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Exposition "Identità, les Corses et les Migrations"
(Musée de Bastia, Bastia, Haute-Corse, France)
Heure locale

 

Jeudi 20 septembre 2018

 

Le musée de Bastia présente actuellement (et jusqu'au 22 décembre prochain) l'exposition « Identità, les Corses et les migrations ». Cet événement est passionnant et remet en place les idées reçues en rappelant par exemple que la population corse fut très mobile entre les 17è et 18è siècle, à l'occasion de l'existence d'un phénomène migratoire d'envergure durant cette période qui entraina 20% des Corses sur les routes de l'exil. Contrairement aux élites insulaires qui utilisent alors l'émigration comme un moyen d'asseoir leur rang social, les personnes les plus modestes, elles, déménageaient afin de trouver un endroit où survivre, alors que la Corse connaissait une période troublée par les guerres et les révolutions mais aussi par la crise économique. Et les Corses d'émigrer principalement vers l'Italie, un pays à la fois proche géographiquement et dont la culture et la langue étaient à la portée d'une majorité. Bientôt les nouveaux arrivants formèrent des communautés, comme à Pise ou à Rome, tout en se distinguant surtout comme étudiants, mercenaires, médecins ou ecclésiastiques (Rome abrite alors un très grand nombre de membres des clergés régulier et séculier). Bien formés dans les universités italiennes, ces Corses-là occuperont des postes importants qui prouveront le succès de leur intégration. Et Rome reste sans doute la ville italienne qui attire le plus de Corses aux temps modernes. La communauté corse s'établit ainsi dans le quartier du Trastevere, sur les bords du Tibre, où stationneront les navires cap-corsins des siècles durant. Les plus humbles des arrivants sont marins, artisans et soldats à côté des élites insulaires (étudiants, ecclésiastiques, médecins et hommes d'affaires). Et l'Italie de devenir la première zone de réception de cette émigration corse, dès le Moyen-Âge, notamment dans les régions de Ligurie, Toscane, Latium, Sardaigne et Campanie, des régions proches de l'île. Même la Vénétie, plus lointaine, accueillera des milliers de mercenaires d'origine insulaire. Il faut noter qu'à cette époque, une grande partie des relations maritimes entre la Corse et le littoral italien est assurée par des bateaux cap-corsins, un phénomène dont on peut pense qu'il facilitera le départ de dizaines de milliers d'émigrés entre les 15è et 18è siècle alors que la population insulaire n'excédera jamais les 150000 habitants.

D'autres pays accueillent également la population corse, comme, par exemple la France : Marseille accueille ainsi des ressortissants de l'île de beauté dès le 16è siècle, tandis que des liens étroits entre l'Espagne et la Ligurie (puissance souveraine sur la Corse) se tissent à cette époque et facilitent aussi une émigration d'origine insulaire vers les Amériques. L'instabilité qui prévaudra dans l'île au 18è siècle, mais aussi la répression des rebelles corses par Gênes entraineront plus tard une émigration politique en direction de la Grande-Bretagne et de la France. A partir de la fin du 18è siècle, les flux migratoires depuis la Corse vers la France augmentent sans cesse. Quant à l'annexion française de la Corse, elle ne signifiera nullement la fin de l'émigration traditionnelle vers la péninsule italienne puisque les départs des jeunes insulaires désireux de faire des études dans les grandes universités italiennes se poursuivront bien après 1769. Autre image symbolique de l'émigration corse vers la France, cette représentation (en photo ci-dessous) de la famille Bonaparte fuyant l'île pour Marseille, même si la réalité historique est tout autre. Cette œuvre, qui date de 1820, a pour fonction de magnifier le parcours du jeune officier et des siens en montrant le dénuement dans lequel il se trouvait lors de ce voyage. Le destin des Bonaparte sera malgré tout loin d'être exceptionnel et des milliers d'autres citoyens corses tenteront la même traversée, au point de faire de Marseille la capitale de milliers d'émigrés insulaires durant plus de deux siècles. Et la cité phocéenne de devenir peu à peu le premier contact de ces insulaires avec la « terre de France ».


