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Exposition "Et vous? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette?"- Musée bigouden
(29) (Pont-L'Abbé, Finistère, France)
Heure locale

 

Samedi 8 août 2020

 

Je poursuis ma visite de l'exposition « Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ? » en me rendant au Musée Bigouden de Pont-L'Abbé (29). Musée de société mais aussi collecteur de mémoire, conservateur de patrimoine, agitateur d'identité et chercheur en ethnographie, ce lieu a toujours eu à cœur de préserver l'identité bigoudène. Ici, on a choisi d'aborder la crêpe du côté de l'intime, de la table, de la cheminée, de la billig et de la maison... pour démontrer que cette chose plate révèle bien des indices sur ce qui traverse une vie domestique à travers le temps.

 

Comment une crêpe peut nous interroger sur nos habitudes de (sur)consommation, sur l'usage du temps ou sur la question du bonheur ?Qu'a t-elle à nous dire sur la place de la femme et de la notion de matrimoine ? Et dans quelle mesure ce mets va t-il nous permettre de parler des bouleversements sociétaux ?

Il n'y a pas si longtemps, les repas étaient encore pris en commun, une habitude qui s'est perdue, malgré le fait que que la crêpe, elle, rassemble toujours les convives. Celle-ci ne se conçoit d'ailleurs que dans le partage. Certes, il y a la crêpe sous vide (industrielle) qui permet à tout un chacun d'en manger vite et seul, mais la véritable crêpe, celle qui est faite maison, rassemble tous les membres de la famille dans la plus large convivialité. Ce repas se prend autour d'une table, et dure plus ou moins longtemps selon le nombre de convives. Autrefois tenue à l'écart, pliée en deux dans la cheminée au-dessus du feu, la « crêpière » elle aussi se retrouve aujourd'hui parmi les convives et autour de la même table pour un plaisir partagé. Et c'est spontanément que les anciens ont répondu présent lorsque le Musée Bigouden a entrepris une collecte de témoignages dans les maisons de retraite du Pays bigouden. Les conversations s'animaient alors, entremêlées de doux souvenirs et de cet attachement profond pour la crêpe. Comme un petit goût de bonheur...

 

Les inventaires après-décès en Pays bigouden, de 1745 à 1895, révèlent de quoi se composait alors le matériel d'une cuisine pour préparer un repas : des « quelornes » ou « baillots » (baquets servant à ranger condiments, farine et pâte...) à sel, à farine, à mettre la pâte à lever, à cendres, à farine d'avoine, à blé noir, à levure, servant aussi de charnier (dans lequel l'unique viande, le lard, était conservée salée).On trouvait bien sûr un pétrin, un nécessaire à lait et beurre (pot à crème, passe-lait, baratte, bât-crème), mais également marmites, trépieds, plats et pots en terre, un couteau, des poêles à frire, voire des poêles en terre chez les plus anciens. A cette époque, plus de 70% des foyers bigoudens possédaient des « poêles à crêpes » entre 1760 et 1895, même si ce genre d'ustensiles était rarement mentionné dans les inventaires.Contrairement au reste de la Bretagne, la matériel nécessaire à faire les crêpes était extrêmement réduit (absence d'échelle pour suspendre la louche, pas de mesure, pas de séchoir, pas de panier à crêpes ni de platine sous les poêles...) et la maitresse de maison de ne disposer que d'une billig (galetière), une spanell (spatule), une rozell (racloir), une louche et un grand linge pour poser les crêpes et les conserver. Jusqu'aux années 1950, le repas se compose de crêpes, galettes ou kouign (gâteau) au moins une fois par semaine, et toujours le midi, plus généralement le vendredi. A la ferme, les ingrédients du repas sont alors les immuables farine et eau, le lait, le beurre (lorsqu'on en dispose) et les œufs. Les crêpes, tournées sur la billig placée au-dessus du feu de cheminée, sont souvent de grande taille (jusqu'à 70 cm de diamètre). Elles sont entreposées sur un grand linge placé au centre de la table et les convives en prennent un bon morceau à la main, qu'ils consomment avant l'arrivée de la crêpe suivante. Ces crêpes sont parfois agrémentées de beurre par la crêpière et rien de plus. On les trempe également dans le bol de cidre ou de lait ribot.

Notre société connaitra de profonds changements à l'issue de la Seconde guerre mondiale. Les crêpes aussi. Ce mets va s'enrichir en se parant d'oeufs, de lard et de fromage, pour donner la célèbre « complète » qui figure toujours au menu des crêperies. Ensuite, le feu de cheminée (celle-ci n'existe plus dans les nouvelles demeures) est remplacé par le fourneau ou la gazinière en utilisant une petite billig. Plus petites et plus faciles à garnir, les crêpes s'individualisent, et sont fabriquées avec de la farine de blé noir pour le salé et de la farine de froment pour le dessert. On dérogera toutefois de temps à autre à cette règle en servant uniquement des crêpes au froment lors d'un même repas, jusque dans les années 1950. Jadis « plat du pauvre », crêpes et galettes sont devenues en un demi-siècle un incontournable de la gastronomie bretonne, et le reflet d'une société passée de l'autosuffisance à la surabondance.

