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Exposition "Objectif mer: l'Océan filmé"
(Musée national de la Marine, Paris, France)
Heure locale

 

Lundi 22 janvier 2024

 

A l’occasion de sa réouverture en novembre dernier, le Musée national de la Marine présente l’exposition « Objectif mer : l’océan filmé », une exposition dédiée à la mémoire de Jacques Perrin, visible jusqu’au 5 mai 2024. Pour cet événement inaugural, le public est convié à un voyage vivant au cœur de l’iconographie merveilleuse et mouvementée du cinéma maritime. Un voyage poétique et surprenant, en compagnie de plus de 300 œuvres (costumes, affiches, peintures, machines, objets, photographies et extraits de films) en provenance pour la plupart de la Cinémathèque.

 

Cette exposition, qui révèle l’importance de la mer dans l’imaginaire du 7ème Art, comporte quatre parties :

 

La Mer en lumière

La mer est en effet l’une des premières sources d’inspiration du cinéma, avant même son invention officielle. Le 17ème siècle regorge de vues maritimes avec tempêtes et batailles dans les spectacles de lanterne magique tandis que les vues d’optique de l’Ancien Régime mettent en scène horizons lointains et mers démontées avec des effets lumineux spectaculaires.

Dès la fin du 18ème siècle apparaissent les premiers panoramas traitant de sujets maritimes, et le 19ème siècle nous gratifiera des premiers chercheurs en photographie qui rêvent d’immortaliser les vagues qui se brisent. Ainsi, en 1891, le savant Etienne-Jules Marey filme t-il sur pellicule une autre vague, succession d’images de la mer Méditerranée se brisant sur les rochers de la baie de Naples. De son côté, Emile Reynaud met au point en 1888 un Théâtre optique lui permettant de projeter six ans plus tard un long film peint, « Autour d’une cabine, les aventures d’un voyeur sur la plage d’Etretat ». En 1895, le cinématographe Lumière se lance à son tour et fixe son objectif sur les océans.

 

La mer n’est-elle pas l’un des trois thèmes favoris abordés par les arts (en peinture et en littérature notamment) et par la presse ? Avant la démocratisation des bains de mer et de l’accès au littoral, représentations et récits maritimes jouissent d’une grande popularité.

Les peintres et les dessinateurs romantiques, eux, s’inspirent de la nature imprévisible, sauvage et dangereuse de cette mer ténébreuse chez Victor Hugo, changeante chez Gustave Courbet, lequel la voit tour à tour joyeuse, triste ou furieuse.

Quant aux journaux qui font des naufrages et des récits catastrophes d’explorations leurs choux gras, ils connaissent un succès durable.

Les 18ème et 19ème siècles seront riches en inventions permettant aux spectateurs de s’évader sur les mers lointaines : lanternes magiques, boites et jouets d’optique, panoramas et dioramas participent à l’essor du cinéma maritime.

L’Exposition universelle de 1900 confirmera cet attrait pour l’élément marin, avec le Navalorama du peintre Louis Gamain (qui exploite les vues maritimes), le Maréorame du peintre Hugo d’Alesi, qui reconstitue le pont d’un navire depuis lequel le spectateur pouvait contempler d’immenses paysages maritimes.

Bientôt, la mer devient sujet d’étude, jusqu’à nourrir les travaux des courants réalistes et naturalistes qui considèrent le monde maritime comme prometteur scientifiquement. La naissance de la chronophotographie ( prise de vues sur pellicule), technique révolutionnaire mise au point en 1889, par le savant Etienne-Jules Marey, va pour la première fois imprimer un mouvement au film »locomotion aquatique » grâce à une caméra inventée par ce même savant.

 

La Mer documentée ou mer rêvée ?

Le 19ème siècle ouvre bientôt des perspectives de recherche illimitées d’où l’intérêt grandissant pour cette mer pleine de promesses, en tant que source d’études. En effet, les fonds marins, pratiquement inconnus, recèlent des mystères confinant au fantasme où l’infiniment grand côtoie l’infiniment petit.

