Revoir le globe
Top


Insolite Buenos Aires
(2) (Argentine)
Heure locale



Jeudi 16 février 2017

 

L'été austral m'offre les meilleures conditions de visite pour ce second numéro du Buenos Aires insolite, qui me conduit cette fois à la Maison au Palmier (ci-dessous) : située au 144 de Riobamba et à l'origine d'une histoire mystérieuse due d'ailleurs au palmier qui dissimule sa façade. Un récit similaire écrit par Julio Cortazar, Casa Tomada, raconte l’histoire d'un frère et d'une sœur qui condamnent peu à peu toutes les pièces de leur maison car des bruits inquiétants laissent penser que l'endroit est hanté. La Maison au Palmier se dresse tout près du Congrès de la Nation argentine et constitue une résidence de style français, qui sera habitée par la riche Catalina Espinosa de Galceran et sa famille il y a deux siècles de cela. Au décès de leur mère, les six enfants prirent la décision de laisser sa chambre en l'état, et de la fermer à clef, comme dans l'histoire de Julio Cortazar. Chaque frère reçut alors une part de l'immense fortune familiale, argent qui leur permettra de vivre très confortablement sans avoir besoin d'étudier ou de travailler. Cette situation choquera Elisa, l'unique fille de la famille . Le mystère de cette grande demeure reste entier : on sait simplement qu'après le décès de leur mère, les cinq fils mourront les uns après les autres dans des circonstances étranges, et en peu de temps. Et Elisa, de fermer à clef leurs chambres, pour que personne ne puisse y pénétrer. Elisa vivra seule quarante ans durant dans la maison, avant de mourir dans le sous-sol de cette grande demeure isolée. La maison restera fermée ensuite quelques années avant que, ironie du sort, l'Ecole des Portes ouvertes en fasse l'acquisition. Plus tard, l'endroit sera occupé par l'Institut de la Pensée socialiste sur une courte période. Certains prétendent que la maison au palmier aurait servi d'inspiration à Julio Cortazar pour écrire sa nouvelle, tandis que d'autres prétendent que le thème de Casa Tomada n'est autre qu'une allégorie anti-péroniste. De nos jours, la grande maison reste toujours inoccupée, et menace de s'effondrer, mais elle conserve encore tout son mystère.


 

Non loin de là, se trouve le Congrès de la Nation argentine où s'élèvent les répliques des sculptures de Lola Mora (ci-dessous). Deux statues mystérieuses ornent ainsi le milieu de la façade du palais législatif, de chaque côté de l'escalier central. On doit ces œuvre à la première femme sculpteur du pays, femme au tempérament rebelle, portant des pantalons, grimpant aux échafaudages et sculptant des corps dénudés avec une audace qui effraya longtemps les milieux les plus conservateurs d'Argentine à cette époque. Bisexuelle, Dolores Candelaria Mora Vega sera l'amante du président Julio A.Roca, avant d'épouser à 43 ans un mari de vint ans son cadet. Voulant entrer dans la franc-maçonnerie, elle fut éconduite à cause de son sexe. Son œuvre la plus connue, la Fontaine monumentale des Néréides, fera scandale à cause de ses nymphes nues émergeant de l'eau. A l'origine prévue pour être placée le centre de la Place de Mai, celle-ci sera finalement reléguée sur une placette située derrière la Casa Rosada.

C'est sur commande des autorités parlementaires que l'artiste tant décriée créera ces deux groupes sculptés ci-dessous en pierre blanche, qui furent installés ici en 1907. L'un représente la Liberté, le Progrès et les deux lions, et l'autre, la Justice, le Travail et la Paix. Les conservateurs ne manquèrent pas de critiquer ces oeuvres qualifiées d'insulte à la mémoire de ceux qu'elles prétendaient honorer. On démonta donc les sculptures pour les stocker dans un dépôt jusqu'en 1921, date à laquelle elles furent offertes à la Province de Jujuy. 93 ans plus tard, les répliques de ces sculptures reprirent leur place car les œuvres originales seront conservées jalousement par la Province de Jujuy et la Présidente Cristina Fernandez de Kirchner n'aura d'autre choix que de faire fabriquer deux copies des statues. C'est en mars 2014 que furent assemblés les différents morceaux constituées les statues, morceaux formés d'un mélange de marbre moulu, de ciment blanc et de béton armé.


