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Ode à la ruralité
(Ille-et-Vilaine, France)
Heure locale

 

Lundi 2 août 2021

 

Il m'aura fallu saturer face au bruit et à l'insécurité de la capitale pour filer en Bretagne et rouvrir la maison familiale en juin dernier. Oh, l'endroit n'a rien d'un palace mais la petite maison de bourg a l'avantage de se trouver au cœur d'un charmant village de Haute-Bretagne, à seulement vingt kilomètres de Saint-Malo, la Cité corsaire. Ici, on respire et on écoute le silence. On déstresse entre chants d'oiseaux et le tintement régulier des cloches de l'église située à cent mètres de là. Du coup j'ai rangé ma montre...

 

Je ne suis pas le premier et ne serai pas le dernier à « me mettre au vert ». Il s'agit là d'un retour aux sources car cette petite maison était autrefois celle de mon arrière grand-mère, puis de ma grand-mère, puis de ma mère (laquelle est aujourd'hui en maison de retraite à huit kilomètres de là). J'y séjournai pour la première fois à l'âge de six ans, et j'y retourne maintenant, 53 années plus tard. C'est dire si on se souvient de moi dans le village...

Bien sûr, le bourg a évolué, mais est resté le même avec tout (ou presque) dans un rayon de cent mètres. Le supermarché U (et la gare) ne se trouvent qu'à sept minutes de marche (Tout est à côté.com bonjour!) La particularité de cette maison est qu'elle est écologique avant l'heure car auto-isolante. En effet, celle-ci possède des murs en terre crue, une pratique de construction singulière qui n'existe qu'à l'Est de la Bretagne mais qui a l'avantage d'être bon marché, d'offrir une forte inertie thermique et une bonne régulation de l'hydrométrie. L'nedroit étant resté fermé près de deux ans, je craignais d'observer une détérioration de la demeure. En vain. Seules quelques araignées y avaient élu domicile entre temps.

 

Longtemps méprisés, la maison en terre regagne actuellement ses lettres de noblesse. Etroitement liée à la nature du sous-sol qui la constitue, à savoir une terre argileuse, ou limono-argileuse, comme ici au nord de l'Ille-et-Vilaine, cette construction est faite de tangue, une ancienne vase marine présente dans les marais de Dol-de-Bretagne (à quelques kilomètres d'ici) et dans les polders du Mont Saint-Michel. Et la couleur, mais aussi la texture des murs de dépendre des sous-sols, allant du jaune (bassin de Rennes) au rose (présence de schiste), au brun (présence d'oxyde de fer), jusqu'au blanc (présence de tangue). Rares sont les autres endroits en France où s'élèvent ces maisons en terre, si ce n'est dans les marais du Cotentin et de la Brière, ou dans l'Eure (Normandie).

L'origine de ces constructions remontent à la fin du 16è siècle. Celles-ci se développent petit à petit au siècle suivant, au détriment des maisons à pan de bois. La facilité d'extraction du matériau conjugué au faible coût de sa mise en œuvre expliquent son adoption par les populations rurales des siècles passés. La terre présente effectivement plusieurs avantages : la terre, qui affleure à faible profondeur compense la rareté de la pierre. En plus, les maçons maitrisent la technique de construction dite de « la bauge » (la terre locale humidifiée est mélangée à des éléments végétaux comme de la paille, du foin, du genêt ou de la bruyère. Une fois réalisé, ce mélange est piétiné par les hommes, aidés jadis de chevaux ou de bœufs). Il faut en revanche respecter un calendrier précis, l'hiver étant consacré au creusement des fondation de la maison, le mois d'avril étant réservé à l'érection du mur de soubassement en pierre (mur aussi appelé « solin »). La bauge (mélange de terre et de végétaux) est ensuite montée à l'aide d'une fourche jusqu'à former les murs. Ce n'est que deux semaines plus tard que le maçon procèdera au découpage de la terre excédentaire. Les encadrements des fenêtres et les poutres sont alors placés au fur et à mesure de la construction. On assiste toutefois à une évolution des techniques entre les 17è et 19è siècle, tandis que, contrairement aux idées reçues, il apparaît au fil du temps que la maison en terre n'est pas réservée aux familles modestes puisque de 1850 à 1950, l'important développement des dépendances (notre maison est dotée d'un appentis en terre à deux pas de là), une marque de la richesse des terroirs d'alors et des échanges commerciaux avec la ville proche condamne une fois pour toutes l'image du « matériau du pauvre » qui colle à la terre. Au début du 20è siècle on observe la création d'entreprises rassemblant plusieurs corps de métiers (tailleurs de pierre, maçons et manœuvres) alors que la brique fait son apparition. Et les artisans de monter alors des murs de terre sans un seul caillou, assortis de parements impeccables et des entourages soignés en brique. Le bouleversement de l'agriculture et l'xode rural signeront la fin de la construction en terre, faute de bras suffisants pour assurer les chantiers de bauge.

