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Exposition "Les Enfants de l'ère Meiji - A l'école de la modernité
(1868-1912)" (Maison de la culture du Japon, Paris, France)
Heure locale

Lundi 11 avril 2022

 

La Maison de la culture du Japon nous invite à découvrir l’exposition « Les enfants de l’ère Meiji. A l’école de la modernité (1868-1912)» jusqu’au 21 mai prochain. Cet événement se concentre cette fois sur un sujet original et peu traité jusqu’à présent en France, à savoir le portrait des enfants japonais qui ont grandi à la fin du 19ème siècle, à un moment clé de l’histoire du Japon, c’est à dire son ouverture à l’Occident. Quelques 140 pièces ont pour l’occasion été réunies dans le parcours : des ukiyo-e représentant des enfants, et d’autres destinés aux enfants. Des œuvres provenant de deux importantes collections japonaises, le Machida City Museum of Graphic Arts et le Kumon Institute of Education.

 

De 1868 à 1912, le Japon vit un tournant de son histoire. Une nouvelle ère, l’ère Meiji, succède à la politique d’isolement (sakoku) menée jusque là par le pays, lorsque l’empereur Mutsuhito (qui prendra lors de son accession au trône le nom posthume de Meiji) décide de faire basculer son pays d’un système féodal à un système industriel occidental, entrainant un bouleversement social, politique et culturel débouchant sur des innovations dans les domaines de l’industrie, de l’économie, de l’agriculture et des échanges commerciaux.

Un nouvel enseignement scolaire est progressivement mis en place afin de permettre de former les futurs citoyens pour les besoins de la modernisation du Japon. La tâche est immense car la jeune nation issue de cette Restauration de Meiji est un pays de jeunes et d’enfants. La population japonaise augmente de 45 % entre 1872 et 1912, triplant ainsi le nombre de naissances. Et avec bientôt un Japonais sur quatre de moins de 10 ans, l’enfant devient concrètement visible. A nouvelle famille, nouvelle école, nouvelle pédagogie et nouveaux enfants, même si l’avènement de l’« enfant écolier » généralement admis sous l’ère Meiji est à nuancer face à l’importance accordée à l’éducation familiale durant les années 1870-1880 en opposition à l’éducation scolaire et la non scolarisation d’un grand nombre d’enfants pour des raisons économiques ou familiales.

L’école devient pourtant obligatoire pour tous les enfants, garçons et filles, même ceux issus des classes populaires et les cours deviennent collectifs et en partie calqués sur le modèle occidental. Et c’est dans ce contexte qu’apparaissent les « estampes de brocart » éducatives destinées à la population enfantine, et, sur les murs de la classe, les planches illustrées. Ces estampes, apparues vers 1760, et appelées Nishiki-e (ou Edo-e) sont nées du talentueux Suzuki Harunobu, qui perfectionnera et popularisera ces estampes colorées. Vers 1873, le ministère de l’Education recommande la fabrication d’estampes comme soutien à l’éducation des enfants au sein du foyer familial. Les éditeurs privés suivent également cette démarche en produisant une grande quantité d’images sur la flore, la faune, les inventeurs célèbres ou les drapeaux des pays. En se penchant sur quelques estampes faisant partie d’une série éditée par l’Education en 1873 et intitulée « Pour favoriser l’éducation familiale des jeunes enfants », on découvre dans ces images une forte influence occidentaliste dans la présentation des notions, principes ou pratiques de base devant dorénavant constituer les savoirs et les conduites élémentaires des jeunes Japonais. On y relate entre autres la vie exemplaire de certains Occidentaux célèbres, les valeurs morales, ou les traits les plus marquants de ce que doit alors devenir la société nippone.

L’ouverture du Japon sur le monde extérieur accroit aussi l’intérêt des Japonais pour l’apprentissage des langues étrangères, et notamment l’anglais. De nombreuses écoles voient le jour et l’on assiste à une accélération de la publication d’estampes destinées à l’apprentissage de la langue anglaise.


 

Parallèlement à ces estampes, les « images-jouets » connaissent un regain d’intérêt durant l’ère Meiji. Nées à l’époque d’Edo (1603-1868), ces images, à la fois bon marché et faciles à se procurer dont très appréciées par les classes populaires. Elles représentent des poupées à habiller, des cerfs-volants ou des planches de constructions à assembler... Autant d’illustrations aux couleurs vives qui rappellent dans une certaine mesure nos images d’Epinal. Ces images-jouets s’avèreront souvent la toute première expérience de jeu et d’étude, voire une ouverture vers un monde jusqu’ici inconnu pour bon nombre d’enfants .

