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Exposition "L'aventure industrielle d'Argenteuil"
(L'Atelier, Argenteuil, Val d'Oise, France)
Heure locale

 

Samedi 7 décembre 2019

 

La municipalité d'Argenteuil (95) présente jusqu'au 26 janvier prochain son exposition « L'Aventure industrielle d'Argenteuil », qui se propose de faire connaître les multiples activités artisanales et industrielles de son territoire présentes depuis l'Antiquité, activités qui amenèrent cette ville à connaître différents âges d'or. Cet événement, à découvrir en famille, et accompagné d'un livret-jeux destiné aux enfants, offre également un parcours multi-sensoriel permettant d'expérimenter matières, bruits et odeurs de l'époque.

 

C'est grâce à ses ressources naturelles qu'Argenteuil a, de très longue date, pu développer une activité artisanale puis industrielle d'une telle importance. Bien sûr, de nos jours, l'urbanisme subi du 20è siècle n'a laissé que quelques vestiges de cette révolution industrielle et cette exposition tombe à point nommé pour justement évoquer les grandes entreprises qui se succédèrent depuis plus d'un siècle et demi et contribuèrent à la renommée d'Argenteuil, dont le blason et le logo actuels portent les symboles de l'industrie, de l'aéronautique et de l'électromécanique. C'est à l'intérieur d'un ancien bâtiment d'une entreprise de petite mécanique, celle de Debet & Kornberger, que l'Atelier a choisi d'accueillir cette page d'histoire à travers les collections du Musée des Archives municipales.

Comme d'autres villages autour de Paris, Argenteuil reste une ville agricole alimentant la capitale de ses productions maraichères jusqu'au milieu du 19è siècle. Un pont, construit pour se substituer au bac existant, va bientôt créer un premier lien avec Paris, suivi par l'arrivée du chemin de fer. Et la petite ville d'accueillir des plaisanciers en goguette et les premiers industriels attirés par cette région en pleine transformation. Argenteuil dispose alors de tous les atouts pour devenir un centre de production : de vastes terrains disponibles, un fleuve large et rectiligne, de nombreuses matières premières et la proximité de la capitale qui accueille à cette époque les travaux d'urbanisme du baron Haussmann, travaux générateurs de grosses commandes de plâtre et d'acier.

Au milieu du 19è siècle, les innovations technologiques favoriseront la production à grande échelle et l'apparition des classes ouvrières en entrainant une modification des conditions de travail et des rapports sociaux. On assiste à un afflux d'une main d'oeuvre vers les usines, qui va peu à peu vider les campagnes de leurs paysans. Le paysage entame aussi sa mue, avec l'apparition de cheminées le long de la Seine et aux abords de la gare. Des zones entières sont bientôt consacrées aux industries de tous types (automobile, aéronautique et chimique). C'est de ces industries phares jadis installées à Argenteuil que nous allons parler.

 

Dès 1850, la révolution industrielle s'immisce avec de nouvelles productions rendues possibles grâce aux progrès technologiques. Et la ville d'Argenteuil de voir naitre des industries à grande échelle comme par exemple la broderie mécanique, suite à l'essor de la machine à vapeur. On perfectionne la fabrication de la fonte, tout en laissant dans la foulée la place à la sidérurgie et à l'architecture métallique. En 1890, apparaît le secteur automobile, puis l'industrie chimique, qui impliquent l'installation d'usines sur des terres jusqu'ici utilisées pour l'agriculture, et l'utilisation d'une main d'oeuvre toujours plus nombreuse.

La Seine devient aussi le moyen de transport privilégié pour acheminer matières premières et produits finis. Celle-ci forme à Argenteuil un bassin de 200 mètres rectiligne sur cinq kilomètres, offrant des conditions d'accueil idéales pour l'implantation d'industries navales et les essais d'amerrissage d'hydravions des avionneurs locaux. Quant au train, il favorisera l'arrivée des Parisiens en villégiature ainsi que celle des plaisanciers, développant ainsi les banlieues. C'est en 1851 que la première ligne de chemin de fer atteindra Colombes, ne mettant plus Paris qu'à 20 minutes de train. Argenteuil, elle, sera desservie par le prolongement de cette même ligne en 1863, suite à la construction d'un nouveau pont ferroviaire, œuvre de l'usine Joly (ci-dessous).

