque deux vases étaient utilisés simultanément, avec deux brûle-parfum et un porte-bougie, on employait alors le terme itsutsu-gusoku. Le tout étant disposé devant une image bouddhiste ou devant trois hotoke (divinités bouddhistes). En 607, de retour d'une ambassade en Chine, Ono-no-Imoko, alors ambassadeur de l'impératrice Suiko-Tenno auprès de la Chine des Sui, aurait ramené un nouveau style de Mitsu-gusoku, élaboré à l'aide de trois fleurs seulement. Ces compositions florales ne cherchent alors ni à atteindre un esthétisme idéal, ni à symboliser un principe religieux quelconque, mais ne sont que l'incarnation de la dévotion et du respect apporté aux divinités bouddhistes.

C'est peu à peu, que des préceptes religieux vont marquer ces compositions : harmonie entre l'Homme et la Nature, idée éphémère de la renaissance, principe masculin/féminin et concept confucéen de trinité (terre/homme/ciel). Le X ème siècle verra la diminution de la notion de sacré au profit d'une plus grande recherche d'esthétisme dans la formation des bouquets, de manière à rendre cet art plus populaire, sans devenir pour autant populeux. Et d'abandonner, au XI ème siècle, une partie de ses codes complexes, simplifiant ainsi cet art qui prendra la forme d'un nouveau style, celui de Rikka.

 

Le Rikka est caractérisé par des bouquets de forme triangulaire. Né au XII ème siècle, et codifié par Sengyo (offrande religieuse), ce style offre des bouquets comportant un nombre de tiges impair et chaque tige porte un nom et une symbolique. On compte sept (pour un bouquet classique) ou neuf (à partir du XVIII ème siècle) lignes de charpente représentant l'univers. Chaque œuvre comprend une branche principale appelée Shin, elle-même agrémentée de deux autres branches (Soe et Uke) ayant chacune un rôle spécifique. Toute l'ampleur de la composition est donnée par une longue branche appelée Nagashi, tandis que la profondeur de la composition est obtenue par le Mikoshi (une branche partant vers l'arrière et en biais). La plus haute tige, elle, est appelée Ryo (sommet) et symbolise le ciel. Dans le style Rikka, chaque bouquet est réglementé dans ses proportions, et la hauteur du vase utilisé pour la composition doit être équivalente au quart de la hauteur de la composition florale. C'est au grand maitre Senkei qu'on doit ces principes rigoureux car il fut le premier à en établir les règles. De même, l'école Ikenobo sera la première à enseigner les principes du style Rikka et reste la plus ancienne école d'ikebana. Celle-ci aurait été fondée par un bonze qui habitait au bord d'un étang (iké).


Ce style Rikka atteindra son apogée au XVI ème siècle, puis sera simplifié au siècle suivant à travers le style Seikka (qui ne comportera plus que deux styles de végétaux). Ce style Seikka constituera ses arrangements floraux sur le concept de la trinité, trinité qui représente le royaume du ten-shin-jin (ciel, terre, homme). L'ikebana ne cessera dorénavant d'étendre son influence et son nombre d'adeptes pendant toute l'ère Muromachi (1333-1574). Mais c'est dès le XV ème siècle qu'apparaitra le premier traité d'ikebana, le Sendensho, qui sera suivi au siècle d'après par le traité Senno Kudden incluant la notion de paysage complet. De nouveaux styles de bouquets feront également leur apparition, pour célébrer des évènements particuliers comme le Nouvel An, la fête des jeunes filles, la fête des garçons, etc... Et ces bouquets festifs d'être plus raffinés et élégants sans pour autant tomber dans l'opulence (qui n'interviendra qu'au XVI ème).


 

Un autre style, le Nageire (littéralement, fleurs introduites) se développera parallèlement et prônera un retour au sacré, à la simplicité et à la sobriété. Ainsi naitra l'idée de Wabi, qui se caractérise souvent par la présence d'une seule fleur dans une simple poterie en terre cuite. Forme expurgée du style Rikka, le Nageire abandonne la rectitude des lignes pour donner à l'ensemble une forme plus naturelle, et est toujours pratiqué de nos jours.


