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D'Erbalunga à Luri, en passant par Pietracorbara
(Haute-Corse, France)
Heure locale

 

Samedi 22 septembre 2018

 

Partons aujourd'hui sur la côte thyrénéenne et arrêtons-nous à Erbalunga. Ce petit village de pêcheurs offre un joli port agrémenté d'une tour génoise (en photo ci-dessous) et a déjà séduit peintres et photographes. Thérèse et moi y prenons notre petit-déjeuner avant de descendre explorer l'endroit. Ce matin encore, le soleil brille et les chiens du village sont installés ici et là pour leur sieste (pas si désagréable cette vie de chien!). La tour génoise, elle, remonte au 16è siècle tandis que, non loin de là, se dresse l'église Saint Erasme , protecteur des marins, qui fut édifiée en 1862. C'est qu'on pratique ici la pêche de très longue date, et de manière professionnelle depuis le 18è siècle. Auparavant, les Ligures et les Napolitains venaient en Corse pour des campagnes de pêche intensives de plusieurs mois et nombreux étaient ceux qui finissaient par s'installer dans la région bastiaise. En 1770, les pêcheurs d'Erbalunga utilisaient déjà le chalut (sciabiche), des filets à bogues (bugaré) et des filets spécialement conçus pour la pêche aux anchois et à la sardine, les spioni. Les anchois étaient ensuite salés puis exportés en barils. Certaines familles du village s'étaient d'ailleurs spécialisées dans cette activité, dont des femmes, comme la célèbre Candide Penchi, surnommée « la pêcheuse » qui exercera cette profession dès 1896.

Avant la construction de la jetée, en 1911, Erbalunga n'était qu'un simple scalu, c'est à dire un endroit où un seul bateau pouvait faire escale, à l'exemple d'ailleurs de la majorité des marines corses de l'époque. Cela n'empêchait pas les habitants de pratiquer le commerce maritime à l'origine d'une certaine prospérité dans la région. Brando (dont Erbalunga forme un quartier) comptait au début du 17è siècle la première flotte insulaire de l'île avec une vingtaine de bateaux de faible tonnage, des embarcations de 8 à 15 mètres de long pour les plus gros, qui étaient utilisés pour la navigation côtière mais aussi pour les traversées vers la Sardaigne et même Gênes, Livourne et Rome (à cause de leur faible tirant d'eau). Cette marine commerciale souffrit malheureusement du marasme économique occasionné par les guerres du milieu du 18è siècle et la concurrence grandissante du port de Bastia, tout proche. Et Erbalunga de ne compter que quelques embarcations assurant le cabotage vers Bastia et ses environs au début du 19è siècle.

Après avoir cessé d'armer leurs propres bateaux, les habitants du village continuèrent tout de même à prendre la mer sur des navires au départ de Bastia, notamment sur ceux de la Compagnie Valery, une compagnie fondée par une famille d'Erbalunga, et à bord des navires de la compagnie Fraissinet. Nombreux furent également les enfants d'Erbalunga à devenir marins et capitaines au long cours, sur de grandes compagnies françaises comme les Messageries Maritimes ou la Compagnie Générale Transatlantique. Ces hommes naviguèrent sur toutes les mers du globe tout en gardant à jamais leurs racines dans ce petit village.

 

A quelques kilomètres de là, se dresse Pietracorbara, un village de 670 habitants sur un territoire étendu de huit kilomètres donnant sur le littoral et sur l'intérieur des terres. L'endroit, dominé par le Mont Alticcione (1139 mètres) vécut des siècles durant au rythme des incursions, des saccages et des destructions de villages perpétrés par les Grecs, Romains, Maures, Sarrasins et Turcs, autant d'envahisseurs qui établirent ici des campements temporaires avant de repartir comme ils étaient venus. Entre 1100 et 1625, la vallée sera la propriété de seigneurs féodaux, dont les Avogari di Gentilli, premiers maitres des lieux, qui gouverneront durant deux siècles avant d'être remplacés par des seigneurs de Pise puis de Brando, Nonza et Canari. A partir de 1625, Pietracorbara dépend directement de la République de Gênes, jusqu'à ce que Pascal Paoli n'en prenne le contrôle en 1757. Dix ans plus tard, le roi Louis XV prenait possession de la Corse.

Aujourd'hui, même si le village semble bien calme, le 19è siècle offrira un essor économique et démographique maximum. Le village frôlera ainsi les mille âmes en 1891 et il faudra attendre la Grande guerre de 1914 pour voir s'effondrer cette progression, avec seulement 260 habitants en 1960. Parmi ses atouts, on note une belle plage de sable fin, mais aussi un patrimoine bâti important comme par exemple des ponts, des moulins et des fours à pain. Plusieurs chapelles baroques s'offrent enfin aux visiteurs ainsi que des promenades thématiques à pied ou à cheval.

Plus modestement, nous garons notre véhicule sans faire de bruit, à côté du cimetière et nous arrêtons devant l'église Saint-Clément (ci-dessous) qui forme un ensemble patrimonial avec l'ancienne confrérie Sainte-Croix et l'ancien presbytère. Saint Clément veille quant à lui sur les bateliers et mariniers, mais aussi sur les moutons et les taureaux. De décoration baroque, l'édifice, qui a été édifié en 1500, offre bien des trésors aux passionnés d'histoire, dont un tableau représentant La Sainte Famille, œuvre du peintre insulaire du 18è siècle, Giovan Battista Moro.


