Lundi 8 avril 2024
Le monastère royal de Brou (28), H2M-Espace d’art contemporain à Bourg-en-Bresse (01) et le musée Thomas Henry à Cherbourg-en-Cotentin (50) nous proposent une exposition qui explore les modes de prédiction de l’avenir vus par des artistes tels que Dürer, Gustave Doré, Rodin, Chagall ou Foujita.
Cet événement se déploiera successivement à Brou (jusqu’au 23 juin), puis à Bourg-en-Bresse (du 13 avril au 28 juillet) et à Cherbourg-en-Cotentin (du 12 juillet au 16 octobre).
Qui n’a jamais rêvé de connaître de quoi demain sera fait, surtout par ces temps troublés que nous traversons ? L’humanité est ainsi faite qu’elle persiste, à travers le monde et le temps, à essayer de percer les mystères de son avenir. Et ces prédictions multiples, qu’elles soient individuelles ou collectives, rationnelles ou non, ont toujours attiré l’attention de cette préoccupation du futur.
Dans cette exposition, ce sont plus de 70 œuvres européennes, du Moyen-Âge à l’époque contemporaine, qui sont présentées au public : oracles, prophètes, prophétesses, astrologie, cartomancie et voyance sont ainsi abordés. L’évènement est d’autant plus remarquable que c’est la première fois qu’on permet au public de découvrir les moyens de prévoir et d’anticiper l’avenir, souvent conjugués au féminin, en interrogeant les croyances et le désir de connaître ce que sera demain,plus que jamais la hantise des humains que nous sommes.
L’idée d’organiser un tel événement trottait depuis quelque temps dans l’esprits des trois conservateurs de musées. A Brou,il se trouve que la notion de prédiction est très présente dans les collections, et il a paru intéressant de confronter, à travers ce thème, le passé et le présent chargé des questions environnementales et de conflits potentiels.
Contacté par le monastère royal de Brou, le Musée Thomas Henry a rejoint le projet car il partage ce sentiment de partage avec l’actualité et le thème retenu qui est parfait pour inviter le public à se projeter...dans l’avenir.
Il apparaît par ailleurs que le sujet des prédictions est présent tout au long de l’histoire mais avec des sujets différents selon les périodes. Ainsi, durant l’Antiquité, cette thématique est-elle fortement marquée par la représentation des oracles, des pythies et des sibylles.L’iconographie moyenâgeuse se rattache surtout aux symboliques de la chrétienté où domine une approche eschatologique annonçant la fin du monde et la fin des temps, conjugué avec le retour du Christ sauveur. Le 17ème siècle offrira des prédictions plus légères en mettant en scène des tireuses de cartes, ou des diseuses de bonne aventure.Quant au 19ème siècle, il permet d’observer une forme de synchronisme entre l’art religieux, les classiques mythologiques et des thèmes plus pittoresques comme par exemple le mouvement symboliste. La posture de l’artiste évolue, lui qui revendique désormais un statut d’auteur tout en réalisant des œuvres prédictives et sacrées.
Prédictions et religion, divinité, croyance, tout est chronologiquement lié : jusqu’au 17ème siècle, les œuvres dépeignent plus généralement des représentations de la figure du voyant, de prophètes, de porteurs de la parole divine...plus que la vision de l’avenir. A partir du 19ème, paganisme et religions païennes issues des cultures nordiques sont de retour. Mais l’Eglise se montre hostile aux arts divinatoires sauf lorsque ceux-ci mettent en valeur les prophètes bibliques. En effet, si tout ce qui n’est pas d’inspiration divine est considéré comme maléfique, l’attitude de l’Eglise envers l’astrologie et la cosmologie est ambivalente.On accepte ainsi qu ‘étoiles et planètes puissent influer sur les catastrophes naturelles mais l’astrologie divinatoire est très contestée et fait même l’objet de procès, alors qu’à partir du 17ème siècle, l’astronomie se détachera de l’astrologie et deviendra une science incontestable.
Que penser de la figure féminine présente dans l’iconographie ? La femme n’a pas toujours le mauvais rôle, à l’instar ds peintures représentant les raids vikings de la fin du 9ème siècle. Les prêtresses nordiques, les Völva, sont toujours consultées et très écoutées avant une expédition afin de savoir si une malédiction pouvait la frapper. Il reste que tout cela est vu et représenté par un regard essentiellement masculin, jusqu’à ce que la femme apparaisse de façon marquée chez les artistes à partir de la fin du 19ème siècle et amorce une évolution de point de vue.
