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Exposition "Sur la Route de Tokaido"
(Musée national des arts asiatiques-Guimet, Paris, France)
Heure locale

 

Lundi 12 août 2019

 

Cet été, le Musée national des arts asiatiques-Guimet nous convie à découvrir l'acquisition d'une œuvre majeure, constituée par un album de 200 estampes ayant appartenu à Victor Segalen, qui nous emmène le long de la route la plus célèbre du Japon, celle du Tokaido. Une de ces cinq routes shogunales mythiques qui conduisaient jadis les daïmios des différentes provinces nippones à Edo, capitale du Japon ancien.

 

L'exposition présentée par le Musée Guimet est l'occasion de fêter au passage le centième anniversaire de la disparition d'un grand voyageur, Victor Segalen : né à Brest (29) le 14 janvier 1878, notre homme sera tout à la fois médecin, romancier, poète, ethnographe, archéologue et sinologue. Sa carrière d'officier de marine le conduira en Chine où il sera affecté pendant deux ans afin d'y apprendre la langue et la culture, comme certains de ses camarades de l'école navale. Et d'effectuer une expédition de dix mois en Chine centrale aux côtés de l'écrivain Gilbert de Voisins, un séjour juste écourté le temps d'une visite de quatre semaines au Japon. Même s'il a peu publié de son vivant, Victor Segalen laisse une œuvre foisonnante, dont des poésies d'inspiration chinoise présentées au deuxième étage du musée, dans le cadre d'une autre exposition, « Ombres de Chine ». Celle-ci regroupe des estampages de stèles archaïques chinoises, des objets archéologiques et plusieurs photographies réalisées en Chine par Victor lui-même durant ses missions successives.


 

Chefs-d'oeuvre de la collection Leskowicz, «Sur la route du Tokaido » nous fait découvrir cette route de la mer de l'Est reliant Edo (l'actuelle Tokyo) à Kyoto qui formait alors un axe majeur du Japon de cette époque (1603-1868). Historiquement, le Tokaido était une circonscription administrative regroupant plusieurs provinces entre les deux plus importantes régions du pays, le Kansai (au sud) et le Kanto (au nord). La célèbre route, que j'ai visitée de bout en bout il y a quelques années, s'étire sur près de 500 kilomètres. Autrefois, les voyageurs la parcouraient en deux semaines, la plupart du temps à pied, mais aussi à cheval, en kago (logette de bambous tressés) ou en norimono (palanquin). Cet axe de circulation reste la plus connue des cinq routes du shogunat Tokugawa. C'est le shogun Tokugawa Ieyasu qui commence en 1601 la construction de ces routes afin d'étendre son contrôle sur le pays, mais c'est son petit-fils, Tokugawa Ietsuna, quatrième shogun, qui les proclamera « routes majeures ». Chaque route (dont celle de Tokaido) sera équipée de relais (shukuba) pour permettre aux voyageurs de se reposer et de se ravitailler. La route de Tokaido partait ainsi du pont de Nihonbashi (Edo) jusqu'au Sanjo Ohashi de Kyoto, jalonnée de 53 stations-relais distantes d'environ quatre ri (un ri équivaut à deux kilomètres). Sous l'ère Edo, cette route était fréquentée par les daïmios astreints, par le système du sankin-kotai, à résider une année sur deux à la capitale, accompagnés de leurs familles. Ce sankin-kotai, système de résidence alternée imposé aux daïmios, existait déjà durant la période Muromachi mais ne sera institutionnalisé qu'en 1635.

 

Source d'inspiration et de célébration, le Tokaido suscitera une abondante production artistique et littéraire et constituera même l'amorce du développement touristique dans l'archipel nippon. En 1863, le dernier shogun commandera à plusieurs artistes des estampes sur le thème de la route shogunale comme pour montrer son allégeance à l'empereur, à un moment où le système shogunal vivait ses derniers instants. L'album présenté dans cette exposition constitue l'ensemble le plus complet du « Tokaido processionnaire » connu à ce jour, plus important même que celui détenu à la diète japonaise. Et cette œuvre d'avoir appartenu à l'écrivain et sinologue Victor Segalen cité plus haut.

Dès 1690, Hishikawa Moronobu, fondateur de l'ukiyo-e, illustre la plus populaire des cartes du Tokaido, la Tokaido bunken ezu. Peintre japonais et créateur d'estampes japonaises, l'homme est considéré comme le premier représentant de l'école ukiyo-e (mouvement artistique japonais de l'époque Edo). En adaptant les techniques traditionnelles de la peinture à la gravure sur bois et en publiant des estampes sur papier libre plutôt que sur des livres entiers, il contribuera à la diffusion de l'estampe japonaise dans les classes les plus modestes.

