Mercredi 29 juillet 2020
Dotée d'un riche patrimoine architectural et urbain, Troyes est classée « Ville d'art et d'histoire » depuis 2009. Capitale historique des comtes de Champagne, sa naissance ne date pas d'hier puisque ses premiers habitants, les Tricasses, sont mentionnés dès le 1er siècle avant J.C. Elle trouvera son premier protecteur en la personne de Loup de Troyes, évêque, qui convaincra Attila d'épargner la cité en 451. Et de tomber sous l'emprise de Clovis en 484, puis d'être occupée par les Sarrasins d'Espagne en 720, avant de connaître Aleran, son premier comte un siècle plus tard. Après avoir subi les incursions normandes, la ville connaitra l'époque des comtes de Champagne au 12è siècle mais l'incendie de 1188 détruira une première fois la cité médiévale, puis Troyes subira un autre grand incendie en mai 1524, un brasier si destructeur qu'il provoquera cette fois un appauvrissement durable de ses habitants. Cela n'empêchera pas la ville de rebâtir de nouvelles demeures à pans de bois, celles-là mêmes qui font aujourd'hui de Troyes une cité magnifique !
De toutes les villes de France et de Navarre qui ont préservé un bâti en bois de qualité, Troyes fait certainement figure d'exemple : la cité offre en effet un patrimoine très étoffé, le plus dense et le plus homogène, mais également le mieux conservé et le mieux restauré. Une promenade dans les rues de la ville offre d'admirer une incroyable collection de maisons à pans de bois, héritée du Moyen-Âge et de la Renaissance, qui fait de Troyes une cité unique en son genre. Et pourtant, cet inestimable patrimoine faillit bien disparaître à jamais, car la quasi-totalité des maisons en bois visibles actuellement furent érigées après le grand incendie de mai 1524. Ce gigantesque brasier, qui ravagera un quart de la ville et détruira environ 1500 habitations (jetant du même coup à la rue près de 7500 personnes) sera favorisé par la présence de nombreuses chambrettes aménagées en appentis dans les cours afin de loger les plus pauvres. Faits de matériaux inflammables, ces éphémères refuges réduiront à néant les pare-feux que constituaient ces cours et gêneront la progression des secours. A quelque chose malheur est bon puisque la municipalité exigera ensuite que les cheminées soient construites en matériaux ininflammables et qu'elles soient équipées de conduits dépassant suffisamment des toits. Autant d'actions correctives qui nous permettent aujourd'hui d'admirer ces belles demeures « à colombage », à savoir ces zébrures caractéristiques (qu'elles soient verticales, horizontales ou obliques) qui forment le squelette du bâtiment (ou ossature en bois). En regardant de plus près le plan de la ville (en forme de bouchon de champagne), on note que le feu ravagea à l'époque une zone allant du boulevard Victor Hugo à la rue Ulbach, et de la rue du Palais de Justice au Boulevard du 14 Juillet, anéantissant ainsi le quartier le plus cossu de Troyes, qui abritait alors les riches marchands et détruisant au passage les lieux de culte. Deux jours seront nécessaires pour que les Troyens arrivent à bout de ce brasier, mais les habitants garderont toutefois le souvenir (et la crainte) des incendies. Un feu ne ravagea t-il pas tout un pâté de maisons du quartier Saint-Urbain, en janvier 1985 ? Sinistre au cours duquel onze logements et seize commerces seront réduits en cendres en ce froid glacial (-29°C) qui faisait alors geler l'eau des pompiers dans les tuyaux.