Troisième image présentée dans cette exposition : l’estampe de genre qui prend ici pour sujet la vie des enfants. Plusieurs œuvres de ce type sont visibles sur place. Elles sont signées de quatre maîtres de l’estampe : Yoshu Chikanobu, Ogata Gekko, Miyagawa Shuntei et Yamamoto Shôun. Actifs sous l’ère Meiji, ces quatre artistes reflètent parfois la nostalgie croissante pour l’époque Edo au moment où nait un mouvement nationaliste opposé à l’occidentalisation. On peut ainsi admirer des scènes représentant des enfants en kimono s’adonnant à des jeux d’autrefois, tandis que d’autres estampes reflètent une période où le monde du jeu s’est lui aussi transformé, grâce à l’introduction de jouets et de jeux de société occidentaux. Ce monde encore proche de celui d’Edo, qui apparaissait comme le « Paradis des enfants » aux yeux des Occidentaux s’étant rendus sur place dans les années 1880, évoluera rapidement à partir des années 1900.


 

Une observation attentive de la date de publication des estampes, c’est à dire l’année 1873, nous apprend que la redéfinition du statut et du rôle de la femme et de l’enfant, tout comme celle de la famille en tant que lieu d’éducation seront au cœur des préoccupations des nouveaux dirigeants japonais, dès les années qui suivirent la Restauration impériale. Et d’insister soudainement sur les défauts de l’époque d’Edo (ancienne famille trop élargie, laquelle ne remplissait pas forcément son rôle éducatif, d’où un accès à l’instruction des enfants aléatoire et inégalitaire selon les couches sociales d’origine où de la proximité ou pas des écoles...). Il est vrai que la première chose qui va agir sur le statut de l’enfant durant l’ère Meiji sera l’apparition d’une structure familiale resserrée.

Une première date importante est l’abolition des quatre statuts sociaux en 1871, qui met fin à la distinction entre guerriers, paysans, artisans et commerçants, et donc aux différences de traitement entre les progénitures de ces quatre classes sociales. Avant, on était « enfant de... », désormais on est un enfant tout court. Cette disparition des statuts sociaux entraine de facto le libre choix d’un métier (et celui d’en changer). Et l’émancipation de cette famille resserrée de la tutelle communautaire (conseils de village, système des organisations de voisinage...) de voir celle-ci perdre peu à peu une partie de l’indépendance nouvellement acquise au profit de l’Etat, et ce, dès le début des années 1880. L’ère Meiji impose alors la promotion idéologique (en 1889), puis juridique (le Code civil est promulgué en 1898), et aussi une Famille nouvelle, fondement majeur de la Nation à travers l’idéologie Etat-Famille et de l’image d’un empereur devenu « père de la famille Japon ».

La mise en place d’un système éducatif national et l’obligation scolaire (mal respectée les premières années) feront aussi des « enfants de leurs parents » ceux de la Nation. Et le Japon de considérer l’enfant (à travers ses succès scolaires par exemple) comme un futur vecteur de puissance économique et d’assise internationale pour l’Etat.En effet, dès le début de l’ère Meiji, le Japon change, avec des enfants toujours plus nombreux, et un nouveau regard est porté sur l’enfance, laquelle fait l’objet d’une politique particulière dans le processus de la nouvelle société nippone naissante.


 

L’exposition présentée comporte cinq volets :

 

  • Prologue : Bienvenue dans le Japon de Meiji !

 

On assiste, au début de cette nouvelle ère, à un nouveau départ pour ce pays qui s’engage sur la voie d’un Etat moderne. Les Japonais, de plus en plus fascinés par la culture occidentale représente celle-ci dans des estampes. La ville d’Edo prend bientôt le nom de Tokyo et se modernise, avec voies ferrées, bâtiments de style occidental et gens vêtus à l’européenne... Les estampes présentées dans cette section dévoilent une ville qui se transforme au contact d’une nouvelle culture, ainsi que ses habitants.

