Lundi 18 mars 2024
Jusqu’au 27 mai prochain, le Château de Chantilly nous invite à découvrir sa dernière exposition virtuelle intitulée « Bestiaire médiéval, Trésors du Cabinet des Livres ». Celle-ci porte sur le Moyen-Âge et l’importante place de l’animal dans la vie et l’imaginaire des hommes et des femmes de cette époque. Ces animaux sont abondamment représentés dans les livres de toutes sortes à travers des illustrations ou des décors animaliers. Grâce à l’exceptionnelle collection rassemblée par le duc d’Aumale, près de quarante trésors manuscrits du château de Chantilly nous donnent de contempler des animaux d’une qualité picturale et poétique surprenante.
Vous doutiez-vous que la belette concevait par l’oreille et qu’elle mettait bas par la bouche ? Auriez-vous imaginé que le pélican ramène ses petits à la vie avec son propre sang ? Et pourtant, les bestiaires médiévaux, aussi appelés « livres des natures des animaux » visent d’abord à enseigner une morale chrétienne simple, par l’exemple des animaux en n’hésitant pas, si besoin, à broder sur la réalité.
Ces ouvrages moyenâgeux prêtent aux animaux des personnalités et des sentiments comparables à ceux des humains pour qu’ils servent d’exemples lors des sermons. Et sont construits sur l’idée qu’il existe, comme décrit dans la Genèse, un rapport hiérarchique entre toutes les créatures de Dieu et que l’Homme en occupe le sommet. Ainsi Boèce, dans sa Consolation de Philosophie, l’un des textes les plus lus au Moyen-Âge, compare t-il les hommes éloignés du Bien aux animaux.
Les bestiaires apparaissent en Angleterre dès le XIIème siècle, à destination de l’Aristocratie. Ils se répandront ensuite dans le nord de la France et en normandie. Selon la langue employée dans les bestiaires, les ouvrages s’adressaient aux clercs (en latin) et aux laïcs (en français).De nombreux écrivains s’empareront du genre pour créer des bestiaires spirituels, philosophiques ou courtois.
Si le plus ancien bestiaire en français est celui de Philippe de Thaon (vers 1120), il y a aussi le Bestiaire divin de Guillaume le Clerc, celui de Gervaise (vers 1150), le Bestiaire en latin de Pierre de Beauvais (datant d’avant 1218) et sa traduction en français, le De animalibus d’Albert le Grand (1260), principaux représentants du genre à finalité didactique et morale. Enfin, le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival (vers 1250). Chaque manuscrit est également codifié:les bestiaires en latin commencent toujours par les bêtes sauvages, surtout le lion. Viennent ensuite les animaux domestiques, puis les fourmis, oiseaux, insectes, monstres et vers. Les manuscrits sont aussi illustrés, et leur iconographie obéit à des codes précis. Le nom de chaque animal est ainsi prolongé, d’une part par une description de ses principales caractéristique et d’autre part, par une représentation figurée. Richard de Fournival nous rappelle que « la mémoire a deux portes, la vue et l’ouïe ; et chacune ouvre sur un chemin qui y conduit, la peinture et la parole ».
Les nombreux ouvrages médiévaux dédiés aux animaux dérivent du Physiologus. Ces bestiaires ont pour seul objectif d’édifier le chrétien et sont destinés à servir de support à la prédication en permettant d’interpréter les représentations sculptées de l’art roman. Ils s’enrichiront de l’apport de naturalistes comme Aristote (13ème siècle) tout en conservant une tonalité très religieuse, et leur traduction en français étendra leur diffusion à l’aristocratie laïque.
La littérature sur les animaux prendra un tournant au XIVème siècle avec l’apparition des livres de chasse qui s’adresse aux chasseurs souhaitant en connaître davantage sur les bêtes qu’ils traquent. Enfin, les calendriers des livres de prières, qui datent essentiellement du XVème siècle, sont remplis d’animaux de la vie quotidienne rurale, illustrant les travaux du moi à la campagne.
Intéressons-nous maintenant à la symbolique du bestiaire médiéval : les bêtes ont été créées pour servir l’homme pas seulement en matière de nourriture mais aussi pour lui fournir des médicaments.
Durant le Moyen-Âge, les bovins sont principalement utilisés comme instruments de travail. Le bœuf joue en effet un rôle majeur dans les labours et les transports. Plus lent que le cheval, il est capable de tirer des charges plus lourdes. Symbole de richesse et de force, on le gratifie également d’une puissante symbolique christologique : créature douce et paisible, dotée de patience et de bonté, il creuse comme le Christ des sillons fertiles et se sacrifie pour servir les hommes.
D’autres espèces nous ont été données pour nous divertir, à l’instar du singe, du chien, ou d’autres espèces animales...Certaines espèces nous ont été données pour nous faire prendre conscience de notre fragilité, comme les puces et autres vermines naissant de notre pourriture. D’autres nous font redouter Dieu et sa puissance, à l’exemple des lions, des ours ou des serpents.
