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L'Office de l'Argenterie & de la Porcelaine
(Palais de la Hofburg, Vienne, Autriche)
Heure locale


Lundi 19 janvier 2015

 

Je vous emmène aujourd'hui au Palais de la Hofburg. Plus grand palais de Vienne, il s'est peu à peu construit au fil des siècles. Le noyau primitif fur bâti vers 1220 et comprenait un quadrilatère hérissé de tours autour de la cour nommée plus tard Sweizerhof (ci-dessous en photo). Les différents souverains agrandiront et embelliront selon leurs goûts ce lieu magique, ce qui explique la juxtaposition de styles architecturaux très différents. On trouve ainsi le style gothique mais aussi l'historicisme (à la mode au XIXè siècle). Le palais abrite aujourd'hui les appartements impériaux, des musées, une église, la Bibliothèque nationale autrichienne, l'Ecole nationale d'équitation et les bureaux du président de la République. Les Habsbourg transformèrent au fil des siècles ce qui ne fut au départ qu'une petite forteresse au XIIIè siècle en un immense et magnifique palais. La plupart des puissants d'Autriche y résidèrent, notamment les membres de la dynastie des Habsbourg (durant plus de 600 ans) et les empereurs d'Autriche et d'Autriche-Hongrie. Le Palais de la Hofburg est devenu la résidence de la présidence de la République d'Autriche depuis le siècle dernier. On connait aussi ce palais sous le nom de « résidence d'hiver », alors que le lieu de villégiature estivale favori de la famille impériale restait le château de Schönbrunn. Le Palais est l'un des lieux touristiques les plus visités d'Autriche et l'endroit rassemble plusieurs attractions. L'endroit comprend plus de 2600 pièces, réparties sur 18 ailes.


 

Je vous propose de parcourir maintenant l'Office de l'argenterie et de la porcelaine. A la fin de la monarchie en 1918, plusieurs parties du gigantesque service de la Cour, devenu sans emploi, furent regroupées dans l'Office de l'argenterie et de porcelaines. Ouvert au public en 1923, ce musée présente des objets provenant de la collection de porcelaines et d'argenterie, de la pâtisserie confiserie de la Cour, de la cave, de la cuisine et de la lingerie de la Cour. Cet balade nous permettra de découvrir les différents aspects des anciens offices de la Cour et l'art de la table tel que le concevait la monarchie des Habsbourg.

D'entrée, j'admire une série de cuves en cuivre, de casseroles, de marmites et de formes qui donnent un aperçu de l'importance et de la variété des tâches d'alors dans les cuisines de la Cour. Défilent ainsi sous mes yeux, turbotières, chaudrons, casseroles à asperges, pots à oilles, pots à braise (dont le couvercle incurvé rempli de braises assurait une chaleur de voûte)...autant d'objets manipulés au service des 5000 personnes qui vivaient à la Cour. Les objets en cuivre étaient utilisés pour la gelée, le fromage de tête, le biscuit, pour la crème, le praliné et bien sûr pour le fameux gugelhupf de l'empereur (spécialité autrichienne de brioche, sucrée ou salée, à la forme bien particulière). A cette époque, le cuivre était un matériau courant dans les cuisines aristocratiques ou bourgeoises. Ce matériau avait l'avantage d'être un excellent conducteur de chaleur, mais il avait la fâcheuse tendance de produire le vert de gris, un poison, ce qui nécessitait l'étamage fréquent des batteries de cuisine et le contrôle régulier de la couche d'étain.

Dans la première salle de l'Office de l'argenterie et de porcelaines, j'observe des pièces individuelles ou des parties de service de table en provenance de Hongrie, de Bohême ou de la Manufacture de Vienne, ainsi que de la vaisselle de toilette en porcelaine de Bohème blanc et or. On y voit aussi une splendide série de verres diversement taillés provenant de la maison Lobmeyr de Vienne. Pour information, les verres de couleur verte servaient au service des vins rhénans. Le présentoir vitré, situé au centre de la pièce, contient le couvert impérial en argent. Le premier grand service impérial fut livré par Stephan Mayerhofer avant 1837, et la Cour commandera plus tard l'argenterie à son successeur, la société Mayerhofer & Klinkosch, puis ensuite au fournisseur de la Cour, Joseph-Karl Klinkosch. Ces couverts sont toujours utilisés lors des banquets officiels. Les bords de ces couverts sont magnifiquement ornés d'un « filet violon » toujours très apprécié aujourd'hui par les convives.


