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Exposition "Fendre l'air, art du bambou au Japon"
(Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris, France)
Heure locale

 

Mardi 1er janvier 2019

 

Le Musée du Quai Branly-Jacques Chirac (Paris) présente actuellement une passionnante exposition consacrée à l'art du bambou au Japon. On y découvre l'un des savoir-faire les plus secrets, à la fois subtil et délicat, spirituel et gestuel, celui du panier en bambou. Cet art-là est l'apanage de ces grands maitres nippons, porteurs d'une histoire pluriséculaire. Vous l'avez compris, c'est dans le monde de la vannerie japonaise en bambou que je vous conduis aujourd'hui, un art méconnu qui est exposé pour la première fois en France et qui nous offre l'occasion d'admirer environ 200 œuvres anciennes et contemporaines destinées à l'origine à la décoration florale de la cérémonie du thé. L'Occident connait mal cet art typiquement japonais, même si certains musées américains exposent de façon permanente certaines de ces magnifiques œuvres. Et le Musée du quai Branly de s'enorgueillir d'avoir pu rassembler dans une seule exposition un tel ensemble de pièces jamais exposées en Europe.

La vannerie artisanale en bambou et son essor au Japon est étroitement lié au rayonnement de l'art du thé, débarqué de Chine vers les 8è et 9è siècles. Les premières générations d'artisans japonais s'employèrent d'abord à tirer leur inspiration de modèles chinois, jusqu'à ce qu'arrive le renouveau au début de l'ère Meiji, celui d'un certain type de cérémonie du thé dont les arrangements floraux utilisaient des récipients en bambou. Cette période sollicitera la créativité d'artistes raffinés et inventifs qui créeront leur propres formes, à l'instar d'Iizuka Rokansai et Hayakawa Shokosai. L'art de la vannerie japonaise en bambou accueille encore de nos jours certains de ses créateurs dans le prestigieux cercle du Trésor national vivant et voit l'apparition d'oeuvres purement contemporaines, véritables sculptures originales. La visite de l'exposition, elle, est découpée en quatre parties : une introduction nous enseigne l'origine chinoise des paniers (karamono) et leur lien avec les cérémonies du thé. Nous entrons ensuite dans cette période consacrée aux maitres de l'âge d'or, avec l'essor de l'art du bambou entre la fin de l'ère Edo et le début de la période Meiji. La troisième partie est entièrement consacrée à Iizuka Rokansai qui fait l'objet d'une section monographique, puis l'exposition s'achève sur l'après-guerre et les mutations engendrées par cette période. Autre point fort de cet événement, la présentation d'oeuvres de six Trésors nationaux et de l'histoire des évolutions des paniers qui deviennent peu à peu des sculptures, et la très large participation d'artistes contemporains à travers leurs créations, dont certaines rejoindront à terme les collections du musée.

 

Moi qui ai parcouru le Japon, j'ai pu constater l'omniprésence du bambou dans ce pays, avec la présence de plus de la moitié des nombreuses espèces de cette herbe, dont 600 environ sont endémiques. Cette plante qui croit vite et droit, tout en étant à la fois flexible et imputrescible, se prête aisément à de nombreux usages essentiels pour l'homme (nourriture, fabrication d'abris, d'instruments, d'armes et de récipients). Dans l'art de la vannerie, le bambou nécessite un long travail de préparation : récolte des tiges que l'on ébranche, extraction de l'huile contenue dans la plante puis récupération des lanières de bambou après un long processus manuel de fabrication. Celles-ci seront plus tard tressées, voire coupées selon un angle particulier. Le rotin, lui, qui entre dans la finition des œuvres, ne pousse pas au Japon et doit être importé d'Asie du Sud-Est.


 

Le bambou joue ainsi un rôle important dans les cultures japonaises, que ce soit dans l'agriculture, la pêche, l'architecture ou la musique, jusqu'aux nombreux instruments de la vie quotidienne, dont ceux utilisés lors de la cérémonie du thé. Un espace de l'exposition est consacré à cet art traditionnel à l'intérieur de l'exposition, sous la forme de deux alcôves reconstituant les cérémonies chanoyu (thé en poudre) et sencha (thé en feuilles) avec paniers et ustensiles. Autant d'objets requis pour ces cérémonies qui servent à la préparation codifiée du breuvage et à la création de l'ambiance de maison du thé. Ces ustensiles, qu'ils soient en terre, en faïence, en fonte, en laque, en bambou ou en bois s'apprécient tant par le prestige de leurs anciens propriétaires que par celui de l'artisan qui les a conçus.

