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Exposition "Quand les Brodeurs inspiraient les Faïenciers"
(Musée de la Faïence, Quimper, France)
Heure locale

 

Lundi 8 juillet 2019

 

Une fois n'est pas coutume, je m'attarde cette fois sur le Musée de la Faïence de Quimper qui nous offre une passionnante exposition jusqu'au 28 septembre prochain : « Quand les brodeurs inspiraient les faïenciers ». Heureux prolongement de mon récent article concernant Pascal Jaouen, brodeur-styliste de talent. Situé dans l'ancienne manufacture Porquier, le Musée de la Faïence offre huit salles d'exposition décrivant trois siècles d'histoire de la faïence quimpéroise ainsi qu'une exposition temporaire annuelle. Les visiteurs admirent ainsi des pièces datant du 18è siècle (pour les plus anciennes) à nos jours, provenant d'artistes ayant oeuvré pour les maisons quimpéroises (HB, Henriot, Fouillen, Keraluc FAB...) au siècle dernier.

 

De passage en Bretagne, chaque année à la saison estivale, je suis, comme bien d'autres, conquis par ce spectacle des costumes bretons mis en valeur lors des festivités locales, à travers ces courbes, torsades et plastrons qui illustrent le savoir-faire ancestral des brodeurs. Ce qu'on sait moins, c'est la manière dont les faïenciers quimpérois intégrèrent la broderie à l'art de la faïence, un lien entre faïence de Quimper et broderies des costumes qui ne saute d'ailleurs pas toujours aux yeux. Et Bernard Verlingue, conservateur du Musée de la Faïence et petit-fils de Jules Verlingue, faïencier quimpérois, de mettre en valeur ce lien à l'occasion de cette exposition.

Un petit retour sur ce que représentent le costume et la broderie en Bretagne me semble toutefois nécessaire afin de mieux comprendre ce qui va suivre. Apanage de la classe paysanne, le costume populaire breton fit l'objet de différentes formes et interprétations sur notre territoire et au fil du temps. L'habit, déjà bien diversifié géographiquement avant la Révolution française, subira à nouveau un mouvement de modes lors de la Révolution. En Bretagne, la broderie n'est bientôt plus réservée à l'élite, à la noblesse ou au clergé et une diversification s'opère alors jusqu'à l'extrémité des pointes bretonnes avec l'apparition des broderies, dentelles et rubans de Lyon ou de Saint-Etienne, à la faveur du développement des moyens de transport et de l'industrie et ce, tout au long du 19è siècle. On répertorie alors une soixantaine de modes principales et plus de ...1200 types et variantes concernant les seules coiffes. Du jamais vu !

Ces habits traditionnels sont portés le dimanche, les jours de fêtes et lors de cérémonies. Et les ornementations et décorations arborées de chaque vêtement font de ce dernier la marque personnelle de chaque individu ou groupe humain. Le costume et ses broderies définissent de cette manière l'appartenance de l'individu à l'intérieur de son groupe mais aussi vis-à-vis de l'extérieur (d'où des surnoms circulant sur certains groupes, comme les Petits Bleus de Quimper ou les Petits Jaunes d'Elliant). La broderie, en Bretagne ou ailleurs, exprime des traditions culturelles particulières et l’identité propre de communautés sociales désirant se distinguer de leurs voisins. Essentiellement un travail d'homme, celle-ci requiert une certaine force dans les doigts lorsqu'elle est effectuée sur un drap, même si les femmes se voient confier la finition des pièces, le perlage et la pose des galons. L'ensemble des motifs brodés sur les vêtements traditionnels sont primaires et simples, puis des styles populaires bretons apparaissent à partir des années 1830, sous influence extérieure, avant que l'armistice de 1918 ne signe la fin de l'âge d'or de la broderie en Bretagne : la Grande guerre qui saigna le pays tout entier laissa place au deuil et l'on rechercha alors une certaine sobriété dans l'ornement des habits face au poids des privations d'après-guerre (difficultés à trouver tissus et parements). Et les motifs traditionnels d'être remplacés par des motifs floraux, Art nouveau ou Art déco adaptés « à la bretonne ». Une nouvelle tendance se fait ainsi jour dès 1925 grâce à l'influence des artistes décorateurs bretons.

 

Comment le décor broderie apparut-il ? Jules Verlingue (grand-père de Bernard) crée la Faïencerie de la Madeleine à Boulogne sur Mer en 1903 avec un associé, Augustin Lagarde (qui l'initiera à la céramique), puis se porte acquéreur, en 1914, de la Manufacture de la Hubaudière à Quimper. Durant la Grande guerre, Jules mettra au point des modes opératoires à la Manufacture nationale de céramique de Sèvres, en matière de cloisonnés (technique empêchant les émaux colorés qui ornementent les pièces de se mélanger), de tubés (procédé très ancien de décoration effectué grâce à une poire en caoutchouc se terminant par un tube, d'où son appellation de « décor tubé », d'après la technique du barolet, outil de décoration en terre cuite, en bois ou en corne) et de barbotine (ou engobe d'argile consistant en un bain d'argile mélangé à des oxydes destinés à renforcer les couleurs). Au début des années 1920, les productions des faïenceries sont surtout tournées vers la reconstitution de décors anciens, orientaux ou Art déco, très en vogue à cette époque. Au même moment apparaît la marque VB Normandie qui commercialisera dans cette région les premières productions de décor broderie sans leur donner de connotation quimpéroise. L'originalité du décor broderie tiendra essentiellement dans la technique de décoration du biscuit (faïence). On pose alors dans un premier temps un fond coloré (temps de séchage de trois jours), souvent de couleur bleu de cobalt, sur lequel on appose ensuite un décor. Le relief ainsi créé imite alors parfaitement les broderies du costume breton.


