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Exposition "Des Costumes pour lire le Monde, 1770-1915"
(Musée des Cordeliers, Saint Jean d'Angely, Charente-Maritime, France)
Heure locale

 

Lundi 1er mai 2023

 

Si l’habit ne fait pas le moine, les vêtements sont un moyen effectif de situer les désirs et les dominances des femmes et des hommes qui les portent. L’exposition « Des costumes pour lire le monde, 1770-1915 » met ainsi en relation les costumes des campagnes et ceux des villes, en suivant un ordre chronologique qui va de la fin du 18ème au début du 20ème siècle.

 

Au XVIIIème siècle, il n’y avait pas de périodiques pour présenter les derniers modèles des couturiers, ni de catalogues illustrés indiquant le prix des tissus. Et pourtant,le costume fait déjà l’objet de toute une histoire : les formes nouvelles ne se discutaient alors que dans les salons, et des poupées de cire servaient à propager en province et à l’étranger les modes de Paris. Ces dernières trouvaient même grâce devant les belligérants qui leur accordaient un sauf-conduit durant les guerres.

A l’époque, les modes françaises, qui sont surtout celles de la noblesse, occupent une place considérable en Europe. Partout, on s’inspire de nos tenues vestimentaires et on les imite, même si une influence anglaise se fait jour à la fin du XVIIIème. Colbert ne dit-il pas un jour que « La mode est à la France ce que les mines du Pérou sont à l’Espagne » ? Il est vrai qu’au 18ème, la mode française réfléchissait les attitudes sociales et politiques, les arts, la richesse et la classe sociale des gens.

A l’attitude rigide, solennelle et endeuillée du roi Louis XIV, la gaieté de Louis XV va de pair avec les pastels, la lumière et une certaine liberté d’esprit. C’est l’époque de la Régence et du Rococo. Les tissus doux et les motifs à fleurs gagnent en popularité, permettant l’éclosion de styles élégants, doux et féminins. Progressivement, les styles de vêtements deviennent moins chargés et les tissus plus précieux.

 

L’article de première nécessité pour les hommes est le costume: on enfilait d’abord un justaucorps, des culottes courtes et une longue veste (parfois agrémentée d’un jabot blanc). La veste était généralement très ajustée en haut puis s’évasait du corps dans sa partie basse pour descendre jusqu’au genou. Les manches, elles, étaient ornées de galons. La chemise se porte avec un gilet aussi long que la veste à boutonnage serré et des poches basses. Ces messieurs enfilaient des bas de soie (bas colorés pour les plus riches) sous les culottes serrées. Quant à la coiffure, elle consiste en des rouleaux de cheveux couvrant les oreilles, une coiffure si élaborée que certains remplacent par le port de la perruque.

Le style de vêtement ne diffère pas réellement entre les classes économiques et sociales et ces classes se distinguent alors par les tissus portés. Aux plus riches les soies, brocarts et velours pour les costumes, et aux paysans la laine et le coton.

Les femmes adoptent de leur côté une mode plus informelle, avec une forme de robes plus naturelle. Comme pour les hommes, c’est par le tissu que l’on différencie les vêtements d’une femme riche et la tenue d’une femme modeste.Pendant la plus grande partie du 18ème siècle, les dames portent des robes flottantes, la plupart d’entre elles étant à taille basse. Sous la robe, on trouvait un corps baleiné et des jupons. Les corsets étaient aussi indispensables pour obtenir une petite taille et pour maintenir la forme des corsages. Comme Louis XV, les femmes riches utilisaient des tissus de luxe pour leurs robes (satin, taffetas, velours et soies) tandis que les bourgeoises faisaient usage de coton et de laine à cause du port de jupons rigides au lieu de paniers. Quant aux robes des paysannes, de style plus grossier, elles conservent la même forme fondamentale. Sans exception, tout le monde essaie d’être à la mode et les gens imitent tous le style de la cour, toutes classes confondues.


 

L’exposition présente dans le même temps des costumes de femmes, d’hommes et d’enfants, dans l’espace sur des mannequins, ainsi que d’autres éléments exposés sur les murs comme des châles, des tabliers, des chapeaux, des cages de crinoline...