 

A quelques minutes du Congrès, se trouve l'Association argentine des Acteurs, à l’intérieur de laquelle je pourrai admirer une grande toile nommée Allegoria , peinture évoquant l'esprit de l’art scénique. On doit cette œuvre à Raul Soldi, un des plus célèbres artistes peintres du pays. Cette huile sur toile (en photo ci-dessous) mesure cinq mètres sur deux et ne se trouve pas là par hasard puisque son auteur, jadis très proche du milieu des comédiens, travailla comme scénographe et peignit des rideaux de cinéma. Interprètes, danseurs, jongleurs, trapézistes et autres personnages du cirque et du théâtre inspireront le style de Soldi dans les années 1940. Allegoria, l 'œuvre qui nous intéresse serait une extension d' Alegria de la musica, del canto y del baile, peinte en 1965 qui orne l'une des coupoles du théâtre Colon. Cette fresque présente 51 figures colorées évoluant au sein de ballets, d'opéras, de concerts et d'orchestres. Afin d'évoquer la magie de la scène, Soldi cherchera à capturer une palette de couleurs dont il parera ses différents personnages.


 

La suite de ma visite me mène sur la Place Moreno, en face du Congrès de la Nation argentine. Là, se dresse l'oeuvre la plus célèbre de Rodin, Le Penseur. La statue (ci-dessous) se dresse à cet endroit depuis un siècle. Peu de gens savent que cette œuvre en bronze patiné est une réplique de l'oeuvre la plus connu du génial sculpteur, dont il n'existe que trois versions fondues dans le moule original (en incluant celle-ci). La statue fait partie de l'oeuvre les Portes de l'Enfer, conçue par l'artiste français en 1880 et inspirée par La Divine Comédie de Dante. Rodin fera deux copies avec le moule original, signées de sa main, l'une d'entre elle se trouvant actuellement à Paris, et l'autre, à Philadelphie (Etats-Unis). La statue de Buenos-Aires fut acquise en 1907 par Eduardo Schiaffino, directeur du Musée national des Beaux-Arts.


 

Sur la même place figure le point de départ des routes argentines : le kilomètre zéro (ci-dessous). Un bloc de pierre taillée, sans aucune fioriture, et d'un peu moins de deux mètres de haut émerge et fait office de borne, symbolisant le point de commencement du kilométrage de tous tes routes du pays. Ce monolithe est l'oeuvre des frères Maximo et José Fioravanti est le plus discret de tous les monuments ou sculptures ornant la Place Moreno. Il attire peu l'attention des passants et c'est dommage car sa face sud dévoile la carte de l'Argentine en relief, et celle du côté nord, une mosaïque en faïence représentant la Vierge de Lujan, patronne de la République. La pierre porte aussi un hommage à Don José de San Martin, héros de la patrie. Cette borne fut installée ici en 1935, sous le gouvernement du Général Agustin Pedro Justo, lequel, outre sa fonction de militaire, exerçait également celle d'ingénieur et avait une prédilection pour les œuvres de voirie.C'est ainsi que le kilomètre Zéro fut instauré...le jour du chemin, un certain 5 octobre ! Suite à des pillages et actes de vandalisme, la pierre sera par la suite mise sous grilles, comme le reste des œuvres présentes sur cette place.


 

Le Palais Barolo (ci-dessous) est ma prochaine étape : au N° 1370 de la Avenida de Mayo, se dresse l'un des plus beaux bâtiments de Buenos Aires, bâti par le maitre d'ouvrage italien Mario Palanti, qui construisit également le Roccatagliata (Avenues Santa FE et Callao), le passage Barolo, une icône de l'Avenida de Mayo et le Palais Alcorta, qui hébergea autrefois le musée Renault, et qui disposait même d'une piste d'essais automobiles sur sa terrasse. La structure du Palais Barolo, elle, suit à la lettre la structure littéraire du célèbre poème de Dante. Ses cents chants correspondent aux cents mètres de hauteur de l'édifice, et ses 22 strophes correspondent aux 22 étages du bâtiment. Ces étages furent ensuite divisés en onze modules, chacun possédant...22 bureaux. Ces deux nombres sont considérés comme des symboles sacrés du cercle, figure parfaite d'après Dante et l'Ecole pythagoricienne : le chiffre 22 représente les mouvements élémentaires de la physique aristotélicienne tandis que le chiffre 11 représente les Fidelli d'Amore, ordre auquel appartenait Dante. L'édifice, lui, est aussi divisé en trois parties, qui font référence à celle du livre de notre homme : l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Au rez-de-chaussée, j'admirerai les neuf voûtes qui sont disposées le long du passage central (deuxième photo ci-dessous), et qui représentent les neuf hiérarchies infernales, chacune d'entre elles étant décorées de gargouilles et de serpents (troisième photo), ainsi que de phrases latines extraits-es de neuf textes différents, de la Bible à Virgile.