On assiste alors à l’apparition d’entreprises expérimentales comme l’expédition des frères Williamson qui utilisent une sphère rendant possible la prise de films sous-marins dès 1916, ou encore le scaphandre autonome de Jacques-Yves Cousteau dans les années 1940. Autre contrainte, celle de la pression que des outils comme le caisson Aquaflex ou la caméra de Rebikoff contribueront à gérer, permettant ainsi de filmer plus longtemps et plus encore en profondeur.

Ces expéditions sont d’autant plus précieuses qu’elles ouvrent sur des découvertes majeures en matière de faune et de flore, mais aussi en géologie et dans la connaissance des habitants de ces contrées lointaines encore méconnues des Occidentaux. Citons à titre d’exemple les campagnes de Robert Flaherty dans la baie d’Hudson.

Le cinéma met alors en lumière la vie des gens de mer avec poésie comme Jean Epstein qui mêle légendes traditionnelles et mysticisme à sa démarche réaliste. Une double approche qui permet la naissance des chefs-d’oeuvre comme « L’or des mers » (1933) ou « le Tempestaire » (1947).

Temps fort de cette seconde partie, le film « Windjammer » qui retrace, en 1958, le voyage du bateau norvégien Christian Radich, à l’aide du Cinérama, un procédé inventé par Fred Waller qui consiste en trois projecteurs de film 35 mm sonore, permettant d’offrir sur un écran courbe de très grandes images panoramiques. Ces trois projecteurs (ci-dessous en photo) sont désormais les seuls complets à subsister en Europe dans une collection publique, en l’occurrence à la Cinémathèque Française de Paris.


 

Mer et aventure humaines

Les années 1920 et 1930 voient l’arrivée de films maritimes émanant des grands studios américains,des productions teintées de romanesque et dont les scénarios s’appuient parfois sur des faits et récits anciens. Parmi les thèmes abordés, on retrouve la fureur des hommes, l’amour ou la haine, la vengeance, la passion de la liberté, la soif de pouvoir et la politique. Et les vaisseaux de l’Ancien Régime et du Premier Empire d’être reconstitués à grands frais avec plus ou moins de réalisme, rendant possible un nouveau genre cinématographique très populaire, à savoir le film de pirates.

C’est que la mer émerveille... et effraie tout autant. Au cinéma, celle-ci évoque l’effroi, la sidération, la lutte pour la vie, la passion violente, l’amour, la politique, l’horreur et de croissantes inquiétudes écologiques. Symbolisant à la fois la liberté et la fragilité, en dépit de l’image impitoyable qu’elle offre tant par sa masse extrême que par sa sauvagerie.

Elle constitue donc le cadre idéal pour évoquer la révolte humaine contre l’ordre et l’oppression. Dans ce cinéma de pirates, les sujets féminins, issus (ou pas) de classes aisées y tiennent un rôle essentiel. Pirates et marins révoltés incarnent également les dangereuses et laborieuses conditions de vie à bord, auxquelles se rajoutent le manque d’hygiène et les maladies, autant d’éléments qui rendent l’issue du voyage incertaine. Forçat des mers, le mutin est la figure sœur de l’ouvrier en lutte contre sa condition.

Le film « Les Révoltés du Bounty »(1962) évoque bien l’utopie politique et le fonctionnement des marins lors des traversées où prédomine un ordre social démocratique et une société autogérée.

Cette troisième partie aborde aussi les grandes histoires et les batailles navales : le film d’aventures maritimes ne s’inspire t-il pas largement de l’Histoire ? Il permet, une fois le récit cadré dans un espace confiné (le navire) sur un élément sans limites (l’océan) d’exprimer les évènements de façon panoramique tout en offrant des scènes plus intimes autour de l’équipage et d’amitiés (à prédominance masculine) à bord. Quant aux films de batailles navales, ils servent souvent la cause patriote ou propagandiste, louant la bravoure des marins lors des conflits et affichant une image d’unité nationale et de cohésion sociale.

 

Autre thème abordé : les damnés de l’océan. A travers la vie difficile des marins, l’étrange atmosphère des ports, les trafics divers et la prostitution dans les bars aux alentours, les cinéastes trouvent l’inspiration nécessaire pour produire des films à succès comme « Le Quai des brumes » (1938) de Marcel Carné, « Les Damnés de l’océan » (1928) ou encore la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol (Marius, Fanny et César) qui marque l’irrépressible désir de départ et la tragédie qui s’ensuit.

