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Le Siècle d'Or de l'éventail, au Musée Cognacq-Jay
(Paris, France)
Heure locale

Lundi 2 décembre 2013

 

La semaine dernière, je suis allé voir une exposition peu ordinaire, consacrée à l'éventail. Cet accessoire, utilisé pour créer un courant d'air dans le but de se rafraichir, instrument « qui sert à exciter le vent, et à rafraichir l'air en l'agitant » (définition du mot donnée par l'Encyclopédie méthodique en 1783) est fabriqué de matériaux légers montés sur des lamelles tournant autour d'un pivot. Il est utilisé depuis l'Antiquité mais ce n'est pas cette période historique qui nous intéresse aujourd'hui. De plus, il existe aussi plusieurs types d'éventails , pouvant même servir d'arme (c'est le cas dans les arts martiaux chinois). L'exposition parisienne s'intéresse plus particulièrement à l'éventail et à leurs créateurs, les éventaillistes parisiens. Cette visite m'invite à admirer 70 pièces exceptionnelles datant du XVIIIè siècle, qui ont été pour l'occasion empruntées à des collections publiques ou privées, pour permettre à un large public de (re)découvrir un objet mythique, familier et pourtant méconnu. L'exposition est logée dans quatre petites salles. Les éventails, placés à l'intérieur de vitrines, disposent d'une fiche signalétique détaillée. Je découvrirai de curieux éventails comme l'éventail-thermomètre, ou encore l'éventail-lorgnette, ou loupe...A l'entrée, des fiches plastifiée en anglais et en espagnol aident les visiteurs étrangers à s'y retrouver. Un peu plus loin, un écran TV diffuse un petit film sur l'éventail (sa fabrication, sa composition, son usage).

Personnellement, je trouve à l'éventail toutes les vertus de l'élégance. Fragile, mais également discret et somptueux, cet accessoire est emblématique des grâces de l'Ancien régime. Il est devenu à la fois un objet de mode et un objet d'art. L'éventailliste doit faire preuve d'un vrai savoir-faire artisanal afin de confectionner l'éventail selon les goûts de la personne et les tendances de l'époque. L'accessoire fut importé d'Asie durant la période de la Renaissance, et débarqua chez nous au milieu des cargaisons de soie et d'épices. Les premiers éventails chinois étaient alors rigides et en plumes. Dès le IIè siècle, on utilisait le bambou pour en fabriquer la monture. Au Japon, deux types d'éventails firent leur apparition : le sensu qui se plie, et celui en bambou, de forme ronde, qui ne se plie pas. L'inventeur du sensu, au VIIè siècle, se serait inspiré des ailes de la chauve-souris. Les plus grands peintres chinois et japonais utilisèrent l'éventail comme support pour leurs œuvres, sans compter que ces mêmes pays l’inclurent dans leurs rites traditionnels, que ce soit dans le théâtre nô (Japon) ou dans certains arts martiaux.


 

La France découvre donc l'éventail sous le règne de Louis XIV. Le Roi Soleil en adoptera l'usage et une corporation spécifique, les éventaillistes, apparaît en 1676. Cet artisanat devient d’ailleurs vite prédominant en Europe. Durant le XVIIIè siècle, Paris devient la capitale de cet objet aristocratique et artistique dont les décors varient en fonction des peintres à la mode (Boucher, Watteau, Lancret, Le Brun, Coypel, Lemoyne), objet qui participe à la diffusion de l'art français sur le continent européen. L'éventail est raffiné et permet la distinction sociale. C'est l'accessoire privilégié des dames de la haute société qui est présenté dans cette exposition intitulée « Le Siècle d'Or de l'éventail, du Roi Soleil à Marie-Antoinette ». Et un panorama historique du XVIIIè siècle français de s'offrir à moi.