Les étages supérieurs (du 1er au 14ème) symbolisent l'expiation des péchés et la partie la plus haute se détache de la masse du bâtiment à travers une tour surmontée par un phare qui représente Dieu. Quant à la coupole du palais, elle est inspirée des temples hindous de la région de Bhubaneshwar, sur la côte orientale de l'Inde.


 

J'achèverai cette sortie en m'arrêtant à l'hôtel Castelar, établissement luxueux de quatre étoiles situé sur l'Avenida de Mayo. L'endroit réserve deux surprises à ses visiteurs : les fameuses cabines des bains turcs et la chambre de Federico Garcia Lorca. J'entre dans l'établissement et m'adresse à la réception pour savoir s'il me serait disponible de disposer de quelques cliches des bains turcs, imaginant qu'une visite dans ce lieu habituellement fréquenté par les clients ne serait pas envisageable. Et Mr Alex Marone, le gérant de l'hôtel de demander à un employé de me conduire dans les bains pour y faire mes propres photos ! Ils sont nombreux celles et ceux qui ont encore leur placard dans les bains turcs. Parmi eux quelques noms célèbres comme Ringo Bonavena, Anibal Troilo ou encore Paulo Valentim, Sandro ou Ricardo Balbin...Ces bains turcs sont les plus anciens de la ville et conservent les mêmes placards depuis leu inauguration il y a presque un siècle. L'hôtel Castelar, lui, date de 1929, et accueillit de nombreuses célébrités dont Sandro, réputé pour ses interminables siestes au sauna, entrecoupées de consommation intensive de tabac et de whisky. A l'entrée des bains se trouve l'antique réfrigérateur qui garde encore la trace du poing de Ringo Bonavena qui s'énerva un jour suite à un service trop lent. Bien des placards portent toujours les noms de vedettes ou d'artistes (ci-dessous) qui laissaient dans les vestiaires du sauna de nombreux souvenirs.


 

L'établissement quatre étoiles est également connu pour avoir accueilli Federico Garcia Lorca pour un long séjour à Buenos Aires : au septième étage se trouve encore aujourd'hui la chambre 704, où séjourna le célèbre poète et dramaturge espagnol. Simple et petite, la chambre comporte un lit métallique, le même qu'en octobre 1933, lorsque Garcia Lorca débarqua en Argentine pour y présenter Les Noces de sang. Le bureau offre d'admirer un dessin de l'auteur et un journal dont les titres parlent de la Guerre civile espagnole de l'époque. C'est à l'invitation de la comédienne argentine Lola Membrives que notre homme se rendit dans la capitale portègne. Son séjour initial d'un mois se prolongera jusqu'au début de l'année 1934, et la chambre 704 sera l'endroit où il recevra ses amis, la poétesse argentine Alfonsina Storni et l'écrivain chilien Pablo Neruda. La disposition de cette chambre n'a pas pu être reconstituée à l'identique faute d'une documentation suffisamment détaillée. On peut cependant toujours y admirer les portraits des personnages de La Savetière prodigieuse et de La Maison de Bernarda Alba sur les murs du couloir menant à la chambre. Il est possible de visiter ce lieu chaque semaine (voir infos pratiques) depuis que la ville de Buenos Aires a réaménagé la chambre, convertie ainsi en petit musée depuis 2003. Un réveil fut rajouté au mobilier de la pièce, réveil dont les aiguilles restent bloquées sur cinq heures, heure à laquelle débuta la Guerre civile espagnole. Sur place, on découvre la vie de Garcia Lorca (en photo ci-dessous) grâce à des photographies et à de petits textes. On y aperçoit l'acte de naissance de l'auteur et des lettres manuscrites.


 

INFOS PRATIQUES :

 

 


 



Retour aux reportages







Qui Suis Je - Reportages - Médiathèque - Calendrier - Pays - La lettre - Contact
Site réalisé par Kevin LABECOT
Disclaimer - Version mobile