Revoir le globe
Top


Exposition "Et vous? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette?"- Musée départemental breton
(29) (Quimper, Finistère, France)
Heure locale

 

Mercredi 21 octobre 2020

 

Cet été, j'ai parcouru la Bretagne pour visiter quatre des cinq expositions traitant de la crêpe et de la galette sous ses différents aspects. A l'exception de celle du Musée départemental breton de Quimper (29) puisqu'elle celle-ci n'ouvrit ses portes au public que le 17 octobre dernier. Ce musée d'art de d'histoire du Finistère ne pouvait faire l'impasse sur un sujet aussi séduisant, et assurément le plus savoureux marqueur d'une forte identité régionale. Cette fois, le sujet abordé est comment crêpes et galettes ont gagné leurs lettres de noblesse après avoir été plutôt dépréciées au 19e siècle, et comment ce plat « du pauvre » est-il devenu un mets gastronomique breton ? Comment cette crêpe s'est-elle imposée à Quimper et par quels moyens ? Où, avec qui et comment la mange t-on ? Bref, une crêpe représentée par son authenticité, son identité et son universalité. Vaste sujet qu'aborde avec brio cette cinquième exposition intitulée « Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ? ».

 

Capitale historique de la crêpe dentelle et ville de crêperie, Quimper, celle que l'on surnomme « la ville aux quarante crêperies » s'interroge, par l'entremise du Musée départemental breton, sur le passé de cette spécialité gourmande, pourquoi celle-ci est-elle perçue comme un plat emblématique de la Bretagne et comment se sont développées les crêperies? L’exposition qui s'adresse aux petits et grands (avec un parcours ludique adapté aux familles) s'emploie à plonger dans l'histoire des représentations des crêpes et des crêperies pour mieux comprendre l'évolution de ce plat, et comment ce dernier a fini par gagner ses lettres de noblesse au fil du temps sans se soustraire pour autant à sa singularité bretonne. Le visiteur découvrira sur place des professionnels quimpérois de la crêpe et autres métiers singuliers, tout en abordant les enjeux contemporains liés à ce qui est et demeure notre patrimoine vivant à tous, que nous soyons faiseurs ou mangeurs de crêpes et de galettes. Ainsi le musée a t-il eu l'idée de convier Alain Tanguy, collectionneur et galériste d'art contemporain à Landerneau (29), à présenter sa collection originale constituée de billig (plaques à crêpes) traditionnelles, une exclusivité à ne pas manquer lors de votre passage.

L'exposition vous invite aussi à découvrir l'histoire d'une société bretonne à travers sa spécialité culinaire entre les 19e et 21e siècle. Au menu : recettes, rituels, mises scène, traditions, consécration et industrialisation, du domicile à la boutique avec un détour par les marchés. Plat tout simple, crêpes et galettes sont avant tout là pour vous régaler, que l'on soit de Haute ou Bretagne, breton d'ailleurs ou bien voyageurs. Et les crêpes de sarrasin auront beau avoir été consommées dans la région dès le 15e siècle, il faudra pourtant patienter jusqu'au 20e siècle avant que ce mets ne soit véritablement reconnu comme tel. Le métier de « faiseur (ou faiseuse) » de crêpes est issu d'un savoir-faire ancestral, transmis de génération en génération et l'ancêtre de la crêperie d'aujourd'hui n'était autre qu'un lieu de vente à emporter installé sur les marchés ou dans les rues (dont les crêperies ambulantes actuelles ne sont que les héritières).

La commercialisation du plat gagne en importance durant le 20e siècle, et plus particulièrement au cours des années 1960. Et le client de manger sa crêpe sur place en l'agrémentant du beurre et des œufs qu'il a apportés avec lui. Ce n'est qu'un peu plus tard qu'ouvriront les crêperies avec pignon sur rue, proposant des garnitures de plus en plus diversifiées et dans un décor évoquant la plupart du temps l'origine traditionnelle du mets. Et ces établissements de restauration d'incarner le lieu d'une authentique culture bretonne, avec meubles anciens, vaisselle rustique et photographies noir et blanc représentant des couples de mariés en costume. Ce pittoresque breton fera mouche dès les années 1840 en attirant un grand nombre d'artistes parisiens à la recherche de sujets pittoresques. Très vite, d'autres peintres afflueront du monde entier en se regroupant même dans des petites bourgades qui deviendront année après année des colonies artistiques comme à Concarneau, Pont-Aven ou Quimperlé. Autant d'oeuvres d'une très grande richesse témoignant de l'histoire des costumes et des coutumes bretons. A l'exemple de ce tableau de Jean Baptiste Jules Trayer datant de 1866, « Marchande de crêpes, jour de marché à Quimperlé », œuvre présentée au Salon des peintres de Paris représentant une scène d'intérieur avec plusieurs personnages assis sur des bancs autour d'une large table et occupés à vider leurs bols ou à manger des crêpes avec leurs doigts. On observe au centre du tableau, la transaction qui s'effectue entre la marchande et sa cliente, toutes deux inclinant leurs regards sur le paiement du repas.Quoi de plus remarquable que cette peinture réaliste pour conférer à la commercialisation de la crêpe urbaine une certaine dignité !