Les estampes ukiyo-e de cette exposition ont pour cadre Yokohama et Tokyo : le port de Yokohama qui s’ouvre rapidement au commerce international et les étrangers qui s’y rendent impressionnent les Japonais. Quant à Edo, elle change de nom et devient Tokyo, « Capitale de l’Est ». Et la modernisation de la société japonaise (bunmei kaika) de prendre une place grandissante.

Les estampes, elles, reflètent les modes de l’époque, comme cette image-jouet « Toutes sortes d’enfants flânant » (Utagawa Yoshifuji) (ci-dessous) avec ses scènes détaillées empreintes d’humour. Une autre estampe (disponible dans l’album photos) représente l’empereur Meiji, l’impératrice consort et le prince Yoshihito, admirant les cerisiers en fleurs dans le parc d’Asuka. Coiffures et robes à l’occidentale tranchent avec le paysage d’arrière-plan, mais cette œuvre de Yoshû Chikanobu n’est là que pour représenter la famille impériale qui occidentalise progressivement sa façon de vivre.


 

  • Apprendre avec les estampes

 

Cette section est consacrée à l’enseignement et aux estampes utilisées comme support pédagogique. Lorsqu’en 1872, le gouvernement établit un nouveau système d’enseignement, les « terakoya », petites écoles privées, cèdent la place aux écoles inspirées du style occidental. La scolarisation (obligatoire) des filles et des garçons augmente, au même titre que l’apprentissage de l’anglais. Apparaissent aussi des estampes aux illustrations instructives et divertissantes sur divers sujets (flore, drapeaux du monde entier, vies d’Occidentaux célèbres, traités de morale...)

Avec l’ère Meiji, le système de division de la société en quatre classes disparaît pour permettre la réussite sociale due aux efforts et aux compétences de chacun d’être encouragée. L’enseignement scolaire désormais rendu obligatoire remplace l’enseignement individuel des petites écoles privées (terakoya). Les cours, collectifs reposent sur un programme établi et l’instituteur utilise les estampes éducatives comme support visuel aux matières enseignées. Il fait son cours devant une planche murale illustrée et interroge les élèves (ci-dessous).

De nombreuses sortes d’estampes sont également vendues dans les boutiques des villes, qui reproduisent en petit format les planches murales scolaires. Les zukushi-e (c’est leur nom!) réunissent sur une même feuille plantes, animaux... Celles consacrées à l’anglais sont très recherchées car cette langue devient incontournable pour qui veut s’ouvrir à l’Occident et à la modernité. Ainsi, le « Manuel de lecture en anglais » (Shôsai Ikkei) connait-il un grand succès. Pendant les derniers jours du shogunat des Tokugawa et au début de l’ère Meiji, le Japon importait des « lidâ » (transcription phonétique de reader), des manuels de lecture venus d’Europe ou des Etats-Unis destinés aux petits Japonais. L’estampe ci-dessous comporte dans sa partie droite une image gravée destinée à illustrer le texte anglais (de gauche)


 

 

  • S’amuser avec les estampes

 

Les « estampes-jouets » équivalent à nos jeux de société et aux maquettes en carton d’aujourd’hui. Il existait alors toutes sortes d’images-jouets, mais également des estampes de récits (monogatari-e) représentant d’adorables animaux, des héros justiciers et des fantômes invisibles...Ces estampes permettaient à l’enfant de stimuler son imagination et d’acquérir des connaissances tout en s’amusant. La première partie de cette section montre des estampes destinées à être manipulées comme de vrais jouets, à l’exemple des sogoroku (sorte de jeu de l’oie), des images pliables, des poupées de papier à habiller ou des planches d’objets à construire. La seconde partie met à l’honneur des personnages aimés des enfants (dont des chats et des souris), parmi lesquels d’étranges créatures fantastiques (Momotarô, Kintarô et Urashima- tarô). En 1885, la publication des vingt volumes des Contes du vieux Japon, en plusieurs langues, rendra célèbres ces personnages, y compris à l’étranger.

D’autres livres miniature (mamehon), déjà existant sous Edo, restent à la mode sous l’ère Meiji. Il s’agit de petits contes spécialement conçus pour les enfants, aux couleurs vives et dans un format minuscule. Facilement transportables, ces petits livres deviendront populaires chez les enfants de classes ordinaires.