 

Actuellement en vacances, nous nous sommes mis en tête de « faire le pont ». Ca tombe bien car on en compte trois à Pietracorbara : ces trois ponts génois furent bâtis entre la fin du 13è et le milieu du 18è siècle, période durant laquelle la Corse appartenait à la République de Gênes. Le pont du Quercetu est situé dans la plaine et fut construit en galets roulés. C'est le plus trapu des trois et il domine des pâturages envahis au printemps par les asphodèles. Le pont du Ponticelli (ou petit pont, en photo ci-dessous) permet de franchir la rivière à hauteur du hameau du même nom. Sa courbure audacieuse offre une arche de pierres ample et fine et la fontaine qui le jouxte a été restaurée en 2007. Ce pont sert de point de départ à plusieurs randonnées. Enfin, le pont du Guadubughju (deuxième photo) se trouve plus haut dans la vallée et signifie « le ruisseau sombre ». Il se situe ainsi sur le chemin reliant Pietracorbara à Sisco par la montagne.

 

Pietracorbata offre une autre curiosité : les fours à pain d'Orneto (ci-dessous). Autrefois, chaque hameau en possédait plusieurs, et leur déclin fut lié à la baisse démographique de la vallée après la Première guerre mondiale. Le manque de main d'oeuvre a fait reculer la culture du blé et de nombreux fours restent alors inactifs. Le rang social détermine alors souvent l'emplacement du four, les familles aisées possédant le leur à l'intérieur de leur demeure tandis que les autres utilisent un four extérieur, jusqu'en périphérie du hameau. Des fours à figues existaient même pour sécher le fruit et le conserver pour le manger en hiver. Quant au pain, il se préparait en famille, et était cuit le samedi. Le déclin des fours à pain, lui, remonte au début des années 1930, lorsqu'une boulangerie artisanale s'implanta à l'Oreta et modifia les habitudes. Et les fours de n'être plus utilisés que pour les fêtes, comme à Orneto, hameau qui possède le plus grand nombre de fours à pain (l'endroit en compte six, dont quatre visibles de l'extérieur). Il faut savoir qu'une fête des fours a été instaurée en 2006. Celle-ci se déroule durant la première quinzaine d'août et permet de partager avec les habitants les mets salés et sucrés cuits au feu de bois. Tartes, quiches, pizze, fiadone, pastizzi... sont ainsi préparés par les habitants du village et toutes ces gourmandises sont ensuite dégustées sur la place du hameau de l'Orneto. Le four en photo ci-dessous appelé U Fornu Vivu (le four vivant) a été restauré en 2009 par l'association Petra Viva et constitue le sixième four à pain encore en état de marche (le hameau en comptait 17 à la fin du 19è siècle). Ce four servit également à sécher les châtaignes pour la farine durant la Seconde guerre mondiale, et aussi les figues. Avant de s'appeler U Fornu Vivu, celui-ci portait le nom de Maria'Anto (diminutif de Marie-Antoinette Bartolomei, épouse Damiani, qui en fut la dernière utilisatrice). Lors de sa restauration, cinq pierres y furent incrustées, originaires des cinq continents (une lave de l'Etna, en Sicile, un caillou cristallin d'un îlot de Tunisie, une pierre ronde d'Haïti, une pierre rose de Coral Bay, en Australie et une pierre du Lac Namtso venue de Chine).

Juste à côté du four, se trouve une fontaine polyglotte qui décline à 29 reprises (plus une fois en langue corse) le mot fontaine. On peut y lire une phrase en corse de Jean-Paul Poletti, auteur, compositeur et chanteur insulaire : Per l'acqua di e funtane chi ci lava d'ogni male, eo credu (Pour l'eau des fontaines qui nous lave de tous les maux, je crois)

 

Notre dernière étape nous mène à Luri, commune située sur la façade orientale du Cap Corse. L'endroit appartint à des seigneuries depuis la fin du 9è siècle jusqu'à la fin du 16è, puis passa sous administration génoise jusqu'à la deuxième moitié du 18è, avant de devenir française. Nous nous arrêtons à Piazza (signifiant espace plat), un hameau de la vallée de Luri. Au 18è siècle, Pascal Paoli, homme politique, philosophe et général corse, envisagera de faire de Luri la capitale du Cap Corse du fait de sa position géographique située quasiment au centre de la presqu'île. Plus modestement, Thérèse et moi nous contenterons de prendre en photo l'église SS Pietro e Paolo (ci-dessous) du hameau, qui abrite un tableau sur bois en triptyque représentant Saint Pierre et Saint Paul. Au loin, nous apercevons l'ancien donjon du château des Motti, appelé aussi Tour de Sénèque (deuxième photo) : les plus courageux emprunteront un chemin balisé permettant d'accéder à l'éperon rocheux (564 mètres) et d'admirer la Tour de Sénèque, ancienne tour génoise du 16è siècle. L'édifice, classé au titre des monuments historiques en 1840, porte le nom de Sénèque car l'histoire veut que Sénèque, philosophe romain, qui vécut au 1er siècle, fut exilé huit ans durant au Cap Corse...


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