 

Et ces matières premières dont on parle tant, quelles sont-elles ? Il y a le gypse, extrait des collines autour d'Argenteuil, et ce, depuis l'époque mérovingienne, comme l'atteste la découverte de sarcophages en plâtre à l'emplacement du parvis de la basilique. On relève la présence de petites exploitations dès le 18è siècle même s'il faudra attendre le début des grands travaux haussmanniens en 1853 pour voir tourner à plein les plâtrières de la ville. Produit de manière industrielle, ce plâtre sera utilisé dans la construction (enduits muraux, éléments de décor) après avoir été produit par le broyage de blocs de pierre préalablement cuits deux à trois jours durant. Les carrières de Volembert, ou les plâtrières de Vaucelles, gérées par la famille Bast, seront les premières à se moderniser. Et la Société générale des Plâtrières du Bassin de Paris de regrouper en 1881 plusieurs entreprises des alentours de la capitale, générant ainsi plus de mille emplois en 1900, des postes de travail occupés notamment par des Italiens.


 

Nous en parlions plus haut, les productions textiles connaissent elles aussi un développement très important durant le 19è siècle. D'abord artisanales, les broderies comptaient onze brodeurs en 1816. Avec l'apparition des grands métiers à tisser durant les années 1830, alimentés par des machines à vapeur et manipulés par des hommes, on assiste au développement des manufactures industrielles, suivi, dès 1866 par l'immigration suisse et, suite à l'annexion de l'Alsace par l'Empire allemand en 1871, par l'arrivée de nombreux spécialistes de la broderie qui émigreront à Argenteuil. En 1900, on recensait ainsi 27 ateliers et 215 ouvriers pour la seule broderie mécanique. Et cette industrie textile de se classer à Argenteuil au troisième rang, derrière le métal et le plâtre. La Grande Guerre, et la mobilisation des ouvriers sur le front entrainera sa disparition rapide.

Sur place, la sidérurgie n'est pas en reste car le fer devient vite le matériau du 19è siècle. Il permet de réaliser d'audacieuses constructions, résiste au feu, et trouve son utilité dans la construction de charpentes, puis de façades. Là encore, nombreuses sont les activités métallurgiques à s'implanter aux abords de la capitale pour répondre aux besoins croissant des bâtisseurs. Ainsi naissent deux entreprises majeures d'Argenteuil : les établissements Joly et les ateliers Baudet-Donan(ci-dessus). Emile Baudet s installera près de la gare en 1876 puis s'associera plus tard avec Alfred Donon pour produire du matériel ferroviaire, des ponts et des combles. Et cette même entreprise de participer en 1900 à la construction du métropolitain parisien. Pierre Joly, lui, ouvrira un atelier de serrurier-forgeron en 1824, avant de devenir le spécialiste de la charpente métallique. Son usine, en pleine croissance, embauchera 150 à 200 ouvriers en 1849, avant d'atteindre les 600 ouvriers en 1862. L'entreprise Joly alors reconnue se verra attribuer par Baltard le chantier des Halles de Paris en 1853, avant de prendre une envergure internationale. D'autres réalisations comme les charpentes du Trocadéro (en 1877), de la gare Saint-Lazare (en 1883) ou du Pont Faidherbe au Sénégal (en 1897) témoigneront de la grande renommée de cette maison.


 

Au tournant du 20è siècle, de nouvelles opportunités se font jour pour Argenteuil. Grâce à sa position stratégique et aux entreprises déjà bien implantées, d'autres entreprises débarquent à leur tour : les chantiers navals Claparède investissent l'ancien chemin de halage en bord de Seine, et vergers et vignobles font place à la construction de lotissements. Plusieurs grandes industries emblématiques s'installent bientôt, comme la manufacture de caoutchouc Morel qui ouvre ses portes en 1878, laquelle attirera à son tour d'autres industries automobiles (Automobiles Orel, La Lorraine-Dietrich) spécialisées dans les voitures de course et de tourisme. Entre 1909 et 1928, s'installeront également les ateliers Tellier, les hydravions Donnet-Lévêque et la société Lioré & Olivier, autant d'entreprises marquant le début de l'industrie aéronautique sur le territoire. D'autres suivront dans les années 1950 comme les ateliers de production de fuselage des avions militaires Dassault.

L'usine Claparède des Chantiers de la Seine qui s'installa dans les années 1890 le long du fleuve se spécialisera dans la fabrication de chaloupes et de barges exportées vers les colonies françaises, mais aussi du matériel naval et des éléments de charpente métallique. Rachetée au cours des années 1920, elle produira plusieurs types de bateaux à aube et à vapeur (remorqueurs, yachts, péniches, pétroliers).