Hokusai peignit aussi très jeune le Tokaido, sous la forme de 51 estampes de format koban, et de huit longues estampes de format tanzaku-ban. Nous sommes alors en 1804 et le succès de cette série d'estampes entrainera une réédition de l'oeuvre avec toutefois le remplacement des estampes longues par d'autres, de format koban, réalisées par Shigenobu, élève de l'auteur de l'oeuvre. Hokusai était quant à lui peintre, dessinateur spécialiste de l'ukiyo-e, graveur et auteur d'écrits populaires japonais. Son œuvre prolifique (Hokusai exécutera au total près de 30000 dessins) influencera de nombreux artistes européens (Gauguin, Vincent van Gogh, Claude Monet, Alfred Sisley...).

 

Aucun autre artiste ne verra sa carrière artistique et sa célébrité aussi liées au Tokaido : Hiroshige publiera sa première série de 55 estampes consacrée au Tokaido entre 1831 et 1834. Cette série reste de loin la plus célèbre et la plus recherchée et porte le nom de Hoeido Tokaido, son éditeur. L'artiste peindra au total plus d'une trentaine de séries d'estampes évoquant peu ou prou le même thème. Dans ces estampes, Hiroshige décrit les 53 stations de Tokaido à des saisons différentes et avec des personnages de rang social très divers. Peintre, dessinateur et graveur, l'artiste se distinguera également par ses séries d'estampes sur le Mont Fuji (les trente-six vues du Mont Fuji), sur Edo (Cent vues d'Edo) et sur les 69 stations du Kiso Kaido. Surtout très actif entre 1818 et 1858, l'homme créera une œuvre de plus de 5400 estampes, mais son style reste cependant bien distinct de celui de Hokusai. Hiroshige se fait en effet l'humble interprète de la Nature, à travers la composition d'oeuvres saisissantes, caractérisées par une maitrise subtile des couleurs franches, avec le vert et le bleu comme couleurs dominantes. L'auteur saura sublimer la beauté naturelle du pays en utilisant le style fukibokashi, en y rajoutant une touche magique, à savoir la reproduction d'atmosphères prenantes impliquant la pluie, la neige, la lune et le brouillard. Peu après la réouverture forcée du Japon aux échanges avec l'Occident, en 1870, le monde découvrira ce pays principalement à travers l 'oeuvre de cet artiste. Ses meilleures ventes restent « les 53 stations du Tokaido » avec un tirage de plus de 10000 exemplaires, ce qui lui vaudra une renommée immédiate en tant que peintre paysagiste (on le surnommera d'ailleurs « le peintre du Tokaido ») au Japon, puis dans le monde entier.

 

C'est sur l'ordre du shogunat d'Edo que Hiroshige accompagnera le gouvernement des Tokugawa dans son périple afin de fixer sur le papier les moments importants de ce voyage sur la route de Tokaido. Et notre homme de faire des croquis dont il se servira ensuite pour peindre ses estampes une fois de retour à la capitale. L'édition Hoeido (qui comprend 55 estampes) est certes celle qui bénéficie de la plus forte notoriété, mais elle n'est pas la seule série existante. Hiroshige refera près d'une trentaine de versions très différentes sur le même thème (versions ne comportant parfois que quelques estampes) comme par exemple la station de Shinagawa qui fera l'objet de neuf versions différentes.

Quant à l'exposition « Sur la route de Tokaido », rendue possible grâce au prêt exceptionnel de la Fondation Jerzy Leskowicz, elle constitue un événement incontournable de cette période estivale et l'occasion unique d'admirer pour la première fois au complet cet ensemble célèbre dans une première édition avec des estampes d'une fraicheur et d'une qualité incomparable.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Sur la route de Tokaido », jusqu'au 7 octobre 2019, au Musée national des arts asiatiques-Guimet, 6 Place d'Iéna à Paris (16è). Tél : 01 56 52 53 00. Accès par métro : stations Iéna ou Boissière. Entrée : 11,50€. Site internet : https://www.guimet.fr/event/sur-la-route-du-tokaido/
  • Fondation Jerzy Leskowicz : http://fund-jl.com/

  • Merci à Apolline de l'agence de presse et de communication Observatoire, pour son aide précieuse.

  • Vous trouverez sur le site ma série d'articles « Tokaido, la Route de la Mer de l'Est »











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