Lundi 1er avril 2024
Voici une exposition qui ravira les amateurs de belles choses, puisqu’elle nous présente une collection exceptionnelle de petits objets précieux et sophistiqués, en or, enrichis de pierres dures ou de pierres précieuses, recouverts de nacre, de porcelaine ou d’émaux translucides, parfois même ornés de miniatures.Ces objets, dont les usages varient, ressortent tous des us et coutumes d’un quotidien raffiné, signe de richesse, souvenir intime, et susciteront, durant le siècle des Lumière comme aux suivants, un engouement en France, puis dans toute l’Europe. L’exposition » Luxe de poche, Petits objets précieux au siècle des Lumières » vous accueille jusqu’au 29 septembre 2024, au musée Cognacq-Jay (Paris 3ème).
A une époque où notre (sous) civilisation passe plus de temps à s’auto-détruire qu’à concevoir, j’avoue que l’exposition actuelle me rassure sur l’espèce humaine : si nos ancêtres furent capables de créer de ravissants objets pratiques avec leur seul savoir-faire d’alors et la volonté de se surpasser, alors tous les espoirs sont permis pour les futures générations.
L’exposition « Luxe de poche » a pour ambition de renouveler le regard porté sur ces objets, à travers une approche plurielle, qui concerne à la fois l’histoire de l’art, l’histoire de la mode, l’histoire des techniques, l’histoire culturelle et l’anthropologie en faisant résonner ces œuvres miniatures avec d’autres œuvres : accessoires de mode, et également les vêtements qu’ils viennent compléter, le mobilier où ils sont rangés ou présentés et enfin des tableaux, dessins et gravures où ces objets sont mis en scène. Dès lors, un tel dialogue permet d’envisager ces objets dans un contexte élargi du luxe et de la mode au 18ème et au début du 19ème siècle.
La création d’un tel événement ne fut possible que grâce à l’exceptionnelle collection d’Ernest Cognacq, enrichi de prêts importants (d’institutions prestigieuses comme le musée du Louvre, le musée des Arts décoratifs de Paris, le Château de Versailles, le Palais Galliera, les Collections royales anglaises ou le Victoria and Albert Museum de Londres) afin d’offrir une nouvelle lecture de ces accessoires indispensables du luxe. Quoi de plus naturel que de mettre en valeur les œuvres accumulées tout au long d’une vie par ce couple de commerçants avisés (Ernest Cognacq et Marie-Louis Jay) qui fonda les grands magasins La Samaritaine à Paris, et auquel le présent musée rend hommage. Affable, bienveillant et remarquable organisateur, Ernest Cognacq, accompagné de son épouse, accumulera au fil du temps une importante collection d’oeuvres d’art du 18ème siècle entre 1900 et 1925. Une collection destinée à être exposée à La Samaritaine de luxe, en 1917. Onze années plus tard, Ernest Cognacq offrira celle-ci à la ville de Paris pour être mise en valeur par le musée Cognacq-Jay dès 1929.
Le parcours de l’exposition nous conduit tout naturellement aux deux premières salles qui s’intéressent à la typologie et à la variété d’objets précieux comme les tabatières, bonbonnières, drageoirs, étuis à cire, boîtes à mouche ou à fard, nécessaires à écrire ou à broder, pommeau de canne, flacons à parfum, châtelaines et lorgnettes...Tous ces objets étant abordés tant dans leur forme et les matériaux (pierres dures ou précieuses, nacre, porcelaine, émaux, laque...) qui les composent que dans les techniques utilisées.
Il est important de rappeler que le 18ème siècle connait le développement des métiers d’arts mais aussi l’essor des arts décoratifs. On qualifie alors les petits objets précieux de « boites » ou de « bijoux », à l’exemple des objets cités plus haut, ou « d’ouvrages d’orfèvrerie qui ne servent que d’ornement » (définition de l’Encyclopédie). Dans ces conditions, et faute de règles fixes, l’imagination et l’esprit d’inventivité de l’ouvrier peuvent s’exprimer lors de la conception de l’objet commandé par le client. Qui plus est, un objet révélateur du statut social de son propriétaire en fonction de la préciosité des matériaux utilisés, de l’inventivité des mécanismes qu’il contient ou les gestes raffinés qu’il exige.
De tels objets portatifs ne tarderont pas à participer aux pratiques de sociabilité des élites, en en codifiant les usages. Et même camouflés au fond des poches de leurs détenteurs, ces objets participent de la culture des apparences et des enjeux de distinction sociale. Sur près de 300 œuvres présentées, il en est certaines qui sortent du lot, à l’instar de cette tabatière de l’orfèvre allemand Johann Christian Neuber (en photo ci-dessous) : ornée de 120 fines lamelles de pierres serties dans une monture en or, cette tabatière comporte aussi des numéros gravés qui renvoient à un livret descriptif des pierres ornant le précieux objet, lui-même transformé en cabinet miniature de minéralogie.
La troisième salle explore quant à elle les usages des ces objets et les rituels qui les accompagnent.
Les boites, étuis et tabatières, à la fois mobiles, tenus en main ou portés au plus près de soi dans les poches sont personnels, voire intimes et éminemment sociaux. En effet, ces œuvres miniatures qui accompagnent leur propriétaire à tout moment de la journée sont utilisées hors de la seule sphère intime pour se rendre sur le théâtre du monde. Destinées à être vues et montrées, ces jolies choses relèvent pleinement de la parure et des stratégies de l’élégance et contribuent, avec le reste de la tenue, à façonner la culture des apparences, caractéristique du siècle.