 

L'ikebana évoluera au fil des siècles en s'ouvrant aux femmes durant le XVII ème siècle, et en autorisant l'introduction de nouvelles fleurs tout en multipliant ses écoles à partir du XIX ème. Ce fut Ohara Unshin qui utilisera le premier des fleurs en provenance d'Occident pour ses bouquets, et qui donnera naissance au nouveau courant Moribana (fleurs groupées). Ce courant sera à l'origine d'autres courants avant-gardistes, toutefois classables en deux styles, les naturels (qui respectent davantage les plantes et les saisons) et les modernes (qui jouent sur les masses et les volumes). Ces compositions autorisent alors l'utilisation d'un pique fleurs et sont toujours pratiquées actuellement. D'autres courants d'ikebana existent, parmi lesquels le Suna-no-mono, qui applique les règles du Rikka mais applique une autre hauteur de bouquet, plus basse. Les compositions de ce style sont formées dans un bassin et la base de chaque branche est cloutée sur des planchettes recouvertes de petits cailloux servant à les cacher et à les maintenir.


 

L'arrangement floral de style Chabana, lui, est conçu pour la cérémonie du thé. Ses bouquets ne suivent pas les règles strictes du Rikka, et le Chabana est reconnaissable par sa simplicité et son naturel. Le dépouillement est en effet poussé à l'extrême et de nombreuses compositions ne sont d'ailleurs formées que d'une seule branche. Un autre style, le Shoka est quant à lui basé sur le concept de la trinité. D'influence confucéenne, il apparut au XVIII ème siècle et consiste en une simplification du Rikka. Le style Jiyuka (ci-dessous), qui signifie fleur libre, est le style qui domine actuellement. Asymétrie, contraste, harmonie, équilibre, caractéristiques des éléments et vivacité sont les maitre-mots de ce style bien que chaque école d'ikebana conserve comme base leurs propres styles.


 

L'ikebana est représenté par plusieurs symboles : ainsi, le bourgeon et le bouton symbolisent-ils l'avenir et le futur. La fleur ouverte, elle, évoque l'épanouissement, tandis que le lichen fait référence au passé. Le pin représente la longévité, les aiguilles de pin allant toujours de pair, tout comme les époux, et ses branches font penser aux pierres et aux rochers. Le bambou, lui, se courbe un moment sous la neige mais se redresse toujours. Il représente ainsi la vitalité mais également la prospérité à cause de son développement rapide. D'autres fleurs, comme celles du pêcher symbolisent la féminité, et le chrysanthème évoque rivières et ruisseaux. Le prunier évoque de son côté la force vitale car il fleurit même par temps froid. Quant à l'asymétrie, elle renvoie vers l'idée de mouvement et de vie.

Les grandes écoles d'ikebana sont quant à elles dirigées par des Iemoto (sorte de charge de grand maitre héréditaire), bien que ce système ne soit pas exclusif à l'ikebana car d'autres disciplines (comme le théâtre Nô) sont menées selon le même principe. On dénombre pas moins de 3000 écoles regroupant environ 20 millions d'adeptes, chacune ayant ses propres règles. Je rencontrerai plusieurs maitres en ikebana lors de ma visite, chacun exposant avec fierté ses arrangements floraux. Et croiserai une foule constante lors de mon passage, qui prouve, s'il en était besoin, le grand intérêt des Japonais pour cet art raffiné.

 

INFOS PRATIQUES :


  • Exposition d'ikebana, jusqu'au 15 mai 2016, au Meguro Gajoen, 1-8-1 Simomeguro à Tokyo. Tél:03 5434 3140. Ouvert tous les jours de 10h00 à 18h00 (sauf le lundi). Entrée : de 600 à 2000 yens. Site internet : http://www.megurogajoen.co.jp

 

 

 

 

 

 

 

 









 



Retour aux reportages







Qui Suis Je - Reportages - Médiathèque - Calendrier - Pays - La lettre - Contact
Site réalisé par Kevin LABECOT
Disclaimer - Version mobile