Le parcours met en relation la mode globale (celle du pouvoir central conduit par le roi, puis celle de la puissance économique) avec des pratiques locales résistant de moins en moins aux modèles des villes et de l’industrie. Il comprend les étapes suivantes :

 

Ruptures d’un monde, fin 18ème

Avant la Révolution, c’est le roi et la cour de Versailles qui font la mode. Certaines princesses disposent ainsi de plus de cent robes d’apparat, dont la robe à la française, fleuron de la silhouette féminine, qui sera bientôt concurrencée à la fin du siècle par la robe à l’anglaise arrivée d’outre Manche. Cette dernière, élément du costume féminin du 18ème siècle comporte dans le dos des plis à partir de l’épaule, permettant d’avoir un corsage près du corps et du volume au niveau de la taille. Ouverte sur le devant, pour valoriser un jupon assorti ou de couleur différente, elle comporte aussi des manches qui s’arrêtent aux coudes.

Les hommes s’habillent tout autant que les dames et le justaucorps devient l’habit à la française, qui laisse voir le gilet au devant.

Les campagnes, elles, suivent de loin et avec retard la mode des puissants. Les costumes de sortie des villageois, qui durent parfois toute une vie, possèdent une coupe similaire aux modèles globaux mais sont réalisés à partir de tissus tissés localement.

La Révolution française contribue également à bouleverser les costumes. Ces derniers deviennent des marqueurs politiques, à l’exemple du sans-culotte: avant la révolution, le « sans-culotte » désigne tout homme qui ne porte pas la culotte courte, avec des bas, mais un simple pantalon. Ce citoyen-là est prêt à verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la République. Il garde sur lui son sabre pour fendre les oreilles aux malveillants mais reste mobilisable à chaque instant lorsqu’il s’agit de défendre son pays.

A la même époque, le corps des femmes se libère grâce à l’impudique robe colonne qui symbolise le retour à l’antique.


 

Les femmes, corps libéré, corps capturé, de 1800 à 1840

Sous Napoléon, la mode est comme l’Empire, au cœur de la puissance affirmée de la France. Après la libération révolutionnaire, le corps des femmes est à nouveau contraint par le corset. Ce carcan modifie du tout au tout la silhouette : la taille, située sous les seins sous la Révolution redescend et se veut de plus en plus fine. Les robes retrouvent leur ampleur et les jupes s’évasent.

En province, chacun aspire à imiter les puissants mais la bourgeoisie qui dispose de plus de richesses que les paysans adopte plus rapidement le modèle global. Au final, la paysannerie suit moins que d’autres la mode parisienne car les sentiments d’appartenance au groupe sont plus développés au sein des villages.

 

Les hommes, du dandy au notable, de 1800 à 1840

Au 18ème siècle, les aristocrates disposaient de costumes polychromes et somptueux, tandis que les bourgeois du 19ème siècle étaient vêtus de couleur sombre ou noire, correspondant à l’austérité de leurs affaires, à la rigueur de l’éthique protestante et au souci de ne se préoccuper que du capital et du travail. On assiste alors au renoncement des hommes à la toilette, et c’est d’Angleterre que vient la mode des dandys, pour qui on ne se distingue pas par l’apparence mais par soi-même.

Dans les villages, on gagne un peu en aisance mais pas au point de changer de costume constamment. Par contre, les foires et les marchés proposent des chutes de tissus luxueux que les couturières utiliseront afin d’embellir les gilets des messieurs.

 

Crinolines, cages et bourrelets, de 1840 à 1870

La robe à crinoline, grand succès du Second Empire, contraint fortement le corps, est incommode à porter, mais fait de la femme une sorte d’idole éblouissante et donne une image idéale de la beauté soumise. Il s’agit là d’une véritable machinerie installée sur le corps des femmes pour en faire un instrument de séduction et une barricade de protection.

Les villageoises, dont la fascination pour la mode des villes ne cesse d’augmenter, vont bientôt copier la robe à crinoline, de façon non conforme, juste pour faire semblant. Elles vont en effet adopter le bourrelet tout autour de la taille pour élargir leurs jupes. Peu à peu, les traces d’appartenance régionale disparaissent, et le dimanche, les plus riches sortent l’habit noir pour l’homme et la crinoline pour la femme.

 

La vie plus vite, de 1870 à 1915

Avec la révolution industrielle, le profit est désormais érigé en valeur première. Il convient donc de renouveler ses achats pour suivre les dernières tendances de la mode, tous les deux à trois ans, en disant tout et son contraire. Et le costume de devenir de plus en plus insignifiant.

