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Batticaloa
(Province de l'Est, Sri Lanka)
Heure locale

 

Dimanche 18 novembre 2018

 

Au sud de Trincomalee, se dresse Batticaloa, la seule grande agglomération de la région. Là encore, celle qu'on appelle familièrement « Batti » a terriblement souffert de la guerre civile. Et tente depuis de se refaire une santé grâce à son cadre privilégié au bord de l'océan Indien. Les combats entre l'armée sri-lankaise et les LTTE furent redoutables ici dans la mesure où les Tigres tamouls souhaitaient faire de la ville la future frontière entre le sud du Sri Lanka et le nord indépendant qu'ils revendiquaient. Beaucoup de familles perdirent des proches durant cette guerre civile, mais tentent encore aujourd'hui de se reconstruire, dix années après le cessez-le-feu. Batticaloa s'avérera être un dangereux point de friction entre les deux camps, à savoir l'armée sri-lankaise qui contrôlait la cité, et les LTTE (Tigres tamouls) qui avaient développé leur propre administration depuis le village de Kokkadicholai, avec tribunaux, forces de police et perception de l'impôt. Comme l'écrivit un jour Nirupama Subramanian, un journaliste indien : »le jour, la ville était sous l'autorité de l'Etat sri-lankais et la nuit, elle prenait ses ordres auprès des Tigres tamouls », ce qui créait une situation difficile à vivre pour la population. Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, la ville comptera plus d'un millier de victimes parmi ses habitants, dont une majorité de civils. Et deux évènements des plus macabres d'avoir eu lieu non loin d'ici. Le premier se déroula en août 1990, avec le massacre de 150 musulmans par les forces du LTTE à l'intérieur d'une mosquée située à Kattankudi (au sud de la ville). L'autre drame se tint un mois plus tard avec le massacre de plus de 180 civils tamouls (dont 47 enfants de moins de dix ans) par les forces armées sri-lankaises dans trois villages des alentours. Vers la fin du conflit, la région connut aussi plusieurs affrontements entre les deux camps pendant que de nouvelles disparitions de civils étaient signalées même après le cessez-le-feu de 2007.

 

La ville tient heureusement une place spéciale dans le folklore sri-lankais grâce à son « poisson chanteur », qu'il serait possible d'écouter en se plaçant sous le pont Kallady, d'après la légende. Ce drôle d'animal donnerait de la voix surtout durant les nuits de pleine lune, entre avril et septembre, et, pour mieux l'entendre, il serait même conseillé de se trouver à bord d'une barque, et de plonger la rame dans l'eau en pressant l'oreille contre l'extrémité de sa poignée. Des pêcheurs proposent d'ailleurs des promenades nocturnes en barque. Pas évident à faire. En tous cas, l’origine de ce chant reste mystérieuse et l'on peut se poser la question de savoir s'il ne s'agirait pas de bancs de poissons-chats se déplaçant dans la lagune, ou de l'écho de la marée sur des coquillages vides ou des rochers. La BBC locale, elle, a pu quant à elle percevoir le fameux chant et l'enregistrer au cours des années 1960.

 

Plus concrètement, Batticaloa conserve encore de nombreux bâtiments de la période coloniale, tout spécialement dans le quartier ancien, cerné de tous côtés par l'océan Indien et le lagon du coin, une lagune estuarienne et « boueuse » longue de...56 km. C'est à elle que la ville doit son nom cinghalais.

Le fort de la cité (en photo ci-dessous) fut bâti par les Portugais de 1622 à 1628. Celui-ci passera aux mains des nouveaux conquérants hollandais dix années plus tard. Et ces nouveaux occupants de détruire l'endroit en 1639, pour...le reconstruire à partir de 1665. En 1745, les Britanniques prendront à leur tour possession du fort. La forteresse est composée de quatre bastions et bénéficie d'une protection naturelle avec la lagune sur deux côtés et un canal sur les deux autres. L'endroit connaitra donc bien des aléas au fil des ans mais il n'empêche que pour les habitants, il reste dans les esprits comme le « vieux fort hollandais », accessible depuis Court House Road. Sa cour principale renferme bureaux de services administratifs. Autrefois on trouvait même un petit musée qui exposait des objets datant de l'époque colonial, mais celui-ci a définitivement fermé ses portes. Le portail de l'endroit, bien délabré, est puissamment gardé par deux canons et donne à l'est, c'est à dire sur la lagune.

