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Exposition "Venus d'ailleurs, Matériaux et Objets voyageurs"
(Petite Galerie, Musée du Louvre, Paris, France)
Heure locale

Lundi 15 novembre 2021

 

Raconter le monde et les peuples à travers l'évocation des échanges de matériaux et d'objets entre les mondes lointains, qui sont souvent plus anciens que les explorations du 16è siècle et bien antérieurs à l'émergence d'un monde globalisé par les découvertes de la Renaissance. Tel est l'objet de l'exposition « Venus d'ailleurs, matériaux et objets voyageurs » qui est présentée au public à la Petite Galerie du Musée du Louvre jusqu'au 4 juillet 2022.

 

En remontant à la Haute Antiquité, on observe déjà des objets qui circulent sur de longues distances : pierres de couleur, ébène, coquillages et ivoire deviennent ainsi rares, précieux et lourds de sens une fois éloignés de leur pays d'origine. Les animaux, eux aussi, voyagent entre les continents selon les enjeux politiques du moment grâce à la fascination des foules (dont les artistes) qui découvrent avec stupeur et admiration éléphants, rhinocéros et girafes. Quant aux objets, ils s'enrichissent et se transforment au long de ces routes, au gré de leurs histoires singulières (leur forme, leur matériau, leurs pays d'origine, leur usage ou leur déplacement...) et participent à l'engouement des Européens pour l'exotisme.

Les exemples concrets sont plus parlants que la théorie, intéressons-nous donc à ces matériaux venus des confins de la Terre. La rareté de certaines matières premières font de celles—ci des produits de luxe dont l'usage devient une façon d'imposer son prestige. Les pierres de couleur sont les plus anciens témoins de ces échanges lointains et font partie de ces objets qui circulent depuis la Préhistoire pour des raisons essentiellement esthétiques. Parmi elles, on trouve en abondance certains quartz micro cristallins originaires du Gujarat (nord-ouest de l'Inde) utilisés pour faire des perles et autres objets plus raffinés. Dans le cas du buste sculpté d'Alexandre le Grand (en photo ci-dessous), l'oeuvre fut réalisée en porphyre, une pierre extraite du désert oriental égyptien par les Romains pour l'ornement de l'architecture. Les bois noirs africains, eux, connaitront un engouement bien avant que ne soient mis au jour les forêts tropicales américaines. Ces mêmes bois, surnommés « bois de braise » (du à la teinture rouge qu'on en extrait) sont à l'origine du nom donné au continent brésilien (Braisil, Brésil). Certains pays comme l'Egypte, pauvres en ressources forestières importaient le cèdre et l'ébène depuis le Proche Orient ou l'Afrique. Là aussi,, l'ébène tire son nom de l'égyptien ancien (hbn) via le grec et le latin. Et l'emploi généralisé de ce bois noir en placage dans le mobilier de créer le métier d'ébéniste.

Les océans apportent également leurs richesses avec coquillages, perles et écailles de tortue, des objets dont le commerce afflue dès l'Antiquité, depuis l'Océan indien jusqu'à la mer méditerranée. Les créatures des mers tropicales entreront de la même façon dans la composition des œuvres d'art en Occident : dans l'Antiquité, la nacre, l'écaille de tortue et les perles provenaient de l'océan Indien via le golfe Persique et la mer Rouge. Les premières navigations sur l'autre face du monde, à savoir les Amériques, permettront de trouver d'autres écailles de tortue près du golfe de Panama et de l'embouchure de l'Orénoque. Enfin, les coquillages exotiques, collectionnés pour leur beauté naturelle, iront rejoindre les cabinets de curiosités des princes.


 

Autre don de la Nature : les dents des animaux de grande taille qui fait le malheur des hippopotames, sangliers, narvals, mammouths et éléphants. Les défenses de ces derniers, plus développées chez les mâles, sont très convoitées par l'homme à cause de leur dentine. La forme de la défense est bien sûr déterminante et obligera le sculpteur à s'adapter et à stimuler la création artistique qu'il tirera de ce triste trophée. Les outils employés sont les mêmes que pour le bois (ciseaux, gouges, scies et tours). Le sculpteur illustrera sa virtuosité en rendant aérien et transparent ce matériau si dur comme dans la sculpture ci-dessous, représentant Saint Michel terrassant les démons.

Les portraits des animaux venus de loin ont aussi leur place, mais l'on devra longtemps se contenter de copier des images préexistantes comme des éléphants figurant sur les monnaies romaines, pour représenter en Europe les animaux africains ou asiatiques. Les descriptions sont parfois conventionnelles et même irréalistes, et il faudra attendre l'arrivée de ces bêtes vivantes en Europe pour que chacun (à commencer par les artistes) puisse s'émerveiller et puisse étudier chaque spécimen sur le vif, les dessiner, les modeler ou les peindre. Certains animaux sont parfois connus comme l'éléphant Suleyman qui arriva de Ceylan (Sri Lanka) en 1542 jusqu'à Lisbonne (Portugal) en bateau avant de rejoindre Vienne (Autruche) par la voie terrestre. Le rhinocéros Clara, lui, débarqua à Rotterdam (Pays-Bas) en 1741 puis fit plusieurs tournées européennes en véritable star. La première girafe vue en France date de 1826 et était un cadeau de Méhemet Ali, vice-roi d'Egypte, à Charles X.

