Revoir le globe
Top


Exposition "La Police des Moeurs à Paris"
(Musée de la Préfecture de Police, Paris, France)
Heure locale

Lundi 20 juin 2022

 

Le Musée de la Préfecture de Police (Paris 5ème) présente actuellement, et jusqu’au 26 août prochain une exposition sur « La Police des mœurs à Paris ». La prostitution féminine est un phénomène qui a évolué avec la société et que la perception que cette dernière se fait des bonnes mœurs. Cette prostitution s’exerce dans un univers extrêmement varié avec des clients de tous milieux et dans un monde de l’illégalité sous toutes ses formes (banditisme, drogue, fraude financière,...)

 

L’exposition s’ouvre sur l’histoire de la gestion de la prostitution : en France, cette activité est de longue date réglementée. Du point de vue du droit, la prostitution n’est pas un délit et pourtant, les filles publiques forment une classe à part pour laquelle la liberté n’est qu’un vain mot dans la mesure où la moralité et le bon ordre, notions qui prédominent à l’époque, autorisent à leur égard l’arbitraire le plus absolu : ce système français, qui reposera sur l’application d’une réglementation que le préfet de police Félix Voisin fera remonter aux... Capitulaires de Charlemagne ! Nous sommes alors en 1876.

Ce système français distinguait alors le droit sous l’Ancien régime et le droit actuel. Et la révolution française ainsi que les régimes suivants n’auront de cesse de renoncer à légiférer sur un tel sujet, sans doute à cause du refus de reconnaître légalement ce qui, pour beaucoup, reste le plus vieux métier du monde. Dans ces conditions, il ne restait que la police pour remplir cette mission de contrôle de la prostitution. Deux prostitutions cohabitent alors : la prostitution tolérée, close ou libre, et la prostitution clandestine. Et la police de vérifier si la première (les filles soumises) sont en règle et respectent les règles édictées tout en repérant la deuxième catégorie (les insoumises) afin de les faire rentrer dans le rang des soumises. Pourquoi cette démarche ? Parce que le système français considère que même si la prostitution ne constitue pas un délit en soi, elle reste immorale et dangereuse, ce qui impose alors à ces femmes de se plier à des obligations spéciales et à un régime à part.

Des visites sanitaires sont donc imposées à ces « travailleuses du corps », visites dont la fréquence et les modalités varient selon les villes et les périodes. Ces visites sont gratuites dans certaines villes et payantes dans d’autres.Quant aux conditions d’accueil et de soins des hôpitaux où l’on envoie les malheureuses souffrant de maladies vénériennes n’incitent celles-ci qu’à une chose, mettre les bouts. L’arsenal de mesures prévoient aussi des punitions disciplinaires pour les plus récalcitrantes (celles qui ne respectent pas l’intégralité des mesures) afin de lasser les demoiselles jusqu’à les décourager de poursuivre leur activité « librement », c’est à dire en extérieur.

 

Cloisonner ces filles de joie en les contraignant à à une sorte de vie claustrale, voilà qui, pour l’administration, offrait de sauvegarder à la fois pudeur et santé publique. C’est ainsi qu’apparurent les maisons closes, encadrées par la police parisienne au 19ème siècle : comme évoqué plus haut, la période révolutionnaire se caractérisera par la dépénalisation de la prostitution en 1791. Le Palais-Royal devient alors le premier marché de « sexe » à ciel ouvert. Il faudra attendre 1804 pour que, sur ordre du consul Napoléon, les maisons closes dites de plaisir soient prescrites. Dès lors, les filles et les maisons seront contrôlées par la Police des mœurs.

Toutefois, l’âge d’or de ces maisons « particulières » en France se situe sous la IIIème République comme en témoigne un Guide rose qui les recense. Ainsi, l’édition de 1936 en répertoriait-elle 700, rien que cela. A l’époque, il faut compter avec la prostitution coloniale, au sein de laquelle le « Sphinx d’Alger » était alors la plus grande maison de tolérance d’Afrique du Nord. Et l’Etat, au passage et comme à son habitude, de prélever entre 50 et 60 % sur les bénéfices.On comprend que dans ces conditions les préfets délivrent des « certificats de tolérance » aux tenancières (ou mères maquerelles) de ces maisons closes devenues au fil du temps maisons de tolérance (ou maisons à gros numéros,reconnaissables à leurs fenêtres à verre dépoli).

Les maisons en question utilisaient les services de placeurs, chargés du recrutement des prostituées. Ces placeurs (ou placeuses) parcouraient les pensions de province et les hôpitaux à la recherche de femmes naïves à qui l’on promettait une bonne place et de l’argent. D’autres femmes (comme les filles mères) y entraient par nécessité.