Cette exposition aborde bien entendu l'éventail en tant qu'outil de communication sociale, ne serait-ce qu'à cause des scènes qui sont représentées sur l'accessoire. De nombreux fantasmes ont longtemps été véhiculés dans l'imaginaire collectif à propos du langage de l'éventail dans les cercles de la cour du roi de France. Duvelleroy, éventailliste à Paris, publiera au XIXè siècle le langage de cet objet dans un fascicule expliquant les gestes codés avec lesquels les femmes, depuis des siècles, disent « je vous aime », « suivez-moi », « vous êtes cruel », simplement d'un coup d'éventail.

 

On n'imagine pas l'ouvrage nécessaire pour créer un éventail. Plusieurs corps de métiers interviennent sur l'objet (dont les peintres et les tabletiers) afin de travailler les matériaux divers qui en forment la monture. Un éventail plissé comporte par exemple une monture formée de baguettes plates. Les brins, ou bois, faits de bois, d'ivoire ou de nacre... Puis colleuses et plisseuses interviennent à leur tour lors de la préparation de la feuille. Cette feuille est simple ou double, et est faite de papier, peau, vélin, soie ou dentelle. Elle est peinte, gravée, brodée, pailletée... La communauté des maitres-éventaillistes, faiseurs et compositeurs d'éventails, fondée en 1678, s'imposera rapidement en Europe et contribuera à faire du XVIIIè siècle le siècle d'or du précieux accessoire.

Les 70 éventails présentés lors de l'exposition offrent au visiteur que je suis l'opportunité d'admirer cet accessoire de mode et de luxe, tantôt composé de matériaux rares comme l'écaille ou l'ivoire, tantôt de matières précieuses comme l'or ou l'argent. Les décors peints représentent la vie quotidienne, l'histoire antique et mythologique, l'actualité du royaume, grands événements et inventions d'alors.


 

L'éventail devient ainsi un support pour dévoiler les beautés de Paris : le marché aux fleurs, le Pont-Neuf, la Seine, sont autant de jalons témoignant du goût des peintres d'éventails pour la capitale. Celle-ci, à la fois ville du roi et ville populaire, apparaît au quotidien à travers ses marchés, ses ateliers ou son carnaval. On y rencontre de nombreux personnages, comme ces gens qui se baignent dans la Seine, ou ces passants qui achètent des orangers quai de la Mégisserie. Chaque panorama a son monument, qu'il s'agisse du Louvre, ou de la fontaine de la Samaritaine...Les scènes sont remplies de tant de détails qu'on pourrait passer des heures à observer le même éventail.

Les grandes heures du royaume riment avec écaille brune ou blonde, ivoire, incrustations d'or et d'argent, de pierres précieuses et témoignent de la richesse de ces accessoires réservés à l'élite. On imagine les pays de provenance de ces matières prestigieuses car aucune signature n'atteste de leur origine. Ces éventails-là sont anonymes. Heureusement, cela ne retire rien à leur beauté : parmi les éventails présentés, on peut contempler l'évocation allégorique du rattachement de la Lorraine à la France (en 1766) ou la naissance du dauphin Louis-Joseph en 1781. Ces compositions empruntées à la cour de Versailles nous entrainent à la découverte d'évènements qui frappent nos contemporains de l'époque, comme ces victoires militaires ou mariages princiers.

Point de cour sans scènes galantes, qui sont de mise au XVIIIè siècle. Les dieux offrent leur histoire en modèle, comme cette Europe enlevée par Jupiter métamorphosé en taureau, annonçant un mariage. L'éventail s'orne également de scènes de nature, avec les incontournables bergers et bergères. Et le thème du retour à la nature, cher au siècle des Lumières, refait surface. L'éventail, à la fois accessoire de mode et objet de luxe ne cesse de se renouveler, tant dans ses dimensions que dans son envergure, les matériaux utilisés et les décors retranscrits, selon les caprices du moment. Les éventaillistes ont trouvé là un support à leur mesure, à trois dimensions, qui offre une face et un revers. Bien souvent, le décor ornant la face de l'éventail est le plus riche, tandis que le revers est moins orné. Les brins de l'objet sont sculptés avec délicatesse, en jouant sur les matières composant l'éventail. Les personnages sont dotés de têtes en ivoire ou habillés de vêtements de soie. La paille blonde ou colorée représentent fleurs, feuillages ou arbustes sur lesquels viennent se poser des oiseaux aux corps faits de plumes naturelles. Peintres et tabletiers rivalisent de talent en fignolant les détails raffinés des feuilles ou des montures.