Le succès des maisons de couture libère les talents des créateurs de mode, même si quelques décennies seront nécessaires avant que le vêtement ne traduise plus simplement la beauté du corps des femmes. En attendant, plusieurs silhouettes vont contribuer à de nouvelles modes changeantes, jusqu’à ce que les créateurs de mode suppriment une fois pour toutes le corset de leurs collections au début du 20ème siècle.

 

L’exposition qui occupe toute la salle temporaire du musée affiche chaque module à l’aide de gravures d’époques sur une dizaine de panneaux d’interprétation, avant de se prolonger sur les deux autres niveaux du musée en se mêlant notamment aux collections permanentes du mobilier. Des cartels décrivent aussi certains des costumes exposés, tandis que quatre séquences vidéo permettent d’en apprendre davantage sur la structure des costumes et de leurs dessous.

Au total, trente costumes complets sont présentés dans l’espace avec leurs accessoires, une vingtaine d’éléments comme des blouses, des gilets, des corsets et corselettes, des chemises et des vastes... et une dizaine d’ensembles présentés sur les murs de la salle (châles, fichus, jupes, mouchoirs de cou, chapeaux et pièces d’estomac).

Les jeux de la mode ont généré des costumes d’une grande richesse et l’exposition s’appuie sur trois collections dont l’inventaire atteint plus de 3000 items (costumes et accessoires) sur la période considérée. La collecte des costumes, qui dure depuis plus de trente ans, a tout particulièrement été effectuée dans le Sud-Ouest (Poitou-Charentes). Deux costumes en provenance du musée des Cordeliers sont aussi présentés, dont celui de Jacques Delille.

 

Revenons sur le costume de Jacques Delille, né à Clermont-Ferrand en 1738 comme fils naturel d’un avocat. Après des études brillantes à Paris, il publie en 1769 une traduction des Géorgiques de Virgile, qui est saluée par Voltaire. Cela lui vaudra d’obtenir une chaire au Collège de France puis d’être élu à l’Académie française.

Grâce au comte d’Artois, Jacques Delille est nommé abbé commendataire de l’abbaye de Saint-Séverin sur Boutonne, près de Saint-Jean-d’Angely. Bientôt parrain de Marguerite-Henriette, la fille de son agent Fromy-Beaupré, il abandonne à ce dernier ses menus objets dont un de ses costumes au moment de la Révolution française.Ce costume est parvenu jusqu’à nous grâce à la famille Audouin-Dubreuil qui en fit donation à la Société d’archéologie, pour son musée naissant. Il s’agit là d’un témoignage émouvant de l’habit d’un intellectuel d’alors, de petite fortune mais bien connu à Paris.


Pour ceux qui voudraient prolonger la visite de cette exposition,un livre « Des costumes pour lire le monde » a été publié pour l’occasion. En plus de la chronologie des costumes et de leur évolution, on y trouve plusieurs chapitres permettant d’étoffer sa réflexion sur le thème traité :

 

Un chapitre « Local, global, les figures de l’ici et d’ailleurs » aborde des exemples de globalisations antérieures en précisant comment se joue la manière de vivre et de penser le monde à partir des costumes.

 

« S’habiller, le désir et la mode » s’interroge sur les méandres cachés du désir, et comment la mode se les approprie.

 

« Le pouvoir, ou l’image désirable » décrit l’évolution de la figure au centre des désirs, de l’idole au roi, puis des pouvoirs plus disséminés après que les idées des Lumières eurent travaillé la société.

 

« L’économie à l’oeuvre » détaille la puissance industrielle et ses effets en cascade sur l’univers des costumes.

 

Enfin « Le temps du patrimoine » questionne sur la nécessité de la mémoire culturelle et sur son efficacité.

 

L’ouvrage de 248 pages (et 260 visuels en couleurs) renferme également des focus thématiques détaillant tel ou tel aspect lié aux costumes (le pastel et l’indigo, motifs des châles et des fichus, décors des pièces d’estomac, tabliers, broderies et dentelles) et un glossaire des termes liés aux costumes, une bibliographie détaillé et un index.

 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Des costumes pour lire le monde, 1770-1915 », jusqu’au 17 septembre 2023, au Musée des Cordeliers, 9 rue Regnaud, à Saint-Jean-d’Angely (17). Entrée gratuite.
  • Ouvrage « Des costumes pour lire le monde. 1770-1915 » d’Annick Georgeon, Monique et Rémy Prin (Editeur Parole et Patrimoine) est disponible au prix de 39€ au musée, auprès du site www.parole-et-patrimoine.org ou sur commande chez les libraires et sur certains sites de vente en ligne.







 



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