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Avec Armes & Bagages...dans un mouchoir de poche
(Paris Invalides, France)
Heure locale

Mardi 4 décembre 2012

 

L'image de notre armée a bien changé : Professionnalisée, elle intervient maintenant sur des théâtres extérieurs compte tenu de la paix qui règne en Europe depuis soixante années. Mais cela n'a pas toujours été le cas et il peut être intéressant de se replonger dans son histoire afin de mieux comprendre ce qu'était l'armée autrefois. C'est le thème de l'exposition « Avec Armes et Bagages...dans un mouchoir de poche » qui se tient actuellement au Musée des Armées (Paris Invalides). Le projet a vu le jour après que le Musée de l'Armée ait été partenaire, en 2009, de l'exposition Mito e Bellezza qui fut organisée par les musées napoléoniens de l'île d'Elbe et de Rome. C'est un genre inédit d'exposition sur la société française et sur la place des militaires en son sein à la fin du XIX ème-début XX ème siècles (tout particulièrement de la guerre franco-prussienne de 1870-71 jusqu'au déclenchement de la première guerre mondiale en 1914) que nous allons découvrir. Son ambition est de transmettre au public le plus large l'histoire militaire de la France, tout en faisant connaître et comprendre l'organisation de l'armée, le rôle et la condition du soldat, la relation que celui-ci entretient avec la société civile. En effet, le visiteur est invité à suivre le parcours surprenant du soldat, de sa vie quotidienne, ainsi que celle de la société française, au gré des avatars d'un objet à la fois étonnant et méconnu : Le carré de textile imprimé, appelée mouchoir puis foulard.

Le carré est alors un objet familier, énigmatique, trivial et raffiné, dont l'histoire débute en 1785, lors de lettres patentes qui en prescrivent la forme carrée : Reflétant les différents aspects de la culture militaire de l'époque, il offre des formes et des motifs imprimés variés et ses usages dévoilent les relations complexes que l'armée entretenait avec la société civile. Ce carré servira tour à tour de mouchoir, tableau, pansement,, accessoire de mode, bonnet de nuit improvisé ou baluchon de fortune. Ce sont plus de 200 pièces de collection qui sont réunies pour nous permettre de comprendre cet objet « multifonction », dont 60 carrés en tissu imprimé, du plus modeste au plus luxueux, à chaque fois accompagné d'oeuvres et d'objets divers comme des peintures d'histoire, des dessins, des estampes et photographies, des cartes postales, armes, pièces d'uniformes et objets du quotidien.


 

Cette exposition est aménagée dans deux salles et un parcours fléché permet au visiteur de se situer aisément. L'hôtel national des Invalides est immense et dispose de plusieurs entrées. Mieux vaut y accéder par l'entrée nord (l'entrée de notre exposition est à proximité). Les photos sont autorisées sans flash mais il est interdit de photographier les objets individuellement. Les prises de vue générales sont de moi, les autres photos m'ont été prêtées par le Musée de l'Armée.

Ma visite débute par la définition de mots qui nous intéressent : Le mouchoir est par exemple décrit comme une pièce de coton ou de lin le plus souvent carrée, originellement destinée à la commodité corporelle mais dont l'usage premier a rapidement dérivé vers des utilisations domestiques, pratiques ou vestimentaires (mouchoir de col, de tête...). Il peut être uni ou imprimé de motifs décoratifs et/ou figuratifs. On apprend l'existence du mouchoir batiste et du mouchoir (rouge) de Cholet. Les mouchoirs spécialisés des XVII ème et XVIII ème siècles sont réalisés à la main, à l'aide d'une planche ou d'un rouleau gravé laissant une empreinte. Le XIX ème siècle voit l'apparition de machines qui impriment textes et dessins sur les mouchoirs comme sur une feuille de journal. D'abord naturelles, les couleurs deviendront progressivement chimiques. Ce siècle est aussi celui de Napoléon Ier puis de la confrontation de la France et de la Prusse en 1870-71 ( période qui met fin au Second Empire). La légende de l'empereur est construite à des fins de propagande , développée surtout à partir de la Monarchie de Juillet, et est basée sur la transmission orale. Je fais connaissance du Prince impérial, Napoléon Eugène Louis Jean Joseph Bonaparte, seul enfant de l'Empereur Napoléon III et de l'Impératrice Eugénie. Le Prince naît en même temps que le mouchoir illustré imprimé sur coton par la Manufacture Lamy-Godard d'après un dessin de l'atelier Buquet. Ce mouchoir est largement inspiré de revues et de journaux illustrés de l'époque. Le carré imprimé est avant tout un support d'images (images mythiques et nostalgiques de l'empereur Napoléon 1er comme des images de propagande glorifiant les guerres coloniales ou les campagnes militaires des différents régimes politiques). Les représentations du fils de Napoléon III sont largement diffusées, grâce à la photographie d'une part, à divers autres supports d'autres part : journaux, statuettes, et mouchoirs. Les dessinateurs chargés de composer les images destinées à l'impression de ces mouchoirs puisent leurs sujets et leurs motifs dans l'actualité de l'époque. A l'âge de deux ans, celui qu'on appelle Louis-Napoléon se voit déjà confectionner un premier uniforme par le couturier Staub. La vitrine ci-dessous nous offre de voir (de gauche à droite) son costume de caporal des grenadiers de la Garde impériale et son costume de grenadier de la Garde impériale (avec une jupe), assorti du tambour réglementaire des enfants de troupe de cette Garde.