Chaque maison avait son règlement intérieur. Les clients payaient 5 francs 25 en 1929 (dont 2F50 revenaient à la travailleuse, et 2F à la tenancière de l’établissement). Il revenait aux prostituées de payer les frais de la maison (nourriture et blanchisserie) à raison de 30 FR par jour ainsi que la visite du médecin lorsque nécessaire.Dures à l’ouvrage, les créatures travaillaient tous les jours et dormaient le plus souvent au grenier ou dans un établi.

La Seconde guerre mondiale n’arrangera rien à l’affaire et les maison closes connaitront une pénurie de clients dès 1939. Pour attirer une clientèle plus aisée, une nouvelle sorte de maisons fait son apparition, Le One-Two-Two, cabaret-bordel, attire une clientèle huppée où l’on rencontre Colette, Marlène Dietrich, Jean Gabin, Sacha Guitry et bien d’autres . Le Sphinx, lui, ouvre bientôt sur le boulevard Edgar-Quinet (Paris) sous les bons auspices d’Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur de l’époque. En 1941, sous l’occupation, L’Etoile de Kléber ouvre ses portes, et devient vite le lieu favori de la Gestapo et des officiers de la Wehrmacht. Cinq ans plus tard, les maisons closes ne survivront pas à la loi Marthe Richard et fermeront définitivement leurs portes le 13 avril 1946.

 

En remontant dans le temps, on découvre que la première mention d’un département consacré à la police des mœurs date de 1747, lors de la création du « bureau de la discipline des moeurs » par le lieutenant général de police Nicolas René Berryer. Un nom que le peuple de Paris transformera en « vilain Monsieur Beurrier » pour exprimer sa haine à l’égard de ce personnage qualifié de dur, hautain, grossier, ignorant mais entêté. Fils de Nicolas Beyrrier, procureur général du Grand Conseil, Nicolas-René Beyrrier sera l’ami de Madame de Pompadour à laquelle il devra sa promotion. Toutefois, la fonction principale de ce bureau n’était pas à proprement dit fait pour lutter contre la débauche mais plutôt un service de renseignements utilisant les prostituées pour obtenir des informations compromettantes sur leurs clients.

C’est sous le Directoire, à partir de 1796, que débute l’ère de la tolérance, avec encartage et visite médicale obligatoire pour les prostituées, sous le contrôle de la brigade des mœurs. Le 19ème siècle sera peu reluisant quant à la réputation des agents de cette police des mœurs à la suite de la multiplication des scandales et des brutalités envers les gourgandines, au point que le conseil municipal de Paris s’opposera à la préfecture en désignant une « commission de la police des moeurs » dont l’aboutissement sera la dissolution de ladite brigade en 1881.

La brigade des mœurs renaitra en 1901 sous le nom de « brigade mondaine » dont la tâche était la collecte de renseignements, avant d’élargir ses compétences en matière de répression de la mendicité (1907) puis de redevenir brigade des mœurs en 1914 à la faveur d’une refonte des services de police. Dès lors, ses missions seront les suivantes :

 

- intervention sur la prostitution et les délits annexes (contrôle des maisons closes, répression du racolage et des maisons clandestines, traite des blanches...)

- préserver la moralité (répression de la pédérastie, des publications obscènes)

- réprimer le trafic de stupéfiants

 

En 1930, cette brigade des mœurs retrouvera son nom de « brigade mondaine » et ce, jusqu’en 1975. A noter que le contrôle des maisons closes ayant disparu en 1946 (avec leur fermeture), cette brigade gérera et encadrera les centaines de lupanars clandestins (appelés clandés) installés à la place. C’est Michel Poniatowski qui transformera la « mondaine » en « brigade des stupéfiants et du proxénétisme » le 16 février 1975. Quatorze années plus tard, cette brigade sera scindée en « brigade des stupéfiants » et « brigade de répression du proxénétisme, avec, à sa tête, Martine Monteil, première femme commissaire nommée dirigeant de la BRP.

 

Et le statut de la prostituée dans tout cela ? Dès le Moyen-Âge, municipalités, seigneurs et rois organisent ou encadrent une prostitution qui s’institutionnalise au 14ème siècle, en bâtissant des établissements adéquats tenus par les bourgeois et les ecclésiastiques qui reversent un bail aux autorités. Ces « bordels clos » sont signalés par une lanterne rouge allumée pendant les heures d’ouverture. Les prostituées, elles, ne sont généralement pas marginalisées mais intégrées dans une société où elles ont leur rôle à jouer. Dans ce contexte, les réglementations sont souvent municipales et se limitent à encadrer l’activité (liberté d’exercer dans certaines rues ou quartiers, restrictions aux libertés des prostituées, vêtements obligatoires (dont la ceinture dorée) afin de distinguer les femmes de joie des autres femmes, jours et heures d’activité des maisons.