 

Jadis partie intégrante de l'alimentation traditionnelle d'une majorité de paysans européens, les crêpes portent la marque d'un environnement et de la culture de leur pays d'origine, comme dans les pays scandinaves où l'on consomme les blodplättar, des crêpes au sang de rennes. Toutefois, si un endroit symbolise bien la crêpe, c'est bien la Bretagne (une enquête de 2014 effectuée auprès de touristes étrangers dans le Morbihan révéla que 90% d'entre eux considérait ce mets comme la marque principale de l'identité bretonne, devant la musique et les costumes traditionnels). La présence de nombreuses crêperies à l'étranger contribue sans aucun doute à ce phénomène mais comment la crêpe a t-elle réussi à s'imposer au fil du temps ?

Dans notre pays, le pain fut longtemps l'élément essentiel de l'alimentation des paysans. En Bretagne, tout le monde ne disposait pas d'un four pour cuire le pain, et encore moins de la « bonne » céréale. En effet, les fermes bretonnes exploitaient et consommaient surtour du sarrasin (ou blé noir), céréale qui ne posséde pas le gluten permettant à la pâte de lever. On trouva donc des aliments de substitution comme la bouillie, le fars et...la crêpe, des préparations culinaires qui constituèrent la majeure partie de l'alimentation des paysans bretons jusqu'au 19e siècle. Entre les 17e et 18e siècles, les voyageurs « éclairés » étaient plus attirés par d'autres provinces françaises que par la Bretagne, celle-ci étant réputée pour ses routes de mauvaise qualité. Par ailleurs, il existait aussi une gastronomie dans des régions comme le Périgord, la Touraine ou la Bresse...tandis que la notion de cuisine à proprement parler bretonne n'apparaitra que fin 19e-début 20e, avec l'essor du tourisme (ouverture de nombreux hôtels et restaurants, construction de stations balnéaires...) et le développement du chemin de fer dès les années 1860. L'usage de l'automobile, à partir du 20e siècle jouera, lui aussi, un rôle important. Et les voyageurs d'être de plus en plus à l'affut de conseils pour trouver un hébergement ou se restaurer, d'où la multiplication des guides touristiques à cette époque. Des guides, qui, somme toute, ne faisaient pas la promotion de la crêpe. Mais alors, comme la crêpe parvint-elle à tirer son épingle du jeu ?


 

Le succès de la crêpe bretonne tint beaucoup au fait qu'elle constitua longtemps l'aliment des journées exceptionnelles (grands travaux, foires...), à travers les crêpières ambulantes qui travaillaient à même le sol sur des foyers ouverts ou des fourneaux cylindriques. Des échoppes s'établissaient pareillement autour des places de marché pour vendre ce mets aux passants, des commerces qui sont l'ancêtre des crêperies actuelles. L'échoppe en question était pourtant rudimentaire : deux tables en bois et une cheminée qui recevait les plaques de cuisson posées sur la flamme. Le client consommait souvent sa crêpe debout, sans couverts, alors que les voisins rappliquaient avec leurs assiettes sur lesquelles étaient disposées des « begigou » (petits morceaux de beurre) destinés à faire revenir les crêpes. Ces dernières constituaient alors tout le repas et chaque convive en avalait des quantités non négligeables, si bien que, pour réaliser de telles quantités de crêpes , la crêpière devait parfaitement maitriser la billig, la spanell et la rozell (racloir). Quand l'homme revenait à midi, la femme devait s'activer pour cuire rapidement le mets qui sera consommé tel quel, ou tout juste trempé dans le lait doux ou de baratte (soubig). La dernière crêpe servie était la seule qu'on faisait revenir avec du beurre, une sorte de dessert doré et croustillant (kraz). Le reste du temps, la plaque de cuisson était graissée à l'aide d'un larjouer (chiffon enduit d'un mélange de saindoux et de jaune d'oeuf). Le blanc d'oeuf restant servait à garnir une crêpe dont on gratifiait les enfants sages. Une friandise en quelque sorte...

Progressivement, les crêperies vont faire leur apparition et les vacanciers des années 1930 sont séduits par ces lieux typiques avec vaisseliers et lits clos qui exacerbent l'identité bretonne. La crêperie contemporaine, elle, apparaitra dans les années 1960 et Quimper surnommée « la ville aux quarante crêperies », ne fera pas exception : la cité finistérienne en rassemble neuf sur la célèbre « Place au Beurre ». Afin de mener à bien cette exposition, une collecte de témoignages fut menée en 2019-2020 auprès des professionnels quimpérois de la crêpe et les résultats furent très enrichissants.

 

On apprend ainsi que depuis les années 1950, des guides touristiques mettent en avant la crêpe dentelle quimpéroise comme spécialité incontournable.Ce phénomène peut expliquer le nombre élevé de crêperies à Quimper au 20e siècle. Toutefois, un coup d'oeil dans les archives révèle qu'en 1710, la ville abritait déjà dix-sept « crespières ». Ces archives sont riches d'enseignement et la collecte des témoignages (qui seront archivés à l'issue de cette exposition) se poursuivra bien après cet événement.

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ? », au Musée départemental breton, 1 Rue du roi Gradlon, à Quimper (29), du 17 octobre 2020 au 18 avril 2021. Tél : 02 98 95 21 60. http://musee-breton.finistere.fr/fr/et-vous-etes-vous-plutot-crepe-ou-galette
  • Sur place, procurez-vous l'ouvrage « Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ? (Editions Coop Breizh) illustré de superbes photos. 120 pages, 19,90€. Disponible en langue bretonne ou française.
  • Mes remerciements à Sarah Le Berre, commissaire de l'exposition et attachée de conservation du patrimoine, pour sa collaboration.







 



Retour aux reportages







Qui Suis Je - Reportages - Médiathèque - Calendrier - Pays - La lettre - Contact
Site réalisé par Kevin LABECOT
Disclaimer - Version mobile