C'est à partir de la deuxième moitié du 19è siècle que les paniers en bambou japonais connaissent une vraie évolution et un véritable changement de statut, en passant de la fonction de simple objet utilitaire à celle d'oeuvres d'art. De son côté, karamono (objets de Chine) désigne toute sorte d'oeuvres et d'objets, peintures, céramiques, laques et textiles, par opposition à wamono (objet du Japon). Dès le 8è siècle, le Japon va être attiré par ces objets venus de Chine (et même de Corée et du Vietnam), et cette passion ne déclinera qu'à partir de la guerre sino-japonaise de 1894-1895. Et ce goût chinois de prendre racine chez les classes commerçantes aisées des villes portuaires nippones dans la dernière partie de l'ère Edo. Les Bunjin (lettrés collectionneurs), qui pratiquent souvent la cérémonie du thé sencha, achètent alors peintures et céramiques chinoises tout en encourageant les artisans japonais à les copier, voire à surpasser le modèle original.

Les premiers maitres du bambou créeront ainsi des paniers à vocation utilitaire aux formes moins créatives que ceux de la fin du 19è siècle, date à laquelle on voit apparaître de nouveaux items qui accompagnent l'art de ces paniers, avec des documents préparatoires (dessins, croquis ou carnets) et la conservation d'archives écrites ou photographiées. Stimulés intellectuellement et financièrement par de nouveaux amateurs lettrés férus de goût chinois, plusieurs artistes de talent se font jour dans la région d'Osaka, alors centre de la pratique du sencha. Ces artistes vont révolutionner l'art de la vannerie en donnant naissance à des œuvres s'inspirant des paniers chinois les plus sophistiqués. D'autre part, la rencontre d'amateurs désireux de collectionner et de conserver les paniers pour les utiliser dans les arrangements floraux du sencha, tout en y mettant le prix, et d'une génération d'artistes prometteuse, va permettre l'essor d'une véritable vannerie florale japonaise. Parmi ces artistes, on note la présence d'Hayakawa Shokosai, l'ainé du groupe et remarquable à plus d'un titre. D'abord connu par son travail en rotin, notre homme issu d'une famille de samouraïs oeuvrera pour les Bunjin en réalisant pour eux plusieurs instruments du thé avant de fournir aussi la nouvelle aristocratie Meiji. L'exceptionnelle qualité technique et esthétique de son travail hissera cet artiste au premier rang de cet art qui va devenir celui du bambou moderne.

 

Les pères fondateurs de cet art de la vannerie japonaise compteront également Shokosai II, le fils d'Hayakawa Shokosai I, Wada Waichisai, Hayakawa Shokosai III, Yamamoto Chikuryosai I, Maeda Chikubosai, Iizuka Hosai II et Tanabe Chikuunsai I. Dès Hayakawa Shokosai I, plusieurs hautes personnalités incitent les artistes du bambou à s'inscrire dans le monde de production des beaux-arts (peinture ou céramique). Les boites (tomobako) qui servent de contenants apparaissent à la même époque. Signées et titrées, elles sont aussi sophistiquées. On découvre enfin le style wamono grâce à la virtuosité des maitres du bambou, qui développent des techniques innovantes, avec utilisation du bambou fumé (susudake) pour tapisser le plafond des vieilles chaumières ou d'anciennes flèches militaires (yadake). Troisième fils de Tanabe Chikatoki Yoshitsune, médecin du seigneur Matsudaira du domaine d'Amagasaki, Tanabe Chikuunsai I se passionne très tôt pour l'artisanat et fréquente régulièrement un artisan vannier (kagoshi) près de chez lui. A 12 ans, il devient apprenti aux côtés de l'artiste du bambou Wada Waichisai I d'Osaka. Et de recevoir de son maitre le titre de « Chikuunsai »(Nuage de bambou) à l'âge de 24 ans, avant d'ouvrir son propre studio et de devenir artisan indépendant. Notre homme présente ses premières œuvres à la cinquième exposition industrielle nationale en 1903, puis y remporte de nombreux prix. Sept années plus tard, il déménage à Sakai, un port à forte effervescence artistique et terre d'origine de Sen no Rikyu, le plus grand maitre de thé japonais de l'école wabi. En 1914, lors de la visite de l'empereur Taisho à Osaka, une de ses vanneries suspendues de style Ryu Rikyo est présentée au souverain. Puis l'artiste remporte une récompense en 1925 pour une autre vannerie hanakago de style Ryu Rikyo, lors de l'exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris. D'artisan vannier, Tanabe Chikuunsai I devient artiste et ouvre sa première exposition privée d'art décoratif en bambou.