Côté hydravions, François Denhaut réalisera les premiers du genre à Argenteuil même, dotés d'une coque en bois. Suivront en 1912 Jérôme Donnet et Henri Lévêque qui, grâce à leurs brevets, monteront la première usine française d'hydravions à coque de bois sur les quais de Seine d'Argenteuil. Rachetée peu de temps après, l'usine en question produira tout de même 1280 hydravions durant la Grande Guerre, sous le nom de Franco British Aviation.

Déjà installée à Lunéville depuis 1879, la société de matériel ferroviaire Dietrich & Cie s’installera à son tour à Argenteuil en 1907 en ouvrant une nouvelle usine spécialisée dans la production des « Lorraines » voitures de tourisme et de course qui remporteront plusieurs victoires. Celle-ci se reconvertira dans la production de moteurs d'avions durant la Première guerre mondiale avant de devenir l'une des entreprises les plus importantes de la région.

Après leur début sur le site de Gennevilliers, Marcel Bloch et Henri Potez rachèteront en 1952 l'ancienne usine de la Lorraine pour y installer leurs ateliers de fabrication d'avions militaires. Ayant pris le nom de Dassault, Marcel Bloch fera d’Argenteuil le fleuron de l'aéronautique française, en produisant sur place les fuselages des Mirages, des Rafales et des avions Falcons.

La Manufacture de caoutchouc Morel fera des tissus imperméables sa spécialité, lors de sa création en 1878, au Val Notre-Dame. Et l'ingénieux inventeur écossais John Boyd Dunlop, qui mettra au point le pneu à air avec valve, de racheter l'entreprise Morel en 1895 pour accroitre sa production sur le continent. L'entreprise Morel prendra alors le nom de Compagnie Française des Pneumatiques Dunlop, et produira pneus de vélo, de voitures et d'avions. Dans les années 1920, cette usine sera transformée en centre d'apprentissage lié aux activités industrielles, devenu depuis le lycée technique Jean-Jaurès.

Argenteuil a du flair et le prouve : berceau de l'industrie chimique, la ville accueillera dès 1902 les établissements Justin-Dupont qui puiseront dans la Seine l'eau indispensable à la fabrication de produits de synthèse, ce genre de matières premières innovantes qui révolutionneront la parfumerie au début du 20è siècle. Et cette entreprise de devenir en 1926 Roure-Bertrand Fils & Justin Dupont, puis Givaudan en 2001. Jusqu'au début des années 2000, de nombreux parfums de luxe comme Opium (YSL) ou Poison (Dior) seront formulés et fabriqués à Argenteuil. De nouveaux parfums de produits ménagers ou alimentaires y sont encore inventé de nos jours.

Avec le temps, l'implantation d'industries en milieu urbain et près du fleuve ne plaira pas à tout le monde, d'autant plus que des accidents comme par exemple de la distillerie (ci-dessous) en décembre 1869 en choquera un certain nombre. Les épaisses fumées recrachées par les hautes cheminées d'usines, et le rejet des eaux usées dans la Seine éveilleront un sentiment de révolte chez certains dès 1870. D'où la mise en place d'égouts publics financés par des industriels comme Dunlop ou Air et Feu pour évacuer les boues d'usines. Ces sites industriels, souvent implantés en centre-ville, ou trop près des zones d'habitations, dégageront dès 1850 des odeurs nauséabondes, des fumées de charbon et des vapeurs chimiques qui provoqueront douleurs et intoxications dans la population. Suivra le bruit, dès 1874, provoqué par les machines à vapeur des usines métallurgiques puis par les bancs d'essai de moteurs à explosion. A partir de 1810, des autorisations préfectorales seront nécessaires pour les établissements classés comme incommodes, insalubres ou dangereux. Et l'avis de la population sera collecté par voie d'affiche avant l'implantation de telles sociétés. De plaintes en pétitions, les maires devront eux aussi composer entre les habitants et les industriels qui garantiront l'emploi local.