 

Abordons maintenant les objets et leurs histoires : chaque œuvre d'art a sa généalogie par sa forme, son style et son décor. Celle-ci prend naissance à partir des matériaux mis en œuvre par l'artiste qui la compose et sa vie est ensuite soumise aux aléas du voyage, du goût de leur détenteur ou des transformations éventuelles...Leurs histoires sont nombreuses, depuis les longs voyages souvent mystérieux, des objets au Moyen-Âge jusqu'aux échanges lointains au moment de la globalisation du monde au cours du 16è siècle. Il y a certes les routes commerciales, mais pas seulement. A côté de ces axes, d'autres voyages sont une source d'échanges et de transferts à l'instar des expéditions à caractère militaire et scientifiques ou des missions religieuses...Donnons à présent la parole à quelques-uns de ces objets :

Le coffret ci-dessous (originaire de Gujarat en Inde) fut monté à Paris en 1532-1533 par Pierre Mangot. Nacre sur âme de teck, argent émaillé et doré, or, chromojadéite, grenats cornaline et agate font de cet objet une merveille. Ce coffret est entièrement tapissé d'écailles de nacre découpées dans un coquillage, le turbo, qui était alors pêché sur les côtes occidentales de l'Inde. La région de Gujarat s'est spécialisée dans ce type d'objets, surtout des boites, des coffrets et des plateaux. Ce coffret arriva en Europe vers 1530, probablement par le Portugal, avant que l'orfèvre Pierre Mangot ne le transforme en une œuvre d'art unique d'un grand luxe deux ans plus tard


 

Comment ne pas s'émerveiller devant cette paire d'aiguières (en photo ci-dessous) conçue au Japon vers 1680 puis arrivée à Paris vers 1770? Pendant la fermeture officielle du Japon aux Européens, entre 1650 et 1842, les précieux objets (dont les laques) parvenaient malgré tout à se frayer un chemin jusqu'en Europe, via la Compagnie hollandaise des Indes orientales, encore tolérée sur place, et par la contrebande en passant par la Chine. Ces deux aiguières de bois laqué typiquement japonaises par leur décor ne le sont en rien par leur forme. Ce type de vase à long col au fin bec verseur est d'origine perse (Iran).Le destinataire de ces objets reste inconnu mais l'on sait que les aiguières furent montées à Paris telles que nous les voyons aujourd'hui, et qu'elles appartinrent successivement à Madame de Pompadour, puis à Marie-Antoinette.

 

Autre œuvre d'art, ce Colporteur (ci-dessous) fait d'ivoire d'éléphant, de diamants, d'or émaillé et d'argent doré. Certaines grandes foires du début du 18è siècle s'étaient spécialisées dans le commerce des objets de luxe, telle cette figurine d'ivoire montée en or et en diamant. Ce Colporteur fut sans doute acheté à Francfort (Allemagne) par Ana Maria Luisa de Medici, femme de l'Electeur palatin. Dans sa hotte, le personnage propose des marchandises exotiques, butin de la bataille navale de Vigo (Espagne) de 1702. Lors de cette bataille, Anglais et Hollandais prirent possession d'un convoi provenant d'Amérique à l'entrée d'un port de Galice. La cargaison, composée de tabac, argent et sucre, renfermait aussi des marchandises asiatiques arrivées au Mexique depuis les Philippines.

 

On admirera également un magnifique triptyque représentant le Christ en croix entre Saint François d'Assise et Saint Jérôme, la Vierge et Saint Jean. Originaire du Mexique (1530-1570), cet objet est constitué de plumes, de feuilles d'or, avec rehauts peints, bois et cuir. Réalisé dans les ateliers des religieux de l'ordre des Franciscains au Mexique au 16è siècle, ce triptyque rappelle, par sa forme et sa composition, son modèle, un triptyque peint flamand (Pays-Bas). Les premiers Franciscains ayant débarqué au Mexique avaient en effet été frappés par l'habileté technique et artistique des Aztèques dans l'art de la plumasserie, qui confectionnaient vêtements et boucliers revêtus de plumes multicolores parfois collectées jusqu'en Amérique centrale. Et les missionnaires d'appliquer à la plume la technique de la mosaïque européenne en découpant en unités de différentes couleurs, les plumes juxtaposées pour composer des tableaux capables de rivaliser par leur éclat et leur finesse avec la peinture.

Terminons ce tour d'horizon avec les paradisiers ou oiseaux du Paradis appelés « Kog ») originaires de Papouasie-Nouvelle-Guinée : cet oiseau, propre à la Nouvelle-Guinée est chassé pour ses plumes. On l'ouvre par le ventre, on retire la chair, les os et les pattes et on l'aplatit afin de mettre le plus possible ses plumes en valeur, avant d'utiliser les oiseaux naturalisés sur des coiffes de danse toujours d'actualité. Les premiers spécimens atteignirent l'Europe en 1522, à la suite du voyage de Magellan. L'absence de pattes sur les pauvres bêtes fit d'abord croire aux Européens que ces oiseaux naissaient ainsi, vivant sans jamais toucher terre. Ce n'est qu 'au 19è siècle, lors de la colonisation de l'île, qu'on s'aperçut de la réalité. Cela n'empêcha pas nos ancêtres de poursuivre l'achat des dépouilles de cet oiseau auprès des populations locales pour en faire commerce vers l'Europe ou l'Amérique.


 

 

INFOS PRATIQUES :

 

  • Exposition « Venus d'ailleurs – Matériaux et Objets voyageurs » jusqu'au 4 juillet 2022, au Musée du Louvre (Paris 1er), dans la Petite Galerie. https://www.louvre.fr/


 



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