 

Et pourtant, les avantages d'un maison en terre ne se discutent pas, à commencer par l'isolation thermique : l'été, alors que règnent à l'extérieur des fortes chaleurs, la maison reste fraiche et l'hiver, par temps extrêmement froid, l'intérieur de la demeure conserve une température suffisante, limitant ainsi les dépenses de chauffage. Il est vrai que dans les années 1950, les paysans aspiraient eux aussi à un habitat plus moderne, assorti à leurs exploitations qui se modernisaient aussi. Si bien qu'au début des années 1980, on estimait le patrimoine bâti en terre à seulement 15% du patrimoine architectural national, soit plus de 2 400 000 bâtiments.

Pouvoir se mouvoir est important. Ici, au village, pas d'UBER, Bolt, Heetch ou autres VTC. Encore moins de métro, mais le train dessert (trois fois par jour) la petite gare. Il m'est alors facile de me déplacer avec mon vélo jusqu'à une autre ville. Et pour plus d'aisance, j'ai investi dans un vélo électrique (en photo ci-dessous). J'avais bien lu des articles sur ce genre de machines mais n'avais jamais encore essayé ce moyen de locomotion. L'engin est unique et fait aimer le vélo dans la mesure où le moteur électrique vous apporte une incroyable assistance dans les côtes ? Vous évitant ainsi de « souffrir » , de suer et de vous épuiser. Ma batterie dispose de cent kilomètres d'autonomie et est détachable (mais verrouillée par une clef). Elle peut facilement être doublée d'une autre batterie lors d'un long voyage mais tout dépend de vos besoins. En ce qui me concerne, j'utilise le vélo et le train comme moyen de locomotion et je m'en sors très bien. En plus, le vélo me contraint à un exercice physique régulier et non traumatisant.

 

Pour le reste, et jusqu'à présent, les avantages de la vie rurale l'emportent sur les inconvénients : je dispose des services publics à deux minutes de marche, d'un accès internet très haut débit (fibre optique), d'un supermarché à sept minutes de marche seulement, d'artisans bienveillants en cas de besoin, d'une femme de ménage deux heures par semaine et d'une qualité de vie sans équivalent avec Paris (ici, je me lève et me couche avec le chant des oiseaux et le son des cloches, sans parler du sentiment de sécurité omniprésent). Ici, on ne klaxonne pas lorsque le véhicule qui vous précède s'arrrête quelques instants pour saluer une connaissance. Incroyable ! On vous propose aussi de vous rendre service en cas de besoin. Le mercredi matin, un petit marché s'installe place de la Mairie, l'occasion d'une promenade supplémentaire...

Les cloches, elles, m'ont permis de remiser ma montre puisque l'heure m'est offerte tous les quarts d'heure : l'objet est l'un des plus anciens instruments sonores qui existe et les premières cloches métalliques remontent tout de même à l'âge de bronze. Quand on dit que les cloches sonnent « à la volée », ce n'est pas un vain mot car plusieurs modes de sonnerie cohabitent en fonction du type de cloche intallé, de l'endroit, etc...on note ansi la volée en rétrograde, la volée en lancer franc, le rétro mitigé, la volée en rétro-lancé, la volée en super-lancé, la volée tournante. Je rajouterai le tintement qui est lui aussi un mode de sonnerie. La cloche est avant tout un signal collectif : en temps normal, elle indique l'heure, puis les instants sacrés (l'angélus, les vêpres, les enterrements...) mais en cas d'urgence, elle sonne le tocsin (si danger il y a) ou le glas (pour annoncer la mort de quelqu'un). Depuis mon arrivée ici, je me réveille généralement au son de l'Angélus, prière quotidienne chrétienne catholique, sonnée à trois reprises chaque jour que Dieu fait : à 7h00, à midi et à 19h00. Malheureusement, depuis quelques jours, il n'y a plus d'angélus et je crains que notre maire ait cédé à la pression de « bobos » en mal de tranquillité qui ne tolèrent la campagne qu'aseptisée de ce qui la rend authentique, à savoir l'odeur du purin, le chant du coq et les cloches d'églises (bien trop bruyantes à leur goût). Affaire à suivre. L'autre sonnerie que l'on entend parfois est la sonnerie « aux morts », celle qui annonce de temps à autre l'enterrement. Heureusement, cela n'est pas si courant.

 

INFOS PRATIQUES :

  • « Architecture de terre en Ille-et-Vilaine » de Philippe Bardel et Jean-Luc Maillard (Editions Apogée, 2009)
  • « Architecture rurale en Bretagne. 50 ans d'inventaire du patrimoine » de Catherine Toscet et Jean-Jacques Rioult (Editions Lieux dits, 2014)

  • « La terre crue dans l'architecture » d'Amélie Le Pailh , Association Tiez Breizh (https://www.tiez-breiz.bzh/

    )

  • L'Eco-musée de Rennes (https://www.ecomusee-rennes-metropole.fr) aborde la bauge à travers une intéressante vidéo.










 



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