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L'Opinel, Esprit de famille et Idée de génie
(Musée Opinel, Saint-Jean-de-Maurienne, Savoie, France)
Heure locale

 

Jeudi 10 octobre 2019

 

Comme beaucoup de Français je connaissais bien sûr ce couteau de poche si pratique. Mon père en avait toujours un sur lui. L'Opinel, ou couteau d'Opinel, a su se faire une place dans le cœur de nos compatriotes depuis sa création en 1890. Ma venue à Saint-Jean-de-Maurienne est l'occasion pour moi de découvrir que c'est ici, en Savoie, que la fine lame fut inventée. Plus exactement à Gevoudaz, dans le petit hameau d'Albiez-le-Vieux, par Joseph Opinel, un jeune homme de 18 ans. Je pars ce matin au Musée Opinel, à la découverte de cette famille qui, en sachant si bien perpétuer cet objet quotidien qu'est devenu l'Opinel, nous montre qu'il ne tient qu'à nous d'avoir le couteau dans l'âme !

 

J'avais contacté il y a quelques jours le Musée Opinel pour leur faire part de mon intention d'écrire un article au sujet du célèbre couteau. Et d'être autorisé à prendre photos et vidéos dans cet espace de 700m2 dédié à l'histoire du célèbre couteau savoyard, qui fut autrefois une ancienne forge de l'entreprise. Ce musée gratuit propose en effet au public des expositions permanentes et temporaires s'intéressant aux grands évènements qui fit de cette marque ce qu'elle est aujourd'hui. Il est aussi l'un des musées les plus visités du département. Que voulez-vous, chez les Opinel, on voit les choses en grand. Ainsi, lors de votre promenade en ville, ne soyez pas surpris si, de façon inopinée, vous apercevez deux monuments géants en forme d'Opinel (un au rond-point des Arves et un sur le Skatepark de la Combe), et faites-vous prendre en photo devant en guise de souvenir.

Le musée que je découvre est un lieu adapté aux petits et aux grands, par les moyens ludiques qu'il déploie. Dès l'entrée, un panneau annonce clairement et en quelques lignes l'histoire de ce musée et les thèmes abordés lors de la visite.

 

La première salle nous plonge dans l'histoire des montagnes de Maurienne dont les mines de fer furent exploitées dès 700 ans avant J.C. Vint l'essor de la métallurgie pour produire épées, couteaux et autres objets en fer, à partir du Moyen-Âge. Et le patronyme Opinel de s'inscrire dans cette histoire métallurgique régionale, grâce à Joseph Opinel, un maitre-orfèvre reconnu, issu d'une famille d'Albiez-le-Vieil.

On apprend ainsi que la famille Opinel est originaire de Gevoudaz, près de Saint-Jean-de-Maurienne. Et qu'après avoir appris le métier de forgeron durant ses tournées de colporteur, un certain Victor-Amédée installe sa forge en bord de rivière et fabrique clous, serpes et haches..., aidé par ses deux fils Daniel et Pierre. Plus tard, Daniel reprend la forge et forme à son tour ses fils Joseph et Jean au métier de forgeron-taillandier. Mais Joseph a déjà une idée en tête...

L'esprit de famille n'excluant pas l'idée de génie, Joseph est naturellement curieux et ingénieux. Et de s'affairer en 1890 à inventer un couteau de poche à partir d'une lame traditionnelle, et d'un manche qu'il souhaite à la fois confortable, pratique et robuste.

Le succès sera immédiat : six ans après son invention, Joseph et ses trois ouvriers fabriquent cinq douzaines de couteaux par jour. Aussi commercial qu'inventif, notre homme décline son couteau en douze tailles dès 1897, du plus petit au plus robuste. Les colporteurs feront le reste en faisant connaître les couteaux Opinel au-delà de la vallée, en Suisse et en Italie.

La demande augmente et il va falloir intensifier la production. Quoi de mieux pour Joseph de partir trois mois durant en stage comme ouvrier dans une usine de coutellerie de Thiers, histoire d'observer less méthodes de travail avant de rentrer chez lui pour perfectionner les machines, en acquérir de nouvelles et agrandir l'atelier paternel ? 1901 sera l'année de construction de sa première usine, au pont de Gevoudaz, avec quinze ouvriers. Sa prochaine étape le conduira à Chambéry pour y installer son entreprise, en 1915.

 

L'histoire ne date pas d'hier puisque, dès 1565, le roi de France Charles IX ordonnait que chaque maitre-coutelier appose un emblème sur ses productions pour en garantir l'origine et la qualité. Joseph, qui est alors attaché aux traditions, reprendra l'idée en marquant ses couteaux de « La Main Couronnée », inspirée des armoiries de Saint-Jean-de-Maurienne. Cette main droite avec trois doigts levés et deux droits repliés est celle de Saint Jean-Baptiste, dont Sainte Thècle rapportera les reliques depuis Alexandrie, au 6è siècle. A cette main, Joseph Opinel associe une couronne pour rappeler que la Savoie était un duché.

Au fur et à mesure, je découvre que chez les Opinel, on a du génie, puisque depuis Victor-Amédée, plusieurs descendants créèrent leurs propres forge et fabriquèrent outils et couteaux : le couteau de poche conçu par Joseph fera école auprès de ses oncles et frères, incitant ces derniers à créer les Opinel Croix et Palme (invention de Jean-Marie Opinel, de 1914 à 1967) puis les Opinel Croix de Savoie (conçus par Jean Opinel, entre 1927 et 1973), deux productions qui ne dépasseront malheureusement pas le stade artisanal et qui seront finalement arrêtées.