 

Dans un autre présentoir, au milieu de la pièce, j'aperçois des pièces provenant de la lingerie impériale. Jusqu'en 1872, le linge du service de la Cour était marqué de divers tampon et identifié à la couleur jaune. Plus tard seulement, les monogrammes et les couronnes seront directement brodés directement sur le linge. Le linge de bain et le linge de lit étaient autrefois en fin lin blanc. Les serviettes en toile piquée n'apparurent qu'à la fin du XIXè siècle et le tissu éponge, encore bien plus tard.

Plusieurs services en porcelaine sont également visibles : au début du XIX è siècle, sous le règne de François 1er et sous celui de Ferdinand 1er, la vaisselle ordinaire changea peu extérieurement. Il s'agissait d'une vaisselle sobre, en porcelaine blanche à bords lisses dorés, et seul l'aigle permettait alors de reconnaître le style ou la signature du décorateur.

Un peu plus loin, j'apprends qu'Elizabeth fut le premier membre de la famille impériale à se faire installer une salle de bain moderne, en 1876. Avant cela, il n'y avait pas de salles de bain et l'on se contentait d'accessoires de toilette comme les aiguières, les brocs, les lave-pieds, les plats à barbe, les boites à savon, les vases de nuit et autres objets similaires. Les décors variaient mais la plupart de ces objets étaient simplement blancs avec un bord doré et un aigle en or.

Je découvre ensuite le service anglais de la Manufacture Minton : ce service est un service de table exceptionnel qui fut offert par l'impératrice Elizabeth à l'empereur François-Joseph pour le pavillon de chasse d'Offensee. Il fut conçu en 1870 par William Coleman et présente de manière naturaliste des insectes, des oiseaux, des animaux marins et des plantes.

Le Grand Vermeil, lui, est incontestablement un des services les plus prestigieux de l'Office d'argenterie de la Cour. Cette œuvre maîtresse de l'orfèvrerie française, prévu à l'origine pour quarante personnes, fut étendu à 140 personnes, vers 1850, par des orfèvres viennois. Il se compose désormais de 4500 pièces et pèse plus d'une tonne. Et fut fabriqué en argent doré au feu, ce qu'on appelle le vermeil en France. Le commanditaire de ce remarquable service fut probablement Eugène de Beauharnais, beau-fils de Napoléon, qui, en 1808, avait confié l'exécution de l'ouvrage aux orfèvres Martin-Guillaume Biennais de Paris et Eugenio Brusa de Milan. Le service était destiné à la Cour de Milan où, entre 1805 et 1815, Beauharnais exerçait les fonctions de vice-roi. Lorsque l'oeuvre fut achevée, elle fut acheminée à Milan. Mais à la chute de Napoléon, le royaume de Lombardie-Vénétie revint à l'Autriche. Le Congrès de Vienne contraignit l'empereur François de racheter le service à Eugène de Beauharnais. Lorsque François épousa Caroline Auguste en quatrième noce, en 1816, il rapatria le service à Vienne après avoir remplacé le blason de Napoléon comme roi d'Italie par les armoiries du nouveau propriétaire : l'empereur François 1er.

La dernière salle de l'ancien Office de porcelaines et d'argenterie présente quant à elle des assiettes en argent, des plateaux, des plats, des casseroles et des terrines, qui donnent un aperçu de la quantité quotidienne d'argenterie utilisée à la Cour. Le couvert en argent massif, frappé des armoiries de l'empire, est d'une élégance simple et discrète. Ce nombre important de pièces d'argenterie s'explique par le fait que la Cour de Vienne mangeait exclusivement dans de la vaisselle en argent et en or. Quand on commença à fabriquer la porcelaine en Europe, vers 1710, seuls les potages et les desserts étaient servis dans des assiettes en porcelaine alors que tous les autres plats étaient présentés sur des assiettes en argent. Il faudra attendre le XIXè siècle pour observer la généralisation de l'emploi de la porcelaine aux repas privés.