Faisant feu de tout bois, les courageux habitants ne tarderont pas à reconstruire et les plus fortunés d'entre eux choisiront la pierre pour bâtir de superbes hôtels particuliers encore visibles de nos jours. Les moins aisés n'auront d'autre choix que d'opter pour les mêmes matériaux que précédemment, c'est à dire le bois, ce qui nous vaut à présent de pouvoir profiter de ces belles maisons à pans de bois d'inspiration médiévale qui furent édifiées à la Renaissance, et auxquelles la ville doit son charme si particulier. Et les habitants de qualifier leur ville de « Beau 16è siècle » ! Cette période donnera effectivement naissance à une ère d'explosion artistique, culturelle et architecturale. Il est vrai que dans les temps anciens, on utilisait essentiellement le bois de chêne pour bâtir les habitations, car cette ressource était abondante dans les forêts alentour. Hautement inflammable, ce matériau avait cependant mauvaise réputation, et pour cause...d'où la pose d'une croute protectrice (mais disgracieuse) de plâtre apposée sur le bois, une pratique encouragée par l'édit de Sully au début du 17è siècle.
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, Troyes souffrira d'une mauvaise image car crasse et vétusté auront entre temps fait des ravages. A la fin des années 1950 et au début de la décennie suivante, l'habitat, dans son ensemble, souffre de délabrement et l'on parle alors « d'îlots insalubres ». Et de nombreuses demeures à pans de bois de disparaître, au désespoir des défenseurs du patrimoine qui, opposés à la destruction de cet héritage du passé , créent l'Association de sauvegarde du vieux Troyes (rebaptisée depuis Sauvegarde et Avenir de Troyes). Les efforts énormes déployés par les bénévoles de cette entité portent désormais leurs fruits en offrant au public une image plus valorisante de ces anciens quartiers.
Rien ne remplace une promenade dans le vieux Troyes pour juger par soi-même des progrès accomplis en matière de restauration du patrimoine architectural. Arrêtons-nous pour commencer devant la Maison du Boulanger (à l'angle de la rue Paillot-de-Montabert et de la rue Champeaux) et admirons cette demeure qui fut la première du genre à être restaurée par la ville dans les années 1963-1964. Nommée ainsi car elle abritait jadis une boulangerie, la maison abrite désormais un centre culturel municipal, avec ses pans de bois couleur naturelle. Quant aux rues du quartier Champeaux, elles sont homogènes, avec une succession de façades à pignon et d'encorbellements. Juste à côté, s'élève la Maison de l'Orfèvre, avec sa célèbre tourelle, puis, un peu plus loin, la Maison des Chanoines (angle des rues Emile Zola et Turenne), dont l’originalité réside dans le fait qu'elle fut déplacée en 1969. Démontée puis remontée après avoir été rachetée pour un franc symbolique, sa façade a été surélevée pour respecter l'alignement avec les maisons voisines. De plus, sa porte d'entrée d'origine se situe au...premier étage !
Rendons-nous maintenant de rues en rues : la rue Pithou qui débouche sur les Halles est historiquement la première rue piétonne de Troyes, depuis 1975. La piétonnisation n'a dès lors cessé de progresser, allant même jusqu'à interdire aux automobilistes l'accès à la rue Emile Zola, principale artère de la ville. Rue Passerat, il m'est donné de remarquer que les maisons mitoyennes restaurées en 1978 utilisent une technique des restauration associant pans de bois et hourdis de briques. Le matériau de remplissage est alors du torchis, un mélange de paille et d'argile agrémenté de poil de vache ou crin de cheval, voire du crottin. Une des demeures de cette rue arbore même une façade recouverte de tuiles de bois qui la protège des intempéries. La rue François Gentil, elle, fut entièrement restaurée en 1979 et est aujourd'hui l'une des plus belles artères troyennes et un petit tour s'impose à la Cour du Mortier d'Or, qui fut restaurée entre 1979 et 1981 par les Compagnons du devoir dans le style Renaissance. Rue Kléber, ce sont trois maisons des 15e et 16e siècles qui furent reconstituées dans les règles de l'art par deux charpentiers aubois, entre 1998 et 2000. Les artisans en profitèrent pour restituer des motifs décoratifs anciens dont on retrouva des traces archéologiques. A cela rien d'extraordinaire puisque les maisons troyennes sont souvent couvertes de divers ornements (statues de saints, figures grotesques, emblèmes, armoiries, monogrammes, devises ou diverses autres inscriptions). De la même manière, le quartier Saint-Nizier connut une opération démontage-remontage, rue Pierre Simart, pour y reconstituer un pâté de maisons de style médiéval comprenant une demeure contemporaine tout en bois (en 1996) pour démontrer s'il en était encore besoin que le bois reste malgré tout un matériau actuel. Enfin, en 2014, la Ruelle des Chats, la plus emblématique des rues troyennes, s'enrichira de trois nouvelles maisons à pans de bois, entièrement reconstituées à partir de cartes postales et de gravures d'antan. La petit rue tire son nom des chats qui sauteraient de toit en toit ou d'un grenier à l'autre, tant les maisons sont à deux doigts de se toucher.