 

Avant de poursuivre ma visite, j'observe attentivement la reconstitution d'une forge (photo ci-dessus) tout en regardant un petit film décrivant la fabrication artisanale de l'Opinel (ce film est visible sur ma vidéo). La seconde salle plonge le visiteur dans les différentes étapes de fabrication du célèbre couteau de poche. Dans cet espace sont exposées plusieurs machines qui servirent à fabriquer le manche et la lame de l'objet. Autrefois, l'acier, alors livré sous la forme de barres étaient tronçonnés en petits morceaux (crampons) de différentes tailles, selon le type de lame à réaliser. Un panneau décrit ici en détail les opérations nécessaires à la fabrication de la lame.

Démarche identique pour le manche : les premiers manches de couteaux furent fabriqués à la main par les villageois, à l'aide d'un outil tranchant (paroir), puis des machines mécaniques furent conçues afin de démultiplier la production. Joseph Opinel mit ainsi au point sa première machine à façonner les manches à la fin du 19è siècle. Et le manche de subir enfin plusieurs autres opérations (ajustement de la longueur, réalisation des chanfreins, façonnage du tenon pour recevoir la virole d'assemblage et creusement d'une fente pour loger la lame) avant d'être poncé et verni.

 

Jusqu'en 1991, la scierie de l'entreprise occupera une place importante sur le site de production car on y débitait les grumes de bois en « carrelets » de différentes dimensions correspondant aux différents manches de couteaux. Et le carrelet de subir six opérations avant de devenir un manche digne de ce nom : mise à longueur, virolage, façonnage, chanfreinage des extrémités, sciage de la fente et ponçage. Le bois ne doit alors être ni trop humide, ni trop sec. D'esprit aussi inventif, Marcel Opinel mettra au point la machine révolutionnaire qui remplacera l'usinage manuel de ces six opérations. Ainsi le façonnage d'un manche de couteau est-il trois fois plus rapide qu'en 1960. Certes, mais pour q'un façonnage soit concluant et résiste à l'épreuve du temps, encore faut-il sélectionner des bois suffisamment résistants : les forêts d'Albiez fournissaient à l'origine des bois de merisier, de poirier, de hêtre ou de frêne, avec toutefois une préférence pour cette dernière essence car le frêne est un bois à grain fin, homogène et solide à l'usage. Pour la fabrication de certains couteaux, l'entreprise Opinel privilégie l'utilisation d'essences plus nobles comme l'olivier, le chêne, le noyer ou le buis...avec une prédilection pour le bouleau et le charme, dont l'aspect clair et veiné convient davantage pour les manches colorés. Opinel nous apprend enfin que 95% des manches en bois sont issus d'exploitations françaises.

Pour assurer un assemblage parfait, Marcel Opinel inventera dès 1920 une machine d'assemblage vertical. Désormais, la ligne de montage procède toujours de la même manière : assemblage du manche, de la virole fixe et de la lame, marquage du logo, perçage et rivetage du couteau, ajout de la virole tournante puis affilage manuel de la lame.

 

Au sortir de la Seconde guerre mondiale, la Maison Opinel assiste à une explosion de la demande des couteaux de poche, ce qui contraint l'entreprise à intensifier ce type de production aux dépens d'autres articles. Avec l'évolution de la consommation dans les années 1980 et 1990, Opinel diversifiera son offre en proposant de nouvelles essences de bois, des gravures, des produits commémoratifs ou des outils de jardin... Quant aux couteaux, ils sont destinés à divers usages (sport nature/montagne, sports nautiques, pêche et chasse, camping, bricolage, loisirs créatifs, jardin, cuisine, table...). Si la forme du couteau de poche Opinel est restée identique, la famille, qui tient à maintenir sa production en France, dut s'adapter à son époque et aux contraintes économiques (compression des coûts de fabrication, innovations technologiques et compétitivité industrielle) en adaptant son outil de production selon le principe « d'amélioration continue », à savoir la formation permanente du personnel industriel, la recherche des meilleurs matériaux et l'organisation optimale reposant entre autres sur l'épanouissement des femmes et des hommes qui oeuvrent dans l'entreprise.

Un autre pilier fondamental de l'entreprise est constitué par la protection juridique, mise en place dès les années 1960 par Maurice Opinel. Certes, il est quelque part flatteur d'être copié et la rançon du succès de l'Opinel se manifeste par différentes copies et contrefaçons, d'abord françaises, puis désormais majoritairement asiatiques. Mais l'entreprise attaque systématiquement les contrevenants en justice tout en maintenant le meilleur rapport qualité/prix, atout de la marquer pour décourager les copieurs.

La visite du musée s'achève par la projection d'un film retraçant la fabrication de l'Opinel, telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui. Rappelons au passage qu'ici, tout est Français : l'esprit de famille et l'idée de génie. Avouez que ce couteau de poche Opinel, que beaucoup de pays nous envient et nous achètent, est un peu le nôtre !

 

INFOS PRATIQUES :

 

  • Musée Opinel, 25 rue Jean-Jaurès, à Saint-Jean-de-Maurienne. Tél : 04 79 64 04 78. Ouvert tous les jours (sauf le dimanche en hors saison) de 9h00 à 18h30. Entrée libre. Boutique et espace Café. https://www.opinel.com/la-marque/le-musee
  • Merci à Maxime Opinel, directeur du musée et au personnel pour leur chaleureux accueil.

  • Opinel : https://www.opinel.com

 

 

 




 



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