 

Abordons maintenant le service officiel. La vaisselle de table historique désignée sous le nom de Hofform était utilisée lors des banquets officiels jusqu'en l'an 2000. Et provint de la Manufacture de porcelaine de Vienne. L'assiette en argent dans laquelle mangeait autrefois la Cour fut ravalée au rôle de sous-assiette. Les mets étaient servis dans de la vaisselle en porcelaine appelée service des visites officielles, dès l’instauration de la République. Cette vaisselle blanche était ornée d'un délicat bord doré au décor pointillé, et arborait un aigle bicéphale noir, rouge et or. Sa particularité technique réside dans le fait que les décors ont été appliqués au moyen d'un nouveau procédé inventé vers 1855, la chromolithographie. Le couvert en argent de Josef Carl Klinkosch et les verres de la firme Lobmeyr complètent ce couvert officiel. Le couronnement d'une table dressée était la serviette, savamment pliée selon le fameux pli impérial. Et chaque rabattement de serviette contenait un petit pain. Ce pliage décoratif n'était autorisé qu'en présence de l'empereur et relève encore aujourd’hui d'un secret jalousement gardé. Le fameux pli officiel est encore aujourd'hui autorisé lors des diners officiels avec des têtes couronnées ou des chefs d'Etat. Seuls deux personnes connaissent à l'heure actuelle le secret de ce pliage impérial des serviettes.

Elizabeth aimait rejoindre l'Achilleion, la villa construite pour elle sur l'île grecque de Corfou, à bord du bateau «Miramare ». Un ensemble de vaisselle et de couverts fut donc spécialement conçu pour le yacht, en alpaca, un métal qui ressemble à de l'argent. Le service provient de l'assortiment courant de la fabrique Arthur Krupp de Berndorf. Seul un écusson gravé d'un dauphin couronné trahissent son éminente destination. Dans une vitrine, je peux voir d'autres objets ornés du célèbre dauphin, animal qui fut adopté comme emblème pour tous les objets destinés aux séjours de l'impératrice en Grèce.

A l'occasion du couronnement de l'empereur Ferdinand comme roi de Lombardie-Vénitie en 1838, on commanda le monumental surtout milanais. C'est le plus important ensemble de l'Office de l'argenterie et lorsque tous les plateaux miroirs sont réunis, ce surtout peut atteindre trente mètres. La pièce centrale est surmontée de figures allégoriques qui représentent d'une part la Lombardie avec la couronne murale et la corne d'abondance, et d'autre part, Venise, avec le bonnet de doge et le lion de Saint Marc. Elle est bordée de chandeliers en alternance avec des génies dansants. On imagine alors la splendeur des tables impériales, agrémentées d'opulents bouquets de fleurs, de fruits et de friandises. Le décor figuratif classiciste du surtout, qui arborait aussi des éléments de la mythologie, de l'art de la guerre ou de l'amour selon la circonstance du banquet, remonte à la tradition ornementale de la table baroque.

 

Une tradition séculaire de la Cour voulait que le Jeudi Saint, l'empereur et l'impératrice lavent les pieds de douze hommes et de douze femmes. Cela, en souvenir des douze apôtres dont le Christ lava les pieds. Pour cette cérémonie, des personnes pauvres et âgées étaient choisies. Après une visite médicale approfondie et une toilette minutieuse, ces personnes étaient accueillies à la Cour, le Jeudi Saint. Après le lavage traditionnel des pieds et un repas de carême, les personnes sélectionnées recevaient une cruche couverte en terre cuite remplie de vin blanc, un gobelet en argent orné d'un aigle bicéphale et du millésime, des vivres, et une bourse contenant trente pièces d'argent en référence aux deniers que Judas reçut pour avoir trahi Jésus. Les deux garnitures de toilette dorées visibles dans la vitrine furent réalisées au XVIIIè siècle par un des meilleurs orfèvres d'Augsbourg. Elles étaient utilisées lors des baptêmes de membres des Habsbourg, durant les cérémonies de lavement des mains à l'occasion de banquets officiels et lors du lavage des pieds à Pâques.