Poursuivons notre visite avec quelques exemples de restauration comme, entre autres, celle de l'Hôtel du Petit Louvre qui eut lieu en 1989 et entreprit de juxtaposer une demeure à pans de bois avec un ajout contemporain, en l'espèce une verrière. Rue Linard-Gonthier, s'élève l'Hôtel le Champ des Oiseaux, un établissement haut de gamme qui fut la première maison à colombage à oser la couleur sur ses pans de bois, dès 1995. Opération réussie puisque La Maison de Rhodes se convertira elle aussi à la couleur. Rue Kléber, j'aperçois la Maison du Dauphin, dont la façade offre un jaune éblouissant depuis sa rénovation en 1997 et témoigne de ce que devait être Troyes au 15e siècle puisque cette demeure se situe dans une partie de la cité qui fut préservée de l'incendie de 1524. Même le Monoprix de la rue Emile Zola tire son épingle du jeu grâce à sa façade à pignon remise à neuf et entourée d'une double haie de maisons à colombage. Sur cette même rue, se dresse encore l'Hôtel du Lion noir, avec son style Renaissance unique. Sa cour intérieure classée dissimule un escalier hélicoïdal et des galeries couvertes. Vous le voyez, les hôtels sont nombreux à Troyes (hôtel Juvénal des Ursins, hôtel Marisy, hôtel Mauroy, hôtel du Moïse, hôtel des Angoiselles, hôtel de Chapelaines, hôtel de Vauluisant ou hôtel du Commandeur), même s'il ne s'agit aucunement d'auberges mais de riches demeures construites à la Renaissance. Ces propriétés, qui cohabitent ainsi avec les maisons à pans de bois constituent l'une des originalités du patrimoine architectural troyen. Elle affichent, tantôt des façades champenoises (alternance de brique et de craie), tantôt des frontons en pierre. En revanche, d'autres restent fidèles aux pans de bois (comme les hôtels de l'Election, ou des Grisettes) ou au mélange pierre et pans de bois (hôtel des Angoiselles). Certaines résidences s'offrent même le luxe d'incorporer une tour ou une tourelle dans leur bâti (Vauluisant, Petit Louvre, Marisy, Maurou et Juvénal des Ursins), ce qui leur donne, selon les cas, un cachet Renaissance ou...féodal. Ambassadeur du Grand Troyes, l'Office de Tourisme se devait d'occuper, lui aussi, une demeure à la hauteur de sa mission, à savoir une belle et grande bâtisse du 16e siècle, restaurée avec soin mais dans un style mélangeant style d'antan et architecture contemporaine.
INFOS PRATIQUES :
- Sauvegarde et Avenir de Troyes, 24, Quai de Dampierre, à Troyes (10). Tél : 03 25 73 29 69. http://www.sat-troyes.fr
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Troyes Champagne Tourisme, 16, rue Aristide Briand, à Troyes (10). Tél : 03 25 82 62 70. https://www.troyeslachampagne.com
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Mes vifs remerciements à Apollonia Gontero, de l'Office de tourisme, pour sa précieuse collaboration.