 

Les archéologues bretons mettent régulièrement à jour d'étranges plats médiévaux faits de terre cuite et identifiés comme des galettières. De grande taille, on ne retrouve celles-ci qu'en Bretagne et ces objets sont datés des années 1100-1600 tout en provenant d'habitats divers. Les plats les plus répandus sont en céramique onctueuse, une poterie d'usage culinaire, dont la principale qualité est d'être réfractaire, calorifugée, et de résister aux chocs thermiques. Cette poterie sera largement diffusée en Bretagne bretonnante, par cabotage ou diffusion terrestre. Plus tard, la céramique onctueuse sera remplacée par la marque Krampouz présentée pour la première fois en 1971 à la Foire exposition de Quimper : la première crêpière électrique Krampouz mettra du temps avant d'entrer dans les mœurs et il faudra déposer celle-ci à titre gratuit dans les crêperies pour que les professionnels puissent en découvrir petit à petit les qualités. Et ces crêpières de s'exporter vers Londres, Bruxelles, Athènes, le Japon, l'Inde et le Mexique dès 1980.

 

Au fur et à mesure de ma visite dans l'unique salle consacrée à cette exposition, je découvre qu'en matière de gastronomie, le Pays bigouden a de qui tenir. Et les kouign d'arriver en renfort de crêpes déjà omniprésentes. Plusieurs témoignages font état de petites galettes de froment auxquelles s'adjoignent des pommes coupées en tout petits morceaux. Et hop, on verse la pâte sur la billig mais on ne l'étale pas, ce qui donne une portion individuelle d'une crêpe épaisse devenue...galette. Suivent les kouign (gâteaux) en veux-tu en voilà : kouign, kouign yekel, kouign go, galetez go, kouign plaket ou kalet. A la différence des crêpes, les kouign contiennent en plus de la farine de froment des œufs, du lait et du sucre ainsi que de la levure de boulanger. On prépare la pâte à l'avance, on la laisse monter au chaud pendant trois à quatre heures puis les kouign sont consommées comme des crêpes au repas principal à midi. Ce mets fait surtout partie des traditions culinaires de la côte sud du Pays bigouden, entre Combrit et Pouldreuzic, puis plus occasionnellement à l'intérieur des terres du côté de Pont L'Abbé. De nos jours, peu vendues dans les commerces et dans les crêperies, elles sont encore mangées en famille ou lors d'évènements festifs.

Et les Kouign plaket? Il s'agit là d'un mets originaire d'un tout petit territoire, délimité par le Steir (Penmarc'h) et Saint-Guénolé, en passant par Kerity. Un plat qui fait encore aujourd'hui parler de lui sans qu'on se rende compte que ce gâteau avait disparu des assiettes.Ce mets qui a plus d'un siècle d'âge a des similitudes avec les autres kouign : une pâte à crêpe de froment avec, en plus, de la levure de boulanger. Là encore, la pâte va reposer plusieurs heures au chaud, puis sera enfarinée à la main. A l'arrivée, on dispose de petits pains solides, épais et bourratifs même s'il sont délicieux. On les emportait jadis dans la poche avant de partir en mer, à l'école, à l'usine ou même...à la guerre d'Indochine ! L'opération d'enfarinage, qui salissait la cuisine, conduira peu à peu à l'abandon du kouign plaket dans les années 1950, au profit des seules kouign yekel (kouignn à la louche). Restons à table et penchons-nous sur le yod (bouillie) qui n'a certes rien à voir avec les crêpes même si les ingrédients restent identiques: cette bouillie (d'avoine, de blé noir ou de froment) est préparée dans une grande marmite posée au-dessus d'un feu de bois, puis mélangée à l'aide de bazh-yod (bâton à bouillie). Une fois prête, la marmite était placée sur la table, puis on faisait un trou dans la bouillie afin d'y placer un gros morceau de beurre. Plat du pauvre, le yod disparut durant la guerre, mais a laissé des traces...de doigt ! Ainsi, l'index, en langue bretonne, se dit-il « biz-yod » (le doigt à bouillie).

Alors, crêpe ou galette ? Lors des inventaires de 1760 à 1895, et pour une très grande majorité de la population bretonne qui ne pratiquait que le breton, les termes krampouezh et galetez étaient sans doute les termes les plus cités. En Pays bigouden, la crêpe décrit en revanche l'ensemble des blé noir et froment, tandis que la galette désigne une crêpe plus épaisse. Mais ici, au pays des gourmands, on est plutôt crêpe, galette et kouign !

 

On ne remarque aucun homme dans cette histoire de crêpes en Pays bigouden, mais l'unique présence de la femme, d'où cette notion de matrimoine qui existe depuis le Moyen-Âge afin de décrire les biens hérités de la mère. A partir de l'an mille, les femmes seront cantonnées au seul rôle social de femme au foyer, aux tâches ménagères et à l'éducation des enfants. Leur rôle dominant dans la société traditionnelle en Bretagne reste pourtant incontestable car elles n'ont jamais failli à leur mission. En un mot, vive les crêpes, les Bigoudènes et les femmes !

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ? » - La crêpe en toute intimité, jusqu'au 31 octobre 2020 au Musée Bigouden , 1, rue Jean-Jaurès à Pont-l'Abbé. Tél : 02 98 66 09 03. Entrée : 5€. https://musee.ville-pontlabbe.bzh
  • Sur place, procurez-vous l'ouvrage « Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ? (Editions Coop Breizh) illustré de superbes photos. 120 pages, 19,90€. Disponible en langue bretonne ou française.







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