Faisant partie intégrante des diverses pratiques de sociabilité, les objets de poche sont utilisés toute la journée. Les élégantes s’en servent pour entamer les rituels de la toilette en faisant usage de délicates boites à poudre, à mouches ou à parfum. Plus tard, en société, elles sortiront de leurs poches une jolie tabatière ou un nécessaire à couture. Quant aux mondanités du soir, au théâtre ou au bal, on échangera des messages à l’aide de précieux étuis à tablettes tandis que les ingénieuses lorgnettes permettront autant de voir que d’être remarqué.
La salle 4 aborde quant à elle l’existence de l’objet, depuis sa conception, et jusqu’à sa diffusion, révélant ainsi une économie inventive et florissante présente à Paris, puis dans toute l’Europe, grâce à la virtuosité et aux merveilleuses inventions des meilleurs orfèvres. N’allez pas pour autant imaginer que cette fabrication va de soi car elle exige de nombreuses expertises auprès de plusieurs corps de métiers : peintres émailleurs, lapidaires, vernisseurs...au final, les innovations technologiques offrent aux artisans de multiples possibilités. En or,en totalité ou en partie, enrichis de pierres, d’émail ou de nacres, ces objets rappellent l’excellence des orfèvres parisiens au 18ème siècle. L’étude des centres de production, l’organisation des métiers et du rôle des intervenants (boutiques spécialisées, marchands merciers) éclairent le circuit de diffusion, de la fabrique à la vente.
On découvre que les orfèvres réalisent des « montures à cage » mélangeant l’or à d’autres matériaux (porcelaine, émail, écailles, micro-mosaïques) pour fabriquer ensuite des objets des plus précieux aux plus anodins.
Quant aux marchands merciers, ils jouent le rôle de prescripteurs de tendances en favorisant la naissance d’une culture de consommation.
Dans la salle 5, le visiteur découvre que ces objets de luxe rencontrent alors un véritable succès et suivent les effets de mode. C’est ainsi que les œuvres d’Antoine Watteau ou de Jean-Baptiste Greuze deviennent sources et modèles. Et les toiles mythologiques ou pastorales de ces maitres du 18ème siècle d’être copiées ou imitées en miniature.
Formidables répertoires de formes, de motifs et de petites scènes, les couvercles des tabatières, les flacons ou camées montés en boutons ou en bijoux, reflètent en tant qu’objets le miroir de leur époque, suivant l’évolution du goût comme les effets de mode d’une société en mouvement.
Salle 6, le parcours de l’exposition consacre un espace à l’art de collectionner.
Apanage luxueux des monarques, des membres des familles royales et des cours à travers l’Europe, ces petits objets précieux sont autant offerts que collectionnés et ce, dès le 18ème siècle. Ainsi le roi de Prusse Frédéric II rassemble t-il près de 300 tabatières ornées d’une profusion de pierres précieuses.
Bijoux de valeur et souvenirs au pouvoir évocateur puissant, ils témoignent d’une amitié, d’un amour ou d’un haut fait. Ils ravivent également le souvenir d’une époque où l’élégance d’un art de vivre rivalise avec la richesse de ces objets pour les amateurs jusqu’à nos jours, et suscitent un intérêt renouvelé pour le savoir-faire et la virtuosité des orfèvres des Lumières chez les collectionneurs au tournant du 20ème siècle.
Ce sont ainsi 260 bijoux formant une collection exceptionnelle comptant parmi les plus représentatives et prestigieuses de cette production raffinée qui furent patiemment acquis puis légués en 1928 à la ville de Paris par Ernest Cognacq et Marie-Louise Jay. D’autres collectionneurs, comme Rosalinde et Arthur Gilbert rassembleront aussi, et dès les années 1960, ces joyaux dont certaines tabatières ayant appartenues à Frédéric II.
La collection Gilbert, qui a trouvé refuge depuis 2008 au Victoria & Albert Museum, comprend quant à elle plus de 200 pièces, se plaçant ainsi parmi les plus remarquables collections privées récentes de boites orfévrées.
Sur place, on ne manquera pas d’admirer un pistolet à parfum, œuvre de l’orfèvre genevois Jean-François Bautte, ornée d’or, d’émail et de perles fines (en photo ci-dessous). Un ingénieux mécanisme situé sous la crosse ouvre les pétales placés à l’extrémité du canon d’où se libère une délicieuse fragance.
Contraste des époques, la dernière salle de cette superbe exposition montre comment l’essor des échanges commerciaux en cette fin du 17ème siècle favorise le goût pour l’exotisme. Les marchands merciers font ainsi réaliser des objets d’ornement composites alliant laque, coquilles, écailles de tortue et pierreries.
Très vite, l’Orient va fasciner et inspirer des artistes européens comme François Boucher qui déclinera bientôt la mode des « chinoiseries » dans les arts décoratifs. De leur côté, manufactures et ateliers mais aussi artisans et orfèvres innovent afin d’imiter ces matériaux exotiques. Quant aux chimistes, ils ne tardent pas à découvrir le secret de la fabrication de la porcelaine originaire d’Asie.
Le début du 20ème siècle ne sera pas en reste puisque de grandes maisons de joaillerie s’inspireront à leur tour des formes et des techniques de cet art raffiné du siècle des Lumières. Le visiteur pourra achever sa visite en admirant
des objets de la collection patrimoniale de Van Cleef & Arpels et la maison Fabergé datant du 20ème siècle qui tirent leur inspiration du goût du 18ème.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition « Luxe de poche, Petits objets précieux au siècle des Lumières », du 28 mars au 29 septembre 2024, au musée Cognacq-Jay, 8 rue Elzévir, à Paris (3ème).