Jeudi 10 mai 2018
Je prends la route pour Tadoussac après un bon petit déjeuner au Café du Presbytère. Les médias annoncent une superbe journée sur le Québec et une température (caniculaire) de...24°. Il est vrai que les Québécois ne sont pas habitués à cela en cette période l'année. Le pays sort tout juste de l'hiver et les lacs sont toujours en cours de dégel (en photo ci-dessous, le lac Résimond, encore sous l'emprise des glaces).
J'ai prévu de m'arrêter aujourd'hui dans deux petites villes : Saint-Fulgence et Sainte Rose du Nord.

Saint-Fulgence n'est situé qu'à une dizaine de kilomètres de Chicoutimi et se trouve sur la route du Fjord et dans la vallée de la biodiversité. La route qui me conduit à cette localité de 2000 âmes m'offre de jolis paysages. La petite ville abrite les battures où viennent se réfugier les oies bernaches pendant l'hiver. Elles profitent du printemps pour rejoindre des sites de nidification nordiques quelque soit le temps qu'il fait. En effet, ces oiseaux s'orientent d'après des repères visuels comme le relief des paysages, la position du soleil ou des étoiles, le champ magnétique ou les vents dominants. Pour s'alimenter et se reposer, ces grandes voyageuses se posent dans des endroits comme le refuge faunique des battures de Saint-Fulgence (ci-dessous), espace paisible et réconfortant. Juste devant le belvédère, j'aperçois un marais de scirpe d'Amérique, une plante que les bernaches adorent manger. Et les oiseaux de plonger la tête dans l'eau pour en manger les rhizomes !


Bien que la majorité de ces oies choisissent d'hiverner dans des contrées plus chaudes (aux Etats-Unis), certaines passent l'hiver dans les régions enneigées du sud du Québec, sur un plan d'eau douce qui ne gèle pas pour s'abreuver, s'alimenter et se reposer. Les battures, ces vastes marais saumâtres qui bordent ici la rivière Saguenay, constituent un milieu de transition entre habitats aquatique et terrestre de ces Zico (zone importante pour la conservation des oiseaux) qu'on trouve au Québec dans une centaine d'endroits. La Zico de Saint-Fulgence rassemble à elle seule plus de 270 espèces d'oiseaux, 175 espèces de plantes et 53 espèces de poissons. Durant l'été, l'endroit est utilisé pour nicher, et comme refuge en automne et au printemps. Muni d'un téléobjectif, j'arriverai à prendre plusieurs clichés de ces splendides oiseaux blancs au vol majestueux.
Le parc marin de Saguenay-Saint-Laurent a pour mission de protéger la vie marine et ses eaux abritent une biodiversité aussi fascinante que fragile. Dans cette même zone cohabitent bélugas et phoques communs, des animaux plus ou moins observables selon les saisons. Il y a 8000 ans, les peuples autochtones occupaient déjà cette région somme toute assez inhospitalière (vent, brouillard,forts courants et eau froide sont souvent de mise).