 

Ces mêmes artistes saisissent au passage les bouleversements de la société française pour en reproduire les images sur les éventails. Les sciences trouvent leur place avec la reproduction du premier aérostat s'envolant du jardin des Tuileries an décembre 1783. Cet éventail-là sera très couru comme cadeau d'étrennes.

A la faveur des innovations techniques, apparaissent bientôt de nouveaux éventails, coulissants ou pliants, au format de poche. Ceux-ci sont complétés par des ajouts d'optique, des lunettes et des loupes, des thermomètres et même...des tubes à parfum miniature, pour laisser un sillage délicat derrière soi. On imagine aussi de nouveaux mécanismes permettant par exemple de faire glisser un masque devant le visage ou bien de modifier celui-ci : Actéon devant Diane se voit ainsi métamorphoser en cerf. Ou bien une personne âgée retrouve la fraicheur de la jeunesse près de la fontaine de jouvence. Des scènes coquines sont enfin dissimulées derrière d'innocents portraits... Si, comme moi, vous rêvez de beauté, de bon goût, de délicatesse et de couleurs (ce que notre époque ne nous offre pas forcément!), visitez cette exposition. Et offrez-vous le livre. Celui-ci contient 69 éventails reproduits, souvent inédits, et propose une plongée exceptionnelle au cœur de l'histoire de France et de l’histoire du goût.

 

 

 

INFOS PRATIQUES :

 


  • Exposition « Le Siècle d'Or de l'éventail, du Roi Soleil à Marie-Antoinette », jusqu'au 2 mars 2014, au Musée Cognacq-Jay, 8 rue Elzévir à Paris (3è). Tèl : 01 40 27 07 21. Ouverte tous les jours (sauf les lundis et jours fériés) de 10h00 à 18h00. Droit d'entrée : 5€ (ou gratuitement avec la carte Paris-Musées). Site internet: www.paris.fr/pratique/musees-expos/musee-cognacq-jay/p6466

  • Visites de groupes organisées à la demande ou sur réservation (renseignements du lundi au vendredi de 10h00 à 13h00 au 01 40 27 07 21)

    « Enigme au Musée : Où est passé mon éventail ? Pour les parents et leurs enfants, en aiguisant leur curiosité et leur sens de l'observation à la recherche des réponses aux énigmes qui leur sont posées (les samedis 25 janvier et 15 février à 15h00 – participation: 3,80€. Durée : 1h30. Uniquement sur réservation). Même activité disponible pour les enfants seulement le mercredi à 14h30 les 4 décembre 2013, 8 janvier et 5 février 2014.

     

    Ateliers : Peintres en éventails (pour les enfants). Tarif : 6,50€. Le mercredis 11 décembre 2013, 15 et 29 janvier, 12 février 2014 à 14h30. Les samedis 18 janvier et 15 février 2014 à 14h30. Les 18, 20 et 27 février 2014 à 14h30 (vacances d'hiver).

     

    Visites-conférences le samedi à 11h00 les 21 décembre 2013, les 4 et 18 janvier, 15 et 22 février et 1er mars 2014. Durant les vacances d'hiver, les 18 et 20 février 2014 à 11h00. Durée : 1h30. Sans réservation. Participation : 4,50€

  • Il est formellement interdit de photographier à l'intérieur de l'exposition.

  • Maison Duvelleroy,éventailliste : http://www.duvelleroy.fr/fr/content/19-le-langage-de-leventail

  • Le Cercle de l'éventail : http://palaisgalliera.paris.fr/fr/palais-galliera/le-cercle-de-leventail

    ou page facebook: https://fr-fr.facebook.com/pages/CERCLE-DE-LEVENTAIL/225886390757138
  • Merci à l'agence ASC pour son étroite collaboration.













 

 



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