Louis IX tentera d’interdire par ordonnance la prostitution en décembre 1254 et les ribaudes finissent par être reléguées hors des murs de la cité et loin des cimetières, églises, lieux saints et autres lieux de rassemblement. Sur le départ pour la huitième croisade, Saint-Louis décide d’extirper le mal du royaume de France mais provoque l’entrée des prostituées en clandestinité, contraignant alors le roi à ouvrir des centres de reclassement pour les femmes publiques à Paris, allant même jusqu’à rémunérer 13 000 d’entre elles pour suivre la croisade.

Sous l’Ancien régime la période de tolérance se poursuivra jusqu’au 15ème siècle, puis la rigueur sera de mise au siècle suivant, compte tenu des ravages provoqués par la syphilis, puis de la réforme à laquelle les villes catholiques répondent en faisant appliquer une morale plus rigoureuse. En 1561, l’ordonnance d’Orléans interdit étuves et autres bains, privatise les maisons publiques, encadre davantage l’activité des pourvoyeuses, voire punit d’emprisonnement ou de bannissement celles qui ne respectent pas les nouveaux interdits.

Loin de diminuer, cette pratique ravageuse se développe et Louis XIV ordonne d’emprisonner à la Salpêtrière toutes les femmes coupables de prostitution, fornication ou adultère. Puis il crée la fonction de lieutenant général de police, lequel sera chargé de surveiller les mœurs ainsi que les gourgandines, allant jusqu’à menacer de couper nez et oreilles aux contrevenantes surprises à fricoter avec des soldats à moins de deux lieues de Versailles. La police dispose alors du pouvoir de réprimer débauche, prostitution, libertinage et adultère. Cette politique aura cours jusqu’au décès du roi Soleil.

 

Sous Louis XV, la licence fait son grand retour et la police des mœurs se borne à encadrer les bordels tout en transformant tenanciers et maquerelles en auxiliaires de police. Puis la répression revient sous Louis XVI avec interdiction du racolage sous toutes ses formes. 300 à 400 ribaudes sont alors arrêtées chaque mois dans la capitale, entrainant l’incarcération à l’hôpital ou en prison pour celles n’ayant pas les moyens de racheter leur liberté.

Sous la révolution, la prostitution es écartée du domaine légal tandis que les Constituants instaurent la tolérance de cette activité. Seule la surveillance des lieux de prostitution est prescrite par la Code de police et le proxénétisme des mineurs est réprimé par le Code pénal au nom de l’atteinte aux bonnes mœurs.

Au tournant du siècle, on évalue à 30 000 le nombre de prostituées ordinaires à Paris et à 10 000 les tapineuses de luxe. Des guides roses (comme l’Almanach des demoiselles de Paris, de tout genre et de toutes classes) sont alors publiés.

Dépénalisée pendant la révolution française, la prostitution n’est pas pour autant acceptée ni reconnue par la société. Au nom de l’ordre public, la police continue d’arrêter les femmes se prostituant sur la voie publique parisienne. En 1793, la Commune fait du « raccrochage » dans l’espace public un délit contre les bonnes mœurs et instaure le contrôle sanitaire des filles de joie. Suivra l’adoption du principe de l’enregistrement et du recensement des prostituées dans la capitale.

Sous le Consulat, la tolérance revient en force et autorise l’ouverture de maisons de tolérance. L’année 1804 voit ainsi la légalisation de la tolérance et de la maison close, sous le contrôle de la brigade des mœurs. Une fois inscrite à la Préfecture, chaque fille peut s’inscrire dans une maison, et doit passer une visite médicale tous les mois. Ces prostituées reconnues par l’Etat (ou « soumises ») s’opposent aux prostituées clandestines (insoumises). Une situation qui perdurera jusqu’à la fermeture des maisons closes en 1946 par la loi « Marthe Richard », laquelle interdit le racolage et confine les filles aux maisons inscrites.

 

Et les fameuses maisons closes de connaître un nouvel âge d’or sous la IIIème République en s’intégrant dans la vie sociale. L’Etat en profite d’ailleurs pour percevoir au passage sa dime et l’on voit apparaître les maisons célèbres comme Le Chabanais ou Le Sphinx. On compte alors à Paris 200 établissements officiels sous le contrôle de la police et des médecins, au milieu du siècle, contre une soixantaine plus tard, à la suite du développement exponentiel des bordels clandestins (totalisant 15 000 prostituées). La fleur de macadam (ou asphalteuse) est alors réduite à un statut de sous-citoyenne soumise à des règlements appliqués selon le bon vouloir de la police.

 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « La Police des mœurs à Paris – De la police des Demoiselles à la Brigade de répression du proxénétisme », jusqu’au 26 août 2022, au Musée de la Préfecture de police, 4 rue de la Montagne Sainte-Geneviève, à Paris (5ème).

  • https://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/musee








 



Retour aux reportages







Qui Suis Je - Reportages - Médiathèque - Calendrier - Pays - La lettre - Contact
Site réalisé par Kevin LABECOT
Disclaimer - Version mobile