 

Et me voici maintenant devant le service à dessert des Habsbourg, appelé jadis service de Laxenburg, qui fut commandé en 1824 à la manufacture de porcelaines de Vienne et était destiné au banquet de noces de l'archiduc François-Charles et la princesse Sophie de Bavière, les futurs parents de l'empereur François-Joseph. Fin XVIIIè, l'empereur François 1er, père du fiancé, fera construire une résidence d'été pour la famille impériale à Laxenburg, près de Vienne. Ce château appelé Franzensburg (Château de François) fut érigé à la gloire de la dynastie des Habsbourg. Des sculptures grandeur nature, des peintures, des armoiries et des vitraux chantent la gloire et l'histoire de l'illustre famille. On retrouve ce même esprit dynamique dans la vaisselle de table. Mis à part les armoiries et les portraits des anciens souverains habsbourgeois et de leurs épouses, soixante « assiettes aux ruines », qui représentent des châteaux-forts et des châteaux appartenant à la monarchie danubienne complètent cette rétrospective romantique. Le fait que les formes néogothiques du surtout évoquent des reliquaires, des ciboires et autres objets religieux n'est pas du au hasard. A la dissolution du Saint Empire romain germanique, en 1806, l'empereur François essaya de compenser la perte de la dignité sacrée de cet Empire germanique en légitimant la continuité hiératique de la dynastie habsbourgeoise dans le nouvel empire autrichien. C'est pourquoi la vaisselle aussi arborait le portrait des ancêtres et lui donne presque un caractère sacré.

 

Arrêtons-nous quelques instants devant le service de table de l'archiduc Ferdinand Maximilien : ce service provient du château Miramare, près de Trieste, l'ancienne résidence de l'archiduc, futur empereur du Mexique. Ferdinand Maximilien était le frère cadet de l'empereur François-Joseph. En 1854, il fut nommé commandeur suprême de la marine royale et impériale. Dix ans plus tard, il acceptera la couronne impériale du Mexique. Il ne parviendra jamais à s'imposer dans son nouvel empire, sera fait prisonnier par le républicain Benito Juarez, et sera passé par les armes en 1867. Le service de table présenté provient de la manufacture de porcelaine Herend de Hongrie, usine s'étant au début spécialisée dans la copie de modèles chinois. L'empereur Maximilien avait commandé ce service en 1865 pour sa résidence de Chapultepek. Moritz Fischer, le patron de la manufacture, reçut alors l'autorisation de présenter ledit service à l'Exposition universelle de Paris en 1867. Malheureusement, l'empereur ayant décédé entre temps, le service ne parvint jamais au Mexique.

 

Autre manufacture, autre service. Le service de table blanc et or de la manufacture de Thun fut acheté en 1851 pour l'empereur Ferdinand. Après la révolution de 1848, Ferdinand, surnommé « le bon » par le peuple, renonça au trône en faveur de son jeune neveu François-Joseph. Puis, il se retira dans le château de Prague où il résidera jusqu'à sa mort, en 1875. La manufacture de Thun se trouvait en Bohême. C'est là que fut conçu ce service, prévu pour la résidence de Prague de l'ancien empereur. Le modèle de ce service était alors en vogue pour l'époque. En effet, vers le milieu du siècle, les goûts évoluèrent et les lignes dépouillées et claires du style Biedermeier laissèrent place à des formes plus douces et plus souples. Le riche décor doré répondait au besoin grandissant de faste et de luxe qui se fit alors sentir à la Cour de Vienne.