Saint-Fulgence abrite également l'économusée Chevrier du Nord, qui élève des chèvres angora dont on retire le mohair, un poil servant à la fabrication artisanale de vêtements, d'après des méthodes anciennes. Annie me reçoit dans son entreprise qui existe depuis 2000, et me vante les qualités extraordinaires de cette fibre à la fois naturelle, soyeuse, lustrée, résistante et trois fois plus chaude que la laine. Une visite sur place permet d'observer toutes les étapes de fabrication des produits, qu'ils soient tissés, feutrés ou tricotés, en incluant le foulonnage et la teinture. Un petit tour dans l'enclos me permet de découvrir la chèvre angora, originaire de l'Himalaya, qui fut d'abord élevée dans la région d'Ankara durant le 13è siècle et dont la laine était déjà utilisée par les sultans de l'époque pour orner leurs vêtements. Longtemps gardée jalousement, la chèvre angora ne franchira les frontières qu'à partir du 19è siècle, pour n'arriver au Québec qu'en 1976 (on y compte aujourd'hui une trentaine d'éleveurs). A l'intérieur de la grange, je découvrirai des mâles en train de s'alimenter de foin, puis, juste à côté, quelques chevreaux chez lesquels j'éveillerai une certaine curiosité. Je dois reconnaître que ces bêtes sont très douces et sociables. Il est vrai qu'elles sont habituées à rencontrer beaucoup de visiteurs, notamment lors de la haute saison touristique. Le petit musée décrit avec précision les outils et les différentes façons de traiter la laine : au Chevrier du Nord, c'est l'étoffe qui donne le ton à la création des vêtements et des accessoires, qu'ils soient issus du tissage (entrecroisement de fils), du feutre (étoffe non tissée obtenue par le pressage des fibres trempées dans l'eau chaude et froides puis battues), ou du tricot (entrelacement d'une ou de plusieurs fils). Chaque étape est aussi replacée dans son contexte historique et l'on apprend beaucoup de choses en lisant attentivement les panneaux exposés.



Après cette courte escale, je reprends la route en direction de Sainte Rose du Nord, petit village de 450 habitants, surnommé « la perle du fjord », à cause de ses caps escarpés. Ses habitants portent le délicieux nom de Roserains et peuvent être fiers de leur village puisque celui-ci fait partie des plus beaux villages du Québec. Les premiers occupants du lieu s'installèrent ici en 1838. Il s'agissait alors de bûcherons valeureux conduits par Jules Tremblay, qui débarquaient alors dans ce qu'on appelait à l'époque la « Descente des femmes ». Les frères Auguste, Georges, François et Thomas-Louis Villeneuve s'y installeront à leur tour pour aller défricher l'un des coins les plus sauvages des montagnes du Saguenay. En 1860, arrivent Théophile Lavoie (d'où le nom de l'anse Théophile ou anse du Milieu) et Alexandre Simard (qui s'installe à l'anse de la Descente des Femmes ou anse d'en Bas), des pionniers qui n'occuperont toutefois le territoire que de manière épisodique et qui n'y laisseront aucune descendance. Cinq ans plus tard, Cléophe et Joseph Girard arriveront à leur tour et défricheront l'anse d'en Haut. Leur fils Joseph lancera la première scierie locale en 1881, scierie qui produira du bardeau revendu à la famille Price en échange de provisions. C'est que la forêt jouera un rôle de premier plan dans l'histoire de Sainte Rose du Nord. Une coopérative forestière (la plus ancienne du genre au Québec) y a d'ailleurs toujours pignon sur rue. Au début, une quinzaine d'agriculteurs mirent leurs productions en commun pour la vendre à la compagnie Price Brothers Limited tandis que la même entreprise se concentre aujourd'hui sur le renouvellement de la ressource forestière et le reboisement. Cette société de 50 salariés est le plus gros employeur du village.

La rue du Quai, qui est en réalité en cul de sac, me conduit à l'église du village : avant que ne soit construit l'édifice religieux, les services du culte étaient offerts par des missionnaires. Et l'abbé Louis-Wilbrod Larabé, alors curé de Saint-Alexis de Grande Baie, d'assurer un service régulier dans le village des années 1880 à 1901. Deux ans plus tard, l'église actuelle était enfin inaugurée et dédiée à Sainte Rose de Lima. En fait, la construction de cette église est une œuvre de recyclage et de réutilisation dans la mesure où une partie des matériaux proviennent de la démolition d'anciens bâtiments de la Price Brothers & Company Ltd de Chicoutimi. La cloche, elle, se trouvait auparavant à La Malbaie tandis que l'autel faisait partie autrefois du mobilier de la cathédrale de Chicoutimi. En 1915, l'édifice religieux sera doté d'un choeur et d'une sacristie, et, dans les années 1960, le curé Joseph-Antonin Simard, fera le choix d'un mobilier entièrement constitué de pièces de bois puisées dans la forêt environnante. Le nouvel autel (ci-dessous), qui sera inauguré en 1965, reste certainement le moins couteux des autels puisqu'il n'aura couté que...12,80$. De plus, il attire un grand nombre de visiteurs de par son originalité. Entre temps, la petite église sera complètement détruite le 22 mai 1982 par un incendie. Et les paroissiens d'accourir pour sauver collectivement le précieux mobilier toujours visible aujourd’hui. Bravo à vos ouailles Monsieur le curé !