D’après Barthélémy l’Anglais (De Proprietatibus Rerum)le monde animal a été totalement pensé en fonction de l’éloge du créateur et de l’édification du chrétien que met en scène le bestiaire médiéval, se souciant davantage d’allégorie que de sciences naturelles.C’est vers 1240 que Barthélémy l’Anglais, frère franciscain, composera son Livre des propriétés des choses (première photo ci-dessous), répertoire des savoirs de son temps. L’ouvrage, qui connait un franc succès dans le monde universitaire alors en plein essor, sera traduit en langue vernaculaire par Jean Corbichon, à la demande du roi Charles V.Copié sur l’exemplaire royal, le manuscrit de Chantilly est une commande des quatre secrétaires du duc Jean de Berry pour les étrennes du prince en 1404. Attribué à l’atelier parisien du Maître de Virgile, le luxe des miniatures et les représentations animales d’un grand naturalisme de cet ouvrage le rend digne du rang de son possesseur. La ruche (sur la deuxième photo ci-dessous, au centre) qui figure comme une petite hutte de chaume déposée sur une base en pierre représente pour Barthélémy l’Anglais un modèle de société vertueuse et organisée.
Dans cette exposition, la bibliothèque du musée Condé replace le florilège de représentations animalières qu’elle a sélectionné, dans le contexte de la culture médiévale.Le parcours de visite qui est proposé au visiteur est à la fois chronologique et thématique grâce à des manuscrits datés du XIème au XVIème siècle illustrant les différentes facettes de l’illustration animalière, des animaux comme symboles, des emblèmes ou « exemples » aux animaux des fables, des œuvres littéraires, des encyclopédies et des traités de chasse.
Les Traités de fauconnerie et de vénerie sont présentés sous la forme d’un manuscrit sur parchemin de 110 feuillets, agrémentés de deux miniatures, d’ornements dans les marges et de lettrines. Copié par Antonio de Lampugnano et enluminé par le Maître du Traité de fauconnerie, ce superbe ouvrage renferme plusieurs traités en latin, dont quelques-uns traduits de l’arabe. Ces traités sont consacrés à l’affaitage des faucons et à l’élevage des chiens de chasse.Copié pour Francesco Sforza, duc de Milan, le manuscrit contient deux miniatures à pleine page, peintes sur des feuillets indépendants. La première montre trois hommes et une femme à cheval (ci-dessous) qui participent à une chasse au faucon. Le rapace capturant l’oiseau au-dessus de l’étang est aussi l’emblème ducal.
Autre trésor présenté dans cette exposition : la Composition de la sainte Ecriture ou Ci nous dit, recueil d’instruction chrétienne écrit vers 1320 et constitué de petits chapitres, ou exempla, classés de la Genèse au Jugement Dernier. Cet ouvrage puise des éléments dans la Bible, les vies des saints, les bestiaires, les fables... Chaque chapitre débute par la formule « Ci nous dit » (Ici on nous dit que) qui finit par désigner l’oeuvre.
Destiné à un laïc, ce manuscrit exceptionnel par son décor est le plus ancien des Ci nous dit. La fable de l’aigle et de l’escargot qui préfère garder sa coquille plutôt que de voler raconte comment un escargot demande à un aigle de lui apprendre à voler. Mais lorsque l’aigle lui dit que pour voler, il doit abandonner sa coquille, l’escargot préfère oublier l’idée de voler. Moralité : beaucoup d’hommes renonceront à voler jusqu’au paradis à cause du trop grand amour de leur corps, car ils aiment trop cette « coquille puante » où ils sont mal logés.
On imagine que c’est l’auteur du commentaire, le carme Guido de Pise qui fera réaliser le manuscrit « Inferno » de Dante Alighieri (en photo ci-dessous) à l’intention d’un noble génois. Dans ce document, les images accompagnent, non pas le texte de Dante, mais le commentaire du carme, constituant ainsi le premier cycle d’illustration connu de cette partie de la « Divine Comédie ». Par ailleurs, on attribue les peintures de cette œuvre, au moins partiellement, à Francesco Traini, chef de file de la peinture pisane du XIVème siècle.
Malgré leur petite taille, les scènes sont d’une extraordinaire vivacité. Voici l’histoire : la nuit du Jeudi au Vendredi Saint de l’an 1300, Dante est perdu dans une forêt. Ainsi s’ouvre la Divine Comédie. Trois fauves, un lynx, un lion et un loup (la luxure, l’orgueil et l’avarice, selon Guido) empêchent Dante de trouver le droit chemin.
Outre ces œuvres, le public est invité à admirer bien d’autres trésors, parmi lesquels deux magnifiques reliures orfévrées rappelant la symbolique complexe dans laquelle les animaux incarnent souvent l’affrontement entre le bien et le mal. Puis, plus loin, de grandes pages enluminées de la Bible et des récits hagiographiques s’offrent aux yeux des visiteurs : la création des animaux, l’arche de Noé, Jonas et sa baleine, l’âne et le bœuf dans une étable à Bethléem, Saint Georges sur son cheval, Saint Antoine et son cochon...Tout un bestiaire empli d’humanité et de poésie. Et une exposition qui fait du bien en ces temps troublés !
INFOS PRATIQUES :
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Exposition « Bestiaire médiéval, Trésors du Cabinet des livres » jusqu’au 27 mai 2024, au Château de Chantilly, 7 rue du Connétable à Chantilly (60)