Enfin, le huis clos s’impose comme une thématique récurrente des films maritimes évoquant un paradoxe, celui de l’emprisonnement des personnages dans l’étendue illimitée des océans. Les protagonistes affrontent leurs angoisses tandis que leurs actes les engagent dans une forte dépendance aux autres. Les films de sous-marins, qui ont majoritairement le conflit pour toile de fond, ont leurs propres caractéristiques. L’équipage y joue un rôle central, positif mais instable, avec un risque constant de mutinerie. L’extérieur, lui, incarne l’ennemi et le danger amplifié par la profondeur de l’océan et l’invisibilité de l’ennemi.

Le Titanic fait l’objet d’une attention spéciale, à la hauteur de cette catastrophe maritime survenue en 1912. A l’époque, le naufrage n’a pas pu être filmé mais le cinéma s’emparera du sujet, à des périodes différentes : le cinéma forain d’Ernest Grenier annonce sur une de ses affiches la projection du film allemand « Titanic » dès 1912, et plus de 80 ans plus tard, c’est le film « Titanic » de James Cameron, qui sortira en 1997, et connaitra un succès phénoménal, douze années durant, en termes de recettes et de fréquentation. Juste retour des choses pour cette production la plus chère du monde, qui sera récompensée par onze oscars. Pour l’occasion, le public découvre la caméra sous-marine spécialement conçue par Panavision, pour le tournage de cette superproduction, et à partir de la caméra allemande Arriflex 35 II.

 

La Mer déchainée

Le cinéma permet à tous de visiter les fonds merveilleux ou cauchemardesques des océans, de voyager sur les mers et à toutes les époques, voire de ressusciter pirates, corsaires et mutins, ou encore d’être confiné dans un sous-marin ou sur une île hostile, pourchassé par un mégalodon préhistorique.

A travers la baleine de Moby Dick de Herman Melville, ou la pieuvre des Travailleurs de la mer de Victor Hugo, la littérature s’est chargée de remettre l’homme à sa juste place face à ces monstres marins. Le cinéma, lui, a pris le relais en exploitant avec succès ce thème, aidé d’effets spéciaux, et en produisant des films effrayants comme celui de Richard Fleischer en 1955, « Vingt mille Lieues sous les mers ».

De leur côté, les requins ne sont pas en reste et tiennent (injustement) le triste premier rang de l’épouvante depuis 1975, année de sortie du film « Les Dents de la mer ».

Cette dernière partie de l’exposition se penche aussi sur ces mondes engloutis des abysses et de l’Atlantide, mais également sur le monde maritime fantasmagorique et féérique de Georges Méliès qui tournera pas moins de 520 titres entre 1897 et 1913, dans son studio vitré de Montreuil en utilisant des trucages. Dans « Entre Calais et Douvres » (1897) on assiste au tangage d’un bateau, puis un an plus tard, on découvre la pseudo épave du cuirassé le Maine. En 1907, Méliès livre « 200 Milles sous les mers » avec épaves, grottes, fantastiques, coquillages géants, nymphes, monstres marins, reine des étoiles de mer, sirènes, naïades, naufrage de sous-marin, crabes gigantesques, hippocampes, pieuvres...

 

Jacques Perrin, à qui le Musée national de la Marine dédie cette exposition, fait l’objet d’un hommage particulier : co-réalisateur (avec Jacques Cluzaud) du film « Océans » entre 2004 et 2009, il obtient en 2011 le César du meilleur film documentaire. Engagé pour la protection des mers, ce film rassemble un panel de scientifiques connus et comporte des vues prises à travers le monde entier et tournées en haute définition, dans des conditions parfois extrêmes.



INFOS PRATIQUES

  • Exposition « Objectif mer : l’Océan filmé », jusqu’au 5 mai 2024, au Musée national de la Marine, Palais de Chaillot, 17 place du Trocadéro et du 11 novembre, à Paris (16ème)

  • Catalogue Objectif mer:l’Océan filmé, 320 pages environ. 39€










 



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