Avant le début de l'ère Meiji, il y a prise de conscience du gouvernement japonais de l'intérêt de promouvoir internationalement les arts japonais. Et les artiste du bambou de bientôt participer aux Expositions internationales (dès 1867) et aux Expositions d'arts décoratifs à Londres, Vienne, Chicago et Paris, avec, à la clef, plusieurs remises de prix. De son côté, le gouvernement nippon met en place un système de récompenses impériales et ministérielles. L'art japonais fascine alors en Occident, et depuis longtemps : de son temps, la reine Marie-Antoinette collectionnait déjà des laques et on estime à près de deux millions de porcelaines japonaises exportées en Europe entre 1650 et 1680. La Seconde guerre mondiale par contre portera un coup (presque) fatal à l'art du bambou en faisant disparaître l'aristocratie européenne et en changeant radicalement les goûts et pratiques sociales. Mais les Etats-Unis prendront le relais à partir des années 1960-70 grâce à la curiosité de collectionneurs pionniers et de quelques marchands. Les années 1860 verront ainsi des milliers de paniers en bambou embarqués pour l'Europe depuis les ports d'Osaka, Sakai ou Nagasaki, mais, c'est plus récemment que les musées européens s'intéresseront à l'art de la vannerie japonaise en acquérant des œuvres (à l'exemple du Musée du quai Branly – Jacques Chirac qui a fait l'acquisition de huit paniers d'artistes).


 

Jetons pour terminer un regard appuyé sur Iizuka Rokansai qui exerça son art durant le 19è siècle, en tant que pionnier dans l'art moderne du panier en bambou, en réinventant peu à peu l'art du panier grâce à des formes nouvelles. Sixième fils du grand Iizuka Hosai, celui qui s'appelait alors Yanosuke rêvait de devenir peintre. Il fera ses débuts en étudiant d'abord pendant quelques années la peinture chinoise, la poésie et la calligraphie et profitera de cette période pour se constituer un carnet d'adresses dans le monde des arts. Puis il prendra le nom de Rokansai, et commencera à pratiquer l'art du panier da manière traditionnelle en répondant aux commandes aristocratiques tout en développant de nouvelles idées et techniques et en créant des formes clés pour faire du panier une sculpture. Et l'artiste d'utiliser les concepts zen de shin (formel), gyo (semiformel) et so (informel) pour caractériser ses travaux. En 1925, alors qu'il est sélectionné pour participer à l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris, Iizuka Rokansai accumule les récompenses et met ainsi à l'honneur l'art du bambou en tant qu'art décoratif. Les nouvelles formes inventées par l'artiste seront ensuite reprises par des disciples directs ou indirects du maitre, comme les paniers « du pli » ou « de la feuille pliée ».


 

INFOS PRATIQUES :

 

  • Exposition « Fendre l'air, art du bambou au Japon », jusqu'au 7 avril 2019, au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, Galerie Est, 37 Quai Branly à Paris (7è). Tél : 01 56 61 7000. Entrée : 10€. Site internet : http://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/fendre-lair-38062/
  • Le catalogue de l'exposition est disponible sur place : 304 pages, 220 illustrations, 55€. Coédition Skira/musée du quai Branly - Jacques Chirac .

  • Pensez à regarder l'intégralité des visuels de cette exposition en cliquant à droite en haut de cet article, sur l’icône Photos disponibles.

  • Merci à l'agence Alambret Communication pour son aide.




 



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