 

Parmi les symboles des états-nations, on compte notamment le drapeau, véritable outil de communication sur un champ de bataille : Sa taille et ses couleurs le rendent visible par tous les temps et il est à la fois un point de repère pour les soldats et l'honneur du groupe auquel ils appartiennent. Quant au mouchoir, il n'est plus seulement imprimé de motifs décoratifs. A partir du XIX ème, on y trouve aussi des images narratives, complétées par des textes. D'abord réservé au traitement de l'actualité politique, il s'adapte peu à peu à la clientèle populaire en y diffusant des informations sur le jardinage, la cuisine, l'hygiène et les premiers soins...et devient un support didactique au même titre que l'almanach ou le manuel, bien avant de concerner l'armée. Il participe ainsi à l'instruction des jeunes recrues en utilisant des mouchoirs d'instructions contenant des impératifs et des consignes divers comme l'apprentissage de la géographie, le soin à un blessé ou le cirage des chaussures.

En 1872, l'armée française doit instruire un nombre important de conscrits et de nouvelles méthodes assorties de nouveaux outils sont donc développés : En 1874, le Commandant Pierre Perrinon dépose un brevet pour imprimer des mouchoirs d'instruction. Ces derniers seront vite adoptés par l'administration et connaitront un développement important dans différents pays européens dont l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-uni, la Russie, la Suisse...Avant cette date ( c'est à dire entre 1860 et 1870) les mouchoirs d'instruction militaire existaient déjà. Insensibles aux intempéries et faciles à transporter, ils fournissaient aux soldats modes-d’emploi, aides-mémoire pour charger une armer ou ranger son paquetage et premiers soins. Ils étaient alors portés autour du cou, glissés dans les képis ou accrochés sur un mur. La photo ci-dessous décrit la composition d'un paquetage : Martinet,cravate,nécessaire à couture,paire de guêtres,guêtres en cuir,sachets à pain de guerre,sachet en toile pour vivres de réserve, brosse à habits, cuillère,serviette,chemise de troupe, souliers, gamelle, nécessaire de nettoyage d'armes, courroie de capote,boite à graisse, cartouches, caleçon, bonnet de coton, mouchoir, boite à vivres et pochette de boutons. La deuxième photo est un mouchoir décrivant la revue de détail, qui date de 1884 et a été réalisé par la Manufacture Renault.

La formation du simple soldat, à la fin du XIX ème siècle, a lieu dans des écoles régimentaires où sont enseignées quelques compétences de base comme l'écriture et la lecture. Le reste des connaissances sont transmises oralement par les anciens ou durant des exercices pratiques qui sont encadrés par la hiérarchie. On y acquiert données techniques et culture militaire, mais aussi discipline, valeurs et traditions conformes à la jeune III ème République.


 

L'exposition aborde le quotidien du soldat à la caserne. Le « bleu » se retrouve ainsi dans un univers très différent de son milieu d'origine. Des tâches nouvelles (entretien de son équipement, participation aux corvées collectives, entrainement militaire...) rythment désormais ses journées. Le mouchoir-pansement fait alors son apparition : Emblématique de la condition de vie du soldat, à cause de son exposition direct lors des combats, ce mouchoir donne les conseils élémentaires pour maintenir une attelle ou comprimer une plaie. C'est une sorte de « médecin dans la poche » avec astuces pour guérir et pour éviter aussi les maladies. On y trouve alors textes et images explicatifs.