 

Me voici maintenant devant un surtout de table de style Nouveau français. Ce service fut commandé en 1850-51, à Paris et fut l'une des premières acquisitions du jeune François-Joseph, tout juste intronisé empereur. La richesse et l’exubérance de cette décoration de table en bronze doré dépassent très largement les autres surtouts. Les imposantes girandoles reposent sur des piédouches somptueusement décorés de rinceaux et de rocailles, autour desquels folâtrent des angelots, bondissent des animaux et tournoient des oiseaux. Et ce surtout de servir aux diners réguliers de l'empereur avec ses conseillers et ses ministres. Sous l'influence de l'archiduchesse Sophie, l'aménagement de la Cour connut un retour au style et aux formes du baroque et du rococo. Cette tendance se manifesta d'abord dans le mobilier des appartements, puis, un peu plus tard, dans les accessoires de table.

 

Le service de table et à dessert à rubans verts de Sèvres fut, quant à lui, un merveilleux cadeau du roi français Louis XV à l'impératrice Marie-Thérèse. Après les longues et coûteuses années de guerres de succession, ce présent était destiné au rapprochement de la France et de l'Autriche. Des rubans verts entrelacés constituent le décor principal des pièces de ce service, dont les formes suggèrent les ouvrages d'orfèvrerie baroques. Les entrelacs de rubans sont entrecoupés de charmantes scènes rococo, réalisées d'après des tableaux de François Boucher. Et représentent des allégories de l'amour, de la poésie, de la musique, de la peinture et de la sculpture, ou font allusion aux œuvres de la littérature mondiale, d'Homère à Molière. Ce service représente le grand savoir-faire de la manufacture royale de porcelaine de Sèvres fondée en 1738. Cette porcelaine de Sèvres était fabriquée à partir d'une matière spéciale, légère et friable, appelée pâte tendre, dont la cuisson à basse température permettait aux couleurs de déployer tout leur éclat. Le vert lumineux venait tout juste d'être inventé et ne fut utilisé qu'une seule fois, dans un motif à deux rubans entrelacés pour ce cadeau à Marie-Thérèse.

 

Je poursuis cette passionnante visite et découvre les soupières aux épis d'or. L'empereur Joseph II rendit visite à sa sœur, la jeune reine Marie-Antoinette, en 1777. De retour chez lui, il ramena 500 précieux objets en porcelaine de Sèvres, dont le service à dîner vert pomme et quatre prestigieuses soupières, dont trois sont exposées à l'Office de l'argenterie. Le pot à oille de forme ronde (destiné à un tonifiant ragoût de potage) et les deux soupières reposent sur quatre pieds travaillés, eux-mêmes posés sur des supports. Les gerbes d'épis en bronze doré et les médaillons peints représentant des fruits, des produits de la terre, des fleurs, des œufs, des fruits de mer, et même des outils agricoles et de jardinage, évoquent la fécondité et la fertilité de la nature domestiquée.

 

Nous l'avons vu plus haut, le pliage des serviettes est un art ancien. Les créations complexes prennent la forme d'éventails, de poissons, de coquillages, de cygnes, de canards ou de fleurs qui servaient de décoration de table avant tout à l'époque du baroque primitif. Et cette exposition de nous en montrer plusieurs exemples. Pour parvenir à réaliser ces compositions, il fallait disposer de serviettes d'une certaine dimension et en lin extrafin. La fameuse « serviette de l'empereur » mesure un mètre par un mètre. Le XVIIè siècle nous gratifia d'un nombre extraordinaire de modèles de ces experts pliages.

 

Je m'approche à présent du service en or, la vaisselle en porcelaine la plus prestigieuse de la Cour impériale. Chaque pièce de ce service conçu pour douze personnes est recouverte d'or poli, certaines étant même dorées à l'intérieur et sur l'envers. Ces délicates décorations à l'or rappellent les frises antiques. Ce service en or est un travail de maitre de la manufacture de porcelaine de Vienne, qui fut exécuté en 1814. L'acquisition d'un tel service était devenue indispensable car toute la vaisselle en or de la Cour avait été fondue durant la guerre contre Napoléon pour être transformée en monnaie. Lorsque l'empereur François apprit, lors d'un séjour à Paris en 1814, que toutes les puissances d'Europe s'apprêtaient à organiser un grand congrès à Vienne, il fit immédiatement commander ce service auprès de la manufacture de Vienne. Il put ainsi, lors des banquets officiels, exhiber cette vaisselle rutilante d'or, ne serait-ce que pour donner le change au service en or massif.