L'essor industriel et démographique sera tel (Argenteuil passera de 7000 habitants en 1870 à...70000 en 1930) que la banlieue connaitra une crise du logement qui trouvera son issue par la construction anarchique d'habitations populaires notamment au sein de cités-jardins(deuxième photo ci-dessous). Et les Offices Publics communaux de bientôt voir le jour, comme à Argenteuil en 1923. Parallèlement, certains patrons s'intéresseront au bien-être de leurs employés, donnant ainsi naissance à un mouvement paternaliste qui prendra plusieurs forme : Pierre Joly soutiendra l'association de secours mutuels « La Saint-Denis », tandis que la Lorraine installera vestiaires et lavabos au sein de son usine pour le confort de ses salariés. Le remplacement des bruyantes courroies de transmission par une alimentation électrique des machines sera aussi de mise. Et Lorraine de construire sa cité patronale en 1914. Celle-ci se composait alors d'une soixantaine de maisons alignées le long du boulevard du Général Dehambre, réservées aux contremaitres, alors que les ouvriers disposaient d'habitations plus modestes construites autour d'une place comprenant un stade. Il faut dire que l'avènement de l'industrie aggravera les conditions de travail des Argenteuillais. En 1876, la moitié d'entre eux travaillait dans l'industrie. Ces ouvriers du 19è siècle vivaient dans une grande précarité, étaient embauchés sous contrat précaire et oeuvraient dans des conditions de travail éprouvantes (bruit, vapeur, émanations toxiques, sept jours sur sept, et à raison de onze heures de travail journalier). Quant à la sécurité au travail, elle laissait à désirer et des accidents étaient régulièrement rapportés.

Progressivement, les ouvriers s'organiseront sous la forme d'associations autonomes ou de sociétés de secours. Les usines les plus importantes posséderont leur propre société de ce genre tandis que d'autres fonctionneront sur le principe associatif. A Argenteuil comme ailleurs en France, les adhérents se réunissent sous la bannière de la société à laquelle ils sont rattachés, avec un seul mot d'ordre « Aidons-nous les uns les autres ». Vinrent également les syndicats pour défendre les droits des ouvriers. Ceux-ci apparurent dès 1895 pour défendre tous les corps de métiers présents à Argenteuil (cultivateurs et marchands de vin, ouvriers de la mécanique générale, du caoutchouc, de la métallurgie, des tisseurs et de la chapellerie, de la construction électrique...) Les grèves seront nombreuses pour revendiquer de meilleures conditions de travail, comme en 1909, cette grève permettant d'obtenir une journée de travail de 10 heures, une augmentation de salaire et le repos dominical pour les ouvriers de la métallurgie.D'autres grèves générales affecteront Argenteuil comme en 1936 ou plus de 10000 ouvriers soutenus par la mairie arrêteront le travail jusqu'à obtenir la semaine de travail de 40 heures et deux semaines de congés payés par an.

 

Apprendre un métier, acquérir un savoir-faire était primordial dès cette fin du 19è siècle, d'autant plus qu'à l'époque, une partie de la population arrêtait tôt l'école. La ville d'Argenteuil proposera ainsi à la population des cours gratuits de tous niveaux, du français aux mathématiques. D'autres cours plus spécialisés (dessin, comptabilité, économie ménagère...) seront aussi mis sur pied pour former jeunes adultes et ouvriers aux métiers de l'industrie.

L'Ecole d'apprentissage ouvrira ses portes en 1920 grâce à la municipalité et avec le concours de plusieurs industriels. Des cours professionnels y seront dispensés sur le temps de travail, à raison de 25 élèves la première année, et 250 en 1930. Suivra un Office d'orientation en 1926, puis le Groupement d'Apprentissage de la réparation Automobile et du Cycle en 1948 qui forme depuis 70 ans aux métiers de l'automobile.

L'essor industriel du début du 20è siècle se poursuivra après-guerre à Argenteuil. Les Trente Glorieuses feront émerger une conception nouvelle de la cité, avec, entre autres, la création d'une nouvelle zone industrielle de 70 hectares en 1965, dans laquelle s'implanteront les sociétés British Leyland et Goodyear. La crise économique des années 1970 amplifiera les mutations industrielles et la problématique de reconversion d'anciennes friches. Le site des abattoirs municipaux deviendra le parc d'activités des Algorithmes en 1988 avec l'implantation de divers sièges sociaux et agences commerciales. Désormais, la zone industrielle s'est adaptée à son époque et abrite aussi des entreprises plus jeunes tournées vers les nouvelle technologies. Et si le Val D'Argent concentre près d'un tiers des 178 établissements industriels argenteuillais, la majorité de ces entreprises se fond harmonieusement dans le tissu urbain. Il faut bien vivre avec son temps.

 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « L'Aventure industrielle d'Argenteuil », jusqu'au 26 janvier 2020, à l'Atelier, 19 rue Notre-Dame à Argenteuil (95). Entrée libre. Les mercredi, vendredi et dimanche de 15h00 à 18h00. Fermée les jours fériés. Informations et visites guidées au 01 34 23 45 34 et en écrivant à reservations.patrimoine@ville-argenteuil.fr








 



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