Dans la deuxième salle d'exposition, on apprend que la société civile est familiarisée avec l'armée dès le plus jeune âge. Les enfants (surtout les garçons) abordent l'organisation militaire et ses valeurs à travers le jeu et l'imitation. En 1830, la France conquiert l'Algérie et créé l'armée d'Afrique. Les soldats sont principalement originaires de ce continent mais se battront sur tous les fronts où notre pays sera engagé. On créé pour eux des uniformes spécifiques, aux formes orientales et exotiques mais avec les mêmes tissus, couleurs et grades que l'armée française. De 1852 à 1914, l'armée et la société civile entretiennent des liens étroits et on rencontre les soldats dans les cafés, les gares et les théâtres. Les mouchoirs tirent leur inspiration de la presse et de l'imagerie populaire. Et l'on assiste au passage des citoyens sous les drapeaux après la défaite de 1870. La conscription devient massive après 1872 , et constitue un véritable rite social qui marque l'entrée du jeune homme dans l'âge adulte. Le 6 juillet 1882, l'Etat créé les bataillons scolaires qui offrent à ces jeunes garçons une première instruction militaire dès l'école communale. Ils portent l'uniforme, apprennent à marcher au pas, à manier le fusil, le sens de la patrie et la grandeur du sacrifice. Malgré cela, le recrutement des soldats est problématique car il est difficile de savoir combien de soldats il faut recruter et et de trouver les arguments pour les convaincre de s'engager.


 

L'uniforme permet au soldat de se distinguer des civils : Il sert au militaire à prendre toute sa place dans l'armée, en exprimant visuellement son grade, son unité et son arme d'appartenance, et au civil pour appréhender la façon de s'adresser au soldat. Heureusement, il n'y a pas que la vie de caserne et les militaires se retrouvent régulièrement sur les champs de manœuvre, souvent aussi lieux de promenade pour les curieux. Le soldat est hébergé sur le camp ou bien chez l'habitant (il dispose alors d'un billet de logement comportant le nom et l'adresse de la personne qui va l'héberger) lorsque l'entrainement est prolongé. Civils et militaires se retrouvent alors en contact et le camp devient un lieu de divertissement où l'armée se met en scène. Durant les permissions, le soldat , qui peut découvrir la ville la plus proche de son cantonnement et les distractions, sert ainsi de sujet d'inspiration pour bon nombre d'auteurs de pièces de théâtre et de livrets. « L'Assiette au Beurre » (1901-1912) fut ainsi l'un des hebdomadaires satiriques les plus prisés de la Belle Epoque, se composant généralement d'une quinzaine de dessins réunis autour d'un thème et accompagnés d'un texte court. Les morceaux choisis pour cette exposition témoignent du ton anti-militariste de cette revue. La musique militaire prend de l'essor durant la seconde moitié du XIX ème siècle, et les instruments à cuivre viennent compléter les percussions et les instruments à vent déjà utilisés pour communiquer les consignes. Les musiciens font profiter la population des villes de garnison de leurs talents en jouant plusieurs fois par semaine sous les kiosques, transformant ces concerts en moments forts de la vie sociale. Les auteurs de chansons militaires et les comiques troupiers s'en donnent aussi à cœur joie en mêlant tradition militaire et parodie ( comme ci-dessus, l'affiche du chanteur Polin).


 

Le mouchoir, lui, est à la croisée des chemins. En effet, le début du XX ème siècle va voir la haute société s'approprier ce carré imprimé du XIX ème qui était avant tout une parure populaire. Il devient un foulard avec des motifs de tradition militaire mais il est moins narratif et gagne en élégance. On le modifiera tout en le magnifiant et il deviendra, entre l'entre deux guerres, pochette pour les hommes et foulard en soie aux multiples usages pour ces dames. L'élite urbaine l'utilise lors de ses activités et divertissements et s'en sert pour compléter la tenue des sportswomen de l'époque. En 1937, la maison Hermès fête son centenaire et lance le fameux carré. Jusque là spécialisée dans les harnais et les équipements pour chevaux, cette maison crée le célèbre foulard en soie qui deviendra très vite emblématique de la marque.Le carré représente des dessins d'objets de la collection familiale mais aussi d'uniformes et d'équipements militaires.