Cette figure féminine traverse toute l’histoire et toutes les périodes : les femmes représentent la grande majorité des donneuses de prédictions. Dès la fin du Moyen-Âge, apparaît la gitane, à un moment où la population tzigane voyage à travers l’Europe, mais la figure de l’astronome-astrologue qui étudie les étoiles reste incarnée par un homme, jusqu’au moment où la science se sépare de la pratique populaire et laisse la femme endosser les rôles de cartomancienne, de diseuse de bonne aventure et de sorcière irrationnelle et inquiétante.
Le parcours de la visite, qui est ordonnancé chronologiquement pour plus de clarté, débute d’emblée avec la fin des temps et ses visions. Sont ensuite successivement abordées les prophéties de nature divine, puis les prédictions qui relèvent de préférence des pratiques divinatoires profanes qu’elles soient considérées comme scientifiques ou ésotériques :
Messagers divins : fin des temps, oracles antiques, sibylles et prophètes
La fin des temps a toujours été la préoccupation première des prophètes dont la parole exprime le verbe divin. Ezéchiel prédit la chute de Jérusalem et la résurrection de tous les morts tandis que l’Apocalypse de Saint-Jean raconte la fin du monde terrestre avant le Jugement dernier.De son côté, la Bible regorge de récits visionnaires de prophètes transmettant les messages de Dieu et mettant en garde les hommes. Quant aux rêves, à l’image de celui de Jacob, ils permettent d’accéder à d’autres formes de connaissance et de prémonition..
Dès la Renaissance, un regain d’intérêt envers l’Antiquité incite les artistes à se pencher sur la représentation des pratiques divinatoires gréco-romaines : Cassandre, vouée à n’être jamais écoutée, la pythie de Delphes et Tirésias sont les témoins de cette époque.
Les sibylles, elles, seront christianisées au Moyen-Âge, prédisant la venue d’un Dieu unique fait homme, le Christ. A partir du 15ème siècle, elles connaitront une grande renommée iconographique.
Quant aux prophètes, ils sont généralement représentés en groupe et repérables grâce à leurs attributs et leurs phylactères.Enfin, les anges sont aussi considérés comme des messagers divins,comme dans l’Annonciation à la Vierge Marie à qui ils apprennent qu’elle va enfanter le Christ.
Arts divinatoires : astrologues, cartomanciennes et diseuses de bonne aventure
La divination est condamnée par le christianisme dès le 4ème siècle, en tant que superstition, mais celle-ci se poursuivra malgré tout au Moyen-Âge.
L’astrologie est alors perçue comme une science mathématique jusqu’à ce que ne soit créée en 1666 l’Académie royale des Sciences qui la distinguera bientôt de l’astronomie. Le zodiaque est alors représenté aux portails de nombreuses cathédrales gothiques et les almanachs sont là pour populariser les croyances. Cartomanciennes (qui tirent les cartes du tarot), chiromanciennes (qui lisent les lignes de la main) et autres modes de voyance (boule de cristal, pendule ou marc de café) prennent de l’importance à l’époque moderne.
Et la diseuse de bonne aventure d’incarner l’ambivalence des civilisations occidentales à l’égard des Tsiganes, entre fascination pour leur exotisme, leur beauté et leur liberté d’une part, et criminalisation en tant que vagabonds, voleurs et trompeurs d’autre part.
Littérature et légendes : une autre Europe des Prophètes
C’est surtout à partir du 19ème siècle que les artistes se nourrissent de sources littéraires et légendaires, allant même jusqu’à les réinventer si besoin pour partir à la recherche de nouvelles figures prédictives, avec, à leur tête Shakespeare, Cervantes ou Dante pour stimuler la création artistique.
Ce siècle permet également d’observer un élargissement des horizons géographiques tandis que les artistes délaissent les sources antiques pour se tourner vers les mythologies d’Europe celte, orientale et septentrionale (völva scandinaves, fées et voyantes).Bientôt, les prédictions ne constituent plus uniquement un sujet iconographique mais investissent l’art lui-même. Une évolution qui nous conduit aux symbolistes, aux Nabis (prophète en hébreu) et aux Surréalistes.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition «Prédictions, les artistes face à l’avenir », du 30 mars au 16 octobre 2024, successivement au Monastère royal de Brou (28) (www.monastere-de-brou.fr)du 30 mars au 23 juin, à H2M- Espace d’art contemporain à Bourg-en-Bresse (01) du 13 avril au 28 juillet et au Musée Thomas Henry à Cherbourg-en-Cotentin (50) du 12 juillet au 16 octobre 2024.