 

L'exposition offre aussi d'admirer le service de la manufacture de Meissen. Cette maison fut fondée en 1710 et resta longtemps la meilleure manufacture de porcelaine d'Europe. Le service qui nous intéresse fut réalisé vers 1775 et est recouvert de magnifiques peintures florales. La forme des pièces illustre parfaitement le classicisme baroque. Tandis que les soupières ventrues, avec leurs boutons en forme de fruit semblent encore appartenir à l'époque baroque, le panier à pain ajouré rejoint déjà le classicisme inspiré de l'Antiquité.

Un autre surtout attire mon attention : le surtout de table de style français classique. Celui-ci fut commandé à Paris en 1838 à l'occasion du couronnement à Milan de l'empereur Ferdinand comme roi de Lombardie-Vénétie. On ne connait pas le fabricant de ce surtout, c'est étrange mais c'est ainsi. A l'époque, de peur de contrarier les artisans viennois, la Cour prenait soin de passer secrètement les grandes commandes à l'étranger ou d'en charger le premier majordome. Ce surtout est en bronze doré, et le soir, ses miroirs rectangulaires reflétaient la lumière des bougies portées par des girandoles. Les ornements figuratifs, tout comme les charmants et gracieux rinceaux offrent une impression de faste élégant.

 

Penchons-nous maintenant sur les assiettes panorama. La plus ancienne manufacture de porcelaine d'Europe, après celle de Meissen, fut fondée à Vienne en 1718. La porcelaine était à l'époque un objet de collection coûteux et très recherché, mais n'était pas jugée digne de garnir la table impériale, excepté pour le dessert. C'st finalement grâce à la conversion de l'argenterie de la Cour en monnaie, pour les besoins de la guerre, qu'aux environs de 1800, la porcelaine put enfin être présentée sur les tables impériales. En 1803, l'empereur François commanda pour la table impériale un service en porcelaine de 120 pièces, dont soixante assiettes à dessert illustrées, et 24 assiettes à soupe. Ces assiettes exceptionnelles, appelées « assiettes panorama » contiennent à la fois des motifs patriotiques et romantiques. Les convives pouvaient en effet admirer, entrecoupant les bords dorés, des volcans en éruption, d'arides paysages de glaciers ou d'impressionnants exemplaires de l'architecture viennoise. Chaque assiette présente trois paysages : une vue d'Autriche, une de la Suisse et une de l'Italie, d'après d'anciens modèles des meilleurs peintres sur porcelaine de Vienne. Cinq années furent nécessaires pour réaliser ce travail.

Dans l'atrium, je m'arrête devant des drageoirs, des surtouts de table en bronze doré, lesquels, remplis de confiseries, garnissaient la table impériale. Ces drageoirs font partie du surtout de style Nouveau français du jeune empereur François-Joseph.

L'Office de l'argenterie doit une importante collection d'objets en porcelaine, remontant aux années 1700, et en provenance d'Extrême-Orient, à l'archiduc Charles-Alexandre de Lorraine. Charles-Alexandre était le frère cadet de l'empereur François-Stéphane, mari de Marie-Thérèse. Il épousera Marie-Anne en 1744, alors l'unique sœur de l'impératrice. Le jeune couple s'installa à Bruxelles après les noces et Charles-Alexandre prit les fonctions de Gouverneur des Pays-Bas. Il devint aussi un collectionneur passionné, accumulant par la même occasion une foule de dettes. A sa mort, son neveu, l'empereur Joseph II, fut désigné curateur de sa succession. Il mit la plus grande partie des biens de son oncle aux enchères à Bruxelles. La rarissime porcelaine d'Imari (Japon) fut cependant emmenée à Vienne. Certaines de ces pièces forment une inattendue mais intéressante symbiose entre les cultures d'Extrême-Orient et européenne. Ces objets, venus de Chine et du Japon, furent sertis d'argent par des orfèvres européens et adaptés aux besoins de la Cour. Les motifs bleus, rouges et or sont typiques de la porcelaine japonaise de cette période, appelée porcelaine d'Imari. Le surtout de table en argent formant un paysage de roches fut probablement réalisé par un orfèvre viennois. Par les orifices du tronc d'arbre en argent, un encensoir pouvait laisser échapper des fumées odorantes. Les fruits émaillés chinois renfermaient eux aussi, des essences parfumées.