Une autre image-jouet reste très populaire auprès des enfants: l’estampe « Poupées en papier avec leurs vêtements » est composée de trois poupées nommées « Boya », « Omasu-san » et « Kin-chan », avec leurs différentes tenues. L’ensemble comprend des éléments caractéristiques de l’ère Meiji (dont un « vêtement occidental » qui reconstitue un uniforme militaire).

L’image-jouet « Nouveauté : Kinoe-ne Onsen ou le Bain des souris » (Utagawa Kunimasa) en photo ci- dessous permettait aux enfants d’apprendre dès le plus jeune âge les bonnes manières à adopter dans les bains publics. Après avoir franchi le rideau de l’entrée, en bas de l’image (ci-dessous), puis retiré ses chaussures, on pénètre dans l’établissement de source thermale...pour souris ! On voit d’abord l’une d’entre elles se laver sur l’estrade, puis une maman souris entre dans le bain avec son bébé dans les bras... Autre détail : le maillet magique figurant sur le rideau de l’entrée et au-dessus du grand bassin, est censé exaucer tous les vœux.


 

  • Regards sur l’enfance

 

Yoshu Chikanobu, Ogata Gekko, Miyagawa Shuntei et Yamamoto Shôun, les quatre maitres de l’estampe actifs durant l’ère Meiji sont célèbres pour leurs remarquables représentations d’enfants réalisées avec une grande finesse à partir de la gravure sur bois. Ce genre d’ukiyo-e, qui représente des scènes de la vie quotidienne d’enfants du peuple est populaire à l’époque Edo et porte le nom de kodomo-e. Certaines d’entre elles contenant le titre en alphabet ont été depuis exportées à l’étranger et séduit de nombreux collectionneurs et artistes occidentaux.

L’estampe « L’écriture » (ci-dessous) réalisée par Yoshû Chikanobu, appartient à une série de 36 images publiée de 1897 à 1898 qui représente le buste de femmes de conditions diverses et d’âge différent. Cet ensemble de gravures est sans aucun doute l’une des plus grandes réussites de l’artiste dans le domaine des « peintures de beauté » (bijin-ga) de l’ère Meiji. On admirera tout particulièrement les portraits individuels de petites filles d’une grande rareté pour l’époque. Sur la gravure présentée ici, on remarque une petite fille qui apprend à écrire, assise devant une table. Elle porte la coiffure courte typique de l’enfance depuis l’époque Edo.

Miyagawa Shuntei, lui, s’est spécialisé dans les représentations d’enfants et « d’images de belles femmes ». En 1896, et à 23 ans seulement, il édite « Coutumes & Manières des enfants », un album rassemblant 48 estampes illustrant des enfants s’adonnant à tous les jeux et distractions possibles, le tout dans des tons pastels et des lignes sobres.

 

 

  • Epilogue : le Japon vu par Georges Bigot

 

L’exposition s’achève sur quinze eaux-fortes de petit format de Georges Bigot, artiste français qui représenta le Japon moderne en pleine métamorphose. L’homme arrivé au Japon en 1882, restera dans l’archipel dix- sept années durant, tout en portant parfois un regard critique sur la modernisation de ce pays.

En fait, c’est à Paris que l’artiste découvrira l’art japonais, à une époque où le japonisme battait son plein. Ses œuvres dépeignent le vieux Japon qu’il aime et qui n’a pas encore complètement disparu. L’occasion pour le visiteur d’admirer un portrait vivant du Japon d’autrefois. On y voit une eau-forte de 1883, «0-Ha-Yo- Ecoliers » (ci-dessous), tirée du second album d’eaux-fortes édité par Georges Bigot après son arrivée au Japon. L’album se concentre sur les habitants des villes et saisit sur le vif toutes sortes de Japonais, acteur de « l’ouverture à la civilisation ». Sur cette gravure, on reconnaît des enfants en route pour l’école, avec, au premier plan, un garçon d’un pantalon large (hakama) suivi d’une fille portant un kimono et une ombrelle japonaise. Les enfants (excepté ceux des classes supérieures) ne commenceront à s’habiller à l’occidentale que vers la fin des années 1890.


 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Les enfants de l’ère Meiji : A l’école de la modernité (1868-1912) », jusqu’au 21 mai 2022 à la Maison de la culture du Japon à Paris, 101 bis, quai Branly, à Paris (15è). Tél : 01 44 37 95 00. www.mcjp.fr
  • Catalogue de l’exposition. 192 pages et 28€.

     

 



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