 

A quelques enjambées de là, s'élève la tour de l'horloge (ci-dessous). Plus loin, dans la rue du Fort, près du parc Gandhi et en face d'une mosquée se dresse une sculpture érigée en 1998 commémore le 80è anniversaire de l'introduction du scoutisme à Batticaloa (deuxième photo). Le scoutisme apparut pour la première fois au Sri Lanka en 1912 avec un premier groupe de scouts basé à Matale, au Collège Christ Church. Un an plus tard, naissait un autre groupe scout cette fois à Kandy, au Collège Dharmaraja, suivi en 1914 du premier groupe de scouts de Colombo. Et la ville de Galle créera le sien cette même année. Le scoutisme sri-lankais offre ainsi plusieurs sections aux jeunes qui sont désireux de pratiquer des activités de groupe dans un esprit de fraternité. L'Association des scouts du Sri Lanka est par ailleurs organisée autour de 37 districts et possède même sa propre revue, Scouting Magazine. Au sud de la tour, subsistent encore plusieurs bâtisses coloniales, dont le Collège Saint Michel, qui fut fondé en 1873 par le Français Ferdinand Bonnel, un missionnaire jésuite. Passé dans le domaine public en 1970, ce collège (troisième photo) compte parmi les plus importants centres d'enseignement de la province de l'Est. Le Père Ferdinand Bonnel fut quant à lui un prêtre jésuite tout droit venu de Roubaix (France), missionnaire à Ceylan, et éducateur de renom, à tel point qu'en 1988, le gouvernement sri-lankais émettra un timbre postal à son effigie. Victime de la loi française de 1880 qui avait dissous les maisons jésuite françaises, Ferdinand Bonnel se rendra aux Pays-Bas pour rentrer au noviciat de la Compagnie de Jésus le 7 septembre 1888, avant d'acquérir plus tard des notions de philosophie et de théologie au scolasticat des Jésuites de France, en Belgique. Et de suivre son frère Charles à Ceylan (actuel Sri Lanka) quelques années plus tard. Après avoir passé une année entière à étudier la langue tamoule, il sera nommé directeur du collège Saint Michel de Batticaloa, où il ne cessera de développer les performances pédagogiques et académiques des élèves durant les quarante années où il sera en poste. Notre homme a sa propre statue (quatrième photo ci-dessous) devant le collège, en signe de reconnaissance pour le travail gigantesque effectué toutes ces années.


 

La cathédrale Sainte Marie (ci-dessous), qui se trouve en face du collège Saint Michel, est facilement reconnaissable grâce à sa façade peinte en bleu vif. Construite en 1808 par Paschal Mudaliyar, ce lieu de culte catholique connaitra plusieurs restaurations, dont une après le passage d'un puissant cyclone dans les années 1970. C'est aussi à l'intérieur de cette cathédrale que des paramilitaires assassineront en 2005 le député tamoul Joseph Pararajasingham, au moment où ce dernier recevait la communion lors de la messe de minuit. Sri-lankais d'origine tamoule, cet homme cumulait à l'époque les fonctions de fonctionnaire, journaliste, homme d'affaires et politicien. Représentant le district de Batticaloa au Parlement de 1990 à 2004, il sera aussi membre de l'Alliance nationale tamoule. Autant de raisons qui pouvaient faire de cet homme une cible parfaite pour un attentat. Fin 2005, la police sri-lankaise avait d'ailleurs mis en garde Joseph Pararaasingham des menaces terroristes qui pesaient sur lui. Alors qu'il se rendait à Batticaloa en ce 24 décembre, il fut accompagné par deux gardes du corps, les deux seules personnes qui étaient alors au courant de son intention d'assister à la messe de minuit donnée par Monseigneur Kingsley Swampillai. Ce soir-là, vers 1h10 du matin, et durant la communion, des hommes vêtus d'uniformes de l'armée se glissèrent à l'intérieur de la cathédrale, revêtirent des habits civils puis se dirigèrent vers le choeur, avant de tirer à bout portant sur Joseph Pararajasingham. Curieusement, les gardes du corps de notre homme avaient été remplacés quelques semaines avant l'attentat, et cinq d'entre eux attendaient à l'extérieur de la cathédrale au moment de l'attaque et ne cherchèrent même pas à riposter contre les terroristes après la fusillade. Ils refuseront également d'emmener la victime à l'hôpital. Il est probable que Joseph Pararajasingham ait ce soir-là payé le prix de son appartenance à l'Alliance nationale tamoule, laquelle représentait à l'époque la minorité tamoule et était favorable à un processus d'autodétermination. L'organisation était alors considérée comme un soutien du LTTE (Tigres tamouls) dans la mesure où certains de ses membre rejoignaient l'organisation militaire. Depuis 2009, date de la fin de la guerre civile, cette alliance ne revendique plus l'indépendance des territoires tamouls.

Pour franchir la lagune et relier Batticaloa, un pont dut être construit en 1924 durant l'occupation britannique : le pont Kallady (ci-dessous) était né. D'abord baptisé « Lady Manning Bridge », en l'honneur de l'épouse de William Manning, alors gouverneur de l'île de Ceylan, l'ouvrage ne prendra son nom actuel qu'un peu plus tard. C'est à ce jour le plus ancien et le plus long pont en fer du Sri Lanka, remplacé depuis 2013 par un nouvel ouvrage de 288 mètres de long.


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