 

Autre curiosité de cette exposition, le couvert de l'impératrice Marie-Thérèse fait partie des rares objets personnels de la monarque encore existants. Il fut confectionné tout spécialement pour elle et l'impératrice était la seule à pouvoir l'employer. Elle l'emportait d'ailleurs lors de tous ses déplacements. Ce couvert se compose d'un couteau, d'une fourchette, d'une fourchette de service et d'une cuillère, et il est complété par un petit coquetier, une cuiller à œuf, un tire-moelle et une salière. Il fut réalisé en or vers le milieu du XVIIIè siècle. Ce n'est qu' à la fin de ce même siècle, qu'apparaitront les ménagères de table renfermant des jeux de couverts complets pour 12, 24, 36...personnes (le saviez-vous ? l'assemblage des couverts par douzaine se réfère au nombre des apôtres). Le couvert individuel et personnalisé laissa alors la place au couvert uniforme pour tous les membres de la famille impériale.

 

Deux raisons expliquent le fait que l'argenterie provenant des époques plus anciennes ait pour ainsi dire disparu de la Cour. La première est que l'argenterie de table était systématiquement fondue pour être retravaillée dès qu'elle montrait des traces d'usure, qu'elle était passée de mode ou que son propriétaire était endetté. La deuxième raison était qu'à la fin du XVIIIè siècle, en Autriche, la presque totalité des objets en argent sera réquisitionnée pour financer les guerres napoléoniennes. Cette argenterie fut presque intégralement fondue puis transformée en monnaie, y compris celle de la Cour. Elle fut donc remplacée par des services en porcelaine de la manufacture de Vienne. Il faudra attendre les années 1830-1835 pour que la Cour se mette à racheter peu à peu de l'argenterie de table. Elle passa ses commandes à l'orfèvre Stefan Mayerhofer.

 

Terminons ce tour d'horizon par le service à dessert anglais de la manufacture Minton. Celui-ci figura parmi les créations les plus remarquées de l'Exposition universelle de Londres de 1851. Composé de 116 pièces, le service recevra la plus haute distinction pour son esthétisme. La reine Victoria d'Angleterre l'acheta et en offrit une partie à l'empereur François-Joseph, en gage d'amitié. Cette œuvre très fragile, composée de figurines en biscuit non émaillé et de petits gobelets pour la crème anglaise, ne fut jamais employée par la Cour autrichienne (à cause justement de sa fragilité).

Ainsi se termine ma visite à l'Office de l'argenterie et de la porcelaine. On pourrait passer des heures à admirer les milliers d'objets qu'elle comporte tant l'exposition est riche. Et je vous conseille vivement de ne pas manquer cette exposition permanente lors de votre prochain passage à Vienne.

 

 

INFOS PRATIQUES :


  • Palais de la Hofburg, Michaeleplatz 1, à Vienne. Tèl : +43 1 533 75 70. Métro : Herrengstrasse. Ouvert tous les jours de 9h00 à 17h30 (jusqu'à 18h00 en juillet et en août). Le billet d'entrée à 11,50€ permet l'accès à la collection d'argenterie, au musée Sissi et aux Appartements impériaux. Audioguide inclus. Un billet à 25,50€ offre les mêmes prestations + accès au Musée du meuble de Vienne + Grand Tour du Château de Schönbrunn. Site internet : http:///www.hofburg-wien.at

  • Prise de photographies interdite

  • Merci au service de presse du Palais pour le prêt de photos.








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