Lors de la première guerre mondiale, en 1914, les mouchoirs portaient des motifs militaires traités de façon moins réaliste, moins explicite mais plus symbolique et stylisée. Lors de la seconde guerre, en 1944, les foulards en soie comportent toujours ces motifs militaires mais servent avant tout à transmettre et à conserver des données techniques, notamment aux troupes aéroportées qui emportent avec elles un foulard représentant une carte de France pour parachutistes. Au XX ème siècle, le carré devient un des impératifs de la mode et de la haute couture. A la fin du XX ème, et au début du XXI ème siècle, la tradition du mouchoir imprimé et de son rôle didactique ressurgit au sein des armées. L'objet prend alors une résonance commémorative, voire nostalgique. La galerie d 'exposition permet entre autre d'admirer un mouchoir de la Légion étrangère ( en photo ci-dessus) qui fut offert en 2007, en guise de cadeau de noël, par le Colonel chef de corps du 3 ème REI (Régiment étranger d'infanterie) de la Légion à ses soldats : On y trouve un guide de survie en environnement hostile (installation d'un campement, soins aux blessés, comment communiquer, pêcher, et reconnaître les animaux et les plantes...) et quelques symboles de la Légion étrangère dont ces grenades à sept flammes à chaque coin du foulard, la devise en latin Legio Patria Nostra et les couleurs rouge et vert qui bordent le carré ( ces couleurs étaient représentatives de l'uniforme des soldats suisses qui furent nombreux à rejoindre la Légion étrangère, à sa création en 1831 et elles furent depuis conservées).


 

Pour terminer cette promenade, je vous propose une chronologie du mouchoir, qu'il soit civil ou militaire, de 1765 à 2002 :

 

  • 1765 : Apparition de la définition du mouchoir de col dans l'Encyclopédie.

  • 1779 à 1791 : Le règlement prévoit l'intégration du mouchoir dans « la petite monture ».

  • 25 septembre 1784 : Par lettre de patente, Louis XVI ordonne la forme carrée pour le mouchoir

  • 1793 : An VIII et X, règlement où le mouchoir n'apparait plus

  • Apparition du mouchoir de propagande lors du Premier Empire

  • 1816 : Le mouchoir réapparait dans le règlement

  • 1840 : Naissance du mouchoir intitulé Le Médecin dans la poche

  • 1850 à 1914 : Mouchoirs de propagande guerres et colonisation

  • 27 juillet 1872 : Loi sur le recrutement de l'armée

  • Vers 1875 : Brevet des mouchoirs d'instruction du Commandant Perrinon

  • 1878 : Mouchoir d'instruction N°4

  • 29 novembre 1880 : Le Ministre de la guerre Farre, autorise officiellement l'achat des modèles des mouchoirs d'instruction

  • 1883 : Mouchoir d'instruction N°7 (secours aux blessés, hygiène en campagne...)

  • 1885 : Mouchoir d'instruction N°8

  • 1886 : Apparition des motifs de la famille Buquet en Italie

  • 1897 : Mouchoir d'instruction N°10

  • 1904 : Création du parfum Mouchoir de Monsieur par Guerlain. Ce mouchoir est placé dans le col

  • 2 mars 1909 : Circulaire relative à la suppression des mouchoirs d'instruction

  • 1914 à 1918 : Le mouchoir survit surtout en Amérique et en Angleterre. En France, mouchoir carte pour les parachutistes

  • 1937 : Premier foulard Hermès, Omnibus et Dames blanches

  • 1939 à 1945 : Le mouchoir toujours en usage pour les parachutistes

  • 1940 : Le mouchoir devient support pour l'appel du 18 juin

  • Après 1945 : Création du mouchoir des régiments

  • 1948 : Foulard Hermès intitulé Victoires et Scènes militaires de la vie de Napoléon 1er

  • 1951 : Foulard Hermès intitulé A la Gloire de la Légion étrangère

  • 1953 : Foulard Hermès intitulé Les cantinières en 1860

  • 1962 : Foulard Hermès intitulé Promenade de Paris

  • 1972 : Foulard Hermès intitulé Brandebourgs

  • 2002 : Foulard Hermès intitulé Instruction l'Art


 

 

INFOS PRATIQUES :

 


  • Musée de l'Armée, Hôtel des Invalides, 129 rue de Grenelle à Paris (7è). Tel : 0810 11 33 99 et 01 44 42 38 77. Ouvert tous les jours de 10h à 17h00. Entrée : 8€ ( ou billet couplé exposition + musée à 11€). Accès : Entrée Nord (de préférence) sous le Dôme des Invalides. Métro ligne 8, station La Tour Maubourg.

    Site internet de l'exposition :http://www.invalides.org/ExpoArmesetbagages/

    Site internet du musée de l'armée : http://www.invalides.org/

     

    Le catalogue de l'exposition, publié par les Editions Nicolas Chaudun, est disponible au prix de 39,50€.

    Un grand merci au service Presse du Musée de l'Armée pour le prêt des photos.

 

 











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