 

L'émigration corse aux Amériques, elle, débute dès le 16è siècle et les Cap Corsins formeront avec le temps une communauté abondante qui s'intégrera particulièrement bien sur place auprès de la notabilité locale et même de temps à autre à l'administration coloniale espagnole, à l'exemple de Domenico Mattei qui deviendra Don Domingo Matey, capitaine de compagnie de la milice de la province de Tabasco (Mexique) au début du 19è siècle, avant de s'engager politiquement en 1822.

La seconde moitié du 19è siècle marquera un tournant dans l'émigration des Corses. Sur une population insulaire de 250000 âmes, ils seront chaque année entre 2000 et 6000 à quitter l'île. Et au moins 150000 Corses de s'installer partout dans le monde dans les années 1930. Un autre facteur sera également déterminant : le processus de francisation de l'île de beauté contribuera à réorienter progressivement le flux migratoire depuis l'Italie vers la France et son Empire colonial, tout particulièrement Paris et Marseille (cette dernière deviendra un temps la première ville de Corse).

Les raisons du départ de ces milliers d'habitants se trouvent dans l'archaïsme du système traditionnel agro-pastoral, l'absence de modernisation de l'économie insulaire et l'absence d'une vraie politique de développement, sans parler des crises conjoncturelles nationales et mondiales qui émaillent l'existence de ces insulaires. Autre contrainte, le poids de la propagande d'une III ème République colonisatrice, même s'il ne s'agit pas ici d'une stratégie de survie comme on la retrouve dans le Mezogiorno italien à pareille époque. L'émigration en France et dans l'Empire colonial offre en effet des promesses de promotion sociale aux classes rurales et modestes qui composent le gros du bataillon de ces immigrés venus de Corse. Et ces nouveaux arrivants de parfaitement s'intégrer dans toutes les professions, même si l'armée et l'administration restent alors les principaux pourvoyeurs d'emplois. Parallèlement, ces émigrés corses bien intégrés cultivent toujours un fort sentiment d'appartenance à leur communauté, dont les nombreuses amicales deviendront d'ailleurs de puissants lobbies au fil du temps. Viscéralement attaché à sa terre et ses racine, le Corse cultive sa corsitude et choisit d'ailleurs d'effectuer tôt ou tard le retour au pays, notamment lorsque l'île se videra de ses forces vives au cours du 20è siècle.


 

Dès la fin du 19è siècle, l'île de beauté avait déjà accueilli ses premiers touristes charmés par la beauté sauvage de l'endroit et le pittoresque de son peuple. Cette vision dissimule pourtant un état de délabrement de la société et de l'économie agropastorales insulaires, débouchant sur une pauvreté extrême qu'aucune autre région de France ne connaitra. D'où cette émigration croissante pour fuir cette « île oubliée » de tous sous la IIIè République. Le cliché de cette mère et de cette fille (ci-dessous) traduit l'absence d'un mari ou d'un père, un schéma classique dans de nombreuses familles corses compte tenu de l'importante émigration masculine d'alors. Malheureusement, loin de résoudre le problème, cette émigration va entretenir la crise corse en vidant l'île de ses bras et en accentuant ainsi la désorganisation des unités de production familiales et villageoises qui sont à la base d'un système agropastoral traditionnel. L'autre raison qui explique le marasme économique insulaire en cette fin du 19è siècle réside dans la III ème République qui promeut activement l'appel au départ vers la France continentale ou vers les colonies. Aide au départ et à l'installation, progression de carrière, avantages financiers et matériels sont ainsi instaurés par l'Etat qui tente de mobiliser le plus grand nombre en faveur des nécessités criantes de gestion administrative d'un vaste territoire national et ultramarin. De son côté, les entreprises privées renchérissent elles aussi en faisant des colonies des destinations attirantes que l'on peut rejoindre en bateau (deuxième photo). Cette culture coloniale imposée dès le plus jeune âge aux écoliers corses pénètrera jusqu'aux villages les plus éloignés de l'île à travers l'enseignement laïc.