Au cœur du village se trouve également un petit musée, installé rue de la Montagne. Cette résidence privée abrite en effet quelques 3000 espèces d'animaux et de végétaux (dont une centaine d'animaux naturalisés) qui sont présentés dans un décor reconstitué. On peut par exemple y découvrir deux requins du Groenland de 3,5 mètres qui furent capturés tout près d'ici, l'hiver sous la glace. Pour information, ce requin fréquente les profondeurs inaccessibles aux plongeurs et est le deuxième plus gros squale carnivore après le grand blanc. Son habitat s'étend de l'Arctique et de l'Europe du Nord aux eaux glaciales du fjord où il réside en toutes saisons. On doit cette superbe collection à Madame Agnès, laquelle commença à transformer une des chambres de la résidence en centre d'interprétation, avec son époux Jean-Claude Grenon, au début des années 1960. Pris de passion pour les collections, le couple va peu à peu installer des objets dans toutes les pièces de la maison. Un endroit insolite à découvrir !
La montagne qui domine précisément le petit village possède un promontoire accessible en voiture et lorsque la route est sèche et dégagée. La côte est en effet rude et sinueuse et le sentier qui mène à la plateforme d'orientation encore plus compliqué à trouver (voir infos pratiques). Mais le détour vaut la peine car l'endroit offre une vue à couper le souffle sur Sainte Rose du Nord (en bas à gauche de la photo ci-dessous) et sur le fjord. Sur place, on indique que ce fjord fut créé lors de la quatrième et dernière période de glaciation achevée il y a près de 10000 ans. Des blocs de glaces de 3 à 4 kilomètres d'épaisseur ont ainsi façonné de leur poids le paysage et creusé la vallée actuelle.

INFOS PRATIQUES :
- Les battures de Saint-Fulgence se trouvent sur la droite, à la sortie de la ville, sur la route qui conduit à Sainte Rose du Nord. Une promenade en accès libre permet de se rendre à différents points d'observation des oiseaux. Site internet: http://www.mffp.gouv.qc.ca
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Economusée de la lainerie Le Chevrier du Nord, 71, rang Saint-Joseph à Saint-Fulgence. Tél:(418) 590 2755. Ouvert de la mi-mai à la mi-octobre de 9h00 à 16h00, du lundi au samedi, et de la mi-octobre à la mi-mai, les vendredi et samedi de 9h00 à 16h00. Entrée : 5$. Boutique en ligne. Site internet : http://www.chevrierdunord.com
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Sainte Rose du Nord : http://www.ste-rosedunord.qc.ca/
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L'église de Sainte Rose du Nord est ouverte au public de mai à novembre (http://www.paroissesteanne.org
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Musée de la Nature, 199 rue de la Montagne, à Sainte Rose du Nord. Tél:(418) 675 2348. Ouvert toute l'année et tous les jours de 9h00 à 21h00.
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Plateforme d'observation sur la montagne : emprunter la rue de la montagne, qui grimpe dans la montagne. Guettez une aire de stationnement caillouteuse sur votre gauche (il n'y en a qu'une sur cette route, et elle est situé en partie haute de la montagne avant un virage. Un cliché de mon album photos de cette sortie montre l'endroit), garez-y votre véhicule, puis empruntez le sentier (il n'y en a qu'un) sur plusieurs centaines de mètres, jusqu'à apercevoir un panneau indiquant « Plateforme à 30 mètres » et vous y êtes.