 

On apprend ainsi que c'est Jules, le grand-père de Bernard, qui importa la technique du cloisonné, ce savoir-faire découvert durant la guerre à la Manufacture de Sèvres. Ayant été réformé, Jules, qui était alors chauffeur d'un général de l'État-major, mettait ses périodes de temps libre à profit pour passer de longues heures à la Manufacture de Sèvres et s'intéresser de près à cette technique du cloisonné qui permettait de travailler différemment l'émaillage sur le biscuit (faïence cuite) et de rendre un certain relief à la pièce. L'homme apportera ainsi à Quimper de nouvelles techniques de décoration, les cloisonnés, les tubés et la barbotine (des techniques décrites plus haut). La Faïencerie HB sera toutefois l'unique établissement quimpérois à utiliser le procédé du cloisonné, par l'intermédiaire de Charles Trautmann qui la diffusera dans ses ateliers, à travers une importante production s'étalant de 1920 à 1980. L'inconvénient du cloisonné était le temps nécessaire à la confection des pièces : plus de quatre pichets ou six petits bols maximum par heure, et un vase au bout de...huit heures de travail ! Les prix de chaque pièce s'en ressentent d'autant, même si ces pièces séduisent rapidement un public à la recherche d'articles de qualité. Et HB d'écouler sa production aussi bien auprès des grands magasins parisiens (Le Printemps) que d'une clientèle locale aisée. Cependant, la technique, aussi brillante soit-elle ne suffit pas, et l'inspiration elle aussi a son importance. C'est tout naturellement, au cœur de ce pays de Cornouaille, que les faïenciers vont donc tirer leurs idées des broderies des costumes bretons traditionnels, dont ces motifs ornant les tenues du Pays bigouden. Et la richesse des dessins symboliques (Palmette, fleur de lys, fleur d'ajoncs, guirlandes fleuries, arête de poisson, chaine de vie, chevron, soleil, étoile, dents de loup, motifs de broderie des pays Glazik, Fouen, Penn Sardin, Plougastel ou Pays bigouden) de s'imposer peu à peu sur les assiettes, les plats, vases, brocs, statuettes et autres pièces en faïence, même si certains de ces motifs (Douarnenez, Pont-Aven, Quimper, Plougastel et Pays bigouden) resteront longtemps méconnus du grand public.


 

L'exposition nous permet d'admirer 150 pièces remarquables ressorties pour l'occasion des collections du musée. Afin de mettre sur pied cet événement, Bernard Verlingue se rapprocha de l'Ecole de broderie de Pascal Jaouen et de l'antiquaire douarneniste Alain Le Berre, dont il empruntera des pièces de costumes pour mieux appréhender le travail des peintres des faïenceries quimpéroises. Parmi les pièces exposées, le visiteur admirera cette « assiette aux tournesols » (en photo ci-dessus) de Charles Trautmann, qui marque le balbutiement du décor qu'on appellera plus tard le décor broderie chez HB, l'un des deux grands faïenciers de l'époque. Cette œuvre remonte aux années 1920 et se distingue déjà par une frise qu'on retrouve sur les costumes bretons. L'artiste, alors chef d'atelier y évoque les tournesols de Van Gogh et produit cette pièce unique. Autre pièce présentée au public, ce vase bigouden (ci-dessous) réalisé par Pierre Poquet, lui aussi chef d'atelier, et dont les droits de création lui permettaient d'acheter les pièces conçues sur son temps de travail et de les écouler dans la boutique de son épouse, rue Elie-Fréron. Ce vase, qui nécessita entre dix et quinze heures de travail, reprend des décors bretons et intègre un (discret) lien entre le décor et la broderie bretonne, grâce au cœur bigouden, très fouillé, rehaussé d'or, une opération qui requérait alors une cuisson supplémentaire. Georges Brisson, lui, laissera courir son pinceau dans une œuvre de 1923, une assiette s'inspirant clairement des broderies des costumes du Pays bigouden (deuxième photo). On retrouve effectivement des éléments de costumes comme le soleil, le cœur ou encore les cornes de bélier. Artiste discret originaire de Nantes, notre homme est l'exemple même de l'intégration de la broderie dans le décor de la faïence. Autre exemple, celui de Jean Caër, chef d'atelier chez HB, qui réalisa ce plat de 80 cm de diamètre en 1925 (troisième photo) : l'artiste composa son décor en posant des émaux au pinceau, goutte à goutte. Une tache longue et difficile qui, heureusement, fut à l'époque récompensée par une critique dithyrambique.

Les œuvres de ces trois artistes ci-dessus, constituent l'essentiel des pièces présentées lors de cette exposition. Charles Traumann, Pierre Pocquet et Jean Caër demeurent des acteurs incontournables dans l'interprétation des broderies sur faïence. Une découverte de tous les instants nous est offerte grâce à la richesse des œuvres de ces peintres d'alors qui bénéficiaient d'une certaine liberté de création et dont les décors ne sont jamais figés. A ne pas manquer si vous passez cet été à Quimper ou dans sa région !


 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition »Quand les brodeurs inspiraient les faïenciers », jusqu'au 28 septembre 2019, au Musée de la Faïence, rue Jean-Baptiste-Bousquet, à Quimper (29). Ouvert du lundi au samedi, de 10h à 18h. Site internet : http://www.musee-faience-quimper.com/
  • Un grand merci au Musée de la Faïence et aux Amis du musée de la Faïence (http://www.amis-musee-faience-quimper.fr/) pour leur précieuse aide.



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