 

Bastia demeure alors le principal port corse de l'île depuis le 18è siècle et accueille une flotte croissante de navires de transport de passagers appartenant à diverses compagnies maritimes. Ces bateaux effectuant des liaisons entre la Corse et le continent arboraient d'ailleurs couramment un nom faisant référence à des villes ou des héros insulaires. Et le navire ainsi baptisé de devenir un morceau de territoire corse par lequel des milliers d'insulaires émigraient vers d'autres cieux, eux qui étaient pourtant si attachés à leur terre natale. Une terre que la quasi-totalité des candidats au départ rejoindra finalement plus tard, ou lors de voyages périodiques effectués entre la fin du 19è siècle et les années 1970. On rentre généralement au pays pour les grands moments de la vie (vacances, décès, mariages, naissances...), y compris pour prendre sa retraite.

La visite de l'exposition s'achève sur l'évocation de quelques personnages corses marquants, avec, par exemple la diffusion d'un programme télévisé consacré à notre icône nationale, Tino Rossi. Autre personnage : Angelo Mariani (en photo ci-dessous), préparateur en pharmacie qui s'intéresse très tôt aux vertus prêtées à la feuille de coca. Et notre homme de commercialiser en 1863 un médicament breveté composé de vin de Bordeaux et d'infusion de feuilles de cocaïer. Le vin tonique Mariani à la coca du Pérou est né, et sera consommé par les têtes couronnées, les chefs d'Etat, les écrivains et inventeurs et même par les ecclésiastiques. Son invention sera bientôt copiée par la concurrence tandis que le vin Mariani, vendu à près de 10 millions de bouteilles par an à la veille de le première Guerre mondiale, sera produit jusqu'en 1930.


 

Il ne serait pas convenable d'oublier les 20000 Corses établis au Maroc dans l'entre deux guerres et qui formèrent la première communauté parmi les 120000 Français résidant dans ce pays. Edité en 1937, l'annuaire mondial des Corses recense des portraits de personnalités insulaires occupant de hautes fonctions administrative. Quant au Maroc, son dernier lien migratoire avec la Corse reste l'exil du roi Mohamed V dans l'île en 1953. Les Sartenais bonapartistes, eux, seront une centaine à emprunter le chemin de l'exil à la chute du Second Empire, et rejoindront l'Egypte. Sur place, ils intègreront l'administration égyptienne ou deviendront membres du barreau tout en constituant ainsi une communauté corse au cœur de l'Etat égyptien.

Dernier lieu emblématique de l'émigration corse dans l'empire colonial français, le Continental Palace de Saïgon (Vietnam) où je me suis rendu en juin dernier. L'époque voulait alors que l'Indochine porta le surnom de « belle colonie » et que le propriétaire de ce magnifique hôtel fut un Corse, du nom de Mathieu Franchini. Débarqué de Corse quelques temps auparavant, notre homme racheta l'établissement en 1930 à un autre Corse, Charles Frasseto, pour en faire un haut-lieu de la sociabilité européenne à Saïgon et en Indochine. Décidément, les Corses, avec leur pays dans la peau et le voyage dans le sang, ne sont pas des gens ordinaires...

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Identità, les Corses et les Migrations », au Musée de Bastia, Palais des Gouverneurs, Cours Favale, Bastia, jusqu'au 22 décembre 2018. Tél : 04 95 31 09 12. Ouvert du 1er octobre au 30 avril (entrée gratuite) de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 17h00, du mardi au samedi. Du 1er mai au 30 septembre (entrée 5€), de 10h00 à 18h30 du mardi au dimanche (et tous les jours en juillet et en août). Site internet : http://www.musee-bastia.com/

 

 









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